Amédée Thayer
Amédée William Gourcy Thayer[1] (né le à Orléans (Loiret) - mort le à Paris), est un homme politique français, d'origine américaine, du XIXe siècle.
Amédée William Gourcy Thayer | |
Amédée Thayer, portrait par André Adolphe Eugène Disdéri, 1852 | |
Fonctions | |
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Sénateur du Second Empire | |
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Gouvernement | Empire français |
Groupe politique | Bonapartiste |
Biographie | |
Date de naissance | Orléans (Loiret) |
Date de décès | Paris (Seine) |
Biographie
Les années de jeunesse
Amédée Gourcy Wiliams Thayer naquit à Orléans le 26 thermidor an VII (13 août 1799). Son père, James Williams, était citoyen américain (né lui-même le 25 janvier 1763 à Glocester dans ce qui allait être, vingt-cinq ans plus tard, l’état de Rhode Island, décédé à Paris le 10 mai 1835) et sa mère Harriett Beck, était d’origine anglaise (née à Needham, Suffolk, le 16 avril 1773, décédée à Paris le 17 avril 1850)[2].
On raconte que James Thayer aurait obtenu du gouvernement français d’être indemnisé en assignats pour la perte d’une cargaison de denrées coloniales, saisie comme anglaise sous le Directoire. Cette somme lui aurait permis d’acquérir en 1800 l’ancien hôtel de Montmorency-Luxembourg, vendu comme bien national et déjà passé entre plusieurs mains[3]. S’étant fait céder par un autre américain de ses amis, le célèbre Robert Fulton, le brevet d’invention qu’il avait déposé « comme importateur des tableaux circulaires appelés panoramas »[4], il fit construire, sur les jardins de l’hôtel de Montmorency, côté boulevard Montmartre, deux rotondes où furent installés les panoramas, ainsi qu’un théâtre, le théâtre des Variétés. Il créa ensuite, entre la rue Saint-Marc et le boulevard Montmartre, un passage couvert où se succédaient des boutiques bien achalandées, le passage des Panoramas, qui existe toujours. Amédée et son frère cadet Edouard devaient en hériter à la mort de leurs parents.
De confession protestante à l’origine, Amédée Thayer eut pour précepteur le pasteur Jean-Albert Roux (1785-1852)[5], puis il fit des études de droit, obtenant en 1822 d’être reçu avocat au barreau de Paris. En contact avec les milieux artistiques de la capitale, il développa toutes sortes de curiosités et de talents. Admis dans l’atelier[6] du baron Gros (1771-1835), il devait se révéler un dessinateur habile ; il pratiquait aussi le chant en amateur. Le salon de sa mère, de tendance libérale sur le plan politique, accueillait volontiers des personnalités des mondes littéraire et artistique[7] (dont le musicien Rossini).
Dès l’époque de sa jeunesse, Amédée Thayer s’attacha aux grandes causes de son temps : celle des Grecs révoltés contre les Turcs[8], celle des opposants à la traite négrière (comme membre actif de la Société de la Morale Chrétienne)[9].
À vingt-neuf ans, ayant refusé plusieurs beaux partis, il épousa le 10 mai 1828 Hortense Eugénie Bertrand (1810-1889), la fille du général, compagnon de Napoléon à Sainte-Hélène[10].
Sous la monarchie de Juillet et la Seconde République
Lors des journées de juillet, Amédée Thayer fit partie de l’état-major de La Fayette[11], avec lequel sa famille était liée de longue date. Par la suite il fut régulièrement élu officier dans la 1ère légion de la garde nationale de banlieue. Il devait être aussi en relation d’affaires avec le duc Ferdinand-Philippe d’Orléans qui était le premier actionnaire de la Compagnie algérienne de colonisation, société en commandite créée le 30 août 1834 et dont la raison sociale était « A. Thayer et Cie »[12].
Le couple Thayer partagea alors son temps entre séjour parisien, exigé par les activités d’Amédée Thayer, et voyages d’agrément en chaise de poste en Suisse (1829), dans le comté de Nice (1830-31 et 1831-1832), à Berlin (1833), Rome (1839-40), à Ems et dans la vallée du Rhin (1842), à Madère (1843-1844), en Italie du Nord (1845), souvent pour soulager la santé très fragile d’Hortense[13]. Ayant rendu visite chez lui, à Köthen, à Samuel Hahnemann, le fondateur de l’homéopathie, Amédée entreprit de traduire l’Organon du médecin allemand, mais cette traduction ne parut jamais[14].
En 1838, peut-être sous l’influence de sa femme, Amédée Thayer se convertit au catholicisme et, à compter de cette date, soutint avec ardeur les œuvres catholiques[15]. Dans la crise que traversa en 1845-1846 l’ordre bénédictin, restauré en France à Solesmes par Dom Guéranger (1805-1975), il sut trouver avec l’aide de ses amis une solution financière inespérée.
À cette époque les Thayer entretinrent une amitié très étroite avec Charles de Montalembert (1810-1870)[16], dont ils allaient partager les engagements sous la monarchie de Juillet. Ils firent en commun plusieurs voyages à l’étranger et l’orateur et homme politique, à l’issue des débats à la Chambre des pairs, passait volontiers ses soirées dans l’hôtel particulier des Thayer au 19, rue Saint-Dominique-Saint-Germain (hôtel de Béthune)[17]. Ceux-ci jouèrent un rôle très actif dans la poursuite du combat que menait leur ami pour la liberté de l’enseignement, puis dans la préparation des élections de 1846. Ils ouvrirent leur salon à de nombreuses personnalités catholiques (le père Henri Lacordaire, le père Xavier de Ravignan, l’abbé Charles-Eléonore Dufriche-Desgenettes, l’abbé Félix Dupanloup, Monseigneur Thomas Gousset, Monseigneur Pierre-Louis Parisis, les abbés Henri de Bonnechose, François-Alexandre de la Bouillerie, Emmanuel d’Alzon, Alphonse Ratisbonne, divers laïcs autour de Montalembert et encore le journaliste Louis Veuillot), en essayant de réduire les dissensions au sein du parti catholique[18]. En septembre 1844, vit le jour le « Comité électoral pour la défense de la Liberté religieuse », dont Amédée était le trésorier ou, pour mieux dire, le principal bailleur de fonds.
Jusqu’ici Amédée Thayer avait exercé des responsabilités politiques comme maire de Drancy de 1836 à 1843[19], ainsi qu’au conseil général de la Seine et, à ce titre, au conseil municipal de Paris, dont il devait rester membre, avec une courte interruption, de 1834 jusqu’à sa mort en 1868[20]. En 1848 il présenta sa candidature à Chambre des députés, mais ne fut pas élu[21]. Lors des journées de juin il était chef du 9e bataillon de la garde nationale de banlieue, et sa conduite lui valut le 8 février 1850 la Légion d’Honneur[22]. Au lendemain de l’émeute, on le retrouve[23] (avec Montalembert et Victor Hugo !) dans le « comité de la rue de Poitiers » où les catholiques firent cause commune avec les conservateurs (légitimistes et orléanistes).
Le sénateur du Second Empire
Gendre d’un général du Premier Empire et lié étroitement au parti catholique dont Louis-Napoléon voulait conserver l’appui, Amédée Thayer fut d’abord compris dans la liste des 80 membres de la « commission consultative » provisoire, censée élaborer la nouvelle constitution[24]. Un mois plus tard, le 27 janvier 1852, en première page, Le Moniteur universel annonçait sa nomination parmi les membres nommés à vie composant le Sénat. Le 12 août 1853, il est promu officier de la Légion d'Honneur.
Les Thayer eurent l’occasion alors de participer à la vie de cour du Second Empire et, dans les premiers temps, furent conviés fréquemment à Saint-Cloud, à Fontainebleau et à Compiègne[25]. Au palais du Luxembourg l’activité d’Amédée Thayer ne se démentit jamais, dans le travail préparatoire en commissions et en sa qualité de rapporteur d’enquêtes sur des sujets très variés : son long rapport du 26 mars 1867, consacré à l’excessive mortalité des enfants placés en nourrice, est cité par les historiens actuels comme un exemple des questions très concrètes examinées par le Sénat impérial[26]. Membre du conseil général de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, ami de son fondateur Frédéric Ozanam, Amédée Thayer fut le porte-parole d’une de ses très anciennes revendications, la question du repos dominical, intervenant en 1863 sans succès en faveur d’une pétition qui réclamait la suspension des travaux le dimanche sur les chantiers de l’État[27].
Amédée Thayer incarne de manière exemplaire cette sensibilité charitable qui s’était développée chez beaucoup de représentants des élites catholiques face à la misère des classes populaires ou à la situation dans les prisons (catholicisme social). Il était vice-président de la Société d’économie charitable fondée par Armand de Melun (1807-1877), membre de la commission de surveillance des sociétés de secours mutuel autorisées par le décret du 8 avril 1852, membre des instances dirigeantes de la « société de bienfaisance pour l’amélioration et le bon marché des logements ouvriers » créée par le pouvoir en 1854, et du comité central de patronage des salles d’asile placé la même année sous la protection de l’impératrice. Avec Léon Cornudet, ami de jeunesse de Montalembert, il fonda également un « Cercle des jeunes ouvriers » dont le but était d’accueillir à Paris les jeunes en quête de travail et de les aider dans la recherche d’emplois et de logements[28]. Enfin, en tant que membre du conseil de surveillance de l’assistance publique de Paris, il s’intéressa au projet d’établissement d’un hôpital de 100 lits à Berck-sur-mer « pour le traitement des enfants scrofuleux » ; le 8 juillet 1861 il assistait à son inauguration. Dans un ouvrage publié en 1862 il figure sur la liste donnée en annexe, parmi « les bienfaiteurs des pauvres au XIXe siècle »[29]. Une œuvre en particulier semble lui avoir particulièrement tenu à cœur : il s’agit de la colonie agricole du Mesnil-Saint-Firmin (Oise) dont il fut le président et où, entre six et dix ans, des orphelins se formaient à des activités agricoles et horticoles modernes complétées par une instruction primaire de base[30].
En politique étrangère Amédée Thayer, au cours des débats du Sénat, se montra un représentant déterminé du parti ultramontain, et défenseur des intérêts temporels de la Papauté menacés par la politique italienne ambiguë de Napoléon III.
Homme d’une grande piété, il accomplit avec sa femme des pèlerinages à Lalouvesc, à Paray-le-Monial, à Lourdes, à La Salette. Sur la propriété dont Hortense Thayer avait reçu donation de son oncle, à Touvent, aux portes de Châteauroux (Indre), le couple fit édifier, entre 1854 et 1857, une chapelle néo-romane placée sous le vocable de Notre-Dame-des-Victoires : sa construction bénéficia du concours de grands artistes (l’architecte Pierre-Aymar Verdier, le peintre Alexandre Denuelle, le maître verrier Eugène Oudinot, l’orfèvre Placide Poussielgue-Rusand, le sculpteur Jules Blanchard, le joaillier Mellerio)[31].
Au retour d’un grand voyage de plusieurs semaines en Italie, en 1866, où les Thayer rencontrèrent le pape Pie IX, Amédée Thayer connut un premier accident vasculaire cérébral, puis une nouvelle série d’attaques l’année suivante. Il mourut le 6 juillet 1868 à onze heures du soir. Il est enterré avec sa femme et ses trois enfants dans la chapelle de Touvent[32]. Son épitaphe en latin peut se traduire ainsi : "Ici repose, dans l’attente du bonheur espéré, Amédée Gourcy Williams Thayer, Sénateur de l’Empire français. Né à Orléans le 13 août 1799, brûlant de zèle pour la foi catholique, généreux dans son amour envers les pauvres, homme vraiment juste, il fit élever ce sanctuaire à la Vierge Mère de Dieu ; il mourut pieusement à Paris le 6 juillet 1868".
Vie familiale
Amédée avait un frère cadet, Edouard-James Thayer (1802-1859), également sénateur du Second Empire.
De son union avec Hortense Eugénie Bertrand Amédée Thayer eut trois enfants, tous trois morts en bas âge ;
- Napoléon, né le , décédé à Paris le , sans doute de la tuberculose ;
- Henri, né le , décédé aux Eaux-Bonnes le , d'une fièvre contractée en Italie ;
- François décédé à la naissance à Paris le .
Iconographie
Le musée de Châteauroux possède deux toiles de Joseph-Désiré Court provenant du château de Touvent, le premier : Portrait de M. Amédée Thayer, en costume d'atelier, non daté précisément, le second : Portrait de M. Amédée Thayer daté de 1846.
Il existe, outre celle illustrant cet article une autre photo réalisée par Disdéri en 1864 (dans les collections du musée d'Orsay, PHO 1995 24 16 ), et une photo réalisée par Livitsky (aux archives départementales de l'Indre, fonds Thibaut).
Annexes
Bibliographie
- « Thayer (Amédée-Williams-Courcy) », dans Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Edgar Bourloton, 1889-1891 [détail de l’édition] ;
- [BESSE (Le Père Ludovic de)], Monsieur Amédée Thayer, sénateur, P. Lethielleux, (lire en ligne) ;
- LACOUR (Lucien), Hortense Thayer-Bertrand (1810-1889) – De Sainte-Hélène à la légende napoléonienne, La Geneytouse, Lucien Souny, 2021.
Notes et références
- On devrait prononcer [tεR], comme on le faisait à cette époque.
- Archives départementales du Loiret, 4 NUM 234/15, état-civil d’Orléans, an IV, acte de mariage n° 62. Archives de Paris, état civil reconstitué, V3E/D 1400 et V3E/D 80 (documents consultés en ligne le 04/01/2023)
- SALIQUET (Chanoine [Antoine]), La famille de M. Thayer, Châteauroux, Mellottée, 1913. On préfèrera la version donnée dans FITZGERALD (Desmond), Family notes, Boston, Merrymount Press, 1911 (lu en ligne sur Internet Archive le 13 mars 2019).
- Bulletin des lois n° 21, arrêté du 14 germinal an VIII (4 avril 1800).
- Pasteur de la paroisse Sainte-Marie, dont le lieu de culte était le temple du Marais, 17, rue Saint-Antoine (voir http://base.huguenots-france.org).
- Son premier portrait, conservé au musée Bertrand de Châteauroux, est un portrait « en costume d’atelier » exécuté par Joseph-Désiré Court, lui-même élève de Gros et Prix de Rome en 1821.
- Journal de Viennet, pair de France, témoin de trois règnes, 1817-1848, Paris, Amiot Dumont, 1955, p. 86-87.
- Il participa à l’organisation du concert donné en leur faveur le 28 avril 1826 au Vauxhal, dont les répétitions furent dirigées par Rossini (Le Globe du 2 mai 1826 et Le Constitutionnel des 30 avril et 1er mai 1826).
- Lady Morgan, France in 1829-1830, London, Saunders and Otly, 1830.
- LACOUR (Lucien), « « Quand le général Bertrand mariait sa fille » », Revue de l’Académie du Centre, , p. 126-145
- PETIT, Histoire de la Révolution de 1830, Paris, chez l’auteur, 1831.
- Bulletin des travaux de la Compagnie algérienne de colonisation 1834-1837, n° 1 (consulté en ligne sur Google books le 13 mars 2019).
- BESSE (Le Père Ludovic de), La fille du général Bertrand, Madame Amédée Thayer, Paris, 5, rue de la Santé, 1896.
- FOURNIER (Denis), Bibliographie de Samuel Hahnemann, Montréal, 2014.
- [BESSE (Le Père Ludovic de)], Monsieur Amédée Thayer, Paris, Lethielleux, 1869.
- On en trouve de nombreuses traces dans MONTALEMBERT (Charles Forbes, comte de), Journal intime inédit, Paris, CNRS, puis Champion, 1990 – 2009.
- LEFEUVE (Charles), Les anciennes maisons de Paris, rue par rue, maison par maison, Paris/Leipzig, 1875, tome 3, p. 431.
- BESSE (Le Père Ludovic de), La fille du général Bertrand, op.cit. .
- Etat des communes à la fin du XIXe siècle – Drancy, Paris, Montévrain, 1898.
- Il figure sur l’Album des membres du Conseil Municipal de la ville de Paris et Commission départementale de la Seine en 1864 consultable en ligne (http://parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/).
- Sa profession de foi nous est parvenue, reproduite dans les colonnes du journal Le Constitutionnel du 30 mai 1848.
- Décret du 8 février 1850 (base Léonore, LH//2793/165).
- Le Mois, 1er avril 1849.
- Décret du 14 décembre 1851 publié dans Le Moniteur et cité dans Le Constitutionnel du 15 décembre 1851.
- TASCHER DE LA PAGERIE (Comtesse Stéphanie), Mon séjour aux Tuileries 1852-1858, Paris, Ollendorff, 1893.
- CHOISEL (Francis), « Les nouveaux nés devant le Sénat impérial », Nouveaux Cahiers du Second Empire, n° 44, année 2008.
- [BESSE (Le Père Ludovic de)], Monsieur Amédée Thayer, annexes, p. 197-220
- Pour l’année 1863 on trouve le détail de ses engagements charitables dans KNOEPFLIN (Edouard), Annales de la Charité, Paris, E. Dentu.
- KNOEPFLIN (Edouard), Les Bienfaiteurs des pauvres au XIXe siècle, Paris, E. Dentu, 1862
- LAMARQUE (Jules de) et DUGAT (Gustave), Des colonies agricoles établies en France, précis historique et statistique, Paris, de Rignoux, 1850, p. 83-88
- LACOUR (Francesca), « Le patrimoine religieux du XIXe siècle à Châteauroux », in actes du colloque « les Patrimoines de la région Centre », Bi-centenaire de l’Académie d’Orléans, 2009, publié en 2010.
- Epitaphes latines rédigées par dom Prosper Guéranger in situ