Érytheia
Érytheia ou Érythia (grec ancien : Ἐρύθεια) ("la rouge") est une île qui apparaît dans les récits de la mythologie grecque relatifs aux confins occidentaux du monde antique. Son nom, qui fait certainement référence au ciel rougeoyant du couchant[1], est à mettre en rapport avec celui d'une des trois Hespérides, Érythie[2]. Cette île se trouvait, selon de nombreux auteurs, dans la baie de Cadix, au sud de l'Espagne.
Les récits concernant l'île d'Érytheia
Dès les plus anciens récits, l'île était située dans l'extrême Occident, au-delà des colonnes d'Hercule. Elle était la résidence de Géryon, qui fut vaincu par Héraclès. Il y faisait garder son troupeau de bœufs par le bouvier Eurytion et le chien à deux têtes Orthros. On trouve cette version chez Hésiode[3], chez Stésichore[4], chez Phérécyde[5], chez Hérodote[6]. Cette localisation est sans doute la dernière étape d'un déplacement du royaume de Géryon (et donc d'Érythie, l'île du Couchant rougeoyant) toujours plus loin vers l'ouest par rapport à la Grèce, déplacement dont il reste des traces à l'époque historique[7] : culte célébré près d'Ambracie en Épire, au pays des Chaones, selon le témoignage d'Hécatée de Milet[8], traces diverses en Italie[9].
Par la suite, le nom a été appliqué à une île qui se trouve près de la côte du sud de l'Hispanie, qui était le site de la colonie punique de Gadeira[10]. Selon Strabon, cette identification se trouverait déjà chez Phérécyde, au Ve siècle av. J.-C. ; Strabon insiste sur la qualité de ses pâturages, particularité qui serait à l'origine de la légende des troupeaux de Géryon[11]. L'Histoire naturelle de Pline (4.36) fait référence à l'île de Gadès : « Du côté qui regarde vers l'Espagne, à environ 100 pas de distance, se trouve une autre longue île, large de trois milles, sur laquelle se trouvait la ville originelle de Gadès. Par Éphore[12] et Philistide[13], elle est appelée Érythia, par Timée et Silenus Aphrodisias, et par les indigènes l'île de Junon ».
Des discussions ont eu lieu, aussi bien chez les Anciens qu'à l'époque contemporaine, pour déterminer à laquelle des îles de la baie de Cadix pouvait s'appliquer le nom d'Érythie[14]. L'existence de plusieurs îles, mentionnée par les sources anciennes, a été confirmée par les recherches topographiques et géologiques modernes ; ces îles se sont réunies au cours des siècles sous l'influence de facteurs naturels ou humains.
Traditions minoritaires
Selon le Pseudo-Apollodore[15], ce serait aussi l'endroit où, à l'époque de la gigantomachie, le Géant Alcyonée vola le troupeau de bœufs qu'Hélios y faisait garder[16].
Notes et références
- The Oxford Classical Dictionary, Oxford University Press, 2005, s. v. « Erytheia », « ‘the red, or blushing, one’, i.e.sunset-coloured ».
- Scholie à Apollonius de Rhodes, 4, 1399.
- Théogonie, 290 (lire en ligne) : « Chrysaor, uni à Callirhoë, fille de l'illustre Océan, engendra Géryon aux trois têtes ; le puissant Hercule, désarmant Géryon, lui enleva ses bœufs aux pieds flexibles dans Érythie entourée de flots, le jour on il conduisit ces animaux au large front jusque dans la divine Tirynthe, après avoir traversé la mer et immolé Orthos avec le pasteur Eurytion, dans une étable obscure, par delà l'illustre Océan. »
- Fr. 7 SLG (rapporté par Strabon dans sa Géographie, III, 2, 11). Stésichore, poète du VIe siècle av. J.-C., est l'auteur d'une Géryonide. (lire en ligne) : « Anciennement, à ce qu'il semble, on désignait le Baetis sous le nom de Tartessos, et Gadira, avec le groupe d'îles qui l'avoisinent, sous le nom d'Erythea, et on explique ainsi comment Stésichore, en parlant du pasteur Géryon, a pu dire qu'il était né (41) « Presque en face de l'illustre Erythie, non loin des sources profondes du Tartesse, de ce fleuve à tête d'argent, né dans les sombres entrailles d'un rocher. » »
- Rapporté par Strabon dans sa Géographie, III, 5, 4 (lire en ligne) : « Phérécyde semble dire que Gadira est l'ancienne Érythie où la Fable a placé les aventures de Géryon. Suivant d'autres auteurs, cette petite île voisine de Gadira, qui n'est séparée de la ville que par un canal d'un stade de largeur, représente mieux Érythie, vu la beauté de ses pâturages et cette circonstance remarquable que le lait des bestiaux qu'on y élève ne contient pas de sérum, et qu'il est si crémeux qu'on est obligé, peur pouvoir en faire du fromage, d'y mêler beaucoup d'eau. Quant au bétail, il faut lui tirer du sang au moins tous les cinquante jours , sans quoi ou le verrait suffoqué par la graisse. L'herbe de ces pâturages, bien que sèche, engraisse prodigieusement le bétail, et ces auteurs présument que c'est cette particularité qui a donné lieu à la fable des troupeaux de Géryon. Du reste [aujourd'hui, comme nous l'avons dit], tout le littoral de cette petite île est couvert d'habitations. »
- Histoires, IV, 8 (lire en ligne) : « Mais les Grecs, qui habitent les bords du Pont-Euxin, racontent qu'Hercule, emmenant les troupeaux de bœufs de Géryon, arriva dans le pays occupé maintenant par les Scythes, et qui était alors désert ; que Géryon demeurait par delà le Pont, dans une île que les Grecs appellent Érythie, située près de Gades, dans l'Océan, au delà des colonnes d'Hercule. »
- Paul M. Martin, La Campanie antique des origines à l'éruption du Vésuve. Peuplement et développement, Clermont-Ferrand, Adosa, 1984, p. 16. L'auteur développe l'idée que « ces différentes localisations du royaume de Géryon marquent autant d'étapes de ce qui, à l'âge du bronze, était la route des métaux. La quête des métaux poussa les navigateurs mycéniens, rhodiens et phéniciens à aller chercher ceux-ci de plus en plus loin vers l'Ouest. Et la fabuleuse Érythie recula ainsi… ».
- Rapporté par Arrien, Anabase, II, 16, 5.
- Comme l'oracle de Géryon que le futur empereur Tibère consulte à Padoue, selon Suétone, Vie de Tibère, 14, 4.
- (es) Padilla Monge, « Los inicios de la presencia fenicia en Cádiz », Gerión, Universidad Complutense de Madrid, vol. 32, , p. 22-23 (ISSN 0213-0181, DOI 10.5209/rev_GERI.2014.v32.46664, lire en ligne, consulté le )
- « L'herbe de ces pâturages, bien que sèche, engraisse prodigieusement le bétail, et ces auteurs présument que c'est cette particularité qui a donné lieu à la fable des troupeaux de Géryon. » Strabon, loc. cit. (trad. Amédée Tardieu).
- Éphore de Cumes (IVe siècle av. J.-C.), FGrH 70 F 129a.
- Philistidès de Mallos, FGrH 11 F 3.
- Voir par exemple Strabon, III, 5, 4. (en) Pamina Fernandez Camacho, « The Island Erytheia: A clash of disciplines », European Scientific Journal, 11(3), 2015 (en ligne).
- Bibliothèque, 1, 6, 1 (en ligne, traduction en français).
- Cette localisation diffère de la tradition majoritaire, celle du chant XII de l'Odyssée, où le troupeau d'Hélios se trouve en Thrinacie, réinterprétée ensuite en Trinacrie, désignant la Sicile, l'île aux trois pointes. La localisation en Érythie peut venir d'une contamination avec le mythe des bœufs de Géryon.
Voir aussi
Bibliographie
- (de) Friedrich August Ukert, Geographie der Griechen und Römer von den frühesten Zeiten bis auf Ptolemäus, 3 vol., Weimar, 1816–1846 [voir t. II, 1, p. 240-241] (en ligne).
- (fr) Colette Jourdain-Annequin, Héraclès aux portes du soir, mythe et histoire (coll. « Annales littéraires de l'université de Besançon », 402 = « Centre de recherches d'histoire ancienne », 89), thèse de doctorat d'État, Paris, Les Belles Lettres, 1989.
- (fr) Bernard Sergent, L'Atlantide et la mythologie grecque, Paris, L'Harmattan, 2006, p. 109-114.
- (en) Pamina Fernandez Camacho, « The Island Erytheia: A clash of disciplines », European Scientific Journal, 11(3), 2015 (en ligne).