Volochovènes
Les Volochovènes[1] (ou Bolochovènes : en russe Болоховцы, en ukrainien Болохівці, en roumain Bolohoveni ou Volohoveni) sont un peuple mentionné dans les chroniques russes des années 1150-1257 dans une aire géographique située en Moldavie et Podolie, jusqu'à Jitomir au nord et dans le bassin du Boug méridional à l'est, comme pasteurs et guerriers, tantôt alliés, tantôt mercenaires, tantôt adversaires de leurs voisins : Galicie-Volhynie, Hongrie, Pétchénègues, Iasses, Coumans, Tatars...
Origine, identité et toponymie
Leur origine est discutée. Les historiens roumains les considèrent comme Valaques en raison de la similitude entre leur nom et celui de Bолохи (Volochi dans les langues slaves orientales) et en s'appuyant sur les toponymes d'Olașnița, Plosca, Satanov (Satu nou), Troianu, Voloșcăuți, Volosovtsi, Volosovka, Voloshkov, Volotchisk, Voloshki et Volostok mentionnés dans les chroniques russes[2]. Alexandre Boldur signale des toponymes actuels (Moldavie et Ukraine) : Golovtchintsy, Goloskov, Mlodava, Voskodavie, Voskodavintsi, Voloscăuți, Volkovitski, Volcăuți, Volosovtsi, Volosovka, Voltchintsi, Voloshkov, Volkovtsi, Volotchisk, Vilhovets, Vidava, dont certains apparaissent aussi dans les chroniques anciennes : Butovtsi, Butki, Plosca, Troianu, Olașnița, Olșani, Olșanca, Olhoveț, Voloshki, Volostok, Vlodava[3].
Les historiens slaves, eux, les considèrent comme Slaves, en s'appuyant sur d'autres toponymes, slaves, mentionnés dans les mêmes chroniques : Bojskai, Derevitch, Diadikov, Guiditchev, Gorodets, Gorodok, Gubin, Kobud, Kudin, Semoti ou Vozviag[4].
En fait, compte tenu de l'insécurité de l'époque et des refuges forestiers ou marécageux de la région (comme les hêtraies de Podolie, le Codru ou le Delta du Danube) où une population indépendante pouvait s'abriter, il est probable que ce groupe ait été slavo-roman, formé à l'origine de pasteurs semi-nomades tant slaves que valaques. En roumain, le choronyme Țara Volohovească est employé comme traduction de Волоховянина зэмля (Земля болоховцев en russe moderne) pour désigner le territoire des futures Moldavie et Podolie médiévales, avant que ces noms n'apparaissent à leur tour dans les sources[5]. Alexandre Boldur signale une levée de terre avec des fondations de tours défensives, qui traverse l’Ukraine du sud-ouest entre la rivière Nistru et la ville de Tarnopol, le long de l’ancienne limite entre la Galicie-Volhynie à l’ouest et le territoire volochovène à l’est[6].
XIe siècle
En 1019 les Pétchénègues et leurs alliés les “Blakumen“ (dans les sagas varègues) luttent comme mercenaires à la bataille de la rivière Alta (affluent du Dniepr) pour Sviatopolk Ier contre Iaroslav le Sage[8] - [9] - [10]. Pour Victor Spinei les “Blakumen“ sont des Valaques.
Autour de 1040, Vincent Kadlubko relate que Casimir duc de Pologne s'allie à Iaroslav le Sage de Kiev, qui lui envoie mille hommes pour reprendre ses terres en Pologne, hommes qui seraient des “Ruthènes et des Daces“[11]; pour Spinei ces “Daces“ sont les roumanophones.
Selon les chroniques russes[12], les “Valaques et Pétchénègues“ (ainsi identifiés) sont vaincus par l'ost royale hongroise à la bataille de Chiraleș, en Transylvanie en 1068.
En 1070 les mêmes plus des Ruthènes sont cités par Dlugosz comme mercenaires de Boleslav le Téméraire[13].
En 1085, commandés par un chef nommé Quteq (peut-être couman), "les Pétchénègues, les Valaques et les Ruthènes des pays du Dniestr et du Sereth" (ultérieurement la Moldavie) entrent en Hongrie pour renverser Laszló et remettre sur le trône Salomon, son prédécesseur chassé par sa parentèle. Mais ils sont à nouveau vaincus par l'ost hongroise à la bataille d'Oradea Mică (Kisvarda). Salomon échappe de peu à la mort et repasse les Carpates pour se réfugier en Moldavie[14]. Le même Salomon monte en 1087 une expédition de Valaques et de Pétchénègues (sous les ordres d'un chef nommé Țelgu) pour piller l'Empire byzantin, mais est surpris par l'armée byzantine qui met ses troupes en fuite : Salomon et Țelgu sont tués au combat.
XIIe siècle
En 1150, la chronique d'Ipatiev relate comment la Principauté de Galicie, dirigée par le prince Vladimirko, dans son offensive contre Iziaslav II de Kiev traverse le « pays Bolokhov » ou « Volochovo »[15].
À la même époque, une icône offerte en 1050 par Ioan, joupan (жупынь) des Valaques d’Onut (cité proche de l’actuelle Zastavna) est mentionnée dans l’inventaire des biens d’une église de Lviv datant de 1689[16]
Selon une chronique polonaise[17], Iaroslav Ier Osmomysl, prince de Galicie, est confronté en 1153 à la rébellion de ses vassaux Volochovènes et mène, pour les ramener dans le giron galicien, plusieurs campagnes en Moldavie[18]
Au bout de six ans de conflits, Ioan le “Berladnic“ rassemble une armée de 6000 berladnici et Coumans qui entre en Galicie par la “Porte des Volochovènes“ : Усельца ou Oušel’ca (probablement l’actuelle Novosselytsia)[19], oušel’ca signifiant « porte » en langue slave orientale[20].
Nicétas Choniatès relate qu’Andronic Comnène, futur basileus byzantin, “traverse le Danube puis les territoires des Vlaques ou Volochovènes, vers Ousselitsa, en Galicie“, mais est arrêté par ceux-ci, “vassaux des Galiciens“, en 1164.
Toujours selon la chronique Ipatiev[21], des Volochovènes servant dans les armées de Mstislav II de Kiev contre la Hongrie, font défection à Oujgorod en 1172, forçant Mstislav à “se retirer vers le pays Volochovène, à l'est des montagnes“ (Carpates).
XIIIe siècle
Soixante ans plus tard, la chronique Ipatiev mentionne les Volochovènes comme servant (probablement comme mercenaires) dans les armées du roi André II de Hongrie contre Daniel de Galicie, puis dans les armées galiciennes contre celles de Kiev en 1235, et contre Boleslav de Mazovie en 1240[22].
En 1241-1257, Daniel de Galicie occupe les localités volochovènes de Bojskaï, Derevitch, Diadikov, Guiditchev, Gorodets, Gorodok, Goubin, Kobud, Koudin, Semoti et Vozviagl pour empêcher les Volochovènes, alors dirigés par un dénommé joupan Vasilko (ou Vasilcău) de fournir aux Tatars des vivres[23].
Historiographie soviétique
À l'époque soviétique, l'histoire officielle, engagée dans la démonstration d'une origine séparée des Moldaves par rapport à celle des autres roumanophones, origine qui serait “nettement plus slave, et fruit d'une osmose millénaire entre slaves et romans“[24], considérait les Volochovènes comme les ancêtres des Moldaves actuels. Le mot “Moldaves“ était ici pris dans le sens soviétique du terme (aujourd'hui prédominant dans la littérature des pays ex-soviétiques et dans les ouvrages anglophones et germanophones) qui en fait “une ethnie romanophone différente des Roumains“, vivant uniquement dans les républiques de l'URSS[25], et non dans le sens géographique et historique (aujourd'hui prédominant dans les langues romanes) qui en fait “l'ensemble des habitants de l'ancienne Moldavie historique“ et pas seulement ceux de l'ex-URSS[26].
Notes
- Alexandru Boldur, Istoria Basarabiei, réédité en 1992, p. 111-119
- Alexandru Boldur, Istoria Basarabiei p. 114.
- Alexandru Boldur, Istoria Basarabiei p. 112.
- Iouri Koriakov, V.V. Sedov : Archéologie de l'URSS (Археология СССР).
- Alexandru Boldur, Histoire de la Bessarabie, éd. Victor Frunză, Bucarest 1992
- Alexandru Boldur, Istoria Basarabiei p. 118.
- Quels que soient leurs constructeurs, leur orientation et leur ancienneté, presque toutes les levées de terre du territoire habité par les roumanophones sont appelées « de Trajan » par les Roumains, en raison du souvenir mythique laissé par cet empereur.
- Spinei, Victor (2009). The Romanians and the Turkic Nomads North of the Danube Delta from the Tenth to the Mid-Thirteenth century. Koninklijke Brill NV. (ISBN 978-90-04-17536-5).
- K. Horedt, “Blökumana-land si Blakumen”, AM,6 (1969), pp. 179–185
- Florin Curta, (en) Southeastern Europe in the Middle Ages, 500-1250, Cambridge University Press 2006 (ISBN 978-0-521-89452-4), p.303
- Vincentius Kadlubko, Scriptores Historiae Poloniae, Bibliothecae Heilsbergensis, pag.14, sur et
- Русскій хронографъ, 2, Хронографъ Западно-Русской редакціи,in PSRL, XXII, 2, Petrograd, 1914, p.241, et V. Spinei, The Romanians and the Turkic Nomads North of the Danube Delta from the Tenth to Mid-Thirteen Century, Brill, 2009, p.118
- I. Dlugosz, Historiae Polonicae, vol.I, Leipzig 1711, col.265
- Русскій хронографъ, 2, Хронографъ Западно-Русской редакціи, in PSRL, XXII, 2, Petrograd, 1914, p.241
- Chronique d'Ipatiev, Saint-Pétersbourg, 1843, 392 pages (comprend également la Chronique de Goustynia) sur Googlebooks; 2e éd. Chroniques du manuscrit d'Ipatiev, 1871, 706 p.; Vol. 2, Chronique d'Ipatiev, 2e ed. Ed. Chakhmatov, Saint-Pétersbourg, 1908, Moscou, 1962, 3e éd, n° 1, Ed. Chakhmatov, Pétrograd, 1923 et avec une introduction de BM Kloss, ЯРК, Moscou, 1998, 648 p., (ISBN 5-7859-0057-2), réimpression: Moscou 2001, 674 p.
- .
- Jaroslav Pasternak Staryj Galič: archeologično-istorični doslidy u 1850-1943, in Ukrains’ke Vid., Krakow-Lviv 1944
- militară românească (I) Evul mediu timpuriu. Accesat la 27 februarie 2013.
- Lucian Predescu, Enciclopedia României p. 563, éd. Georgescu Delafras, Bucarest 1940
- Victor Spinei, The Romanians and the Turkic Nomads North of the Danube Delta from the Tenth to the Mid-Thirteenth century, éd. Koninklijke Brill 2009, p.131.
- Chronique d'Ipatiev, op. cit., réimpression Moscou 2001.
- Chronique d'Ipatiev, op. cit., réimpression Moscou 2001, page 172-174.
- Istoria uitată – Bolohovenii consulté le 17 juillet 2012.
- Jean Gacon : En remontant le cours de l'histoire et Jacques Fournier : Au pays des vignobles in "France-U.R.S.S. Magazine" n° 132 (389), 1981.
- M. B. Mitine,"Faits et arguments contre les falsifications concernant les nationalités de l'Union Soviétique", Chișinău 1973.
- Matei Cazacu et Nicolas Trifon (éds), La Moldavie ex-soviétique : histoire et enjeux actuels, Paris, éd. Acratie, 1993, Gheorghe Negru : La politique ethno-linguistique en RSS de Moldavie, éd. Prut international, Chişinău, 2000 ; voir aussi Controverse identitaire en République de Moldavie.