Train blindé
Un train blindé est un type de train utilisé à des fins militaires en étant doté à la fois d’un armement puissant et de dispositifs de protection élaborés. Apparus avec le développement du transport par voie ferrée au XIXe siècle, ils connaissent leur âge d’or dans la première moitié du XXe siècle avant de voir leur usage décliner après la Seconde Guerre mondiale.
DĂ©finition et rĂ´les
Le train blindé est caractérisé par trois éléments : la présence d’un armement conséquent, d’un équipage dédié au service de cet armement et surtout de la présence d’une protection élaborée pour celui-ci, dont il tire son nom. Il ne doit pas être confondu avec l’artillerie sur voie ferrée, qui comprend un canon de gros calibre et son équipage, mais sans protection particulière de ceux-ci. Les trains simplement équipés d’armes légères sans dispositif de protection élaboré, par exemple un simple wagon avec quelques mitrailleuses abritées derrière des sacs de sable, ne sont pas non plus assimilables à des trains blindés[1]. Il n’y a pas de critère de taille entrant dans la définition d’un train blindé : les plus petits se limitent à une automotrice, voire à une draisine, tandis que les plus grands peuvent compter une dizaine de wagons et jusqu’à deux cents hommes[2]
Au début du XXe siècle, les Britanniques considèrent que le train blindé peut assumer sept missions : assurer la protection des voies ferrées, effectuer des patrouilles, faire de la reconnaissance, escorter d’autres trains, renforcer les postes avancés situés le long des voies, protéger les flancs d’une armée en mouvement et appuyer une force d’infanterie qui attaque l’adversaire[3].
Historique
Origines (XIXe siècle)
La première utilisation connue d’un train blindé a lieu pendant la Révolution hongroise de 1848. C’est toutefois surtout pendant la guerre de Sécession que leur usage se répand et se diversifie. L’Union met en place presque dès le début de la guerre des trains blindés pour lutter contre les saboteurs de voies ferrées actifs dans la région de Baltimore. Les deux belligérants les utilisent par la suite lors des sièges, avec des pièces d’artillerie de plus en plus lourdes[4].
Suivant l’exemple américain, les Français utilisent des trains blindés équipés de canons de 140 mm pendant le siège de Paris, mais ce sont surtout les Britanniques qui en font un usage intensif pour mater les révoltes dans leur empire colonial : en Égypte en 1882, en Inde en 1886 et surtout en Afrique du Sud à partir de 1899[1]. Ces conflits permettent d’introduire des innovations techniques et tactiques : protection des locomotives, utilisation d’un wagon en avant de celles-ci pour faire détoner les mines et surtout prise de conscience de la vulnérabilité du train aux embuscades lorsqu’il est utilisé seul sans reconnaissance[5].
La maturation du concept (1900-1916)
En Europe même, seul l’Empire russe s’intéresse au début du XXe siècle au concept du train blindé, en raison de l’extrême importance du chemin de fer dans un pays immense dont le réseau routier est embryonnaire et impraticable une partie de l’année. Après quelques essais au moment de la révolte des Boxers, les Russes commencent par construire des batteries d’artillerie blindée sur voie ferrée, qui sont utilisées pendant la guerre contre le Japon, puis ils se lancent en 1912 dans un programme de développement de modèles standardisés[6].
Du fait du manque d’investissement sur le sujet en Europe de l’Ouest, les trains blindés n’y sont que peu utilisés pendant la Première Guerre mondiale, en dehors de quatre trains légers utilisés par les Belges et les Britanniques dans les premiers mois de la guerre[6]. À l’Est en revanche, les trains russes appuient efficacement l’infanterie et leur permettent de remporter plusieurs combats. Ces succès engendrent une émulation sur ce front, dont tous les belligérants commencent à construire des trains blindés. Les méthodes adoptés ne sont toutefois pas les mêmes : alors que les Austro-hongrois mettent au point des véhicules sophistiqués, les Allemands se contentent de modèles beaucoup plus basiques[7]. De leur côté les Russes accroissent leur production et perfectionnent le concept, avec notamment l’introduction du « croiseur ferroviaire », une automotrice dotée de multiples tourelles armées de canons, dont le représentant le plus emblématique est le Zaamourets. L’idée est rapidement reprise par les Austro-hongrois, qui produisent sur le même principe le Motorkanonwagen[8].
L’âge d’or du train blindé (1917-1939)
Alors que la Première Guerre mondiale permet de raffiner le concept du train blindé, c’est au cours de la guerre civile russe que ceux-ci sont le plus intensivement utilisée. La nature du conflit, une guerre de mouvement dans un milieu très ouvert, favorise en effet les tactiques combinant de la cavalerie, de l’infanterie transportée par voie ferrée et des trains blindés[9]. L’Armée rouge utilise en particulier ce type de forces combinées pour effectuer des raids et comme force de réaction rapide permettant de reverser l’issue d’un combat en déplaçant rapidement de la puissance de feu et des troupes. Ils ont également un usage en tant qu’arme psychologique, leur arrivée ayant souvent un impact majeur sur des forces adverses composées en majorité d’infanterie, largement impuissante contre eux[10].
La production de nouveaux trains blindés est également intensive durant cette période : la majeure partie des anciens trains de l’armée russe ayant été capturés par les Allemands ou les Armées blanches, l’Armée rouge en produit de manière plus ou moins improvisée un grand nombre, passant de vingt-trois à la fin de l’année 1918 à cent trois à la fin de l’année 1920[11]. En dépit de tentatives de standardisation en 1918 et en 1919 les caractéristiques de ces trains demeurent largement hétéroclites jusqu’au milieu des années 1920, seuls trois types standards étant alors conservés[12]. Les Armées blanches ne sont pas en reste, construisant de leur côté environ quatre-vingts trains blindés pendant la durée de la guerre. Là aussi les caractéristiques sont assez hétérogènes d’un train à l’autre[13].
En dehors de la Russie, d’autres pays d’Europe centrale investissent dans les trains blindés. C’est en particulier le cas de la Pologne nouvellement formée, qui non seulement hérite de quelques trains de l’ancien Empire Austro-hongrois et en capture de nombreux autres, notamment à l’Armée rouge, mais met également sur pied sa propre production. Ainsi, alors qu’elle n’en dispose que de sept à la fin de l’année 1918, le nombre total disponible à l’automne 1920 est de quarante-trois[14]. Les Polonais innovent également en produisant un type particulier d’automotrice, constitué d’un wagon porteur spécial et d’un char d’assaut, lequel propulse l’ensemble avec ses chenilles[15]. Les autres puissances régionales, comme l’Ukraine, la Lituanie ou encore la Finlande utilisent également des trains blindés pendant cette période, mais en nombre plus restreint[16].
Enfin, les trains blindés font également l’objet d’un usage intensif à l’autre bout de l’Eurasie, pendant la guerre civile chinoise. Ces trains sont proches de ceux utilisés en Russie, une partie provenant directement des survivants des Armées blanches ayant fui avec eux à la chute de Vladivostok en 1922, tandis que les autres sont pour la plupart construits par des ingénieurs russes. Sur ce théâtre, les innovations sont principalement le fait des Japonais de l’armée du Guandong, qui mettent au point plusieurs modèles de véhicules convertibles pouvant être utilisés autant sur route que sur rail comme draisine[17].
Un modèle qui s’essouffle
Le concept du train blindé s’essouffle considérablement pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y perd en effet largement son rôle offensif : les quelques essais allemands d’utiliser des trains blindés dans le cadre de la guerre éclair se soldent par des échecs cuisants et les trains blindés soviétiques sont décimés dans les premières semaines de l’opération Barbarossa[18]. Les Soviétiques poursuivent la fabrication de trains blindés, mais leur intérêt tactique se réduit peu à peu en raison de leur vulnérabilité aux attaques aérienne et de l’amélioration des véhicules terrestres[19].
De leur côté les Allemands disposent au début de la guerre de quelques trains blindés, augmentés par un nombre considérable de prises de guerre polonaises et soviétiques, tandis qu’ils produisent également leurs propres modèles. Ces trains ne sont que peu utilisés dans des actions offensives, mais sont fortement mis à contribution à partir de 1942 pour sécuriser les lignes de ravitaillement de l’armée allemande sur le front de l’Est, qui sont dangereusement menacées par les raids de partisans[20].
L’une des nouveauté de cette période est le développement par les Soviétiques comme par les Allemands de trains blindés entièrement dédiés à la défense antiaérienne. Les Soviétiques construisent pendant la guerre environ deux cents trains de ce type, armés de pièces de tout calibre, de la mitrailleuse quadruple de 7,62 mm au canon antiaérien de 85 mm[21]. Les versions allemandes sont en revanche moins sophistiquées, étant principalement composées de simples anneaux de béton posés sur des wagons plats et armés de canons légers Flakvierling 38 ou MG 151 Drilling[22].
Mal adapté aux autres fronts, les trains blindés sont peu utilisés par les autres belligérants. Les trains britanniques restent cantonnés à des patrouilles le long des côtes anglaises et ne sont jamais utilisés au combat, tandis que les Italiens font usage en Yougoslavie de quelques trains, pour la plupart improvisés, afin de lutter contre les partisans[22].
DĂ©clin
Les trains blindés deviennent rares après la Seconde Guerre mondiale, bien qu’ils restent utilisés occasionnellement dans des conflits où la menace aérienne est faible et dans des zones où il est difficile de déployer des chars. Les Français en utilisent ainsi en Indochine et en Algérie, les Belges au Congo, les Soviétiques contre l’Ukraine à la fin des années 1940 et le long de la frontière avec la Chine[23].
Composition
Trains soviétiques
L'Autriche-Hongrie et l'URSS limitèrent leur intérêt aux trains blindés, négligeant totalement les artilleries sur voies ferrées.
Les blindés autrichiens avaient en général des pièces d'artillerie légère montées sous casemate, avec un secteur de tir limité. Il y avait des wagons blindés pour le personnel d'escorte (fusiliers et mitrailleurs) et des locomotives pourvues de protections élaborées, que l'on plaçait en milieu de convoi pour permettre aux canons (généralement de 70 mm) de disposer d'un champ de tir dégagé et aussi large que possible autant à l'avant qu'à l'arrière (quel que soit le sens de marche). En général, le train était précédé d'un wagon plat, appelé « wagon de contrôle », accroché devant le premier wagon et servant à faire sauter les éventuelles mines placées sur la voie, ce wagon pouvait éventuellement transporter des rails et des traverses.
On peut diviser les trains de l'Armée rouge en deux catégories : légers et lourds, selon que les pièces d'artillerie blindées tournantes à 360° étaient des canons de 75 ou de 150 mm. Ces trains étaient composés de nombreux wagons avec un armement lourd, et opéraient dans le cadre d'une organisation complexe. Ils étaient pour la plupart armés de canons de 152 mm, et l'équipage pouvait tirer par des meurtrières.
Trains français et britanniques
Par contre, la France et le Royaume-Uni firent une large utilisation de l'artillerie sur voie ferrée.
En particulier, la France mit en ligne un nombre de canons supérieur à celui de tous les belligérants réunis. Pour placer les plus gros calibres comme le 340 mm, on inventa l’affût à boggies « Batignolles », à berceau, doté de liens élastiques pour absorber le recul.
On peut également mentionner le canon britannique de 18 pouces (457 mm) qui, adopté en 1917, ne put être livré qu'une fois la Première Guerre mondiale terminée, et le prestigieux canon américain de 14 pouces (355 mm) qui parvint à participer aux dernières opérations sur le front occidental. Bien qu'il ne diffère pas beaucoup du type classique à boggies, le canon américain mod. 1918 représentait la particularité d'avoir la partie arrière de la bouche à feu abritée à l'intérieur du wagon affût.
Trains franco-italiens
L'armée de terre italienne s’intéressa sur le tard à l'artillerie sur voie ferrée, et c'est seulement lorsque les Français prêtèrent quelques-uns de leurs puissants canons de 340/45 aux armées italiennes engagées sur l'Isonzo que l'on se décida à utiliser, sur un affût spécialement étudié par la firme Ansaldo, quelques-unes des 10 bouches à feu de 381/40, que cette même firme avait fabriquées en 1915 pour armer le célèbre cuirassé Caracciolo.
La pièce de 381/40 sur voie ferrée était organisée de la façon suivante :
- la bouche à feu de 381/40, en acier, était d'un poids de 62,6 tonnes. Les rayures du canon étaient à inclinaison constante ; la chambre se fermait par un obturateur à vis (système « Welin ») et il existait un dispositif d'élimination de la fumée ; le berceau : manchon à tourillon d'acier de forme cylindrique, dans lequel glissait le canon durant le recul en forçant sur des ceintures de bronze. Il portait quatre freins hydrauliques cylindriques et deux attaches pour les pistons des récupérateurs à air comprimé ;
- l’affût était constitué par une grande poutre métallique reposant à l'avant et à l'arrière, sur une suspension élastique[24].
- le sous-affût, composé de deux boggies de train à quatre essieux à l'avant et d'un boggie à six essieux à l'arrière. Le rail de tir courbe avait un rayon de 150 m. Le pointage en direction s'effectuait en déplaçant toute l'installation sur le rail ; on obtenait un angle de 38°. Les corrections en direction se faisaient par une légère rotation - jusqu'à 1 degré - de l’affût sur le sous-affût.
La pièce pesait 212 tonnes environ. Chaque canon était accompagné de deux wagons de munitions portant chacun 32 projectiles. Chaque 381 sur V.F. était accompagné d'un autre wagon portant deux pièces de DCA de 76/45 et du nombre de voitures nécessaire au logement et aux services ; il était tracté par une locomotive Gr.835 ou 851 F.S. Le canon de 381/40 pouvait tirer un obus explosif propulseur constitué par la poudre C2 dont on faisait trois charges. À charge maximale, l'obus de 875 kg atteignait une vitesse de 700 m/sec et une portée de 30 km environ. Pendant le tir, la partie centrale de l’affût prenait appui sur le sol grâce à des étais en chêne, actionnés par des vérins.
Le canon sur voie ferrée italien le plus puissant entra en action début 1917 contre des objectifs situés dans la zone de Trieste.
Pour conclure, citons les trains armés de la Marine royale italienne, ces trains affectés à la défense de la côte adriatique, existaient en deux versions : l'une armée de 4 pièces de 152/40 et de deux canons DCA (DCA=canon ou mitrailleuse terrestre anti-aérienne) de 76/40, l'autre armée seulement de 8 pièces DCA de 76/40.
Chaque train se composait de 3 à 5 wagons armés ; de 2 à 4 wagons P. C. Il était suivi d'un train logistique formé de trois wagons pour le logement du personnel, un wagon pour le transport du matériel.
- Disposition
La composition typique d'un train blindé de la marine italienne est de deux locomotives, en tête et en queue, d'un wagon d'observation, d'un wagon antiaérien avec deux pièces de 76 mm et de quatre wagons avec une pièce de 152 mm, ce qui constitue une défense efficace de la côte adriatique.
Le wagon d'observation pour le train blindé, réalisé par l'Arsenal de la marine militaire de La Spesia, surmonté d'un wagon plat des chemins de fer de l’État. À l'intérieur du wagon se trouve le poste de commande de batterie doté d'un appareil radiotélégraphique et d'un instrument télégraphique.
Les wagons antiaériens comprenant deux pièces de 76 mm sur affût à chandelier d'après le modèle « P » des chemins de fer de l’État est muni de stabilisateurs latéraux.
- Canons
Les canons de 381/40 sur affût ferroviaire de la marine de Regia, réalisés dans les établissements Ansaldo en sept modèles. Les canons de ce type sont restés en service jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Les canons ferroviaires de 152/40 de la marine italienne, surmontés d'un wagon plat POZ des chemins de fer de l’État. Les canons de ce type seront également utilisés au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Les pièces ferroviaires françaises de 340 mm, modèle 1912 sur affût, de Batignolles. Les canons de ce type seront utilisés en batterie mixte sur le front italien.
Les usines Krupp d'Essen conçurent des pièces ferroviaire de 400 mm, un seul canon pesait 121 tonnes.
Pendant la révolution russe, des sortes de « forteresses » furent utilisées, elles étaient au départ construites pour la Première Guerre mondiale, mais elles furent principalement utilisées pendant la révolution russe. Elles étaient armées de deux pièces de 150 mm situées dans une tour mobile[25].
- Réplique d'un train blindé en Slovaquie.
- Train blindé allemand Panzertriebwagen 16, exposé au musée des chemins de fer de Varsovie (Pologne).
- Une chenillette TKS polonaise, utilisée sur une draisine pour la reconnaissance ; un moyen de surmonter la limitation de mobilité des trains blindés.
En URSS pendant la guerre froide
Notes et références
- Zaloga 2008, p. 5-6.
- Sadowny 1989, p. 3.
- Zaloga 2008, p. 8.
- Zaloga 2008, p. 5.
- Zaloga 2008, p. 6-7.
- Zaloga 2008, p. 10.
- Zaloga 2008, p. 11-12.
- Zaloga 2008, p. 12-13.
- Zaloga 2008, p. 13.
- Zaloga 2008, p. 15.
- Zaloga 2008, p. 14.
- Zaloga 2008, p. 14, 27.
- Zaloga 2008, p. 16.
- Zaloga 2008, p. 20.
- Zaloga 2008, p. 23.
- Zaloga 2008, p. 21.
- Zaloga 2008, p. 22-23.
- Zaloga 2008, p. 26-27, 31.
- Zaloga 2008, p. 35.
- Zaloga 2008, p. 38.
- Zaloga 2008, p. 36.
- Zaloga 2008, p. 43.
- Zaloga 2008, p. 44.
- Les Blindés 1940-1943 Profils et histoire, imprimé en Italie, Connaissance de l'Histoire Hachette, , 126 p., p. 124 à 129
- Les blindés 1940-1943 profil et histoire, imprimé en Italie, Connaissance et histoire Hachette, , 126 p., p. 124-126.
Voir aussi
Bibliographie
- Paul Malmassari, Les Trains blindés français : de la révolution industrielle à la décolonisation : 1826-1962: étude technique et tactique comparée, Saint-Cloud, Soteca, , 271 p. (ISBN 978-2-916385-38-9)
- (en) Wolfgang Sawodny, German Armored Trains in World War II, Atglen, Schiffer Publishing, (ISBN 0887401988).
- (en) Steven J. Zaloga, Armored Trains, vol. 140, Oxford, Osprey Publishing, coll. « New Vanguard », (ISBN 9781846032424).