Territoire Kalinago
Le Territoire Kalinago, Caraïbe ou Carib, aussi désigné sous le nom de Réserve Caraïbe, est un district à régime particulier de la Dominique.
Nom officiel |
Réserve Caraïbe |
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Nom local |
Territoire Kalinago / Territoire Caraïbe |
Pays | |
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État souverain | |
Paroisse | |
Superficie |
15 km2 |
Coordonnées |
15° 29′ 25″ N, 61° 15′ 12″ O |
Population |
2 518 hab. |
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Densité |
167,9 hab./km2 |
Statut |
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Fondation |
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Site web |
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D'une superficie de 15 km2, il est instauré pour regrouper les peuples indigènes Caraïbes, ou Kalinagos, qui occupent l'archipel des Antilles avant l'arrivée des Européens.
Description
Le Territoire Kalinago est officiellement établi par les autorités coloniales britanniques en 1903, dans une zone reculée et montagneuse de la côte Atlantique. Sa population est restée largement isolée du reste de l'île pendant la majeure partie du XXe siècle, sous l'autorité d'un chef tribal et sans statut formel d'autonomie. En 1930, un accrochage avec les troupes coloniales, connu plus tard sous le nom de Guerre Caraïbe, entraîne l'abolition du poste de chef, et ce jusqu'en 1952, date à laquelle est instauré un gouvernement reconnu dans le cadre de l'organisation insulaire. Le Carib Reserve Act, signé le jour de l'indépendance dominicaine en 1978, confirme les frontières du territoire, son organisation et ses institutions de gouvernement local. Au cours des dernières décennies du XXe siècle, les infrastructures modernes sont finalement adoptées, et des liens créés internationalement, avec d'autres gouvernements ou organisations amérindiennes.
La population du Territoire Kalinago est estimée à 3 000 habitants. Les résidents partagent la propriété commune de toutes les terres situées à l'intérieur des frontières du territoire. Celui-ci dispose d'un gouvernement local avec les institutions du Conseil Caraïbe, avec à sa tête le Chef Caraïbe, qui dispose d'un pouvoir équivalent à celui d'une commune à statut spécial au sein de la Dominique. Le centre administratif est situé à Salybia, le plus important des huit villages du territoire.
Le début du XXIe siècle voit l'émergence au sein du Territoire d'un fort mouvement de redécouverte et de préservation de l'héritage de la culture Caraïbe. En 2006, un village traditionnel Caraïbe a ainsi été construit afin de regrouper les associations culturelles et de favoriser la pratique des artisanats traditionnels et leur diffusion.
En , l'ouragan Maria traverse le territoire, entraînant de sévères dommages aux infrastructures. En raison de l'isolement relatif de ces populations, les services tels que l’électricité, le téléphone ou l'Internet restent depuis lors indisponibles aux habitants.
Histoire
Établissement de la réserve Caraïbe
La Dominique est la dernière île de l'archipel antillais à abriter une population autochtone, qui est exterminée partout ailleurs à l'arrivée des Européens. Les Caraïbes ont combattu deux siècles durant les Espagnols et les autres colons européens. Au fil du temps, leur population a décliné en raison de ces guerres incessantes et des maladies importées, les forçant à abandonner l'une après l'autre les îles de l'archipel, qui furent en grande partie repeuplées de colons européens et d'esclaves noirs importés d'Afrique[1]. La première réserve d'Indiens Caraïbes est instaurée en 1763, quand une partie des terres rocheuses et montagneuses autour de Salybia, sur la côte orientale, furent mises à part par les autorités coloniales britanniques lors le la division de l'île par lots[2] - [3] - [4]. Une légende attribue cette spécificité à une demande la reine Charlotte de Mecklenburg-Strelitz, femme de George III. Les populations européennes continuèrent d'exploiter les Caraïbes dans les plantations jusqu'à la fin du XVIIIe siècle[5].
En 1902, Henry Hesketh Bell, administrateur de la Dominique visite le territoire et envoie un rapport à l'office des affaires coloniales sur la situation du peuple indigène[6]. Le rapport propose de réserver 3 700 acres (15 km2, environ 2 % de la superficie de l'île) pour les Caraïbes, et de désigner officiellement un Chef parmi les autochtones avec un traitement annuel de 6 livres. La proposition de Bell est adoptée en 1903, établissant formellement une réserve d'Indiens Caraïbes[7]. Les frontières sont annoncées dans la presse dominicaine le [2] - [3] - [4]. À ce moment, la population caraïbe est d'environ 400 individus, extrêmement isolés du reste de l'île[3].
La Guerre Caraïbe
Les années suivantes, la population indigène reste cloisonnée dans la réserve, rarement contactée et largement auto-suffisante, à l'exception d'un commerce de contrebande avec les îles françaises voisines de Marie-Galante et de la Martinique[8]. En 1930, l'administration coloniale décide de mettre fin au trafic en raison de l'impact de celui-ci sur les revenus de la colonie, et envoie cinq policiers armés dans la réserve pour arrêter les suspects[9]. Quand les policiers saisissent une grande quantité de rhum et de tabac et commencent à transférer les suspects à Salybia, ils doivent faire face à une foule armée de pierres et de bouteilles. La police tire alors dans la foule, entraînant plusieurs morts et blessés. Les policiers submergés réussissent tout de même à prendre la fuite jusqu'à Marigot, laissant sur place suspects et marchandise de contrebande. L'administrateur envoie alors un navire léger de la Royal Navy, le HMS Delhi ; les Caraïbes fuient face au déploiement de force et se réfugient dans les bois[10]. Cet incident reste connu hyperboliquement comme La Guerre Caraïbe[10].
Le chef Jolly John se rend aux autorités à Roseau et est inculpé, avec cinq autres autochtones, pour coups et blessures sur des officiers de police et vol[11]. Une commission d'enquête est envoyée en 1931 par le Gouverneur des Îles-sous-le-Vent britanniques à propos de l'incident de 1930 et de la situation générale des Caraïbes. En conséquence, la position de Chef Caraïbe et ses responsabilités sont supprimées, ses symboles représentatifs confisqués, et l'ancien chef se voit interdire l'appellation de roi'[12].
Gouvernement local et période contemporaine
Après 21 ans de silence face aux nombreuses pétitions déposées par les Caraïbes pour la restauration de la position de chef, l'administrateur consent à la restitution des symboles et préside en , la cérémonie d'investiture d'un nouveau Chef[12]. La même année est créé le Conseil Caraïbe, qui dispose d'un pouvoir équivalent à celui d'un conseil communal au sein de la Dominique[13].
Le Carib Reserve Act est promulgué en 1978, l'année de l'indépendance dominicaine. Il réaffirme les frontières de 1903, et établit officiellement la propriété de la terre au peuple caraïbe[14]. Le nom officiel de la juridiction reste Réserve Caraïbe, mais, au fil des années, le peuple préfère adopter celui de Territoire Caraïbe, puis Territoire Kalinago, maintenant d'usage[15].
La communauté du Territoire Kalinago reste isolée jusqu'à la fin du XXe siècle. La première route reliant le Territoire au reste de l'île date des années 1970, le téléphone et l'électricité ne sont installés qu'à partir de 1986[16] - [17].
Dans les années 1980, le Territoire commence à recevoir un support matériel et financier de la part de gouvernements étrangers parmi lesquels le Canada ou le Royaume-Uni[18]. Les responsables du Territoire tissent également des liens avec d'autres populations amérindiennes de la région, organisant une conférence sur l'île de Saint Vincent débouchant sur la création de l'Organisation caraïbe des peuples indigènes en 1987[18]. Les Chefs caraïbes successifs travaillent aussi avec les Nations unies à l'amélioration de la condition des peuples indigènes[18].
Géographie
Le Territoire Kalinago est situé au nord-est de la Dominique, sur la côte Atlantique. Il comprend 3 700 acres (14,973368754 km2) dans la paroisse de Saint David, dont les frontières ont été fixées en 1903, et confirmées par les articles 41 et 42 de la Carib Reserve Act en 1978[19].
La majorité du territoire est inhabitée[20]. En raison de son relief fortement accidentée, le territoire ne dispose que de deux points d'accès, néanmoins difficiles, à l'Océan Atlantique[21]. La terre est principalement de mauvaise qualité, menacée par l'érosion due à la déforestation[22]. En 1947 Henri Stehlé, botaniste français travaillant en Guadeloupe et Martinique, a réalisé un inventaire de la flore du Territoire Kalinago qui a donné lieu à deux articles scientifiques[23] - [24], qui sont aujourd'hui des témoignages des reliquats de groupements végétaux primitifs présents à l'époque, avant d'être réduits par le défrichement.
Le Conseil Caraïbe et le poste de police sont situés à Salybia, le centre administratif du Territoire Kalinago[20]. Il existe sept autres villages dans le Territoire : Bataca, Crayfish River, St Cyr, Gaulette River, Mahaut River, Sinekou and Touna Aute.
Démographie
Avec une population de 3 000 habitants, le Territoire est le plus grand établissement indigène de l'Archipel Antillais[25]. La population du Territoire était de 400 habitants à sa création en 1903[3]. Elle augmenta par la suite, à la fois en nombre et en proportion de la population totale de la Dominique. En 1970, la population du Territoire représentait 1,6 % du total de la population dominiquaise[14]. En 1991, cette part est portée à 3,5 %, avec une population de 2 518 personnes (incluant le village proche non-Caraïbe de Atkinson) ; la population est majoritairement jeune[14] et parmi la plus pauvre de Dominique[26].
Gouvernement
Le Conseil Caraïbe est constitué de cinq membres et présidé par le Chef. Les élections sont tenues tous les cinq ans. Les Kalinagos sont aussi représentés au parlement dominicain[16].
Articles connexes
Notes et références
- Crask 2007, p. 135.
- Kossek 1994, p. 181
- Honychurch 1995, p. 161
- Honychurch 1998, p. 82
- Kossek 1994, p. 181.
- Honychurch 1998, p. 82; Saunders 2005, p. 42. Ce rapport est envoyé le 26 juillet au Secrétaire d'État aux Colonies Joseph Chamberlain.
- Honychurch 1998, p. 82; Saunders 2005, p. 42; Crask 2007, p. 135–137.
- Hulme 2007, p. 10 ; Hulme note qu'il est alors plus simple pour les Caraïbes de voyager vers les autres îles que de l'autre côté de la Dominique, en raison du relief accentué.
- Hulme 2007, p. 10 ; voir aussi Honychurch 1995, p. 161–62 pour plus de détails.
- Hulme 2007, p. 10
- Saunders 2005, p. 42.
- Honychurch 1995, p. 162
- Honychurch 1995, p. 162; Honychurch 1998, p. 83.
- Kossek 1994, p. 184
- Kossek 1994, p. 191 (The reserve was renamed Carib Territory by the Caribs themselves) ; Crask 2007, p. 136 (This land became known as the Carib Reserve, and then, more recently, the Carib Territory) ; Honychurch 1998, p. 83 (...the Carib Territory, as it is now popularly called...) ; The Carib Reserve Act, Kalinago people of Dominica (lire en ligne) (The terminology Reserve, is a painful reminder of the horrors of colonial rule when native peoples were herded like cattle, and restricted to small unproductive areas of their own country, while the colonialists enriched themselves by exploiting the vast expanses of arable. [sic] As a mark of respect for the Carib population and a recognition of their historical and continuing contribution to the building of this nation, an appropriate gesture on the eve of the 21st century might be to erase that racist term from our Statute Books, once and for all.).
- Honychurch 1998, p. 83
- Kossek 1994, p. 186.
- Kossek 1994, p. 191
- Kossek 1994, p. 181, 193.
- Crask 2007, p. 137
- Honychurch 1998, p. 84.
- Kossek 1994, p. 184; Honychurch 1998, p. 84 attribue cette surexploitation à une conséquence de la propriété commune. Patterson et Rodriguez 2003, p. 72.
- Henri Stehlé, « Les reliques végétales de la Réserve Caraïbe de la Dominique (Antilles anglaises) », Bulletin de la Société Botanique de France, vol. 94, , p. 158-166 (lire en ligne [PDF])
- Henri Stehlé, « Pipéracées nouvelles ou rares de l'île anglaise de la Dominique (Petites Antilles) et contribution à la connaissance botanique de la Réserve Caraïbe », Bulletin de la Société Botanique de France, vol. 103, , p. 614-619 (lire en ligne [PDF])
- Sullivan 2004, p. 36, 39. Les estimations du peuple Caraïbes sont plus élevées, entre 3 500 et 4 000 habitants en 2009. Official Website of The Kalinago People, (lire en ligne).
- Patterson et Rodriguez 2003, p. 70.