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Silence monastique

Le silence est une pratique spirituelle prĂ©conisĂ©e par la quasi-totalitĂ© des traditions religieuses pour faciliter une approche de la divinitĂ© ou pour atteindre des niveaux Ă©levĂ©s de puretĂ© spirituelle. Au sein du christianisme, la pratique du silence est courante au sein des communautĂ©s monastiques depuis des siĂšcles et peut aussi concerner des laĂŻcs. Le silence monastique est une pratique plus dĂ©veloppĂ©e dans l’orthodoxie (sous le nom d'hĂ©sychasme) et le catholicisme que dans le protestantisme mais elle n’en est toutefois pas complĂ©tement absente. Au sein du bouddhisme et de l’hindouisme, le silence joue Ă©galement un rĂŽle important.

Le silence dans le judaĂŻsme

Le judaĂŻsme a une tradition de silence dans l’espace sacrĂ©. Bien qu’elles ne soient pas techniquement considĂ©rĂ©es comme des monastĂšres, les synagogues, yeshivas et beit midrash (maison d’étude) sont les modĂšles Ă  partir desquels la tradition du silence monastique chrĂ©tien a Ă©tĂ© bĂątie. Au cƓur mĂȘme de la tradition juive se trouve l’injonction « Ă©coute » qui ouvre l’affirmation de la foi juive dite Chema IsraĂ«l (« Écoute IsraĂ«l, le Seigneur notre Dieu est un. » DeutĂ©ronome 6/4) [1]. Le rabbin Gamaliel peut ĂȘtre citĂ© Ă  l’appui de cette importance du silence dans le judaĂŻsme : « Toute ma vie, j’ai eu le privilĂšge de me trouver en compagnie des hommes sages de la Torah et ils m’ont appris que rien n’est plus important que le silence pour vivre une vie productive. » [1] Le rabbin Isadore Twersky rappelle l’introduction du Code de Maimonide : « On doit ĂȘtre Ă  l’écoute des silences autant que des paroles[2]. »

Le silence dans le christianisme

Ancien Testament

  • Dans son livre Le Silence, le murmure de Dieu (Silence, The Still Small Voice of God), Andrew March montre que les origines du silence chrĂ©tien remontent aux psaumes traditionnellement attribuĂ©s au roi David. Saint BenoĂźt et ses moines connaissaient par cƓur ces versets pour les chanter chaque semaine : « Je suis restĂ© muet, dans le silence; Je me suis tu, quoique malheureux; Et ma douleur n'Ă©tait pas moins vive; Mon cƓur brĂ»lait au dedans de moi; Un feu intĂ©rieur me consumait; Et la parole est venue sur ma langue. » [3] (Psaume 39, versets 2 et 3).
  • Les trappistes se rĂ©fĂšrent aussi au psaume 62, versets 2 et 3 (C'est Ă  Dieu seul que, dans le calme, je me remets: mon salut vient de lui. Lui seul est mon rocher, et mon Sauveur; il est ma forteresse: je ne serai pas Ă©branlĂ©.)[4]
  • Le moine trappiste Thomas Keating, fondateur de « Contemplative Outreach[5] », se rĂ©fĂšre au psaume 46 verset 11 « ArrĂȘtez, et sachez que je suis Dieu! ». La traduction de l’impĂ©ratif hĂ©breu « harpou » rendu par « arrĂȘtez ! » dans la traduction Segond se traduit Ă©galement par « soyez silencieux[6]. »
  • Dietrich Bonhoeffer, dans « la Vie communautaire »[7], cite le verset 2 du Psaume 65 : « Le silence ĂŽ Dieu est ta louange dans Sion. » La traduction usuelle est toutefois plutĂŽt « avec confiance ĂŽ Dieu on te louera dans Sion. »
  • Ce passage du premier livre des rois, chapitre 19, versets 11 Ă  13, est Ă©galement souvent citĂ© : « L'Éternel dit: Sors, et tiens-toi dans la montagne devant l'Éternel! Et voici, l'Éternel passa. Et devant l'Éternel, il y eut un vent fort et violent qui dĂ©chirait les montagnes et brisait les rochers: l'Éternel n'Ă©tait pas dans le vent. Et aprĂšs le vent, ce fut un tremblement de terre: l'Éternel n'Ă©tait pas dans le tremblement de terre. Et aprĂšs le tremblement de terre, un feu: l'Éternel n'Ă©tait pas dans le feu. Et aprĂšs le feu, un murmure doux et lĂ©ger. Quand Élie l'entendit, il s'enveloppa le visage de son manteau, il sortit et se tint Ă  l'entrĂ©e de la caverne. Et voici, une voix lui fit entendre ces paroles: Que fais-tu ici, Élie ? »[3]

Nouveau Testament

  • Deux Ă©pisodes des Évangiles prĂ©sentent JĂ©sus en priĂšre silencieuse : au dĂ©sert (« Alors JĂ©sus fut emmenĂ© par l’Esprit dans le dĂ©sert, pour ĂȘtre tentĂ© par le diable. » - Évangile selon Matthieu chapitre 4, verset 1) et au jardin des oliviers (« Alors JĂ©sus parvient avec eux Ă  un domaine appelĂ© GethsĂ©mani et leur dit : « Restez ici, pendant que je m'en vais lĂ -bas pour prier. (
) Et il vint vers les disciples, qu'il trouva endormis, et il dit Ă  Pierre: Vous n'avez donc pu veiller une heure avec moi ! », Évangile selon Matthieu chapitre 26, versets 36 et 40).
  • L’épĂźtre de Jacques (3/1-12) attribue en outre au silence une vertu de sanctification (« En effet, nous trĂ©buchons tous de bien des maniĂšres. Si quelqu'un ne trĂ©buche pas en paroles, c'est un homme mĂ»r, capable de tenir tout son corps en bride. Quand nous mettons le mors dans la bouche des chevaux pour qu'ils nous obĂ©issent, nous dirigeons ainsi leur corps tout entier. » ÉpĂźtre de Jacques chapitre 3, versets 2 et 3). Garder le silence permet d’éviter de pĂ©cher, ce que retiendront les fondateurs des ordres monastiques.

Christianisme primitif

Au IIIe siĂšcle en Égypte apparaissent les premiers ermites[8]. Leur modĂšle est Antoine le Grand : face Ă  une vie dans la citĂ© qu'il considĂšre pleine de pĂ©chĂ©, il choisit de s'en dĂ©tacher et vit dans le dĂ©sert, constituant un des premiers exemples d'anachorĂšte. Au dĂ©but du IVe siĂšcle, PacĂŽme le Grand crĂ©e les premiĂšres communautĂ©s car il estime que « la solitude est dangereuse », car elle peut conduire au dĂ©sespoir ou au suicide : mieux vaut se grouper pour survivre. Au dĂ©but, les moines sont seuls dans leur cellule et se retrouvent pour les repas. ChenoutĂ©, abbĂ© copte des IVe et Ve siĂšcles, dĂ©veloppe le monachisme copte. Il a eu jusqu'Ă  deux mille moines et mille huit cents moniales sous ses ordres. ChenoutĂ© durcit la rĂšgle pachomienne, la trouvant trop douce[9]. Sa rĂšgle est la premiĂšre Ă  comporter une promesse Ă©crite d'obĂ©issance[10].

Tradition orthodoxe

Directement issue du christianisme primitif, l’Église orthodoxe enseigne que le silence permet d’approcher Dieu et de dĂ©velopper sa connaissance de soi[11], ou de vivre plus harmonieusement[12]. ThĂ©ophile, patriarche d’Alexandrie, plaçait les mĂ©rites du silence au mĂȘme niveau que la foi dans une lettre synodale de 400 aprĂšs JĂ©sus-Christ : « Les moines – s’ils veulent ĂȘtre ce qu’ils disent – aimeront le silence et la foi catholique, car rien n’est plus important que ces deux choses. »[13]

Tradition catholique

Bien que la parole soit en elle-mĂȘme neutre, l’épĂźtre de Jacques (3/1-12) et les rĂ©dacteurs des rĂšgles monastiques voient dans le silence le seul moyen efficace de s’affranchir des pĂ©chĂ©s de la langue[14].

Saint Colomban

Le silence fait partie des dix vertus monacales établies par la rÚgle de Colomban de Luxeuil (594), précurseur de la rÚgle de Benoßt de Nursie.

Les Bénédictins

Le silence joue un rĂŽle majeur dans la rĂšgle bĂ©nĂ©dictine, oĂč il permet de purifier l’esprit de toute distraction, et d’écouter Dieu plus attentivement. Le chapitre 6 de la rĂšgle de saint BenoĂźt est consacrĂ© au silence. AprĂšs avoir citĂ© le psaume 39, versets 2 et 3 (voir ci-dessus), elle poursuit ainsi : « Ici le prophĂšte montre que si l’esprit de silence doit Ă  tout moment nous mener Ă  nous abstenir mĂȘme de bonnes paroles, Ă  combien plus forte raison la punition des pĂ©chĂ©s doit nous faire Ă©viter les mauvaises paroles. C’est pourquoi l’esprit de silence est si important, la permission de parler ne doit ĂȘtre accordĂ©e que rarement, mĂȘme aux disciples parfaits, quand bien mĂȘme ce serait pour une conversation bonne, sainte et Ă©difiante ; car il est Ă©crit : « Celui qui parle beaucoup ne manque pas de pĂ©cher, Mais celui qui retient ses lĂšvres est un homme prudent. » (Proverbes chapitre 10, verset 19) et ailleurs « La mort et la vie sont au pouvoir de la langue. » (Proverbes chapitre 18, verset 21)[15]. Le rĂŽle du silence est ainsi dĂ©fini par frĂšre David Bird, OSB : « Lorsque notre intĂ©rieur et notre extĂ©rieur seront tous les deux silencieux, Dieu fera le reste. »

Les Cisterciens

Les Cisterciens sont d’actifs promoteurs de la tradition de mĂ©ditation contemplative. Pour une part, cette insistance sur le silence permet une Ă©lĂ©vation spirituelle, d’autre part elle permet d’éviter le pĂ©chĂ©[14]. Un dialogue se poursuit entre les BĂ©nĂ©dictins et les Cisterciens qui dĂ©finit un « archĂ©type monastique » caractĂ©risĂ© par la paix et le silence[16].

Les Trappistes

L'ordre cistercien de la stricte observance (en abrĂ©gĂ© o.c.s.o.), dont les membres sont familiĂšrement appelĂ©s trappistes, est un ordre monastique catholique qui a repris la rĂšgle cistercienne. « Selon de nombreuses traditions spirituelles, la personne qui fait silence « entend » Dieu. Le trappiste s’engage Ă  garder le silence et promet ainsi de vivre en communion paisible et silencieuse avec les autres. Les premiĂšres communautĂ©s monastiques se servaient d’un langage gestuel simple pour la communication reliĂ©e au travail. Aujourd’hui, les conversations entre les moines se limitent aux communications nĂ©cessaires Ă  la vie communautaire et aux Ă©changes essentiels sur des questions de foi ou de vie personnelle. » [17]

Tradition protestante

L’évangĂ©liste et pasteur baptiste Frederick Brotherton Meyer (1847–1929), membre d’un mouvement piĂ©tiste, dĂ©veloppa une forte adhĂ©sion Ă  la pratique du silence, qu’il voyait comme un moyen d’accĂ©der Ă  la direction divine sur tous les sujets.

« Nous devons faire silence devant Dieu. La vie qui nous environne, Ă  l’époque actuelle, est essentiellement faite de prĂ©cipitation et d’efforts. Nous sommes Ă  l’ñge du train rapide et du tĂ©lĂ©graphe. Ce qui remplirait une annĂ©e est comprimĂ© en un mois et ce qui occuperait un mois en une semaine. Un activisme fiĂ©vreux met en pĂ©ril la vie religieuse. Ce courant a dĂ©jĂ  pĂ©nĂ©trĂ© nos Ă©glises et troublĂ© leur quiĂ©tude. Les rĂ©unions succĂšdent aux rĂ©unions. Les mĂȘmes personnes Ă©nergiques participent Ă  toutes et sont de plus engagĂ©es dans toute sorte de bonnes actions. Mais nous devons faire attention de ne pas remplacer la contemplation par l’action, le sommet des montagnes par le fond de la vallĂ©e
 Nous devons nous mĂ©nager du temps seul avec Dieu en silence. L’isolation derriĂšre une porte fermĂ©e est indispensable
 Sois silencieux et ressens que Dieu est en toi et autour de toi ! Dans le secret de l’ñme, l’invisible devient visible, et l’éternel rĂ©el
 Ne laisse pas passer un seul jour sans sa plage d’attente silencieuse devant Dieu[18]. »

— FB Meyer, The Secret of Guidance

Le pasteur F.B. Meyer exerça une grande influence sur Frank Buchman (1878–1961), lui-mĂȘme pasteur protestant et fondateur des groupes d’Oxford puis du RĂ©armement moral en 1938, refondĂ© comme Initiatives et Changement en 2001. Un Ă©lĂ©ment-clĂ© de la pensĂ©e de Frank Buchman Ă©tait la pratique d’un temps de silence quotidien qui, selon lui, permettait Ă  tout un chacun de recevoir des pensĂ©es inspirĂ©es par Dieu sur tous les aspects de la vie. Un dicton frĂ©quemment citĂ© dans le mouvement inspirĂ© par Frank Buchman est : "Quand l'homme Ă©coute, Dieu parle ; quand l'homme obĂ©it, Dieu agit"[19]. Karl Wick, rĂ©dacteur en chef du quotidien catholique suisse Vaterland, Ă©crivit que Frank Buchman avait « apportĂ© le silence monastique dans les foyers, les marchĂ©s et les conseils d’administration. » [20] L’enseignement de Frank Buchman toucha des milliers de personnes de toutes obĂ©diences chrĂ©tiennes aussi bien que non chrĂ©tiennes[21].

« La direction divine doit devenir l'expérience normale des hommes et des femmes ordinaires. Chaque personne peut percevoir les messages divins si ses récepteurs sont en bon état. Des informations claires, précises et adéquates peuvent passer de l'Esprit de Dieu à l'esprit humain. C'est la façon normale de prier. »

— Frank Buchman, Rising Tide (discours)[22]

RÎle théologique du silence

La thĂ©ologie chrĂ©tienne diffĂšre de celle des religions du Dharma eu Ă©gard au mode par lequel l’élĂ©vation spirituelle survient dans le contexte d’un silence contemplatif. Le Bouddhisme et l’hindouisme recommande diverses pratiques spirituelles tout comme les dĂ©nominations chrĂ©tiennes. Toutefois le christianisme, et particuliĂšrement le protestantisme, met l’accent sur l’idĂ©e que l’élĂ©vation spirituelle n’est pas Ă  la portĂ©e des humains, quelle que soit la rĂ©gularitĂ© et la persĂ©vĂ©rance de leurs pratiques. À leurs yeux au contraire, l’élĂ©vation spirituelle qui conduit Ă  la proximitĂ© de la divinitĂ© et au salut ne saurait ĂȘtre le fruit d’efforts humains mais rĂ©sulte d’un mĂ©canisme surnaturel. Ce mĂ©canisme qui est appelĂ© « grĂące » est parfois dĂ©crit comme l’action de Dieu, compris comme le PĂšre, ou comme l’action de l’Esprit saint.

Le silence dans l'hindouisme

Les saints et les textes sacrĂ©s hindous mettent l'accent sur l'importance du silence. On prĂȘte au poĂšte hindou Dryanadev, qui vivait vers 1290 de notre Ăšre, ces mots insĂ©rĂ©s dans un commentaire sur la Bhagavad Gita : « Ta vraie louange consiste en un silence parfait. »[23] L'hindouisme prĂ©conise un environnement serein comme aide Ă  l'introspection, mais souligne encore plus la culture du silence intĂ©rieur. La paix extĂ©rieure est simplement un moyen de nous aider Ă  trouver le silence intĂ©rieur. C'est la base de la pratique hindoue du mauna, le vƓu de garder le silence, qui conduit certains croyants Ă  s’abstenir de toute parole. La mauna n'est pas l'apanage du sage ou du saint. De brillants orateurs ou intellectuels ont Ă©galement choisi de limiter leur discours. Le mahatma Gandhi a Ă©tĂ© le personnage public le plus important pratiquant la mauna. Il gardait le silence tous les lundis, ne communiquant ce jour-lĂ  que par Ă©crit[24].

L’enseignement de Gandhi est particuliĂšrement riche sur la petite voix intĂ©rieure :

  • "Pour moi, la voix de Dieu, de la conscience, de la VĂ©ritĂ© ou la "petite voix intĂ©rieure" sont une et mĂȘme chose. Je n’ai jamais vu de forme. Je n’ai jamais cherchĂ© Ă  en voir car j’ai toujours cru que Dieu n’a pas de forme. Mais ce que j’ai entendu Ă©tait comme une voix venue de loin et pourtant trĂšs proche. C’était comme une voix humaine qui me parlait de maniĂšre claire et irrĂ©sistible. Je ne rĂȘvais pas lorsque j’ai entendu cette voix. Avant de l’entendre, il y avait une terrible lutte intĂ©rieure en moi. J’ai Ă©coutĂ©, je me suis assurĂ© que c’était la Voix, et la lutte a cessĂ©."[25]
  • "Il y a des moments dans la vie oĂč, pour certaines choses, nous n’avons pas besoin de preuves extĂ©rieures. Une petite voix Ă  l’intĂ©rieur de nous nous dit : « Tu es sur la bonne voie, ne dĂ©place pas ton pied Ă  droite ou Ă  gauche, mais reste sur ce chemin droit et Ă©troit."[25]
  • "La petite voix intĂ©rieure doit toujours ĂȘtre l’arbitre final des cas de conscience."[25]
  • "Ayant fait un effort sans relĂąche pour atteindre ma purification, j’ai dĂ©veloppĂ© une petite capacitĂ© Ă  entendre correctement et clairement la petite voix intĂ©rieure."[25]
  • "Je perdrai toute utilitĂ© le jour oĂč je rĂ©duirai au silence ma petite voix intĂ©rieure."[25]
  • "Les pĂ©nitences ne sont pas pour moi des actes mĂ©caniques. Elles sont le rĂ©sultat d’une obĂ©issance Ă  la voix intĂ©rieure."[25]

Les tapas sont des exercices d'ascétisme qui prÎnent entre autres le silence dans l'hindouisme, et dans le jaïnisme. Le yoga cherche la paix intérieure en ayant un esprit silencieux également[26].

Le silence dans le bouddhisme

Les techniques de mĂ©ditation bouddhistes utilisent les techniques du vipassana et du samatha. Une des catĂ©gories centrales de la pensĂ©e bouddhiste est le sunyata, qui peut ĂȘtre dĂ©crite comme le silence de l’Être ontologique. Les vƓux de Bodhisattva du bouddhisme mahayana ou du bouddhisme theravada n’incluent en principe aucun vƓu de silence. Ceux qui pratiquent le silence le font selon la rĂšgle monastique locale mais non comme partie intĂ©grante de leurs vƓux.

La pratique zen du silence

Le monastĂšre zen est appelĂ© zen-dƍ, et l’une de ses pratiques de base est la mĂ©ditation assise appelĂ©e zazen. Le Zazen est pratiquĂ© soit en silence, soit en chantant. En dehors de cette mĂ©ditation assise, le silence est souvent de rĂšgle lors des repas vĂ©gĂ©tariens simples Ă  base de gruau[27]. Des gestes codifies de la main et du bras sont utilisĂ©s pour communiquer[27]. Le temps de silence est gĂ©nĂ©ralement prĂ©cĂ©dĂ© par la rĂ©citation du sĆ«tra du cƓur et des cinq mĂ©ditations[27].

Le silence en paraboles

Différents récits ou paraboles décrivent le silence pendant les méditations et actions, que ce soit dans la pratique monastique ou laïque.

Trois moines qui avaient fait vƓu de silence furent autorisĂ©s Ă  faire une dĂ©rogation chaque annĂ©e pendant laquelle un moine fut autorisĂ© Ă  parler. À la fin de la premiĂšre annĂ©e, le premier moine dĂ©clara "La soupe est trop chaude." Un an plus tard, tous se tournĂšrent vers le second moine, qui dit : "La soupe est trop froide." La troisiĂšme annĂ©e, le troisiĂšme moine s’exprima Ă  son tour, disant "La soupe n’est ni trop froide ni trop chaude, mais elle est trop salĂ©e." La quatriĂšme annĂ©e, l’abbesse afficha une petite note disant que ce serait elle qui parlerait cette annĂ©e-lĂ . Les moines rĂ©unis Ă©taient impatients d’entendre le discours de leur abbesse respectĂ©e et firent silence. On aurait pu entendre une mouche voler. Et l’abbesse dĂ©clara: “je ne veux plus de ces disputes Ă  propos de la soupe."[28]
Quatre moines avaient dĂ©cidĂ© de mĂ©diter en silence pendant deux semaines. À la tombĂ©e de la nuit du premier jour, leur chandelle commença Ă  vaciller puis s’éteignit. Le premier moine dit : "Oh, non! La chandelle s’est Ă©teinte." Le deuxiĂšme moine dit : "Est-ce qu’on n’était pas censĂ©s rester silencieux ?" Le troisiĂšme dit alors : "Pourquoi faut-il que vous deux, vous brisiez le vƓu de silence ?" Le quatriĂšme moine rit alors et dit : "Ha! Je suis le seul qui n’ait pas parlĂ© !"[29]

Merton: le rapprochement des traditions contemplatives

Thomas Merton (1915 – 1968), moine trappiste amĂ©ricain, est particuliĂšrement connu pour son activitĂ© dans le domaine du dialogue interreligieux et pour y avoir rapprochĂ© les diffĂ©rentes traditions monastiques avec des interlocuteurs tels que le dalaĂŻ-lama, Thich Nhat Hanh et un grand spĂ©cialiste du zen Daisetz Teitaro Suzuki.

Thanks-Giving Square chapel interior in Dallas, Texas

Le silence qui surmonte les paradoxes

Dans son cĂ©lĂšbre ouvrage « PensĂ©es dans la solitude » [30], paru en 1958 et rĂ©Ă©ditĂ© 25 fois, Merton dĂ©crit le silence comme une forme de paradoxe tels que les Kƍan typiques du Bouddhisme zen : « Les contradictions ont toujours existĂ© dans les Ăąmes des individus. Mais c’est seulement lorsque nous prĂ©fĂ©rons l’analyse au silence qu’elles deviennent un problĂšme permanent et insoluble. Nous ne sommes pas censĂ©s rĂ©soudre toutes les contradictions mais vivre avec elles, nous Ă©lever au-dessus d’elles et les voir dans la lumiĂšre de valeurs extĂ©rieures et objectives qui les rendent triviales par comparaison. »

Le Journal asiatique

Dans « Le Journal asiatique de Thomas Merton »[31], l’auteur insiste sur la sĂ©rĂ©nitĂ© qui Ă©mane du silence bouddhiste : « Je suis capable d’approcher les Bouddhas pieds nus et sans trouble, dans l’herbe humide ou le sable mouillĂ©. Puis le silence des visages extraordinaires. Les grands sourires. Immenses et cependant subtils. Emplis de toute possibilitĂ©, ne discutant rien, connaissant tout, ne rejetant rien, la paix faite non de rĂ©signation Ă©motionnelle mais de Madhyamaka, de ƚƫnyatā, qui a vu au travers de toutes les questions sans essayer de discrĂ©diter quiconque ou quoi que ce soit – sans rĂ©futation – sans ouvrir d’autres discussions. Pour les doctrinaires, les esprits qui aiment les positions bien argumentĂ©es, une telle paix, un tel silence peut ĂȘtre effrayant. »

La vie silencieuse

Dans la vie silencieuse[32], « La fonction principale du silence monastique est donc de prĂ©server cette memoria Dei qui est bien plus que juste une « mĂ©moire ». C’est un Ă©veil total et une conscience de Dieu qui sont impossibles sans le silence, le recueillement et un certain retrait. »

La protestation par le silence contemplatif

Outre sa valeur spirituelle, Thomas Merton ajoutait au silence une dimension sociale : « Je fais du silence monastique une protestation contre les mensonges des hommes politiques, des propagandistes et des agitateurs... » [33]

Concurrence Orient-Occident sur le rĂŽle du silence

Le silence monastique est une des pratiques qui unissent de nombreuses religions et fournit donc toujours un point de convergence entre les traditions religieuses orientales et occidentales[34]. Le pĂšre Thomas Keating[35] dĂ©clare que, comme le Bouddhisme, le Christianisme dispose de plusieurs mĂ©thodes contemplatives. Celles-ci se regroupent en deux traditions : la « priĂšre de centrage » que nous reprĂ©sentons, et la mĂ©ditation chrĂ©tienne, mise au point par John Main, qui se diffuse rapidement dans le monde entier grĂące au leadership dynamique du pĂšre Lawrence Freeman.”[36] L’approche du pĂšre Keating est influencĂ©e par sa collaboration avec des bouddhistes issus de diffĂ©rentes traditions tandis que celle du pĂšre Freeman l’est par sa frĂ©quentation du monde hindouiste.

Le frĂšre James Conner, compara les approches lors de la 5e ConfĂ©rence contemplative christiano–bouddhiste tenue Ă  l'Institut Naropa, au cours de laquelle des ecclĂ©siastiques de tradition monastique Zen, Vajrayana et catholiques ont mĂ©ditĂ© et discutĂ© ensemble. Selon lui, la priĂšre silencieuse est conçue pour transcender les processus rationnels et pour permettre la perception d'un Ă©tat exaltĂ©. « Le Zen dit que la nature de Bouddha commence lĂ  oĂč les niveaux rationnels finissent. L'enseignement chrĂ©tien est identique. L'on doit y pratiquer une priĂšre sans paroles et sans pensĂ©es afin de percevoir la prĂ©sence divine. »[36]

Application du silence en dehors du contexte religieux

Domaine médical

La pratique du silence s’est propagĂ©e dans le domaine mĂ©dical via les mĂ©decines holisitiques qui s’adressent Ă  la fois au corps et Ă  l’esprit [37].

Psychiatrie

Le psychiatre Jack Engler, bouddhiste theravada, a Ă©tĂ© le directeur du Schiff Psychiatric Center de l’universitĂ© Harvard. Il a dĂ©crit la mĂ©ditation comme une pratique permettant de faire le deuil et de lĂącher prise. Selon Jack Kornfield, psychiatre et moine bouddhiste amĂ©ricain, la moitiĂ© des participants des retraites spirituelles sont aux prises avec un processus de deuil dans l’une de ses phases : dĂ©ni, colĂšre, abattement ou peine[38] « C’est dans le silence que l’on sent la vibration de la crĂ©ation elle-mĂȘme, que l’on entend le son de la source, le murmure de l’éternitĂ©. C’est dans le silence que l’on dĂ©couvre sa vĂ©ritable nature - que l’on est bien une expression d’un pouvoir divin sous-jacent Ă  l’univers qui se manifeste dans notre corps, notre esprit et notre cƓur. C’est dans le silence, que l’on dĂ©couvre la vĂ©ritĂ© de l’interconnexion, et le joyau inestimable de l’amour. C’est dans le silence que l’on puise dans sa crĂ©ativitĂ© la plus profonde, Ă  la source de toute crĂ©ation, auprĂšs de sa conscience elle-mĂȘme. Le silence est une force de guĂ©rison et il nourrit. (
) Pour atteindre le don de l’illumination, il est vital de prendre frĂ©quemment des temps de silence intĂ©rieur
 »[39]

Aux Nations Unies

Dag Hammarskjöld, 2e SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies, est le crĂ©ateur d'une salle de mĂ©ditation au cƓur du siĂšge new-yorkais des Nations unies. DĂšs l'origine, une petite piĂšce avait Ă©tĂ© prĂ©vue dans l'immeuble pour permettre Ă  ceux qui le dĂ©siraient de se retirer et de prier ou de mĂ©diter en silence, chacun selon sa foi. Dag Hammarskjöld estima que c'Ă©tait insuffisant et, avec l'aide d'un petit groupe composĂ© de chrĂ©tiens, juifs et musulmans, the "Friends of the UN Meditation Room", il fit installer une piĂšce plus vaste et plus digne d'une organisation mondiale. Il supervisa personnellement dans le moindre dĂ©tail l'amĂ©nagement de cette salle de mĂ©ditation, dont le centre est occupĂ© par un bloc rectangulaire de minerai de fer suĂ©dois et le mur du fond par une peinture abstraite due au peintre suĂ©dois Bo Beskow (1906-1989). Les personnes qui le souhaitent peuvent prendre place sur des bancs et rester le temps qu'elles veulent. Dans un texte explicatif destinĂ© aux visiteurs de cet espace, Dag Hammarskjöld dit notamment : "Cette maison, dĂ©diĂ©e au travail et au dĂ©bat au service de la paix, devait avoir une salle consacrĂ©e au silence au sens extĂ©rieur et au calme au sens intĂ©rieur. Le but Ă©tait de crĂ©er dans cette petite piĂšce un lieu oĂč les portes s'ouvrent sur les terres infinies de la pensĂ©e et de la priĂšre. Des gens de nombreuses religions se rencontreront ici ; pour cette raison, aucun des symboles auxquels nous sommes habituĂ©s dans notre mĂ©ditation ne pouvait ĂȘtre utilisĂ©."[40].

Articles connexes

Notes et références

  1. Amy Hirshberg Lederman, Finding meaning in the sound of silence, . Arizona Jewish post, 23 décembre 2010
  2. Isadore Twersky, Introduction to the Code of Maimonides (Mishneh Torah) (New Haven et Londres: Yale University Press, 1980), p. xvi.
  3. Bible Louis Segond
  4. « La journĂ©e d’un moine trappiste : IdĂ©es : Silence », Virtualmuseum.ca (consultĂ© le )
  5. Site de Contemplative Outreach (en anglais)
  6. Commentaire sur le verset hébreu (en anglais)
  7. Dietrich Bonhoeffer, « la Vie communautaire », chapitre 3.
  8. Voir la page Monachisme chrétien
  9. « Le couvent rouge Deir al-Ahmar », Encyclopédie de la langue française, [lire en ligne]
  10. Encyclopaedia universalis, thésaurus 1, p. 593
  11. « The Value of Silence - A Russian Orthodox Church Website: A Russian Orthodox Church Website », Pravmir.com, (consulté le )
  12. « Silence That Screams », Orthodoxresearchinstitute.org (consulté le )
  13. « Brepols Publishers - Journal Article »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?), Brepols.metapress.com, (consultĂ© le )
  14. « Tarrawarra Abbey - Silence monastique », Cistercian.org.au, (consulté le )
  15. (en) « RĂšgle bĂ©nĂ©dictine, publiĂ©e par l’ordre » (consultĂ© le )
  16. Pietro Rossano, « Dialogue between Christian and Non-Christian Monks, Opportunities and Difficulties », Monastic Dialogue, vol. Bulletin 10,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  17. « Silence », La journĂ©e d’un moine trappiste, Virtualmuseum.ca (consultĂ© en )
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