Sakae Ćsugi
Sakae Ćsugi , (性æ æ , Ćsugi Sakae, - ) est une figure importante du militantisme et du mouvement anarchiste japonais.
Biographie
Famille et enfance
Ćsugi Sakae est nĂ© le Ă Marugame, dans la prĂ©fecture de Kagawa. Il est le plus ĂągĂ© dâune fratrie de neuf enfants dâĆsugi Azuma et Kusui Yutaka. Au cours de son enfance, il est affectĂ© Ă de nombreuses reprises par le mĂ©tier de son pĂšre, militaire. Celui-ci est mutĂ© en 1885 Ă Tokyo puis en 1889 Ă Shibata, dans la prĂ©fecture de Niigata, et dĂ©mĂ©nage, chaque fois, avec sa famille. Au dĂ©clenchement de la guerre sino-japonaise en 1894, son pĂšre est mobilisĂ©.
Ćsugi suit une scolaritĂ© Ă Shibata. Suivant les traces de son pĂšre, il tente dâentrer en 1898 Ă lâĂcole des cadets de lâArmĂ©e de Terre mais Ă©choue. NĂ©anmoins, il parvient Ă rentrer, grĂące Ă son lieu dâĂ©tat civil, Ă lâĂcole des cadets de lâArmĂ©e de Terre de Nagoya.
En 1901, Ă la suite dâune altercation au sein de lâĂ©cole il est condamnĂ© Ă 30 jours de consigne. De cet incident, Ćsugi commence Ă sâinterroger sur sa future carriĂšre militaire. Au cours de lâautomne, il est blessĂ© lors dâune bagarre avec un camarade et rentre chez ses parents Ă Shibata. En novembre il est alors expulsĂ© de lâĂcole des cadets.
Il est trĂšs marquĂ© par la mort de sa mĂšre lâannĂ©e suivante.
IntĂ©rĂȘt pour le socialisme et l'anarchisme
En 1902, il rejoint Tokyo et y Ă©tudie la littĂ©rature. Il commence Ă sâintĂ©resser au socialisme lors des manifestations en opposition Ă la mine de cuivre dâAshio et en lisant la revue Yorozu chĆhĆ, oĂč Ă©crivent ShĆ«sui KĆtoku, Sakai Toshihiko et Uchimura KanzĆ[1], et qui tient des discours dâopposition Ă la guerre.
La mĂȘme annĂ©e, il assiste aux discours dâEbina DanjĆ qui lâinfluencent Ă©normĂ©ment sur la question religieuse et notamment, chrĂ©tienne.
En 1903, il dĂ©bute des cours de français Ă lâĂcole des langues Ă©trangĂšres et participe pour la premiĂšre fois, en dĂ©cembre, Ă une rĂ©union de la SociĂ©tĂ© plĂ©bĂ©ienne qui publie le journal Heimin Shimbun. DĂšs lors il se rendra chaque semaine Ă ces rĂ©unions.
LâannĂ©e suivante, alors que son pĂšre est mobilisĂ© pour la guerre russo-japonaise il sâĂ©loigne de la religion et des discours dâEbina DanjĆ car celui-ci soutient lâeffort de guerre. Au mĂȘme moment son premier texte, Nagoya Yori, est publiĂ© dans un numĂ©ro du Heimin Shimbun.
Il est diplĂŽmĂ© en de lâĂcole des langues Ă©trangĂšres.
En 1906, alors que le Parti socialiste japonais, sous lâĂšre Meiji, vient dâĂȘtre crĂ©Ă©, Ćsugi sây engage et participe aux manifestations contre lâaugmentation des tarifs du tramway oĂč il sera arrĂȘtĂ© et incarcĂ©rĂ© avec quelques camarades. Ă sa libĂ©ration, il entre au comitĂ© de rĂ©daction de la revue fĂ©minine Katei zasshi (La revue de la famille). Il traduit lâarticle « Shinpei shokun ni atau » (A Toutes les nouvelles recrues) oĂč il dĂ©nonce la guerre et le militarisme mais est de nouveau arrĂȘtĂ© pour infraction au rĂšglement sur la presse. Il est emprisonnĂ© quatre mois dans la prison de Sugamo. Câest Ă partir de ce moment quâil devient un militant trĂšs actif, partisan de lâaction directe et sâĂ©carte peu Ă peu du socialisme pour se diriger vers lâanarchisme. Sâensuit alors une pĂ©riode oĂč Ćsugi Sakae alterne entre la prison et la libertĂ©. En effet, il est inculpĂ© en mars puis incarcĂ©rĂ© en mai Ă Sugamo pour la traduction du texte de Pierre Kropotkine : Aux jeunes gens. Deux mois aprĂšs sa libĂ©ration il est Ă nouveau emprisonnĂ© en janvier 1907 aprĂšs lâincident du discours sur le toit. RelĂąchĂ© en mars, il est interpellĂ© en juin et envoyĂ© en septembre dans le centre pĂ©nitentiaire de Chiba oĂč il reste deux ans pour lâincident du drapeau rouge.
Au cours de ces sĂ©jours en prison et comme il lâĂ©crit dans son autobiographie (Jijoden) Ă©crite Ă partir de 1921, il se donne lui-mĂȘme le dĂ©fi dâapprendre une langue Ă©trangĂšre Ă chaque dĂ©lit. Ainsi, il apprend, entre autres, lâespĂ©ranto, lâallemand et le russe, en plus du français quâil a appris Ă lâĂcole des langues Ă©trangĂšres. Par ailleurs, il participe fortement au dĂ©veloppement de lâespĂ©ranto en intĂ©grant une association pour lâespĂ©ranto oĂč il assiste aux cours dĂšs 1906.
Pendant ces annĂ©es de prison, il Ă©tudie beaucoup dâauteurs socialistes ou anarchistes et sâintĂ©resse Ă diffĂ©rentes sciences telles que la biologie, lâanthropologie, la sociologie et lâhistoire.
Alors quâil purge sa peine Ă Chiba, survient lâincident de haute trahison en 1910. De nombreux militants anarchistes et socialistes sont arrĂȘtĂ©s et certains sont exĂ©cutĂ©s. Ćsugi est interrogĂ© sur sa participation dans lâaffaire mais les autoritĂ©s ne considĂšrent pas quâil est impliquĂ© car en prison depuis deux ans. Ćsugi devient alors l'un des principaux militants de la cause ouvriĂšre.
Auteur prolifique
En , Ćsugi crĂ©e la revue Kindai shisĆ (PensĂ©e Moderne) avec Arahata Kanson, dans laquelle il Ă©voque lâhomme moderne, des questions sociales et philosophiques et critique le systĂšme politique[2]. DĂšs le dĂ©but, certains textes deviennent polĂ©miques. Deux ans plus tard il cesse la publication de cette revue et crĂ©e sa version de Heimin Shimbun oĂč il critique fortement la PremiĂšre Guerre mondiale qui vient de commencer. Mais tous les numĂ©ros sont interdits Ă la publication, exceptĂ© le quatriĂšme.
En 1915, la SociĂ©tĂ© dâĂ©tudes syndicalistes quâil avait fondĂ© deux ans plus tĂŽt avec Arahata Kanson devient le Forum populaire. En mĂȘme temps, il interrompt les publications du Heimin Shimbun et reprend celles du Kindai shisĆ mais Ă nouveau il subit des interdictions de publication. Cela dure peu puisquâau dĂ©but de 1916 il met fin Ă la revue.
En faveur de lâautonomie de la classe ouvriĂšre et critique du parlementarisme, il soutient les rĂ©volutions bolchĂ©viques de fĂ©vrier et .
LâannĂ©e suivante, il lance deux revues, Bunmei hihyo (Critique de la civilisation) et RĆdĆ shinbun (le journal des travailleurs), qui sortent seulement quelques numĂ©ros car la majoritĂ© sont interdits.
En il est encore interpellĂ© et incarcĂ©rĂ© dans la prison de Toyotama en dĂ©cembre. Pendant lâintervalle de quatre mois, Ćsugi lance la revue RĆdĆ UndĆ quâil interrompt en . En octobre de cette annĂ©e il se rend Ă Shanghai pour assister au CongrĂšs des Socialistes dâExtrĂȘme Orient et dĂ©fendre des idĂ©es anarchistes mais fait rapidement face Ă lâopinion bolchĂ©vique.
Ćsugi dĂ©marre la deuxiĂšme sĂ©rie de RĆdĆ UndĆ et sâintĂ©resse au bolchĂ©visme. Plus tard, en , alors quâil lance la troisiĂšme sĂ©rie de la revue avec ItĆ Noe, Wada KyĆ«tarĆ et KondĆ Kenji, ils critiquent le mouvement du point de vue anarchiste.
En 1922, il se rend Ă Osaka et assiste Ă la tentative de formation dâune Union des syndicats des travailleurs. Quelques mois plus tard, il se rend Ă Saint-Denis, en France, sous une fausse identitĂ© chinoise mais est arrĂȘtĂ© le 1er mai alors quâil faisait un discours dans un meeting. IncarcĂ©rĂ© par les autoritĂ©s françaises, il est expulsĂ© et renvoyĂ© au Japon en juin.
Au cours de ces annĂ©es il traduit de nombreux ouvrages dâintellectuels comme Charles Darwin, Gustave Le Bon, Georges Sorel, Henri Bergson, Romain Rolland ou encore Jean-Henri Fabre.
DĂ©fenseur de l'amour libre
Ćsugi Sakae est un fervent partisan de lâamour libre. Il sâengage dans trois relations avec des femmes. AprĂšs sa libĂ©ration de prison en 1906, il se marie avec Hori Yasuko. Puis, en 1915, il dĂ©bute une relation avec Ichiko Kamichika (en).
Dans le mĂȘme temps, en 1916 ItĆ Noe quitte Jun Tsuji pour commencer une relation avec Ćsugi. En novembre, Ichiko supportant mal la relation que son amant entretenait avec ItĆ, le blesse d'un coup de couteau Ă la maison de thĂ© de Hikage Ă Hayama. Elle sera condamnĂ©e, pour cette affaire, Ă quatre ans de prison, mais en elle n'en fera que deux.
En 1917, Ćsugi se sĂ©pare de Hori Yasuko et ItĆ Noe donne naissance Ă leur fille aĂźnĂ©e. Par la suite, tous deux ont trois autres filles et un garçon mais deux dâentre eux meurent en bas Ăąge.
L'incident d'Amakasu
En 1923, il est sommairement assassinĂ©, avec sa compagne Noe ItĆ et son neveu de six ans, par la police militaire japonaise lors de l'« incident d'Amakasu», qui suit le tremblement de terre du KantĆ[3].
Postérité
En 1970, KijĂ» Yoshida rĂ©alise Eros + Massacre. Ce premier volet d'une trilogie historique est consacrĂ© Ă lâĂ©vocation de la vie de Sakae Ćsugi et de ses relations tumultueuses avec les femmes.
Notes et références
- Seiichi Iwao, TeizĆ Iyanaga, Susumu Ishii et ShĆichirĆ Yoshida, « 113. Yorozu-chĆhĆ Â», Dictionnaire historique du Japon, vol. 20, no 1,â , p. 106â107 (lire en ligne, consultĂ© le )
- RyĂ»ji Komatsu et Arnaud Nanta, « Un Retour sur le parcours du mouvement anarchiste au Japon », Ebisu - Ătudes Japonaises, vol. 28, no 1,â , p. 49â60 (DOI 10.3406/ebisu.2002.1266, lire en ligne, consultĂ© le )
- Evelyne Lesigne-Audoly, postface du livre Le Bateau-usine de Takiji Kobayashi, Ăditions Yago, Paris, 2009 (ISBN 978-2-916209-64-7).
Voir aussi
Bibliographie
- Philippe Pelletier, « Ăsugi Sakae, Une Quintessence de l'anarchisme au Japon », Ebisu, PersĂ©e, vol. 28, no 1,â , p. 93-118 (DOI 10.3406/ebisu.2002.1269, lire en ligne)
- « La vie en prison d'un anarchiste : Osugi Sakae » (trad. Gilles Bieux), Ebisu, PersĂ©e, no 28,â , p. 119-154 (DOI https://doi.org/10.3406/ebisu.2002.1270, lire en ligne)
- Komatsu RyĂ»ji (trad. Nanta Arnaud), « Chronologie : La Vie d'Ăsugi Sakae », Ebisu, no 28,â , p. 87-92. (DOI https://doi.org/10.3406/ebisu.2002.1268, lire en ligne)
- Iwao Seiichi, Iyanaga TeizĆ, Ishii Susumu, Yoshida ShĆichirĆ, Fujimura Jun'ichirĆ, Fujimura Michio, Yoshikawa Itsuji, Akiyama Terukazu, Iyanaga ShĆkichi et Matsubara Hideichi, « Ćsugi Sakae (1885-1923) », Dictionnaire historique du Japon, vol. 16,â , p. 121 (lire en ligne)
- (en) Thomas A. Stanley, Harvard University. Council on East Asian Studies, Ćsugi Sakae anarchist in TaishĆ Japan : The creativity of the ego, Harvard Univ Asia Center, coll. « Harvard East Asian monographs », , 232 p. (ISBN 0-674-64493-X, OCLC 993334190, lire en ligne)
- (en) John Crump, The Anarchist Movement in Japan, Anarchist Communist Editions, 1996, texte intégral.
- (en) Robert Graham, Anarchism : A Documentary History of Libertarian Ideas, From Anarchy to Anarchism (300 CE to 1939), volume I, Black Rose Books, 2005, texte intégral
Articles connexes
Liens externes
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- L'ĂphĂ©mĂ©ride anarchiste : notice biographique.
- Taiji Yamaga, Victimes anarchistes au Japon, Le Monde libertaire, n°10, .