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Saga de Hrafnkell

La saga de Hrafnkell ou Saga de Hrafnkell Godi-de-Freyr (Hrafnkels saga FreysgoĂ°a en islandais, abrĂ©gĂ© en Hrafnkatla) est une des plus cĂ©lĂšbres sagas islandaises. Probablement Ă©crite Ă  la fin du XIIIe siĂšcle, elle fait partie de la catĂ©gorie appelĂ©e Sagas des Islandais (ou Sagas des familles), qui racontent les faits marquants des premiers colonisateurs de l'Islande et de leurs descendants au Xe siĂšcle. Par son style et sa construction elle est un des chefs-d'Ɠuvre du genre, et elle a jouĂ© un rĂŽle central dans les Ă©tudes et les dĂ©bats sur l’origine des sagas islandaises.

PremiÚre page de la saga de Hrafnkell dans le manuscrit ÁM. 156 (XVIIe siÚcle).

Elle retrace l’affrontement de chefs de clans dans l’est de l’üle. Le hĂ©ros Ă©ponyme de l’Ɠuvre, Hrafnkell, se taille une solide rĂ©putation de duelliste et voue une adoration toute particuliĂšre au dieu Freyr. Une succession de dĂ©faites et d’humiliations, ainsi que la destruction de son temple vont toutefois lui faire perdre la foi et l’orienter vers l’athĂ©isme. Sa personnalitĂ© s’en trouve modifiĂ©e, et le hĂ©ros apprend Ă  interagir de maniĂšre pacifique avec autrui. Ayant ainsi gagnĂ© progressivement la confiance de nouveaux compagnons, il parvient Ă  prendre sa revanche sur ses ennemis, et finit sa vie en chef puissant et respectĂ©.

RĂ©cit

Cette hache de l’ñge du fer, dĂ©couverte sur l’üle de Gotland, pourrait ressembler Ă  celles utilisĂ©es en Islande au Xe siĂšcle

L’histoire dĂ©bute par le voyage d’un NorvĂ©gien, Hallfredhr (HallfreĂ°r), qui participe vers l’an 900 aux toutes premiĂšres vagues de colonisation de l’Islande. Il prend pied Ă  l’est de l’üle en compagnie de son fils, Hrafnkell, un jeune homme au courage prometteur. Hrafnkell a de l’ambition et dĂ©cide trĂšs vite, en accord avec son pĂšre, de fonder son propre campement. Il choisit une vallĂ©e inhabitĂ©e pour y implanter sa ferme, et nomme l’endroit AdhalbĂłl (AĂ°albĂłl, « Noble Foyer »). Cette vallĂ©e, dĂ»ment identifiĂ©e, sera plus tard rebaptisĂ©e Hrafnkelsdalr (« VallĂ©e de Hrafnkell »).

Hrafnkell y fait par ailleurs Ă©riger un grand temple, oĂč il rĂ©alise de fastueuses cĂ©rĂ©monies sacrificielles. Les meilleures tĂȘtes de son bĂ©tail sont ainsi offertes Ă  Freyr, le dieu qu’il vĂ©nĂšre plus que tout autre. Il place Ă©galement sous la protection de cette divinitĂ© son cheval islandais prĂ©fĂ©rĂ©, Freyfaxi, et jure qu’il mettra Ă  mort quiconque le chevauchera sans sa permission. Ces manifestations de ferveur religieuse lui font gagner le surnom de Freysgodhi (FreysgoĂ°i, « PrĂȘtre de Freyr »).

Hrafnkell nourrit une grande soif de pouvoir, et s’impose comme chef de clan en tyrannisant les habitants des vallĂ©es environnantes. Il est prompt Ă  se battre en duel, et ne paie jamais le prix du sang (le wergild) aprĂšs avoir tuĂ© quelqu’un.

La saga se penche ensuite sur Einarr, l’un des bergers de Hrafnkell. Une affaire urgente l’oblige un jour Ă  monter Ă  cheval, mais toutes les bĂȘtes s’enfuient Ă  son approche Ă  l’exception de Freyfaxi. C’est donc sur le dos de ce dernier qu’il part pour la journĂ©e. Par la suite, le cheval retourne de lui-mĂȘme Ă  AdhalbĂłl et se met Ă  hennir : Hrafnkell, voyant son animal sale et en sueur, rĂ©alise ce qui s’est passĂ©. Il sort alors avec sa hache et tue Einarr Ă  contre-cƓur, afin de respecter son serment.

Bien que le dieu nordique Freyr soit la divinitĂ© de prĂ©dilection de Hrafnkell, la saga contient finalement assez peu d’élĂ©ments surnaturels

Le pĂšre d’Einarr, Thorbjörn (Þorbjörn), est bouleversĂ© par la mort de son fils et va trouver Hrafnkell pour rĂ©clamer le prix du sang. Ce dernier lui rĂ©plique qu’il ne paie le wergild pour aucun homme. Il admet nĂ©anmoins que ce meurtre est parmi les plus atroces qu’il ait commis, et se dit prĂȘt Ă  faire amende honorable. Il propose alors Ă  Thorbjörn de le loger et le soigner pour le restant de ses jours. Thorbjörn, toutefois, rĂ©pugne Ă  cet acte de soumission et exige au minimum un accord formel entre personnes de rang Ă©gal. Face au refus de Hrafnkell, Thorbjörn ne perd pas patience et cherche une maniĂšre de parvenir Ă  s’entendre.

Les lois de la communautĂ© islandaise, en effet, garantissaient Ă  chaque homme libre les mĂȘmes droits. Mais du fait de l’absence d’une autoritĂ© exĂ©cutive centrale, un homme ordinaire pouvait rencontrer des difficultĂ©s face Ă  un chef de clan. Il devait alors rechercher le soutien d’un autre chef, Ă  la fois pour l’aider dans les dĂ©marches lĂ©gales dĂ©jĂ  complexes Ă  l’époque et pour faire appliquer ensuite le verdict en cas de succĂšs Ă  l’assemblĂ©e.

Thorbjörn sollicite l’aide de son frĂšre Bjarni, qui refuse de s’engager dans une dispute avec le puissant Hrafnkell. Il tente ensuite sa chance auprĂšs de SĂĄmr, le fils de Bjarni. Ce dernier, Ă  son tour, lui conseille plutĂŽt d’accepter l’offre de Hrafnkell, sans parvenir Ă  inflĂ©chir la dĂ©termination du vieil homme. SĂĄmr, qui n’avait au dĂ©part aucune intention de se mĂȘler au conflit, se sent finalement contraint d’accepter face Ă  l’insistance de son oncle. Le jeune homme accepte formellement de prendre en charge le cas de Thorbjörn dans le procĂšs qui s’annonce, et devient donc le plaignant.

Les colons norvĂ©giens apportĂšrent des chevaux en Islande, et ces derniers figurent dans bon nombre de sagas. Le cheval islandais est restĂ© isolĂ© depuis l’époque mĂ©diĂ©vale.

SĂĄmr prĂ©pare son accusation contre Hrafnkell et le convoque Ă  l’AlĂŸing pour l’étĂ© suivant, ce qui ne manque pas de faire rire le puissant chef. Lorsque SĂĄmr et Thorbjörn arrivent Ă  Þingvellir oĂč se tient l’assemblĂ©e, ils dĂ©couvrent rapidement qu’aucun grand chef de clan ne souhaite leur offrir son aide. Thorbjörn est cette fois proche de vouloir abandonner, mais SĂĄmr insiste pour que l’affaire soit menĂ©e Ă  son terme d’une maniĂšre ou d’une autre.

SĂĄmr et Thorbjörn tombent alors par hasard sur Thorkell (Þorkell), un jeune aventurier originaire du Vestfirdhir (VestfirĂ°ir, « Fjords de l’ouest »). L’homme sympathise avec leur cause et les aide Ă  obtenir le soutien de son frĂšre Thorgeirr (Þorgeirr), un puissant chef. GrĂące Ă  cet appui, SĂĄmr peut engager le procĂšs et y dĂ©montrer toute sa compĂ©tence. Hrafnkell est reconnu coupable, et en vertu de ce jugement, SĂĄmr a le droit de tuer Hrafnkell et de confisquer ses biens et ses terres. Le jeune homme, accompagnĂ© de Thorgeirr et Thorkell, arrive Ă  AdhalbĂłl trĂšs tĂŽt un matin, surprend Hrafnkell dans son sommeil et parvient Ă  le capturer.

On laisse deux possibilitĂ©s Ă  Hrafnkell : soit il est exĂ©cutĂ© sur-le-champ, soit il deviendra le subordonnĂ© de SĂĄmr, dĂ©pouillĂ© de son honneur et de ses biens. Hrafnkell, malgrĂ© ce qu’il en coĂ»te, choisit de vivre. Thorkell prĂ©dit alors Ă  SĂĄmr qu’il regrettera d’avoir Ă©pargnĂ© son ennemi[1].

Les pĂ©ripĂ©ties de la saga de Hrafnkell se dĂ©roulent sur une large partie de l’Islande

SĂĄmr prend officiellement possession d’AdhalbĂłl et invite les habitants locaux Ă  une grande fĂȘte, au cours de laquelle ils reconnaissent le jeune homme comme leur nouveau chef. Hrafnkell, quant Ă  lui, part se construire une nouvelle demeure dans une autre vallĂ©e. Son ambition restĂ©e intacte et son moral d’acier lui permettent, aprĂšs quelques annĂ©es de dur labeur, de devenir un respectable fermier.

Thorkell et Thorgeirr, dont la soif de vengeance n’est pas encore assouvie, dĂ©cident de « rendre Freyfaxi Ă  son propriĂ©taire » et jettent le cheval du haut d’une falaise. Ils mettent Ă©galement le feu au temple de Hrafnkell. Ayant appris tout cela, Hrafnkell en conclut que « c’est une folie de croire aux dieux », et ne rĂ©alise dĂšs lors plus aucun sacrifice. Son comportement devient plus civilisĂ©, et l’ancien chef tyrannique se fait beaucoup plus agrĂ©able avec ses serviteurs. Il acquiert ainsi de la popularitĂ© et s’attire la loyautĂ© de son entourage[2].

AprĂšs six annĂ©es de paix, Hrafnkell estime que l’heure de sa revanche a sonnĂ©. Il dĂ©couvre que le frĂšre de SĂĄmr, Eyvindr, effectue un voyage Ă  proximitĂ© avec quelques compagnons. Hrafnkell rassemble ses propres hommes et se lance Ă  l’attaque. SĂĄmr, sitĂŽt qu’il apprend l’embuscade, se rue Ă  l’aide de son frĂšre avec quelques hommes, mais arrive trop tard.

Schéma de la famille de Såmr. Les liens de parenté jouent un rÎle essentiel dans la plupart des sagas

Le matin suivant, Hrafnkell surprend SĂĄmr dans son sommeil et lui offre le mĂȘme choix que celui qu’il avait reçu de lui six ans auparavant. Tout comme son ennemi autrefois, SĂĄmr prĂ©fĂšre vivre : Hrafnkell se rĂ©installe Ă  AdhalbĂłl, son ancienne rĂ©sidence, et reprend ses fonctions de chef de clan.

SĂĄmr part pour l’ouest chercher Ă  nouveau le soutien de Thorkell et Thorgeirr, mais ces derniers lui rĂ©pliquent qu’il est le seul Ă  blĂąmer pour son propre malheur : il aurait dĂ» tuer Hrafnkell tant qu’il en avait l’occasion. C’est pourquoi ils refusent d’appuyer SĂĄmr dans une nouvelle lutte contre son rival. Ils lui offrent, en compensation, de rester vivre Ă  leurs cĂŽtĂ©s. SĂĄmr dĂ©cline l’invitation et repart auprĂšs de Hrafnkell, qu’il servira jusqu’à la fin de sa vie sans pouvoir se venger.

Hrafnkell, quant Ă  lui, reste un chef respectĂ© jusqu’à ce qu’il meure en paix, entourĂ© des siens. Ses fils deviennent chefs de clans Ă  sa suite[3].

De l'Ă©crivain original au lecteur moderne

Manuscrits

SchĂ©ma philologique de la saga de Hrafnkell. Sept manuscrits en particulier permettent de s’approcher au plus prĂšs du texte original.

Le plus vieux manuscrit subsistant de la saga est un vĂ©lin du XVe siĂšcle, dont il ne reste qu'une seule de ses pages. On a par contre des copies XVIIe siĂšcle sur papier. L’une des familles de manuscrits en papier (C et C1 dans le schĂ©ma ci-contre), contient une version sensiblement diffĂ©rente de la saga, avec plusieurs additions mineures. La plupart des chercheurs relient ces ouvrages au mĂȘme texte original sur vĂ©lin, mais pensent que les ajouts sont l’Ɠuvre de l’auteur de la saga de FljĂłtsdĂŠla. Une attention plus soutenue est donc portĂ©e aux versions plus courtes de l’histoire de Hrafnkell par rapport aux versions plus longues, jugĂ©es apocryphes.

Auteur

Comme la plupart des sagas, le texte est anonyme. Elle est gĂ©nĂ©ralement datĂ©e du dernier quart du XIIIe siĂšcle, avec pour terminus a quo la mort de Sturla Thodarson en 1284 qui ne la cite pas dans le Sturlubok (sa version du landnamabok), oĂč il recense les sagas connus Ă  l'Ă©poque[4]. Hermann PĂĄlsson a proposĂ© comme auteur Brandr JĂłnsson, Ă©vĂȘque de HĂłlar de 1263 Ă  1264[5].

Les différentes éditions

P. G. Thorsen et KonrĂĄdh GĂ­slason (KonrĂĄĂ° GĂ­slason) Ă©ditĂšrent la saga pour la premiĂšre fois en 1839, Ă  Copenhague. D’autres Ă©ditions savantes suivirent, notamment celle de J. Jakobsen en 1902-1903 et celle de JĂłn JĂłhannesson en 1950.

La saga de Hrafnkell a en outre connu de nombreuses Ă©ditions populaires, ainsi que des traductions dans des langues trĂšs variĂ©es. L’édition publiĂ©e par HalldĂłr Laxness en 1942 Ă©tait particuliĂšrement audacieuse en ce sens que pour la premiĂšre fois, l’orthographe de l’islandais moderne Ă©tait appliquĂ© Ă  un texte en vieux norrois. Plusieurs dĂ©tracteurs y virent une perversion du texte original. Les partisans de ce choix, au contraire, ont fait valoir que l’orthographe du vieux norrois Ă©tait elle-mĂȘme une construction artificielle, pas plus proche des anciens manuscrits que l’orthographe moderne, tout en Ă©tant nettement plus pĂ©nible pour le lecteur. Cette thĂšse l’a depuis largement emportĂ©, et les Ă©ditions actuelles des sagas ont le plus souvent recours aux conventions typographiques modernes.

L'accueil par le lecteur moderne

Aujourd’hui, la saga de Hrafnkell reste l’une des sagas islandaises les plus lues au monde. Les lecteurs apprĂ©cient notamment son intrigue logique et cohĂ©rente, laquelle fait de cette courte saga une premiĂšre lecture idĂ©ale pour qui veut dĂ©couvrir ce genre littĂ©raire si particulier. Le texte est Ă©tudiĂ© en profondeur dans les lycĂ©es islandais, et constitue aussi un bon texte d’introduction pour les Ă©tudiants en vieux norrois. Sigurdhur Nordal (SigurĂ°ur Nordal) a Ă©tĂ© jusqu’à y voir « l’un des romans courts les plus parfaits de la littĂ©rature mondiale ».

Origines

Le fait que la saga de Hrafnkell soit aussi accessible en a prĂ©cisĂ©ment fait un objet d’étude privilĂ©giĂ© pour dĂ©couvrir l’origine exacte des sagas islandaises.

Histoire

Les commentateurs ont longtemps considĂ©rĂ© les sagas comme de fidĂšles comptes-rendus d’évĂ©nements historiques, lesquels auraient Ă©tĂ© transmis oralement pendant plusieurs centaines d’annĂ©es avant d’ĂȘtre couchĂ©s sur le papier par des copistes soucieux de la vĂ©racitĂ© des faits. Les chercheurs du XIXe siĂšcle, en particulier, furent sĂ©duits par cette thĂ©orie. L’idĂ©e fut nĂ©anmoins abandonnĂ©e par les milieux universitaires vers 1940, et seuls quelques amateurs enthousiastes la soutiennent encore.

Beaucoup continuent Ă  voir en la saga de Hrafnkell un exemple typique d’histoire orale prĂ©servĂ©e avec exactitude. La vraisemblance du rĂ©cit, le rĂ©alisme des protagonistes et de leurs rĂ©actions plaident en faveur de cette hypothĂšse, de mĂȘme que l’absence d’élĂ©ments surnaturels. Par ailleurs, la briĂšvetĂ© du texte rend vraisemblable que son contenu ait pu ĂȘtre transmis par voie orale de maniĂšre cohĂ©rente sur une longue pĂ©riode chronologique : le lecteur moderne lui-mĂȘme, aprĂšs deux ou trois lectures, serait capable de raconter l’histoire avec prĂ©cision.

Mais cette interprĂ©tation historique rencontre un certain nombre de difficultĂ©s. Lorsque l’on compare la saga avec d’autres sources de la mĂȘme Ă©poque, notamment le LandnĂĄmabĂłk, plusieurs incohĂ©rences apparaissent immĂ©diatement. Pour ne citer qu’un exemple, le LandnĂĄmabĂłk nous apprend que Hrafnkell avait un pĂšre du nom de Hrafn, alors que la saga l’appelle HallfreĂ°r. La façon dont la saga prĂ©sente les lois de l’époque et la maniĂšre de les appliquer, de mĂȘme, entre souvent en contradiction avec d’autres sources plus fiables.

Littérature

Le travail dĂ©terminant menĂ© par Sigurdur Nordal sur la saga de Hrafnkell constitue une rĂ©volution pour l’étude des sagas islandaises dans leur ensemble

Les incohĂ©rences historiques de la saga, ainsi que d’autres Ă©lĂ©ments, ont conduit Sigurdur Nordal (SigurĂ°ur Nordal) Ă  formuler une thĂ©orie novatrice dans un livre intitulĂ© Hrafnkatla, publiĂ© en 1940. L’ouvrage se nourrit des critiques prĂ©cĂ©demment formulĂ©es et rassemble des informations glanĂ©es Ă  travers l’Islande pour infirmer dĂ©finitivement la thĂšse de la vĂ©racitĂ© historique.

Au-delĂ  des divergences relevĂ©es avec le LandnĂĄmabĂłk et la rĂ©alitĂ© juridique de cette Ă©poque, Sigurdhur ajoute que la saga traite Ă©galement les donnĂ©es gĂ©ographiques de maniĂšre incorrecte. Les vallĂ©es dans lesquelles se dĂ©roulent les pĂ©ripĂ©ties du rĂ©cit, notamment, n’auraient pas pu accueillir une population aussi importante que semble l’impliquer le texte. Quant Ă  la falaise situĂ©e prĂšs d’AdhalbĂłl (AĂ°albĂłl) et oĂč le cheval Freyfaxi aurait trouvĂ© la mort, l’auteur constate qu’elle n’existe tout simplement pas.

À rebours des anciennes thĂ©ories, Sigurdhur voit dans la vraisemblance et la cohĂ©rence de la saga un indice laissant penser qu’un seul et talentueux auteur en serait Ă  l’origine. Selon le chercheur, l’auteur se souciait peu de l’exactitude historique : s’il peut certes avoir consultĂ© quelques documents anciens, il a probablement adaptĂ© leur contenu de maniĂšre Ă  le faire concorder avec l’intrigue de son rĂ©cit : « On a longtemps tenu la Saga de Hrafnkell Godi-de Freyr pour un modĂšle de vĂ©ritĂ© historique, en raison de son apparente objectivitĂ©, de la sĂ©cheresse de la narration et de son allure de reportage rapide, comme si le scribe s'Ă©tait contentĂ© de consigner au plus prĂšs une vieille histoire transmise oralement. Nordal a montrĂ©, semble-t-il irrĂ©futablement, qu'Ă  partir d'un personnage historique et, peut-ĂȘtre, de quelques Ă©vĂšnements authentiques, l'auteur a composĂ© un rĂ©cit parfaitement maĂŻtrisĂ©, mais artificiel. Son but Ă©tait double : il entendait dĂ©montrer, dans un premier temps, que l'excĂšs mĂšne Ă  la perte, puis que la volontĂ© triomphe de tout. On ne peut Ă©videmment parler dans ces conditions, de tradition orale contraignante et de scrupuleuse vĂ©ritĂ© historique »[6].

Folklore

Une autre Ă©cole de pensĂ©e concernant l’origine des sagas est apparue dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle : elle s’attache Ă  souligner les Ă©lĂ©ments de folklore prĂ©sents dans ces textes et Ă  mettre en Ă©vidence la survivance de lĂ©gendes trĂšs anciennes.

Ce courant, en certains points, se rapproche de la vieille idĂ©e relative Ă  la prĂ©servation orale des sagas, mais sans nĂ©cessairement se focaliser sur la question de la vĂ©racitĂ© historique. Les universitaires utilisent les mĂ©thodes de la recherche moderne pour dĂ©terminer, dans une histoire, les Ă©lĂ©ments susceptibles de persister au fil du temps, Ă  l’opposĂ© de ceux n’étant qu’éphĂ©mĂšres. L’expĂ©rience semble suggĂ©rer que l’intrigue centrale des sagas peut se conserver par transmission orale sans difficultĂ© sur le long terme, tandis que des dĂ©tails plus anecdotiques comme le nom des personnages secondaires peuvent Ă©voluer au cours des siĂšcles.

Le chercheur islandais Óskar HalldĂłrsson a Ă©crit une brĂšve Ă©tude sur la saga de Hrafnkell, dans laquelle il critique les travaux de SigurĂ°ur Nordal. Selon HalldĂłrsson, des inexactitudes telles que l’erreur sur le nom du pĂšre du hĂ©ros ne prouvent en rien que la saga ne soit qu’une fiction entiĂšrement inventĂ©e au XIIIe siĂšcle. On peut au contraire y voir la confirmation que l’histoire de Hrafnkell a pu se prĂ©server oralement sur une longue pĂ©riode en ne subissant que des altĂ©rations secondaires, bien aprĂšs la rĂ©daction du LandnĂĄmabĂłk.

Óskar HalldĂłrsson Ă©tablit par ailleurs un lien entre l’épisode de Freyfaxi et la vĂ©nĂ©ration des chevaux, tradition largement rĂ©pandue chez tous les peuples indo-europĂ©ens. La prĂ©sence de ce type de thĂšmes mythiques ou folkloriques, selon lui, indique que de nombreux Ă©lĂ©ments de la saga de Hrafnkell proviennent en rĂ©alitĂ© de l’époque prĂ©-chrĂ©tienne.

Analyses récentes

Le dĂ©bat relatif Ă  la saga de Hrafnkell reste ouvert. Dans un livre publiĂ© en 1988, Hermann PĂĄlsson rĂ©fute Ă  nouveau complĂštement la thĂšse de la transmission orale, et cherche Ă  lier l’Ɠuvre aux grands courants d’idĂ©es de l’Europe mĂ©diĂ©vale. Contrairement aux Ă©tudes prĂ©cĂ©dentes, cet examen a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© Ă  partir de la version longue de la saga. (voir ci-dessus)

JĂłn Hnefill Adhalsteinsson (JĂłn Hnefill AĂ°alsteinsson), dans son Ă©tude rĂ©alisĂ©e en 2000, souligne l’omniprĂ©sence des thĂšmes paĂŻens dans le texte. Tout en admettant qu’une grande partie de l’histoire puisse avoir Ă©tĂ© inventĂ©e au XIIIe siĂšcle, le chercheur a mis en Ă©vidence plusieurs Ă©lĂ©ments semblant relever de la tradition orale, comme les rites sacrificiels accomplis par Hrafnkell ou la personnalitĂ© de Freyfaxi.

JĂłnas KristjĂĄnsson, dans un passage de son ouvrage gĂ©nĂ©ral de 1988 sur les sagas, a efficacement rĂ©conciliĂ© les diffĂ©rentes thĂšses en prĂ©sence au sujet de la saga de Hrafnkell : l’intĂ©rĂȘt principal de cette derniĂšre, rappelle-t-il, rĂ©side en ce qu’ « elle a suscitĂ© de la curiositĂ© pour d’autres textes. Elle est devenue un cas d’école, un exemple classique dans les discussions sur la relation entre la tradition orale rudimentaire et les copistes cultivĂ©s, entre le traditionnel pragmatisme des attitudes et la nouvelle Ă©thique chrĂ©tienne ».

Notes et références

  1. C’est bien Þorkell qui fait cette remarque dans tous les manuscrits. NĂ©anmoins quelques Ă©diteurs ont corrigĂ© et ont attribuĂ© la phrase Ă  Þorgeirr, Ă  la suite d'une remarque de SigurĂ°ur Nordal.
  2. Le rĂ©cit fait par le prĂ©sent article suit l’ordre des Ă©vĂ©nements dans la saga. Quelques commentateurs ont trouvĂ© illogique que le texte ne dĂ©crive pas la mort de Freyfaxi et la rĂ©action de Hrafnkell immĂ©diatement aprĂšs l’humiliation subie par ce dernier Ă  AĂ°albĂłl. SigurĂ°ur Nordal y voyait une faiblesse, mais Óskar HalldĂłrsson a dĂ©fendu cet Ă©tat de fait, au motif que cela rend plus logique l’évolution de la personnalitĂ© du hĂ©ros.
  3. Les exploits des descendants de Hrafnkell sont évoqués dans une suite de moindre qualité, la saga de FljótsdÊla.
  4. Boyer 1987, p. 1874
  5. Boyer 1987, p. 1873
  6. Boyer 1987, p. XXVI

Annexes

Traductions françaises

  • Saga de Hrafnkell prĂȘtre de Thor, adaptation par Jules Leclerq, Revue Britannique, (en ligne sur remacle.org)
  • Pierre Halleux, Aspects littĂ©raires de la Saga de Hrafnkell - Étude accompagnĂ©e du texte islandais (Ă©dition de JĂłn Helgason) et d'une traduction française, Les Belles Lettres, Paris, 1963
  • Trois sagas islandaises du XIIe siĂšcle et un Þáttr, traduit de l'islandais, prĂ©sentĂ© et annotĂ© par RĂ©gis Boyer, Éditions SEVPEN, « École Pratique des hautes Ă©tudes. 6° section. Contribution n° 3 au Centre d'Ă©tudes arctiques et scandinaves », 1964
  • RĂ©gis Boyer, Sagas islandaises, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », , p. 1173-1202 avec notice et notes p. 1869-1887

Études

  • Jonas Kristjansson, Les miniatures islandaises : sagas, histoire, art, La Renaissance du Livre, 2003 (ISBN 2-8046-0822-0).
  • Kaaren Grimstad and Maria Bonner: SĂĄ er svinnr er sik kann. Persuasion and Image in Hrafnkels saga. Arkiv för nordisk filologi 117, 2002:5-28.
  • Maria Bonner and Kaaren Grimstad: Muni vit ekki at ĂŸvĂ­ sĂŠttask. A Closer Look at Dialogues in Hrafnkels saga. Arkiv för nordisk filologi 111, 1996:5-26.
  • Hermann PĂĄlsson Art and Ethics in Hrafnkel's Saga (1971)
  • (is) Hermann PĂĄlsson, MannfrĂŠĂ°i Hrafnkels sögu og frumĂŸĂŠttir, BĂłkaĂștgĂĄfa Menningarsjóðs, ReykjavĂ­k, 1988 ;
  • (is) JĂłn Hnefill AĂ°alsteinsson, Þá hneggjaĂ°i Freyfaxi, HĂĄskĂłlaĂștgĂĄfan, ReykjavĂ­k, 2000 (ISBN 9979-54-431-7) ;
  • (is) JĂłn JĂłhannesson (Ă©d.), Íslenzk fornrit XI - AustfirĂ°inga sögur, HiĂ° Ă­slenzka fornritafĂ©lag, ReykjavĂ­k, 1950 ;
  • (en) JĂłnas KristjĂĄnsson (trad. Peter Foote), Eddas and Sagas. Iceland's Medieval Literature, HiĂ° Ă­slenska bĂłkmenntafĂ©lag, ReykjavĂ­k, 1988 ;
  • Óskar HalldĂłrsson :
    • (is) Uppruni og ĂŸema Hrafnkels sögu, HiĂ° Ă­slenska bĂłkmenntafĂ©lag, Reykjavik, 1976 ;
    • (en) « The origin and theme of Hrafnkels saga », in John Tucker (Ă©d.), Sagas of the Icelanders : a book of essays, Garland, New York, 1989 (ISBN 0-8240-8387-3), p. 257-271 ;
  • SigurĂ°ur Nordal :
    • (is) Hrafnkatla, SigurĂ°ur Nordal, Reykjavik, 1944,
    • (en) (trad. R. George Thomas), Hrafnkels saga FreysgoĂ°a : a study, University of Wales, Cardiff, 1958.

Liens externes

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