Saga de Hrafnkell
La saga de Hrafnkell ou Saga de Hrafnkell Godi-de-Freyr (Hrafnkels saga FreysgoĂ°a en islandais, abrĂ©gĂ© en Hrafnkatla) est une des plus cĂ©lĂšbres sagas islandaises. Probablement Ă©crite Ă la fin du XIIIe siĂšcle, elle fait partie de la catĂ©gorie appelĂ©e Sagas des Islandais (ou Sagas des familles), qui racontent les faits marquants des premiers colonisateurs de l'Islande et de leurs descendants au Xe siĂšcle. Par son style et sa construction elle est un des chefs-d'Ćuvre du genre, et elle a jouĂ© un rĂŽle central dans les Ă©tudes et les dĂ©bats sur lâorigine des sagas islandaises.
Elle retrace lâaffrontement de chefs de clans dans lâest de lâĂźle. Le hĂ©ros Ă©ponyme de lâĆuvre, Hrafnkell, se taille une solide rĂ©putation de duelliste et voue une adoration toute particuliĂšre au dieu Freyr. Une succession de dĂ©faites et dâhumiliations, ainsi que la destruction de son temple vont toutefois lui faire perdre la foi et lâorienter vers lâathĂ©isme. Sa personnalitĂ© sâen trouve modifiĂ©e, et le hĂ©ros apprend Ă interagir de maniĂšre pacifique avec autrui. Ayant ainsi gagnĂ© progressivement la confiance de nouveaux compagnons, il parvient Ă prendre sa revanche sur ses ennemis, et finit sa vie en chef puissant et respectĂ©.
RĂ©cit
Lâhistoire dĂ©bute par le voyage dâun NorvĂ©gien, Hallfredhr (HallfreĂ°r), qui participe vers lâan 900 aux toutes premiĂšres vagues de colonisation de lâIslande. Il prend pied Ă lâest de lâĂźle en compagnie de son fils, Hrafnkell, un jeune homme au courage prometteur. Hrafnkell a de lâambition et dĂ©cide trĂšs vite, en accord avec son pĂšre, de fonder son propre campement. Il choisit une vallĂ©e inhabitĂ©e pour y implanter sa ferme, et nomme lâendroit AdhalbĂłl (AĂ°albĂłl, « Noble Foyer »). Cette vallĂ©e, dĂ»ment identifiĂ©e, sera plus tard rebaptisĂ©e Hrafnkelsdalr (« VallĂ©e de Hrafnkell »).
Hrafnkell y fait par ailleurs Ă©riger un grand temple, oĂč il rĂ©alise de fastueuses cĂ©rĂ©monies sacrificielles. Les meilleures tĂȘtes de son bĂ©tail sont ainsi offertes Ă Freyr, le dieu quâil vĂ©nĂšre plus que tout autre. Il place Ă©galement sous la protection de cette divinitĂ© son cheval islandais prĂ©fĂ©rĂ©, Freyfaxi, et jure quâil mettra Ă mort quiconque le chevauchera sans sa permission. Ces manifestations de ferveur religieuse lui font gagner le surnom de Freysgodhi (FreysgoĂ°i, « PrĂȘtre de Freyr »).
Hrafnkell nourrit une grande soif de pouvoir, et sâimpose comme chef de clan en tyrannisant les habitants des vallĂ©es environnantes. Il est prompt Ă se battre en duel, et ne paie jamais le prix du sang (le wergild) aprĂšs avoir tuĂ© quelquâun.
La saga se penche ensuite sur Einarr, lâun des bergers de Hrafnkell. Une affaire urgente lâoblige un jour Ă monter Ă cheval, mais toutes les bĂȘtes sâenfuient Ă son approche Ă lâexception de Freyfaxi. Câest donc sur le dos de ce dernier quâil part pour la journĂ©e. Par la suite, le cheval retourne de lui-mĂȘme Ă AdhalbĂłl et se met Ă hennir : Hrafnkell, voyant son animal sale et en sueur, rĂ©alise ce qui sâest passĂ©. Il sort alors avec sa hache et tue Einarr Ă contre-cĆur, afin de respecter son serment.
Le pĂšre dâEinarr, Thorbjörn (Ăorbjörn), est bouleversĂ© par la mort de son fils et va trouver Hrafnkell pour rĂ©clamer le prix du sang. Ce dernier lui rĂ©plique quâil ne paie le wergild pour aucun homme. Il admet nĂ©anmoins que ce meurtre est parmi les plus atroces quâil ait commis, et se dit prĂȘt Ă faire amende honorable. Il propose alors Ă Thorbjörn de le loger et le soigner pour le restant de ses jours. Thorbjörn, toutefois, rĂ©pugne Ă cet acte de soumission et exige au minimum un accord formel entre personnes de rang Ă©gal. Face au refus de Hrafnkell, Thorbjörn ne perd pas patience et cherche une maniĂšre de parvenir Ă sâentendre.
Les lois de la communautĂ© islandaise, en effet, garantissaient Ă chaque homme libre les mĂȘmes droits. Mais du fait de lâabsence dâune autoritĂ© exĂ©cutive centrale, un homme ordinaire pouvait rencontrer des difficultĂ©s face Ă un chef de clan. Il devait alors rechercher le soutien dâun autre chef, Ă la fois pour lâaider dans les dĂ©marches lĂ©gales dĂ©jĂ complexes Ă lâĂ©poque et pour faire appliquer ensuite le verdict en cas de succĂšs Ă lâassemblĂ©e.
Thorbjörn sollicite lâaide de son frĂšre Bjarni, qui refuse de sâengager dans une dispute avec le puissant Hrafnkell. Il tente ensuite sa chance auprĂšs de SĂĄmr, le fils de Bjarni. Ce dernier, Ă son tour, lui conseille plutĂŽt dâaccepter lâoffre de Hrafnkell, sans parvenir Ă inflĂ©chir la dĂ©termination du vieil homme. SĂĄmr, qui nâavait au dĂ©part aucune intention de se mĂȘler au conflit, se sent finalement contraint dâaccepter face Ă lâinsistance de son oncle. Le jeune homme accepte formellement de prendre en charge le cas de Thorbjörn dans le procĂšs qui sâannonce, et devient donc le plaignant.
SĂĄmr prĂ©pare son accusation contre Hrafnkell et le convoque Ă lâAlĂŸing pour lâĂ©tĂ© suivant, ce qui ne manque pas de faire rire le puissant chef. Lorsque SĂĄmr et Thorbjörn arrivent Ă Ăingvellir oĂč se tient lâassemblĂ©e, ils dĂ©couvrent rapidement quâaucun grand chef de clan ne souhaite leur offrir son aide. Thorbjörn est cette fois proche de vouloir abandonner, mais SĂĄmr insiste pour que lâaffaire soit menĂ©e Ă son terme dâune maniĂšre ou dâune autre.
SĂĄmr et Thorbjörn tombent alors par hasard sur Thorkell (Ăorkell), un jeune aventurier originaire du Vestfirdhir (VestfirĂ°ir, « Fjords de lâouest »). Lâhomme sympathise avec leur cause et les aide Ă obtenir le soutien de son frĂšre Thorgeirr (Ăorgeirr), un puissant chef. GrĂące Ă cet appui, SĂĄmr peut engager le procĂšs et y dĂ©montrer toute sa compĂ©tence. Hrafnkell est reconnu coupable, et en vertu de ce jugement, SĂĄmr a le droit de tuer Hrafnkell et de confisquer ses biens et ses terres. Le jeune homme, accompagnĂ© de Thorgeirr et Thorkell, arrive Ă AdhalbĂłl trĂšs tĂŽt un matin, surprend Hrafnkell dans son sommeil et parvient Ă le capturer.
On laisse deux possibilitĂ©s Ă Hrafnkell : soit il est exĂ©cutĂ© sur-le-champ, soit il deviendra le subordonnĂ© de SĂĄmr, dĂ©pouillĂ© de son honneur et de ses biens. Hrafnkell, malgrĂ© ce quâil en coĂ»te, choisit de vivre. Thorkell prĂ©dit alors Ă SĂĄmr quâil regrettera dâavoir Ă©pargnĂ© son ennemi[1].
SĂĄmr prend officiellement possession dâAdhalbĂłl et invite les habitants locaux Ă une grande fĂȘte, au cours de laquelle ils reconnaissent le jeune homme comme leur nouveau chef. Hrafnkell, quant Ă lui, part se construire une nouvelle demeure dans une autre vallĂ©e. Son ambition restĂ©e intacte et son moral dâacier lui permettent, aprĂšs quelques annĂ©es de dur labeur, de devenir un respectable fermier.
Thorkell et Thorgeirr, dont la soif de vengeance nâest pas encore assouvie, dĂ©cident de « rendre Freyfaxi Ă son propriĂ©taire » et jettent le cheval du haut dâune falaise. Ils mettent Ă©galement le feu au temple de Hrafnkell. Ayant appris tout cela, Hrafnkell en conclut que « câest une folie de croire aux dieux », et ne rĂ©alise dĂšs lors plus aucun sacrifice. Son comportement devient plus civilisĂ©, et lâancien chef tyrannique se fait beaucoup plus agrĂ©able avec ses serviteurs. Il acquiert ainsi de la popularitĂ© et sâattire la loyautĂ© de son entourage[2].
AprĂšs six annĂ©es de paix, Hrafnkell estime que lâheure de sa revanche a sonnĂ©. Il dĂ©couvre que le frĂšre de SĂĄmr, Eyvindr, effectue un voyage Ă proximitĂ© avec quelques compagnons. Hrafnkell rassemble ses propres hommes et se lance Ă lâattaque. SĂĄmr, sitĂŽt quâil apprend lâembuscade, se rue Ă lâaide de son frĂšre avec quelques hommes, mais arrive trop tard.
Le matin suivant, Hrafnkell surprend SĂĄmr dans son sommeil et lui offre le mĂȘme choix que celui quâil avait reçu de lui six ans auparavant. Tout comme son ennemi autrefois, SĂĄmr prĂ©fĂšre vivre : Hrafnkell se rĂ©installe Ă AdhalbĂłl, son ancienne rĂ©sidence, et reprend ses fonctions de chef de clan.
SĂĄmr part pour lâouest chercher Ă nouveau le soutien de Thorkell et Thorgeirr, mais ces derniers lui rĂ©pliquent quâil est le seul Ă blĂąmer pour son propre malheur : il aurait dĂ» tuer Hrafnkell tant quâil en avait lâoccasion. Câest pourquoi ils refusent dâappuyer SĂĄmr dans une nouvelle lutte contre son rival. Ils lui offrent, en compensation, de rester vivre Ă leurs cĂŽtĂ©s. SĂĄmr dĂ©cline lâinvitation et repart auprĂšs de Hrafnkell, quâil servira jusquâĂ la fin de sa vie sans pouvoir se venger.
Hrafnkell, quant Ă lui, reste un chef respectĂ© jusquâĂ ce quâil meure en paix, entourĂ© des siens. Ses fils deviennent chefs de clans Ă sa suite[3].
De l'Ă©crivain original au lecteur moderne
Manuscrits
Le plus vieux manuscrit subsistant de la saga est un vĂ©lin du XVe siĂšcle, dont il ne reste qu'une seule de ses pages. On a par contre des copies XVIIe siĂšcle sur papier. Lâune des familles de manuscrits en papier (C et C1 dans le schĂ©ma ci-contre), contient une version sensiblement diffĂ©rente de la saga, avec plusieurs additions mineures. La plupart des chercheurs relient ces ouvrages au mĂȘme texte original sur vĂ©lin, mais pensent que les ajouts sont lâĆuvre de lâauteur de la saga de FljĂłtsdĂŠla. Une attention plus soutenue est donc portĂ©e aux versions plus courtes de lâhistoire de Hrafnkell par rapport aux versions plus longues, jugĂ©es apocryphes.
Auteur
Comme la plupart des sagas, le texte est anonyme. Elle est gĂ©nĂ©ralement datĂ©e du dernier quart du XIIIe siĂšcle, avec pour terminus a quo la mort de Sturla Thodarson en 1284 qui ne la cite pas dans le Sturlubok (sa version du landnamabok), oĂč il recense les sagas connus Ă l'Ă©poque[4]. Hermann PĂĄlsson a proposĂ© comme auteur Brandr JĂłnsson, Ă©vĂȘque de HĂłlar de 1263 Ă 1264[5].
Les différentes éditions
P. G. Thorsen et KonrĂĄdh GĂslason (KonrĂĄĂ° GĂslason) Ă©ditĂšrent la saga pour la premiĂšre fois en 1839, Ă Copenhague. Dâautres Ă©ditions savantes suivirent, notamment celle de J. Jakobsen en 1902-1903 et celle de JĂłn JĂłhannesson en 1950.
La saga de Hrafnkell a en outre connu de nombreuses Ă©ditions populaires, ainsi que des traductions dans des langues trĂšs variĂ©es. LâĂ©dition publiĂ©e par HalldĂłr Laxness en 1942 Ă©tait particuliĂšrement audacieuse en ce sens que pour la premiĂšre fois, lâorthographe de lâislandais moderne Ă©tait appliquĂ© Ă un texte en vieux norrois. Plusieurs dĂ©tracteurs y virent une perversion du texte original. Les partisans de ce choix, au contraire, ont fait valoir que lâorthographe du vieux norrois Ă©tait elle-mĂȘme une construction artificielle, pas plus proche des anciens manuscrits que lâorthographe moderne, tout en Ă©tant nettement plus pĂ©nible pour le lecteur. Cette thĂšse lâa depuis largement emportĂ©, et les Ă©ditions actuelles des sagas ont le plus souvent recours aux conventions typographiques modernes.
L'accueil par le lecteur moderne
Aujourdâhui, la saga de Hrafnkell reste lâune des sagas islandaises les plus lues au monde. Les lecteurs apprĂ©cient notamment son intrigue logique et cohĂ©rente, laquelle fait de cette courte saga une premiĂšre lecture idĂ©ale pour qui veut dĂ©couvrir ce genre littĂ©raire si particulier. Le texte est Ă©tudiĂ© en profondeur dans les lycĂ©es islandais, et constitue aussi un bon texte dâintroduction pour les Ă©tudiants en vieux norrois. Sigurdhur Nordal (SigurĂ°ur Nordal) a Ă©tĂ© jusquâĂ y voir « lâun des romans courts les plus parfaits de la littĂ©rature mondiale ».
Origines
Le fait que la saga de Hrafnkell soit aussi accessible en a prĂ©cisĂ©ment fait un objet dâĂ©tude privilĂ©giĂ© pour dĂ©couvrir lâorigine exacte des sagas islandaises.
Histoire
Les commentateurs ont longtemps considĂ©rĂ© les sagas comme de fidĂšles comptes-rendus dâĂ©vĂ©nements historiques, lesquels auraient Ă©tĂ© transmis oralement pendant plusieurs centaines dâannĂ©es avant dâĂȘtre couchĂ©s sur le papier par des copistes soucieux de la vĂ©racitĂ© des faits. Les chercheurs du XIXe siĂšcle, en particulier, furent sĂ©duits par cette thĂ©orie. LâidĂ©e fut nĂ©anmoins abandonnĂ©e par les milieux universitaires vers 1940, et seuls quelques amateurs enthousiastes la soutiennent encore.
Beaucoup continuent Ă voir en la saga de Hrafnkell un exemple typique dâhistoire orale prĂ©servĂ©e avec exactitude. La vraisemblance du rĂ©cit, le rĂ©alisme des protagonistes et de leurs rĂ©actions plaident en faveur de cette hypothĂšse, de mĂȘme que lâabsence dâĂ©lĂ©ments surnaturels. Par ailleurs, la briĂšvetĂ© du texte rend vraisemblable que son contenu ait pu ĂȘtre transmis par voie orale de maniĂšre cohĂ©rente sur une longue pĂ©riode chronologique : le lecteur moderne lui-mĂȘme, aprĂšs deux ou trois lectures, serait capable de raconter lâhistoire avec prĂ©cision.
Mais cette interprĂ©tation historique rencontre un certain nombre de difficultĂ©s. Lorsque lâon compare la saga avec dâautres sources de la mĂȘme Ă©poque, notamment le LandnĂĄmabĂłk, plusieurs incohĂ©rences apparaissent immĂ©diatement. Pour ne citer quâun exemple, le LandnĂĄmabĂłk nous apprend que Hrafnkell avait un pĂšre du nom de Hrafn, alors que la saga lâappelle HallfreĂ°r. La façon dont la saga prĂ©sente les lois de lâĂ©poque et la maniĂšre de les appliquer, de mĂȘme, entre souvent en contradiction avec dâautres sources plus fiables.
Littérature
Les incohĂ©rences historiques de la saga, ainsi que dâautres Ă©lĂ©ments, ont conduit Sigurdur Nordal (SigurĂ°ur Nordal) Ă formuler une thĂ©orie novatrice dans un livre intitulĂ© Hrafnkatla, publiĂ© en 1940. Lâouvrage se nourrit des critiques prĂ©cĂ©demment formulĂ©es et rassemble des informations glanĂ©es Ă travers lâIslande pour infirmer dĂ©finitivement la thĂšse de la vĂ©racitĂ© historique.
Au-delĂ des divergences relevĂ©es avec le LandnĂĄmabĂłk et la rĂ©alitĂ© juridique de cette Ă©poque, Sigurdhur ajoute que la saga traite Ă©galement les donnĂ©es gĂ©ographiques de maniĂšre incorrecte. Les vallĂ©es dans lesquelles se dĂ©roulent les pĂ©ripĂ©ties du rĂ©cit, notamment, nâauraient pas pu accueillir une population aussi importante que semble lâimpliquer le texte. Quant Ă la falaise situĂ©e prĂšs dâAdhalbĂłl (AĂ°albĂłl) et oĂč le cheval Freyfaxi aurait trouvĂ© la mort, lâauteur constate quâelle nâexiste tout simplement pas.
Ă rebours des anciennes thĂ©ories, Sigurdhur voit dans la vraisemblance et la cohĂ©rence de la saga un indice laissant penser quâun seul et talentueux auteur en serait Ă lâorigine. Selon le chercheur, lâauteur se souciait peu de lâexactitude historique : sâil peut certes avoir consultĂ© quelques documents anciens, il a probablement adaptĂ© leur contenu de maniĂšre Ă le faire concorder avec lâintrigue de son rĂ©cit : « On a longtemps tenu la Saga de Hrafnkell Godi-de Freyr pour un modĂšle de vĂ©ritĂ© historique, en raison de son apparente objectivitĂ©, de la sĂ©cheresse de la narration et de son allure de reportage rapide, comme si le scribe s'Ă©tait contentĂ© de consigner au plus prĂšs une vieille histoire transmise oralement. Nordal a montrĂ©, semble-t-il irrĂ©futablement, qu'Ă partir d'un personnage historique et, peut-ĂȘtre, de quelques Ă©vĂšnements authentiques, l'auteur a composĂ© un rĂ©cit parfaitement maĂŻtrisĂ©, mais artificiel. Son but Ă©tait double : il entendait dĂ©montrer, dans un premier temps, que l'excĂšs mĂšne Ă la perte, puis que la volontĂ© triomphe de tout. On ne peut Ă©videmment parler dans ces conditions, de tradition orale contraignante et de scrupuleuse vĂ©ritĂ© historique »[6].
Folklore
Une autre Ă©cole de pensĂ©e concernant lâorigine des sagas est apparue dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle : elle sâattache Ă souligner les Ă©lĂ©ments de folklore prĂ©sents dans ces textes et Ă mettre en Ă©vidence la survivance de lĂ©gendes trĂšs anciennes.
Ce courant, en certains points, se rapproche de la vieille idĂ©e relative Ă la prĂ©servation orale des sagas, mais sans nĂ©cessairement se focaliser sur la question de la vĂ©racitĂ© historique. Les universitaires utilisent les mĂ©thodes de la recherche moderne pour dĂ©terminer, dans une histoire, les Ă©lĂ©ments susceptibles de persister au fil du temps, Ă lâopposĂ© de ceux nâĂ©tant quâĂ©phĂ©mĂšres. LâexpĂ©rience semble suggĂ©rer que lâintrigue centrale des sagas peut se conserver par transmission orale sans difficultĂ© sur le long terme, tandis que des dĂ©tails plus anecdotiques comme le nom des personnages secondaires peuvent Ă©voluer au cours des siĂšcles.
Le chercheur islandais Ăskar HalldĂłrsson a Ă©crit une brĂšve Ă©tude sur la saga de Hrafnkell, dans laquelle il critique les travaux de SigurĂ°ur Nordal. Selon HalldĂłrsson, des inexactitudes telles que lâerreur sur le nom du pĂšre du hĂ©ros ne prouvent en rien que la saga ne soit quâune fiction entiĂšrement inventĂ©e au XIIIe siĂšcle. On peut au contraire y voir la confirmation que lâhistoire de Hrafnkell a pu se prĂ©server oralement sur une longue pĂ©riode en ne subissant que des altĂ©rations secondaires, bien aprĂšs la rĂ©daction du LandnĂĄmabĂłk.
Ăskar HalldĂłrsson Ă©tablit par ailleurs un lien entre lâĂ©pisode de Freyfaxi et la vĂ©nĂ©ration des chevaux, tradition largement rĂ©pandue chez tous les peuples indo-europĂ©ens. La prĂ©sence de ce type de thĂšmes mythiques ou folkloriques, selon lui, indique que de nombreux Ă©lĂ©ments de la saga de Hrafnkell proviennent en rĂ©alitĂ© de lâĂ©poque prĂ©-chrĂ©tienne.
Analyses récentes
Le dĂ©bat relatif Ă la saga de Hrafnkell reste ouvert. Dans un livre publiĂ© en 1988, Hermann PĂĄlsson rĂ©fute Ă nouveau complĂštement la thĂšse de la transmission orale, et cherche Ă lier lâĆuvre aux grands courants dâidĂ©es de lâEurope mĂ©diĂ©vale. Contrairement aux Ă©tudes prĂ©cĂ©dentes, cet examen a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© Ă partir de la version longue de la saga. (voir ci-dessus)
JĂłn Hnefill Adhalsteinsson (JĂłn Hnefill AĂ°alsteinsson), dans son Ă©tude rĂ©alisĂ©e en 2000, souligne lâomniprĂ©sence des thĂšmes paĂŻens dans le texte. Tout en admettant quâune grande partie de lâhistoire puisse avoir Ă©tĂ© inventĂ©e au XIIIe siĂšcle, le chercheur a mis en Ă©vidence plusieurs Ă©lĂ©ments semblant relever de la tradition orale, comme les rites sacrificiels accomplis par Hrafnkell ou la personnalitĂ© de Freyfaxi.
JĂłnas KristjĂĄnsson, dans un passage de son ouvrage gĂ©nĂ©ral de 1988 sur les sagas, a efficacement rĂ©conciliĂ© les diffĂ©rentes thĂšses en prĂ©sence au sujet de la saga de Hrafnkell : lâintĂ©rĂȘt principal de cette derniĂšre, rappelle-t-il, rĂ©side en ce quâ « elle a suscitĂ© de la curiositĂ© pour dâautres textes. Elle est devenue un cas dâĂ©cole, un exemple classique dans les discussions sur la relation entre la tradition orale rudimentaire et les copistes cultivĂ©s, entre le traditionnel pragmatisme des attitudes et la nouvelle Ă©thique chrĂ©tienne ».
Notes et références
- Câest bien Ăorkell qui fait cette remarque dans tous les manuscrits. NĂ©anmoins quelques Ă©diteurs ont corrigĂ© et ont attribuĂ© la phrase Ă Ăorgeirr, Ă la suite d'une remarque de SigurĂ°ur Nordal.
- Le rĂ©cit fait par le prĂ©sent article suit lâordre des Ă©vĂ©nements dans la saga. Quelques commentateurs ont trouvĂ© illogique que le texte ne dĂ©crive pas la mort de Freyfaxi et la rĂ©action de Hrafnkell immĂ©diatement aprĂšs lâhumiliation subie par ce dernier Ă AĂ°albĂłl. SigurĂ°ur Nordal y voyait une faiblesse, mais Ăskar HalldĂłrsson a dĂ©fendu cet Ă©tat de fait, au motif que cela rend plus logique lâĂ©volution de la personnalitĂ© du hĂ©ros.
- Les exploits des descendants de Hrafnkell sont évoqués dans une suite de moindre qualité, la saga de FljótsdÊla.
- Boyer 1987, p. 1874
- Boyer 1987, p. 1873
- Boyer 1987, p. XXVI
Annexes
Traductions françaises
- Saga de Hrafnkell prĂȘtre de Thor, adaptation par Jules Leclerq, Revue Britannique, (en ligne sur remacle.org)
- Pierre Halleux, Aspects littĂ©raires de la Saga de Hrafnkell - Ătude accompagnĂ©e du texte islandais (Ă©dition de JĂłn Helgason) et d'une traduction française, Les Belles Lettres, Paris, 1963
- Trois sagas islandaises du XIIe siĂšcle et un ĂĂĄttr, traduit de l'islandais, prĂ©sentĂ© et annotĂ© par RĂ©gis Boyer, Ăditions SEVPEN, « Ăcole Pratique des hautes Ă©tudes. 6° section. Contribution n° 3 au Centre d'Ă©tudes arctiques et scandinaves », 1964
- Régis Boyer, Sagas islandaises, Gallimard, coll. « BibliothÚque de la Pléiade », , p. 1173-1202 avec notice et notes p. 1869-1887
Ătudes
- Jonas Kristjansson, Les miniatures islandaises : sagas, histoire, art, La Renaissance du Livre, 2003 (ISBN 2-8046-0822-0).
- Kaaren Grimstad and Maria Bonner: Så er svinnr er sik kann. Persuasion and Image in Hrafnkels saga. Arkiv för nordisk filologi 117, 2002:5-28.
- Maria Bonner and Kaaren Grimstad: Muni vit ekki at ĂŸvĂ sĂŠttask. A Closer Look at Dialogues in Hrafnkels saga. Arkiv för nordisk filologi 111, 1996:5-26.
- Hermann PĂĄlsson Art and Ethics in Hrafnkel's Saga (1971)
- (is) Hermann PĂĄlsson, MannfrĂŠĂ°i Hrafnkels sögu og frumĂŸĂŠttir, BĂłkaĂștgĂĄfa Menningarsjóðs, ReykjavĂk, 1988 ;
- (is) JĂłn Hnefill AĂ°alsteinsson, ĂĂĄ hneggjaĂ°i Freyfaxi, HĂĄskĂłlaĂștgĂĄfan, ReykjavĂk, 2000 (ISBN 9979-54-431-7) ;
- (is) JĂłn JĂłhannesson (Ă©d.), Ăslenzk fornrit XI - AustfirĂ°inga sögur, HiĂ° Ăslenzka fornritafĂ©lag, ReykjavĂk, 1950 ;
- (en) JĂłnas KristjĂĄnsson (trad. Peter Foote), Eddas and Sagas. Iceland's Medieval Literature, HiĂ° Ăslenska bĂłkmenntafĂ©lag, ReykjavĂk, 1988 ;
- Ăskar HalldĂłrsson :
- (is) Uppruni og ĂŸema Hrafnkels sögu, HiĂ° Ăslenska bĂłkmenntafĂ©lag, Reykjavik, 1976 ;
- (en) « The origin and theme of Hrafnkels saga », in John Tucker (éd.), Sagas of the Icelanders : a book of essays, Garland, New York, 1989 (ISBN 0-8240-8387-3), p. 257-271 ;
- SigurĂ°ur Nordal :
- (is) Hrafnkatla, SigurĂ°ur Nordal, Reykjavik, 1944,
- (en) (trad. R. George Thomas), Hrafnkels saga FreysgoĂ°a : a study, University of Wales, Cardiff, 1958.
Liens externes
- (is) Texte intégral de la saga de Hrafnkell, en langue originale ,
- Les sagas et le droit - un essai de SebastiĂĄn Nowenstein ;
- (en) « Photographies des manuscrits »(Archive.org ⹠Wikiwix ⹠Archive.is ⹠Google ⹠Que faire ?) ;
- (en) Essai sur le héros de la saga de Hrafnkell ;
- (en) Essai sur les éléments mythiques dans la saga de Hrafnkell ;
- (en) Les proverbes dans la saga de Hrafnkell.