Rapport entre sujet et prédicat
En syntaxe il y a plusieurs visions concernant le rapport entre sujet et prédicat du point de vue hiérarchique.
Dans certaines grammaires scolaires traditionnelles, le sujet et le prĂ©dicat sont considĂ©rĂ©s comme les deux constituants fondamentaux de la phrase simple. Parmi elles, certaines prennent en compte deux rapports syntaxiques, la coordination et la subordination, prĂ©cisent que le prĂ©dicat sâaccorde avec le sujet, mais ne traitent pas du statut hiĂ©rarchique de lâun par rapport Ă lâautre[1].
Pour une autre grammaire traditionnelle qui admet seulement lâexistence des rapports de coordination et de subordination, Avram 1997, le rapport entre ces constituants « est encadrĂ© Ă la subordination grĂące Ă lâaccord, qui indique que le prĂ©dicat sâoriente dâaprĂšs le sujet comme un dĂ©terminant dâaprĂšs son dĂ©terminĂ© ; cependant, ce rapport a des particularitĂ©s qui font parler dâun rapport dâinhĂ©rence ou dâinterdĂ©pendance, comme dâun rapport diffĂ©rent aussi bien de la subordination que de la coordination »[2].
Dâautres grammaires traditionnelles, comme Balogh 1971, Grevisse et Goosse 2007 ou KĂĄlmĂĄnnĂ© Bors et A. JĂĄszĂł 2007, qui considĂšrent elles aussi le sujet et le prĂ©dicat comme les constituants principaux de la phrase, adoptent lâidĂ©e de rapport dâinterdĂ©pendance[3], de prĂ©dication[4] ou prĂ©dicatif[5].
Certaines grammaires scolaires combinent des visions traditionnelles avec certaines non traditionnelles. Parmi celles-ci il y en a qui acceptent partiellement dâidĂ©e du rapport dâinterdĂ©pendance[6], mais dâautres la rejettent complĂštement et affirment que le sujet est subordonnĂ© au prĂ©dicat[7], en adoptant cette vision de grammaires non traditionnelles comme TesniĂšre 1959.
Arguments pour lâinterdĂ©pendance
La qualification du rapport entre sujet et prĂ©dicat comme spĂ©cifique, ni de coordination ni de subordination, mais dâinterdĂ©pendance, part de lâimpossibilitĂ© de dĂ©finir le sujet et le prĂ©dicat dâune façon satisfaisante. Leurs dĂ©finitions ne peuvent ĂȘtre que circulaires : le sujet est dĂ©fini par ses rapports avec le prĂ©dicat, et le prĂ©dicat par ses rapports avec le sujet. En fait, leur relation serait de solidaritĂ© rĂ©ciproque[8].
LâinterdĂ©pendance entre sujet et prĂ©dicat est tout dâabord logique. En prenant pour exemple une phrase comme (hu) A lĂĄny olvas « La fille lit », on constate que les deux constituants de la phrase limitent rĂ©ciproquement leurs sphĂšres sĂ©mantiques. Il y a de nombreux lecteurs possibles, mais en prĂ©cisant le sujet, on limite Ă une certaine sphĂšre les larges possibilitĂ©s du prĂ©dicat. Ă propos de la fille Ă©galement, on peut dire beaucoup de choses, mais dans cette phrase on choisit, parmi de nombreuses possibilitĂ©s, celle quâelle lit. Par consĂ©quent, du point de vue logique, il y a rĂ©ciprocitĂ© entre les deux constituants[9].
Il y a rĂ©ciprocitĂ© du point de vue structurel aussi. En gĂ©nĂ©ral, les deux constituants portent des morphĂšmes diffĂ©rents, spĂ©cifiques Ă leur nature, mais se caractĂ©risent par certains traits grammaticaux communs, principalement le nombre et la personne, ainsi que, dans certaines langues et dans certains cas, le genre. Ainsi, les deux constituants se rĂ©fĂšrent lâun Ă lâautre. Ces traits sont imposĂ©s par le sujet au prĂ©dicat par le phĂ©nomĂšne dâaccord, alors que le prĂ©dicat impose, par le phĂ©nomĂšne de rection, une certaine forme au sujet, par exemple, dans les langues Ă dĂ©clinaison, un certain cas grammatical, spĂ©cifiquement le nominatif[10] - [9].
Le sujet et le prĂ©dicat nâont pas de rĂ©gissant, au contraire, les autres constituants de la phrase leur sont directement ou indirectement subordonnĂ©s. Il y a des cas dâabsence de lâun ou de lâautre, mais dans la phrase analysable ils sont toujours indiquĂ©s par un certain facteur[9].
Pour le sujet, ce facteur peut ĂȘtre morphologique, constituĂ© par la dĂ©sinence du verbe, y compris quand elle nâest pas effective, mais zĂ©ro, le sujet Ă©tant implicite dans ce cas. En français, câest le cas au mode impĂ©ratif seulement (Dormez en paix[11]), mais dans dâautres langues, le sujet peut ĂȘtre implicite Ă tous les modes personnels: (ro) Ètiu prea bine ce vrei sÄ-mi spui « Je sais trĂšs bien ce que tu veux me dire »[12] ; (hu) Olvasol « Tu lis »[9] ; (hr) Odlazim « Je mâen vais »[13].
Le facteur se rĂ©fĂ©rant aux deux constituants en leur absence effective peut ĂȘtre sĂ©mantique, lorsquâils sont sous-entendus grĂące au contexte verbal, [(ro) â Cine a venit? â Mama « â Qui est venu ? â Maman »[14] ; (hr) Luki o svemu tome ni rijeÄi « MĂȘme pas un mot Ă Luka sur tout ça »[13]], ou au contexte situationnel : Pardon[15] (= Je te/vous demande pardon), (hu) Vizet! « De lâeau ! » (= « Je demande de lâeau »)[9].
Arguments pour la subordination
Une grammaire traditionnelle pour lâessentiel, Lengyel 2000, accepte en partie lâidĂ©e de lâinterdĂ©pendance, en la limitant Ă lâaspect logique du rapport, et en affirmant que du point de vue grammatical, le sujet est subordonnĂ© au prĂ©dicat. Cette opinion est fondĂ©e, entre autres, sur le fait quâil nâest pas toujours nĂ©cessaire que le sujet soit exprimĂ© par un mot Ă part, et que le prĂ©dicat peut constituer une phrase analysable effectivement dĂ©pourvue de sujet[16], comme le font les verbes exprimant certains phĂ©nomĂšnes naturels : (fr) Il pleut[17], (ro) E cald « Il fait chaud »[18], (hu) Havazik « Il neige »[19].
Une grammaire structurale comme celle de Lucien TesniĂšre traite uniquement de lâaspect grammatical du rapport. Pour elle, le prĂ©dicat est la seule base de la phrase, dont dĂ©pend un certain nombre de constituants de celle-ci appelĂ©s actants. Ils dĂ©nomment les animĂ©s ou les inanimĂ©s qui participent Ă ce que le verbe exprime et dĂ©pendent de celui-ci par des restrictions de forme. Les actants sont le sujet et les complĂ©ments d'objets (direct et indirect dâattribution) du prĂ©dicat. Ainsi, le sujet est inclus parmi les subordonnĂ©s au prĂ©dicat. En fonction de son sens, le verbe a une certaine valence, pouvant ĂȘtre avalent (sans aucun actant), monovalent (avec sujet seulement), bivalent (avec sujet et un objet) ou trivalent (avec sujet et les deux espĂšces dâobjets)[20].
TesniĂšre reprĂ©sente les rapports syntaxiques par des arbres appelĂ©s stemmas. Par exemple, par lâarbre de la phrase Alfred parle lentement, il illustre la vision quâil conteste, selon laquelle le sujet et le prĂ©dicat ont le mĂȘme statut hiĂ©rarchique. Par lâarbre de la phrase (la) Filius amat patrem « Le fils aime le pĂšre », il reprĂ©sente sa vision sur le sujet et le complĂ©ment comme Ă©tant tous les deux subordonnĂ©s au prĂ©dicat avec le mĂȘme statut hiĂ©rarchique[21].
Cette vision se retrouve dans des grammaires descriptives non traditionnelles actuelles. Par exemple, pour Ă. Kiss 2006 aussi, le sujet est rĂ©gi par le verbe au mĂȘme titre que le COD et les complĂ©ments qui dĂ©nomment des personnes et des choses, auxquelles elle ajoute les complĂ©ments qui dĂ©nomment des lieux et des notions de temps, qui participent tous Ă ce que le verbe exprime. Elle en exclut les complĂ©ments qui ne dĂ©nomment pas, tel le complĂ©ment circonstanciel de maniĂšre[22].
Certaines grammaires scolaires actuelles adoptent Ă©galement cette vision, mĂȘme si par ailleurs elles continuent des visions traditionnelles. Pour Becherelle 3 1990, par exemple, le verbe est le noyau de la phrase, autour duquel sâarticulent ses autres constituants[23]. Dans BariÄ 1997, cette idĂ©e apparaĂźt avec la formulation « le prĂ©dicat ouvre des places » Ă tous ses complĂ©ments et au sujet[24], Ă©tant « le mot de la phrase qui ouvre une place Ă soi-mĂȘme »[25].
Notes et références
- Par exemple Coteanu 1982 ou BÄrbuÈÄ 2000 (grammaires du roumain).
- Avram 1997, p. 323 (grammaire roumaine).
- Terme qui apparaĂźt en dehors dâAvram 1997, dans des dictionnaires de linguistique tels Bussmann 1998, (p. 1139, en anglais interdependence) ou Bidu-VrÄnceanu 1997 (p. 255, en roumain interdependenÈÄ), qui ne prennent pas position pour ou contre lâidĂ©e de ce rapport.
- Terme utilisé par Grevisse et Goosse 2007 (p. 245) et apparaissant dans Bussmann 1998 (p. 931, article predication 3).
- Terme utilisé par Balogh 1971 (p. 288, grammaire hongroise) ou Kålmånné Bors et A. Jåszó 2007 (p. 354, grammaire hongroise).
- Par exemple Lengyel 2000 (grammaire hongroise).
- Par exemple BariÄ 1997 (grammaire croate).
- Grevisse et Goosse 2007, p. 245-246.
- Kålmånné Bors et A. Jåszó 2007, p. 354.
- Bidu-VrÄnceanu 1997, p. 255.
- Grevisse et Goosse 2007, p. 980.
- BÄrbuÈÄ 2000, p. 23.
- BariÄ 1997, p. 423.
- Avram 1997, p. 315.
- Grevisse et Goosse 2007, p. 1414.
- Lengyel 2000.
- Grevisse et Goosse 2007, p. 248.
- BÄrbuÈÄ 2000, p. 240.
- Kålmånné Bors et A. Jåszó 2007, p. 375.
- TesniĂšre 1959, citĂ© par Bidu-VrÄnceanu 1997, p. 17.
- TesniĂšre 1959, p. 104.
- Ă. Kiss 2006, p. 88 (grammaire hongroise).
- Bescherelle 3 1990, p. 283.
- BariÄ 1997, p. 397.
- BariÄ 1997, p. 400.
Sources bibliographiques
- (ro) Avram, Mioara, Gramatica pentru toÈi [« Grammaire pour tous »], Bucarest, Humanitas, 1997 (ISBN 973-28-0769-5)
- (hu) Balogh, DezsĆ ; GĂĄlffy, MĂłzes ; J. Nagy, MĂĄria, A mai magyar nyelv kĂ©zikönyve [« Guide de la langue hongroise dâaujourdâhui »], Bucarest, Kriterion, 1971
- (hr) BariÄ, Eugenija et al., Hrvatska gramatika [« Grammaire croate »], Zagreb, Ć kolska knjiga, , 2e Ă©d. (ISBN 978-953-0-40010-8).
- (ro) BÄrbuÈÄ, Ion et al., Gramatica uzualÄ a limbii romĂąne [« Grammaire usuelle du roumain »], ChiÈinÄu, Litera, 2000 (ISBN 9975-74-295-5) (consultĂ© le )
- (ro) Bidu-VrÄnceanu, Angela et al., DicÈionar general de ÈtiinÈe. ÈtiinÈe ale limbii [« Dictionnaire gĂ©nĂ©ral des sciences. Sciences de la langue »], Bucarest, Editura ÈtiinÈificÄ, 1997 (ISBN 973-440229-3) (consultĂ© le )
- (en) Bussmann, Hadumod (dir.), Dictionary of Language and Linguistics [« Dictionnaire de la langue et de la linguistique »], Londres â New York, Routledge, 1998 (ISBN 0-203-98005-0) (consultĂ© le )
- (ro) Coteanu, Ion, Gramatica de bazÄ a limbii romĂąne [« Grammaire de base du roumain »], Bucarest, Albatros, 1982 (consultĂ© le )
- (hu) Ă. Kiss, Katalin, « 5. fejezet â Mondattan » [« Chapitre 5 â Syntaxe »], Kiefer, Ferenc (dir.), Magyar nyelv, [« La langue hongroise »], Budapest, AkadĂ©miai KiadĂł, 2006 (ISBN 963-05-8324-0), p. 72-107 (consultĂ© le )
- La grammaire pour tous, Paris, Hatier, colecÈia Bescherelle, 1990 (ISBN 2-218-02471-3) (Bescherelle 3)
- Grevisse, Maurice et Goosse, André, Le Bon Usage. Grammaire française, Bruxelles, De Boeck Université, 2007, 14e édition, (ISBN 978-2-8011-1404-9) (consulté le )
- (hu) Kålmånné Bors, Irén et A. Jåszó, Anna, « Az egyszerƱ mondat » [« La phrase simple »], A. Jåszó, Anna (dir.), A magyar nyelv könyve [« Le livre de la langue hongroise »], 8e édition, Budapest, Trezor, 2007 (ISBN 978-963-8144-19-5), p. 345-436 (consulté le )
- (hu) Lengyel, KlĂĄra, « Az ĂĄllĂtmĂĄny » [« Le prĂ©dicat »], Magyar NyelvĆr, no 1, 2000 (consultĂ© le )
- TesniĂšre, Lucien, ĂlĂ©ments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck, 1959 (consultĂ© le )