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Racisme en Tunisie

Le racisme en Tunisie prend différentes formes et peut être appréhendé à l'échelle individuelle ou collective. Dans le passé, l'esclavage a été pratiqué sur le territoire et aboli officiellement en 1846. Cependant, les Noirs restent une population qui subit le racisme. Les Noirs tunisiens, représentant environ 15 % de la population, sont des descendants d'esclaves pour l'essentiel.

Plaque dans la médina de Tunis désignant la rue des Nègres.

Racisme anti-Noirs

Le racisme cible les Noirs, environ 15 % de la population, qui sont des descendants d'esclaves pour l'essentiel[1], mais aussi des immigrés[1] - [2].

Les Subsahariens résidents ont sollicité la protection des autorités et dénoncé les agressions répétées, les violences physiques et verbales qui sont leur lot quotidien. La population est toutefois majoritairement indifférente malgré la loi pénalisant les discriminations[3].

Cimetière segrégé

Le migrant noir a souvent été perçu en Tunisie comme un immigré manquant d'éducation, ne parlant pas l'arabe et étant de confession chrétienne[4]. À Djerba, le cimetière, près d'une mosquée, est ségrégé[4] - [5].

Termes se référant à l'esclavage

À Djerba et Médenine, nombreux sont les Noirs à porter le nom Atig, qui signifie descendant d'esclave, sur leur carte d'identité[6] - [7] - [8]. Il est aussi courant pour les Noirs de s'entendre qualifier de chouchane, abid ou oussif, ce qui signifie « esclave »[9] - [10].

Saadia Mosbah mentionne l'héritage esclavagiste en Tunisie lors d'un different en 1986 à Djerba. Une femme lui demande alors[11] :

« Tu es la négresse de qui ? »

Lutte anti-raciste

80 % des Tunisiens penseraient que la discrimination est un problème dans leur pays[6].

Maha Abdelhamid, chercheuse associée au Centre arabe de recherches et d'études politiques[12], est une pionnière dans la lutte contre le racisme en Tunisie. Elle commence à militer sur les réseaux sociaux[13] avant de fonder en 2012 avec Houda Mzioudet et d'autres militantes antiracistes l'association ADAM pour l'égalité et le développement, la première association pour la défense des Noirs en Tunisie[14]. Saadia Mosbah, hôtesse de l'air puis cheffe de cabine à Tunisair, subit le racisme dans son milieu professionnel[15] - [16], puis prend la tête de l'association Mnemty après deux tentatives infructueuses de lancer une association avant la révolution de 2011[15] et s'engage activement contre ce phénomène, qu'elle définit comme « quelque chose de silencieux, de rampant », et contre le déni du problème par les autorités tunisiennes[16].

Séminaire de l'association Mnemty en 2018.

En 2015, Mosbah cherche à susciter un débat national sur ce sujet et obtenir la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité, tout en regrettant que la Constitution de 2014 soit imprécise sur les droits des minorités et la définition de la discrimination et que les Noirs tunisiens soient peu représentés au gouvernement et à l'Assemblée des représentants du peuple[16]. Elle contribue par son action à la large adoption (125 voix sur 131) de la loi antiraciste le [17]. Elle se félicite également, quelques mois plus tard, que la Tunisie proclame le 23 janvier comme la journée nationale de l'abolition de l'esclavage[18].

Toutefois, en 2020, si Mosbah signale que le silence a été rompu et que deux affaires judiciaires ont abouti à des jugements, elle pointe la lenteur des procédures et s'inquiète du manque d'intérêt politique pour ce sujet : « Nous n'avons pas constaté de volonté politique lors des dernières élections [présidentielle et législatives de 2019], personne n'a parlé du racisme. On retournerait même à la case départ en disant que c'est un faux problème [...] Il y a comme un retour au déni »[19]. Pour sa part, déçue par l'exclusion et l'invisibilité des femmes noires en Tunisie et même dans l'espace féministe, Abdelhamid s'indigne et déclare : « Les femmes noires tunisiennes vivent toujours dans une société à la fois patriarcale et raciste »[20]. Elle lance le 23 janvier de la même année, avec d'autres militantes, le premier mouvement de femmes noires tunisiennes : Anbar, voix des femmes tunisiennes noires, dont le but est d'encourager les femmes noires tunisiennes à s'affirmer et se débarrasser de l'invisibilité que leur impose la société. Le choix de la date n'est pas anodin puisque le 23 janvier est une date symbolique correspondant à la date d'abolition de l'esclavage en Tunisie en 1846[20].

Épisodes et faits de racisme

Le , une jeune Ivoirienne échappe in extremis à une tentative d'égorgement à Tunis. Le même mois, deux étudiantes congolaises sont poignardées en plein centre-ville[3].

En 2017, un douanier tunisien noir, en vacances dans l'est du pays, est agressé par un serveur qui refuse de le servir à cause de la couleur de sa peau[3] - [21].

Le , Falikou Coulibaly, âgé de 33 ans et père de deux enfants, est poignardé à mort à Tunis[22], deux mois après l'adoption de la loi pénalisant le racisme dans le pays par des peines pouvant aller jusqu'à trois ans de prison[1].

Anthony Gianni, un subsaharien, constate en 2019 que sa couleur de peau pose problème moins d'un mois après son arrivée en Tunisie[3] :

« J'ai arrêté de compter les insultes, les moqueries et les gestes de discrimination dus à ma peau. Mais ce n'est rien, comparé à mes amis qui se sont fait gifler dans le métro sans que personne réagisse, ou comparé à ceux qui se sont fait égorger un 25 décembre ou qui ont pris des coups et blessures… Rassurez-vous, on va quitter votre beau pays. »

En , un groupe d'experts de l'ONU condamne la montée du racisme en accusant la Tunisie de perpétrer des expulsions collectives de migrants subsahariens, soumis à un « racisme brutal »[23].

Crise de 2023

Les violences et brutalités faites sur les étrangers prennent un virage significatif après les propos tenus par le président Kaïs Saïed le .

Déroulement

Lors d'une réunion du Conseil de sécurité nationale, le , le président Kaïs Saïed décrit l'immigration clandestine comme une « entreprise criminelle ourdie à l'orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman »[24]. Il accuse par ailleurs des « hordes de migrants illégaux de perpétrer des actes violents, criminels et contraires à la loi »[25].

Selon Le Monde et Le Point, le président tunisien reprendrait à son compte la théorie du grand remplacement[26] - [27], ses déclarations s'inscrivant dans la ligne du Parti nationaliste tunisien, qui diffuse des accusations de conspiration assimilée au sionisme et à la colonisation de la Palestine, et dans un contexte plus large de fausses informations et de stéréotypes anti-noirs diffusés sur les réseaux sociaux et dans les médias[25].

Si Saïed se ravise le lendemain et affirme, avec l'appui du ministre des Affaires étrangères Nabil Ammar, que les migrants en situation régulière ne seront pas dérangés[25], ses propos sont condamnés par l'Union africaine par la voix du président de la Commission, Moussa Faki[28]. Il s'ensuit par ailleurs une vague de violences, d'agressions et d'expulsions à l'encontre des populations d'Afrique subsaharienne[29]. On rapporte notamment que des jeunes attaquent des biens ou des personnes, comme à La Soukra et Sfax, et que les violences visent aussi bien des migrants que des Noirs tunisiens ; des arrestations arbitraires sont également signalées[25]. Des centaines de personnes se retrouvent alors sans abri et sans emploi[25].

Le , le ministère des Affaires étrangères propose l'exonération des pénalités de séjour pour les migrants souhaitant rentrer volontairement dans leur pays. Le lendemain, les autorités rejettent les accusations de racisme et annoncent, dans une démarche d'apaisement, des mesures pour faciliter les procédures de séjour des étudiants subsahariens et assouplir celles pour les départs volontaires de migrants irréguliers vers leur pays[30].

Rapatriements

Face au discours du président tunisien et aux agressions racistes qui s'ensuivent, des centaines d'immigrés subsahariens sont rapatriés vers leurs pays d'origine, laissant plusieurs centaines d'autres dans une relative psychose dû à un climat d'insécurité grandissante.

En Guinée, les autorités gouvernementales affrètent plusieurs vols spéciaux au départ de Tunisie pour rapatrier les populations guinéennes victimes d'actes de racisme. Le président Mamadi Doumbouya est lui-même présent à l'aéroport de Conakry pour accueillir les rapatriés partis. Des vidéos circulant sur des réseaux sociaux montrent quelques Tunisiens qui sont à la tour expulsés de la Guinée et escortés par du personnel et des équipements des forces gouvernementales.

Le , près de 300 Ivoiriens et Maliens sont rapatriés[31] - [32] dont environ la moitié sont des étudiants[33] - [34]. Les Ivoiriens, environ 7 000 en Tunisie, soit la plus grande communauté d'Africains subsahariens dans le pays, sont environ 1 000 candidats au retour à la suite des vagues de violences[33]. Les 145 premiers arrivés se composent de 45 femmes et cinq enfants, le reste étant des hommes[33]. Ces rapatriés volontaires sont accueillis par plusieurs ministres et le Premier ministre ivoirien Patrick Achi[33].

Réactions de la société civile

À Paris, un groupe de Tunisiens et de ressortissants d'Afrique subsaharienne manifeste contre le racisme anti-noir en Tunisie[35].

À Tunis, des manifestants expriment aussi leur désapprobation[36] - [37] - [38]. Saadia Mosbah dénonce pour sa part la dérive du président Kaïs Saïed, qui adopte le discours des secteurs racistes et populistes de la société tunisienne, incarnées par les milices du Parti nationaliste tunisien[39].

Notes et références

  1. Frédéric Bobin, « Loi pénalisant le racisme en Tunisie : une première victoire pour la minorité noire », Le Monde, (ISSN 0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
  2. « Du racisme anti-Noirs en Tunisie », sur calenda.org (consulté le ).
  3. Martin Mateso, « "Rassurez-vous, on va quitter la Tunisie" : la peur des Subsahariens victimes d'agressions racistes à Tunis », sur francetvinfo.fr, (consulté le ).
  4. Madiambal Diagne, « Les Africains subissent en Tunisie ce qu'un Noir ne subit pas en Europe », sur xalimasn.com, (consulté le ).
  5. « Face au racisme profondément ancré, les Tunisiens noirs espèrent plus d'égalité », sur fr.euronews.com, (consulté le ).
  6. « Racisme en Tunisie : "j'ai perdu la volonté de quitter ma maison" », sur bbc.com, (consulté le ).
  7. « En Tunisie, une famille a pu faire retirer une partie de son nom héritée de l'esclavage », sur francetvinfo.fr, (consulté le ).
  8. « Tunisie : un tribunal supprime enfin la mention "esclave affranchi" sur la CIN des noirs », sur afrique.le360.ma, (consulté le ).
  9. « Tunisie : en finir avec ces patronymes, héritage de l'esclavage », Le Point, (ISSN 0242-6005, lire en ligne, consulté le ).
  10. « Black Lives Matter : le Maghreb se sent-il concerné ? », Le Point, (ISSN 0242-6005).
  11. « En Tunisie, une famille autorisée à changer de nom pour ne plus subir de discriminations », Le Monde, (ISSN 0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
  12. Camille Lafrance, « Maha Abdelhamid : « Les Tunisiennes sont toujours représentées par des femmes à la peau plus claire » », Jeune Afrique, (ISSN 1950-1285, lire en ligne, consulté le ).
  13. Inès Mrad Dali, « Les mobilisations des « Noirs tunisiens » au lendemain de la révolte de 2011 : entre affirmation d'une identité historique et défense d'une « cause noire » », Politique africaine, no 140, , p. 61-81 (ISSN 0244-7827, lire en ligne).
  14. Rokhaya Diallo, « Tunisie : la révolution noire », Les Inrockuptibles, (ISSN 0298-3788, lire en ligne, consulté le ).
  15. Sandro Lutyens, « Portrait de Saadia Mosbah, présidente de l'association "M'nemti" qui lutte contre le racisme en Tunisie »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?), sur huffpostmaghreb.com, .
  16. Frida Dahmani, « Racisme en Tunisie : Saadia Mosbah, l'indignée », Jeune Afrique, (ISSN 1950-1285, lire en ligne, consulté le ).
  17. Frida Dahmani, « Saadia Mosbah en larmes après l'adoption de la loi antiraciste », sur businessnews.com.tn, (consulté le ).
  18. Wided Nasraoui, « Tunisie : le 23 janvier Journée de l'abolition de l'esclavage, une décision « historique » », Jeune Afrique, (ISSN 1950-1285, lire en ligne, consulté le ).
  19. Matthias Raynal, « En Tunisie, la peau noire est toujours un facteur de discriminations », sur slate.fr, (consulté le ).
  20. Safa Bannani, « Un mouvement contre « l'invisibilité » des femmes noires en Tunisie est né », sur middleeasteye.net, (consulté le ).
  21. « Racisme : un policier noir agressé par un serveur à Mahdia », sur kapitalis.com, (consulté le ).
  22. Saadia Mosbah, « Racisme : « La Tunisie doit proclamer son africanité ! » », Le Monde, (ISSN 0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
  23. « Tunisie et Libye : des experts de l'ONU condamnent l'expulsion collective de migrants soumis à « un racisme brutal » », sur news.un.org, (consulté le ).
  24. « Tunisie : le président Saied veut des « mesures urgentes » contre l'immigration subsaharienne », Le Figaro, (ISSN 0182-5852, lire en ligne, consulté le ).
  25. Linda Kaboudi et Nesrine Zribi, « Racisme en Tunisie : le pouvoir de la désinformation », sur inkyfada.com, (consulté le ).
  26. Lila Blaise, « En Tunisie, le président Kaïs Saïed s'en prend aux migrants subsahariens », Le Monde, (ISSN 0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
  27. « Tunisie : Kaïs Saïed s'en prend violemment aux migrants subsahariens », Le Point, (ISSN 0242-6005, lire en ligne, consulté le ).
  28. « L'Union africaine condamne les propos du président tunisien sur les migrants », Le Figaro, (ISSN 0182-5852, lire en ligne, consulté le ).
  29. « Tunisie : propos racistes et théorie du grand remplacement, Kaïs Saïed accable les migrants subsahariens », sur information.tv5monde.com, (consulté le ).
  30. Lilia Blaise, « Situation des migrants en Tunisie: les autorités annoncent des mesures pour calmer la polémique », sur rfi.fr, (consulté le ).
  31. « Près de 300 Ivoiriens et Maliens rapatriés de Tunisie ce samedi », sur 20minutes.fr, (consulté le ).
  32. « Le Mali et la Côte d'Ivoire rapatrient 300 ressortissants face aux agressions racistes en Tunisie », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le ).
  33. « Crise raciale : arrivée à Abidjan d'un premier groupe de 145 ivoiriens en provenance de Tunisie », sur news.abidjan.net, (consulté le ).
  34. « Propos haineux et racistes du président Kaïs Saïed de la Tunisie : quand les migrants subsahariens deviennent des boucs émissaires de l'échec politique d'un autocrate », sur maliweb.net, (consulté le ).
  35. « Manifestation devant l'ambassade de Tunisie à Paris », sur tunisienumerique.com, (consulté le ).
  36. « En Tunisie, manifestation contre le discours « raciste » du président Saied », sur 20minutes.fr, (consulté le ).
  37. « « La question très taboue du racisme en Tunisie n'a jamais fait l'objet d'un débat national » », Le Monde, (ISSN 0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
  38. « L'inquiétude grandit en Tunisie face au discours « raciste et haineux » du président Kaïs Saïed contre les migrants subsahariens », sur huffingtonpost.fr, (consulté le ).
  39. « La question très taboue du racisme en Tunisie n'a jamais fait l'objet d'un débat national », Le Monde, (ISSN 0395-2037, lire en ligne, consulté le ).

Annexes

Bibliographie

  • Maha Abdelhamid, Amel Elargi et Moutaa Amin Elwaer, Être noir, ce n'est pas une question de couleur : rapport d'enquêtes, les représentations du racisme chez les noirs de Tunisie, Tunis, Nirvana, , 130 p. (ISBN 978-9-938-94021-3).
  • Samia Ben Amor, « Les noirs dans les dialectes tunisiens : la terminologie de la discrimination de couleur », Kervan. International Journal of African and Asian Studies, vol. 25, no 1, , p. 115-130 (ISSN 1825-263X, DOI 10.13135/1825-263X/5890, lire en ligne, consulté le ).
  • Camille Cassarini, « L'immigration subsaharienne en Tunisie : de la reconnaissance d'un fait social à la création d'un enjeu gestionnaire », Migrations Société, vol. 1, no 179, , p. 43-57 (ISSN 0995-7367, lire en ligne, consulté le ).
  • Vincent Geisser, « Tunisie, des migrants subsahariens toujours exclus du rêve démocratique », Migrations Société, vol. 3, no 177, , p. 3-18 (ISSN 0995-7367, lire en ligne, consulté le ).
  • Mustapha Nasraoui, « Les travailleurs migrants subsahariens en Tunisie face aux restrictions législatives sur l'emploi des étrangers », Revue européenne des migrations internationales, vol. 33, no 4, , p. 159-178 (ISSN 0765-0752, lire en ligne, consulté le ).
  • Stéphanie Pouessel (dir.), Noirs au Maghreb : enjeux identitaires, Paris, Karthala, , 167 p. (ISBN 978-2-811-10808-3).
  • Messaoud Romdhani, « La situation des Subsahariens en Tunisie : l'exemple du camp de Choucha et la création d'un hotspot en Libye », Hommes & Migrations, vol. 1, no 1328, , p. 53-57 (ISSN 1142-852X, lire en ligne, consulté le ).
  • Célia Sadai, « Racisme anti-Noirs au Maghreb : dévoilement(s) d'un tabou », Hérodote, vol. 1, no 180, , p. 131-148 (ISSN 0338-487X, lire en ligne, consulté le ).

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