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RĂ©volution des Lances

La RĂ©volution des Lances (Revolucion de las Lanzas en espagnol) est l’une des guerres civiles uruguayennes les plus longues et les plus sanglantes du XIXe siĂšcle. Les blancos – dirigĂ©s par le caudillo Timoteo Aparicio – se soulevĂšrent contre le gouvernement du prĂ©sident colorado Lorenzo Batlle entre le et le , date Ă  laquelle un accord de partage du pouvoir mit fin au soulĂšvement. Son nom s’explique par l’utilisation, pour la derniĂšre fois en Uruguay, de la lance comme arme principale lors d’un conflit.

Les causes

Soutenu par l’Empire du BrĂ©sil et le prĂ©sident argentin BartolomĂ© Mitre, le caudillo colorado Venancio Flores s’empara du pouvoir en 1865. Il mena une politique hostile aux blancos qui furent chassĂ©s de l’administration, leurs chefs et officiers renvoyĂ©s de l’armĂ©e et parfois obligĂ©s de quitter le pays[1]. De nombreux blancos se rĂ©fugiĂšrent en Argentine, notamment Ă  Buenos-Aires et dans la province d'Entre RĂ­os (auprĂšs de leur alliĂ© le caudillo fĂ©dĂ©raliste Justo JosĂ© de Urquiza) oĂč ils complotĂšrent pour renverser Venancio Flores.

Timoteo Aparicio.

Dans les premiers jours de , Timoteo Aparicio attaqua la ville de Salto, mais fut repoussĂ© et contraint de repasser le fleuve Uruguay pour regagner son camp de base entrerriano. Le , une nouvelle rĂ©volte blanca Ă©clata Ă  Montevideo sous la direction, cette fois-ci, de l’ancien prĂ©sident Bernardo Berro. Elle Ă©choua et se solda par la mort de Bernardo Berro et de Venancio Flores[2]. Dans les jours qui suivirent, une vive rĂ©pression frappa les blancos.

L’épisode du « gouvernement provisoire » de Flores, de 1865 Ă  1868, avait profondĂ©ment divisĂ© le Parti colorado entre les floristas (favorables Ă  une poursuite de la dictature) et les conservadores (partisans d’un retour Ă  la normalitĂ© institutionnelle). Mais le nouveau prĂ©sident de la RĂ©publique – Lorenzo Batlle – entreprit de rebĂątir l’unitĂ© du parti en menant une politique ouvertement favorable aux colorados et en excluant du gouvernement les blancos. Ces derniers dĂ©cidĂšrent alors d’organiser une nouvelle insurrection depuis l’Argentine.

Les préparatifs

DĂšs le dĂ©but, la question du commandement des opĂ©rations militaires divisa les insurgĂ©s. Les intellectuels (souvent issus du monde urbain) soutinrent le colonel Timoteo Aparicio, personnalitĂ© d’une grande expĂ©rience militaire et pressĂ©e d’en dĂ©coudre. Quant aux dirigeants historiques du parti et aux blancos d’origine rurale, ils optĂšrent pour Ancleto Medina, un ancien colorado qui participa aux luttes d’indĂ©pendance de l’Uruguay et plus prudent.

Les insurgĂ©s connurent Ă©galement des problĂšmes avec les autoritĂ©s argentines. En effet, le nouveau prĂ©sident de la RĂ©publique, l’unitaire Domingo Faustino Sarmiento, voyait d’un mauvais Ɠil les prĂ©paratifs des blancos par crainte de tensions diplomatiques avec Montevideo et en raison, aussi, de leurs bonnes relations avec ses adversaires, les caudillos fĂ©dĂ©ralistes de Corrientes et de Entre RĂ­os (notamment le redoutable Justo JosĂ© de Urquiza).

Un ComitĂ© de guerre vit le jour Ă  Buenos Aires afin de collecter les fonds nĂ©cessaires au financement de la future insurrection. Mais ce comitĂ©, prĂ©sidĂ© par Eustaquio TomĂ©, ne put remplir sa mission par manque de contributeurs (il est vrai que l’Uruguay connaissait alors une situation Ă©conomique trĂšs difficile en raison, notamment, des rĂ©percussions du krach boursier de Londres intervenu en ).

Les opérations militaires

Le , le gĂ©nĂ©ral Timoteo Aparicio traversa le fleuve Uruguay et dĂ©barqua Ă  proximitĂ© de l’embouchure du fleuve Arapey, dans le dĂ©partement de Salto. Les hostilitĂ©s dĂ©butĂšrent rapidement, mais aucun des deux camps ne parvint Ă  prendre l’avantage mĂȘme si les rĂ©volutionnaires repoussĂšrent les troupes gouvernementales Ă  plusieurs reprises (Ă  Tupambay le , Ă  Espuelitas le ...) et occupĂšrent plusieurs villes (Treinta y Tres le , Porongos le ...). Timoteo Aparicio renforça sans cesse ses troupes grĂące aux soutiens des caudillos blancos (Ángel Muñiz, JosĂ© MarĂ­a PampillĂłn...) et, surtout, de Anacleto Medina qui dĂ©barqua Ă  son tour le .

Officiers et soldats de l'armée de Timoteo Aparicio, 1871.

Les rĂ©volutionnaires enregistrĂšrent alors leurs premiers vĂ©ritables succĂšs militaires ; ils triomphĂšrent des forces gouvernementales lors des batailles de Paso Severino le , puis de Corralito le . À partir du , ils assiĂ©gĂšrent Montevideo[3] et parvinrent mĂȘme Ă  s’emparer temporairement de la forteresse du Cerrito le . Mais en dĂ©cembre, Timoteo Aparicio et Anacleto Medina levĂšrent le siĂšge pour aller Ă  la rencontre du gĂ©nĂ©ral colorado JosĂ© Gregorio SuĂĄrez qui se dirigeait vers la capitale Ă  la tĂȘte d’une armĂ©e de secours. Ils marchĂšrent vers l’arroyo SolĂ­s Grande pour le neutraliser, mais SuĂĄrez profita de la nuit pour leur Ă©chapper et se diriger vers Montevideo. Il y renforça ses troupes avant de sortir affronter les rebelles au lieu-dit arroyo del Sauce (dĂ©partement de Canelones), le . Les gouvernementaux prirent le dessus sur les rĂ©volutionnaires aprĂšs plusieurs heures d’un combat acharnĂ©, suivi d’un sanglant Ă©pilogue : le gĂ©nĂ©ral SuĂĄrez ordonna l’exĂ©cution des prisonniers et des blessĂ©s puis, selon certaines sources, fit piĂ©tiner les cadavres par la cavalerie.

Les combats se poursuivirent, mais diminuĂšrent d’intensitĂ© tandis que plusieurs tentatives de paix Ă©chouĂšrent. Le , alors qu’une dĂ©lĂ©gation rebelle Ă©tait attendue Ă  Montevideo pour discuter d’un armistice, une bataille Ă©clata Ă  Manantiales (dĂ©partement de Colonia). Le gĂ©nĂ©ral colorado Enrique Castro Ă©crasa les rebelles qui perdirent ce jour-lĂ  l’un de leurs principaux chefs, le gĂ©nĂ©ral Anacleto Medina.

Le , au terme de son mandat et dans l’impossibilitĂ© d’organiser de nouvelles Ă©lections, Lorenzo Batlle remit le pouvoir au prĂ©sident du SĂ©nat, TomĂĄs Gomensoro. De nouvelles nĂ©gociations dĂ©butĂšrent alors sous les auspices du gouvernement argentin et dĂ©bouchĂšrent sur la signature d’un accord connu sous le nom de « Paix d’Avril », le . Cet accord oral (la constitution ne prĂ©voyait pas de telles dispositions) mettait en place un partage du pouvoir : les colorado obtenaient les Directions politiques (Jefaturas PolĂ­ticas[4]) de neuf dĂ©partements et les blancos de quatre, Ă  savoir ceux de Cerro Largo[5], Florida, Canelones et San JosĂ©[6]. À une Ă©poque oĂč la fraude Ă©lectorale dominait, ce partage assurait aux blancos la prĂ©sence de dĂ©putĂ©s et de sĂ©nateurs au Parlement.

Conséquences

Au sortir de l’une des pires guerres civiles de l’Uruguay du XIXe siĂšcle, la situation Ă©conomique et financiĂšre Ă©tait prĂ©occupante. C'est dans ce contexte que de jeunes universitaires libĂ©raux – nommĂ©s principistas – accusĂšrent les partis traditionnels et les caudillos d’ĂȘtre les responsables des malheurs du pays. Pour eux, seule la rĂ©affirmation des principes lĂ©gaux et constitutionnels (respect des lois, dĂ©fense des droits individuels, Ă©lections libres
) devait permettre d'assurer l'ordre et la prospĂ©ritĂ©. Certains d’entre eux crĂ©Ăšrent en 1872 une nouvelle formation politique – le Parti Radical – qui, malgrĂ© une existence Ă©phĂ©mĂšre, joua un grand rĂŽle dans la diffusion du libĂ©ralisme en Uruguay. D’autres prĂ©fĂ©rĂšrent militer au sein des partis traditionnels et y crĂ©er des cercles de rĂ©flexion[7].

Les principistas entrĂšrent en nombre au Parlement oĂč ils s’illustrĂšrent par de brillants dĂ©bats, mais souvent trop thĂ©oriques et Ă©loignĂ©s des prĂ©occupations d’une population soucieuse d’efficacitĂ© et de rĂ©ponses concrĂštes aux problĂšmes du moment. Finalement, l’impuissance des principistas et leur confrontation (parfois violente[8]) avec les partisans des caudillos[9] permirent Ă  l’armĂ©e d’apparaĂźtre comme la seule institution capable de rĂ©tablir l’ordre. Avec l’appui de ceux qui exigeaient le retour Ă  la stabilitĂ© (les grands propriĂ©taires ruraux, le commerce montĂ©vidĂ©en
), les militaires imposĂšrent leur volontĂ© en 1875 – remplacement du prĂ©sident JosĂ© Eugenio Ellauri par Pedro Varela – puis s’emparĂšrent du pouvoir entre 1876 et 1890 : l’historiographie uruguayenne nomme cette pĂ©riode le « militarisme » (militarismo).

La rĂ©volution des Lances marqua aussi la fin d’une Ă©poque, celle des lanciers. DĂ©sormais, les intrĂ©pides gauchos et leur armement traditionnel (la lance, sans oublier le sabre, le facĂłn[10], les boleadoras[11]
) n’étaient plus en mesure de rivaliser avec l’armĂ©e rĂ©guliĂšre. En effet, le contingent qui participa Ă  la guerre du Paraguay Ă©tait rentrĂ© en Uruguay depuis 1869. Il s’agissait dĂ©sormais d’unitĂ©s disciplinĂ©es et bien entraĂźnĂ©es, avec des chefs et officiers aguerris ainsi qu’un armement moderne (notamment des fusils Ă  chargement par la culasse). Finalement, la lance continua Ă  ĂȘtre utilisĂ©e, mais elle perdit son rĂŽle prĂ©pondĂ©rant dans les combats.

Notes

  1. Le colonel Timoteo Aparicio rentra Ă  Montevideo en mars 1865 mais, trĂšs vite, il dut quitter la ville par crainte pour sa vie. Il en fut de mĂȘme pour le colonel JosĂ© Gabriel Palomeque.
  2. Les assassins de Venancio Flores ne furent jamais arrĂȘtĂ©s. On accusa dans un premier temps les blancos, mais trĂšs vite on soupçonna des opposants colorados d'ĂȘtre les vĂ©ritables instigateurs du crime (le nom du gĂ©nĂ©ral JosĂ© Gregorio SuĂĄrez revint avec insistance).
  3. Timoteo Aparicio avait déjà assiégé la ville entre le 6 et le 9 septembre, mais il avait dû se retirer pour rejoindre les troupes de Anacleto Medina.
  4. Dans chaque département, le titulaire d'une Jefatura Política jouait grosso modo le rÎle d'un préfet. Nommé par le président de la République, il disposait du pouvoir politique, administratif et militaire (chaque département possédait sa propre milice).
  5. Qui comprenait à l'époque les actuels départements de Cerro Largo et de Treinta y Tres.
  6. Qui comprenait à l'époque les actuels départements de San José et de Flores.
  7. Notamment le "Club Nacional" pour les blancos, le "Club Libertad" et le "Club Radical" pour les colorados.
  8. Le 10 janvier 1875, à Montevideo, les deux groupes s'affrontÚrent lors des élections. La fusillade fit plusieurs dizaines de morts et de blessés.
  9. On utilisait le qualificatif de netos pour désigner les partisans des caudillos et des partis traditionnels. Quant aux principistas, ils les surnommÚrent péjorativement camdonberos.
  10. Le facĂłn est le couteau du gaucho qui sert Ă  la fois d'outil de travail et d'arme.
  11. Les boleadoras (ou bolas) désignent une arme de jet composée de boules réunies par des liens et destinées à capturer les animaux en entravant leurs pattes.

Source

Voir aussi

Bibliographie

  • Saldaña JosĂ© MarĂ­a FernĂĄndez, Diccionario uruguayo de biografĂ­as (1810-1940), Montevideo, Editorial Amerindia, 1945, 1366 p.
  • Acevedo Eduardo, “Anales HistĂłricos del Uruguay, tomo III”, Montevideo, Casa A.Barreiro y Ramos S.A., 1933, 828 p.

Liens externes

Articles connexes

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