Poterie à l'œil de perdrix
La poterie à l’œil de perdrix est un type de céramique médiévale qui possède des caractéristiques de décor très spécifique et particulièrement répandu sur les sites archéologiques de la Mayenne.
Introduction
La poterie dite « à l'œil de perdrix » est grossière, épaisse ; les vases sont de grande dimension, mesurant de 0,25 m à 0,50 m de diamètre ; la qualité et la couleur de la pâte varient suivant la provenance, et aussi suivant le degré de cuisson : blanchâtre, grise ou rouge.
Le décor qui lui vaut son nom consiste en un semis plus ou moins symétrique de petits ronds, avec point central, de moins d'un centimètre de diamètre en général, imprimés avant la cuisson, à l'aide d'un roseau ou d'un os creux et d'un poinçon. On le dit simplement à « l'œil de perdrix » quand les petits ronds sont isolés ou groupés arbitrairement ; à « la tête de mort », quand ces mêmes ronds simulent des yeux sur des cabochons rangés autour du bord des vases. Ces cabochons sont remplacés dans certaines régions par des masques humains. Enfin on a trouvé aussi des échantillons où les deux yeux sont accompagnés d'un trait vertical figurant un bec d'oiseau et on nomme cette poterie « à l'œil de chouette ». Les petits ronds manquent quelquefois de point central, et l'on connaît beaucoup de poteries de même terre et de même facture qui n'ont aucune décoration à l'œil de perdrix.
Ce genre de vases sigillés a été signalé plusieurs fois dans le Bulletin de la Commission historique de la Mayenne, et a fait l'objet d'un rapport à la 45e session du Congrès archéologique de France en 1878. Il est mentionné aussi dans plusieurs publications mayennaises ou régionales. Les opinions sont très partagées sur l'âge et l'origine de cette poterie d'un type certainement original.
Localisation
Le département de la Mayenne vient en première ligne pour le nombre et l'importance des trouvailles. Un grand nombre de trouvailles ont été faites dans des localités de ce département[1]. Le Haut-Maine, aussi bien que le Bas-Maine, connaissait la poterie micacée à l'œil de perdrix[2]. Tous à peu près offrent cette particularité que les cabochons marqués de deux yeux sont remplacés par des faces ou masques humains. Mais les ronds ponctués sont aussi répartis en groupe ou isolés sur le corps du vase, souvent avec des réticules de bandes marquées de hachures à l'aide d'une roulette et non de bandes losangées. Léon Coutil, antiquaire de Saint-Pierre-du-Vauvray (Eure)[3] signale, au musée d'Alençon, « une série de morceaux de la curieuse poterie » à l'œil de perdrix[4]. L'abbé Angot n'a pas pu constater, dans le reste de la Normandie, la présence certaine d'autres poteries à l'œil de perdrix. Des fouilles, dans les scories de forges anciennes, entreprises par M. L. Davy, ingénieur civil des mines à Châteaubriant qui en a donné les résultats dans le Bulletin de l'Industrie minérale (avril 1913), ont procuré d'intéressants renseignements sur ses poteries sigillées[5] Ces vases typiques, toujours de grande taille, sont accompagnés d'autres plus petits, de pâte et de façon toutes différentes, mais n'offrant plus rien de caractéristique[6]. On a trouvé une nouvelle variante au Theil[7] L'abbé Angot indique tout ce qu'il a pu constater en Bretagne, et qu'il a des renseignements négatifs pour tous les autres départements de la province.
La contre-enquête ayant pour but de déterminer les contrées où les poteries à l'œil de perdrix sont inconnues, nous amène également à cette conclusion que la Mayenne est le pays d'origine de cette industrie. Le voisinage d'Alençon, du Theil (arrondissement de Vitré), ne s'écarte que bien peu des limites. Les trouvailles de l'Anjou[8] et de la Loire-Atlantique peuvent être une exception, mais s'expliqueraient aussi par les communications fluviales. Au XVIIe siècle encore, le commerce des potiers de Thévalle et des Gaudinières, près Forcé, avec la Bretagne, était très actif[9] Il semble donc constant que les poteries sigillées de ronds centrés, sont particulières à la Mayenne et à quelques localités de son voisinage.
Âge des poteries
Les opinions sont très partagées sur l'âge des poteries à l'œil de perdrix[10].
D'autres spécialistes supposent que les poteries à l'œil de perdrix sont, en partie du moins, beaucoup plus modernes. Léon Coutil, déjà mentionné, ne croit pas les poteries sigillées antérieures aux XIIe siècle et XIIIe siècles, ajoutant qu'elles peuvent être du XVe siècle ou XVIIe siècle. « Le genre de fabrication, dit-il, complète comme cuisson et comme pâte, indique une date relativement récente »[11].
Pour l'abbé Angot, ces poteries ne sont ni préhistoriques, ni non plus postérieurs au XIIIe siècle, mais qu'ils furent en usage depuis cette dernière date en remontant jusqu'au VIIIe siècle. M. Moreau, président de la commission historique de la Mayenne qui, le premier, a étudié ces vases les juge aussi surtout mérovingiens. Ces poteries sont abondantes à Jublains, à Sainte-Gemme-le-Robert, et généralement dans les stations romaines où les Francs s'établirent après la disparition des conquérants. On les voit mêlées avec les autres types de poteries de la même époque. L'ornementation semble bien empruntée à l'art mérovingien, qui connaissait les ronds ponctués et des têtes aussi barbares que celles des cabochons des poteries mayennaises, et les figures des vases du Mans, d'Alençon, de Châteaubriant[12].
Par ailleurs, ces fragments de vases sont aussi trouvés fréquemment mélangés avec d'autres qui ne peuvent être que du XIIe siècle et du XIIIe siècles, par exemple ceux qu'on a relevés dans les ruines des donjons de Thorigné et de Courtaliéru, dans les fondations du château de Laval. L'abbé Angot range aussi à ces dates les trouvailles faites par M. L. Davy dans les scories de forges.
Si nous parlons maintenant de l'âge relatif des différents types, l'abbé Angot croit que la décoration la plus rudimentaire est la plus ancienne. Imités des ronds à point central des objets mérovingiens et carolingiens, ceux de ces poteries furent d'abord seuls, peut-être même sans accompagnement sur les bords, de cabochons ornés de deux ronds pour figurer les yeux. Les cabochons vinrent à la suite, puis les têtes frustes ou rudimentaires d'Alençon, de Châteaubriant, de Vimarcé, et enfin celles plus achevées du Mans[13].
C'est ce qui fait croire à l'abbé Angot que la fabrication la plus ancienne est celle de Thévalle, qui est la plus abondante et ne connaît que les ronds ponctués et les cabochons les plus simples. Toutefois, M. Richard dit qu'on a rencontré aussi à Laval des fragments de poteries ornés de têtes humaines et de dessins réticulés[14]. Ce serait le seul exemple.
Les ateliers
La fabrication des vases à l'œil de perdrix eut certainement plusieurs centres, car la matière, les types, l'ornementation des spécimens que nous connaissons, ne se ressemblent pas. M. E. Moreau, à la suite d'une découverte de nombreux fragments faite par Léon Delauney au lieu de la Hardelière, près de l'écluse de Cumont, désigna avec raison le village de Thévalle comme le principal atelier de cette industrie[15].
Les ateliers des Agets, en Saint-Brice, dont on possède à l'abbaye de Bellebranche des carreaux du XIIIe siècle et du XIVe siècles, fabriquèrent peut-être aussi la poterie sigillée, et la nature de la terre permettrait de distinguer ses produits de ceux de Thévalle. Mais il n'en a pas été trouvé à ma connaissance dans le voisinage. Les trouvailles de Chemeré et de Meslay sortent plutôt des fours de Thévalle qui sont aussi proches.
Les potiers qui ont façonné au tour et à la main, avec moule et roulette, les objets des musées du Mans, avaient certainement des fours dans la région[16]. Héloup-le-Potier, à 7 kilomètres d'Alençon, doit son surnom à l'industrie qui s'y exerça très anciennement et pendant des siècles[17]. Les spécimens fournis par la Loire-Atlantique, ceux qui proviennent des scories des forges anciennes, aussi bien que ceux du musée de Châteaubriant, ont généralement comme décor outre les œils de perdrix, des masques humains pour remplacer les cabochons et doivent sortir d'ateliers locaux distincts de ceux du Maine[18]
En résumé, la poterie à l'œil de perdrix, d'après les renseignements recueillis par l'abbé Angot, serait presque exclusivement d'origine de la Mayenne, puisque les exceptions sont très proches de ces limites ; soit à l'est vers Alençon, à l'ouest aux frontières bretonnes, et un peu dans l'Anjou, et enfin dans la Loire-Atlantique aussi limitrophe de la Mayenne.
La Mayenne serait même plus spécialement le centre de cette industrie, surtout pour le décor que l'abbé Angot considère comme le plus ancien, celui à l'œil de perdrix, soit dans un treillis, soit sur cabochons. La période du VIIIe au XIIIe siècle aurait vu naître et disparaître ce genre de vases curieux.
Notes et références
- Laval, Mayenne, Cheméré-le-Roi, Jublains, Sainte-Gemme-le-Robert, Meslay-du-Maine, Saulges, Saint-Jean-sur-Erve, Argentré, Château de Thorigné-en-Charnie, Château de Courtaliéru à Vimarcé.
- Allones, La Chapelle-Saint-Rémy, Sillé-le-Philippe
- Auteur d'un Dictionnaire palethnologique de l'Orne. Il est aussi l'auteur d'ouvrages sur la palethnologie de la Normandie, et dont les recherches dans ce genre ont été continues pendant trente-cinq ans.
- L'abbé Angot indique que les recherches qu'il a effectué pour retrouver ces fragments, n'ont pas donné de résultats. Léon de La Sicotière les mentionnait et les regardait comme provenant des ateliers d'Héloup, près d'Alençon. Il décrit ainsi les poteries d'Héloup : « elles sont très lourdes, décorées de figures géométriques, mais aussi de têtes grimaçantes ». L'abbé Angot suppose qu'elles ressemblent à celles du Mans.
- « Dans les tas de scories, dit-il, l'époque mérovingienne est caractérisée par des poteries d'une pâte grossière, mal cuite, parsemée de grains de quartz, façonnée à la main et de couleur variant du gris au rouge clair ; elles sont ornées extérieurement de cabochons portant l'empreinte de deux ou plusieurs circonférences voisines, de moins d'un centimètre de diamètre, obtenues par l'introduction de l'extrémité d'un tube dans la pâte molle — c'est ce qu'on appelle l'œil de perdrix ; — avec cet ornement, et quelquefois sans lui, on a posé des réticules formant des losanges tracés au moyen de bandes d'argile ; ces appliques représentent souvent des cercles parallèles comme ceux d'un tonneau ; on y voit les empreintes symétriques des pouces du fabricant ou d'autres objets plus simples » L. Davy. — Études sur les scories de forges anciennes, p. 17..
- On en trouve en Loire-Atlantique à Saint-Sulpice-des-Landes, Abbaretz, Treffieux, Derval.
- Elles étaient ornées de petits ronds ponctués, associés deux par deux, avec un trait profond vertical entre les deux, ce que les archéologues appellent décoration à la tête de chouette.
- Saint-Michel-et-Chanveaux.
- L'abbé Angot indique avoir eu des renseignements négatifs de M. de Saint-Venant et de M. le lieutenant-colonel Dervieu pour le centre de la France, de M. le docteur Guébhard et de M. Hubert, conservateur adjoint du musée de Saint-Germain-en-Laye pour Paris ; de M. de Grandmaison et de M. Briand, conservateur du musée de Tours pour la Touraine ; de M. l'abbé Philippe, curé de Breuilpont (Eure) pour la Normandie. M. de Tryon-Montalembert qui, par lui-même ou par ses correspondants, explore les résidus des forges anciennes de la France, n'y a pas rencontré de poteries sigillées comme celles-ci, sauf dans les lieux que lui a signalés M. l'ingénieur L. Davy. M. Pagès-Allary, de Murat (Cantal), ne connaît pas, dans la Haute-Auvergne, de poteries « avec l'empreinte originale de deux cercles formant des yeux et non des rouelles ». M. Aveneau de la Grancière avait fait communiquer la question à une séance de la Société polymathique du Morbihan. On lui a répondu qu'il n'y avait aucun vase ni fragment de vase semblable au musée de Vannes, et qu'aucun des membres de la Société n'en avait jamais vu.
- Arcisse de Caumont, d'après M. Moreau, les tenait pour gauloises, et à cause de cela peut-être, elles sont classées comme « poteries celtiques » au musée de Vire. M. Moreau qui, le premier, dans la Mayenne, les a signalées soit au Congrès archéologique de 1878 (p. 513), soit dans le Bulletin historique de la Mayenne, de la même année 1878 (p. 26), les donne nettement pour mérovingiennes. C'est aussi l'opinion de M. V. Hucher, qui présenta aux membres du Congrès archéologique de 1878 « les nombreux fragments de vases à œils de perdrix, avec moulure supérieure chargée de masques ou têtes humaines, trouvés en nombre si considérable dans une cave de la maison Deniau, située rue des Chanoines ». Cependant, il rapproche ces vases « d'un couteau chargé également, sur son manche en os, d'œils de perdrix », qui avait été trouvé dans les fondations du château normand proche de la cathédrale ; et d'un fragment de peigne d'une décoration analogue, ce qui leur assignerait une date plus récente. Léon de la Sicotière se demande aussi : « Ces poteries sont-elles gauloises, comme d'aucuns l'ont imprimé ? Sont-elles mérovingiennes ? carlovingiennes ? un peu plus récentes ? c'est-à-dire du commencement de ce qu'on est convenu d'appeler le Moyen Âge ? Je ne saurais le dire. Toujours est-il qu'elles sont fort anciennes et fort curieuses ». M. Pagès-Allary, de Murat (Cantal), quoique favorable à l'âge relativement moderne de ses poteries, avoue que « la décoration par empreinte donne l'idée et comme un souvenir de la poterie des VIe et VIIe siècles ».
- M. Pagès-Allary, après avoir vu un échantillon des poteries mayennaises avec cabochons et ronds ponctués, conclut « qu'elle est très cuite, donc beaucoup moins ancienne que le VIIe siècle ». Son avis « d'après la technique de la pâte et d'après la cuisson… serait qu'elle est du haut Moyen Âge ; mais qu'elle pourrait avoir conservé son usage jusqu'à la Renaissance et même après, si ces vases sont des mortiers. »
- M. l'abbé Cochet a vu également des ronds ponctués sur des objets carolingiens. L'abbé Angot a trouvé dans les bains de Rubricaire un manche de couteau avec les mêmes ornements et sur un des deux côtés une décoration en dents de scie, qui est à rapprocher de celui de M. Hucher. L'objection qu'on tire contre l'antiquité de nos poteries, de leur cuisson parfaite, n'est pas concluante, car il y en a de très bien cuites et très dures du XIIe siècle ; et parmi les échantillons analysés par l'abbé Angot, il en est qui, sous ce rapport, sont beaucoup plus anciens, car ils sont très tendres, morcelés et usés.
- Regardons-les attentivement, nous verrons que les yeux ne sont jamais que des ronds cintrés, quelquefois aussi grands que les autres, à Châteaubriant par exemple ; très petits au contraire, mais gardant leur forme bien nette comme au Mans. Les œils de perdrix ont toujours tendu à se rapprocher d'un œil humain, mais en se faisant toujours aussi par le même procédé de l'empreinte.
- Bulletin de la Commission historique de la Mayenne, t. 1, p. 587.
- Le village est ancien, chef-lieu d'une commanderie de l'ordre du Temple, connu de temps immémorial par l'exploitation d'un banc d'argile, que surmontaient aussi le bourg et l'église romane de Saint-Pierre-le-Potier, et les fours des Gaudinières. La terre à l'état de cuisson parfaite est rouge, sans mica.
- On les découvrira peut-être par l'abondance des débris dans les terrains argileux. Quoiqu'il y ait ailleurs, à Alençon, à Vimarcé, à Châteaubriant, des bords de vases avec têtes ou masques humains, remplaçant les cabochons de la poterie mayennaise, le modelage plus parfait des ouvriers du Mans distingue leurs produits. La terre est micacée, aussi bien qu'à Vimarcé et à Alençon.
- Les artisans connurent la poterie à l'œil de perdrix, « mais il y a plus que deux ronds et une ligne verticale sur leurs cabochons, selon le curé de Saint-Pierre-de-Montsort. On y voit une vraie intention de représenter une tête humaine, mais c'est quelque chose d'aussi fruste que possible ». On y a trouvé beaucoup d'autres poteries qui n'intéressent plus directement l'objet de nos recherches : des chenets avec têtes humaines, un vase en terre grise avec paillettes de mica, un autre en terre rouge micacée, ayant pour anses deux têtes d'hommes, un troisième de terre rouge en forme de coupe, le moule d'une tête de Vierge. Tous ces objets sont mieux modelés et plus modernes apparemment que les vases à œil de perdrix.
- Aussi bien ceux des forges trouvés à Saint-Sulpice-des-Landes, que ceux de Châteaubriant qui ont aussi leur caractère propre. « La terre est une argile grossière, écrit M. L. Davy, bleu-jaunâtre ou rougeâtre très clair, avec de gros grains de quartz et quantité de mica blanc ».
Source
- Abbé Angot, La Poterie à l’œil de perdrix, 1914, p. 342-359, 18 p.