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Pierre Thuillier (philosophe)

Pierre Thuillier, né le et mort le [1], est un philosophe français. Critique de la technocratie triomphante du début des années 1970, du scientisme et des pseudo-sciences, il a publié de nombreux livres et articles sur les rapports entre la science et la société.

Biographie

AgrĂ©gĂ© Ăšs lettres[2], il a enseignĂ© l’épistĂ©mologie et l’histoire des sciences Ă  l’universitĂ© Paris X - Nanterre[3] puis Ă  l’universitĂ© Paris VII - Diderot. Il a participĂ© Ă  la rĂ©daction de la revue La Recherche, comme chef de rubrique, de sa crĂ©ation (revue Atomes jusqu'en 1970) jusqu’en 1994. Il meurt d'une crise cardiaque[3] le 29 septembre 1998.

Travaux

L’émergence de la dĂ©couverte scientifique

Une partie importante des Ă©crits de Pierre Thuillier est consacrĂ©e Ă  montrer comment se passe, de façon effective, l’émergence de la dĂ©couverte scientifique. Cette dĂ©couverte ne se produit jamais pour des raisons parfaitement rationnelles, contrairement aux discours officiels sur la question. Elle est au contraire ponctuĂ©e d’interrogations ou d’a priori religieux, politiques, de tricheries variĂ©es, de thĂ©ories farfelues et d’erreurs diverses. Le livre le plus illustratif de cette rĂ©alitĂ© est Le petit savant illustrĂ© (1980). Ce recueil d’articles est le premier «classique» de l’auteur, qui contribua Ă  le faire connaĂźtre en dehors d’un cercle d’initiĂ©s. Plusieurs raisons expliquent l’impact de cet ouvrage :

Le contexte de l’époque joua beaucoup : de nombreuses questions se posaient sur le rĂŽle de la science (biologie, manipulations gĂ©nĂ©tiques) ou de la technique (centrales nuclĂ©aires
), le dĂ©bat sur la Nouvelle Droite ou la sociobiologie faisait la une des journaux, de nombreux ouvrages de rĂ©flexion sur la science Ă  l’attention du grand public Ă©taient publiĂ©s dans diverses collections, notamment celle oĂč parut le livre de Thuillier.

D’un autre cĂŽtĂ©, Le Petit Savant illustrĂ© est un livre qui approche les pratiques scientifiques par « le petit bout de la lorgnette » et qui est donc facile d’accĂšs. On y dĂ©couvre, par exemple, comment Cantor, le mathĂ©maticien qui a inventĂ© les nombres transfinis, Ă©prouva le besoin de justifier thĂ©ologiquement ses travaux, comment le professeur Leduc crut pouvoir crĂ©er la vie Ă  partir de productions osmotiques, comment le professeur Blondlot dĂ©couvrit les rayons N (qui se rĂ©vĂ©lĂšrent ensuite ne pas exister) ou encore quels furent les nombreux problĂšmes que posa Ă  divers scientifiques
 l’Arche de NoĂ©. Le sujet des articles peut paraĂźtre lĂ©ger, mais les questions posĂ©es par ce biais sont rĂ©elles.

Le livre se conclut par une longue postface intitulĂ©e « Contre le scientisme » ; celle-ci explicite les enjeux et reste l’un des textes fondamentaux de Thuillier. L'auteur rĂ©sume son point de vue lors d'un entretien paru Ă  l’époque dans LibĂ©ration[4] : « Oui, je tiens Ă  critiquer le mythe de la ‘science pure’. Selon ce mythe, la Science serait transcendante aux autres activitĂ©s sociales ; elle serait une construction absolue, objective, neutre (
) Je prĂ©fĂšre pour ma part une approche plus rĂ©aliste ; [la science] est tout de mĂȘme une construction humaine ; elle a une histoire et elle est enracinĂ©e dans tout un contexte social. »

Implications sociales de la science

Thuillier a combattu l’idĂ©e que toute science Ă©tait nĂ©cessairement neutre. Il s’est longuement efforcĂ© de montrer les implications sociales de la science, dans divers ouvrages :

  • L’aventure industrielle et ses mythes est tout entier consacrĂ© Ă  montrer comment la mise en Ɠuvre de nouvelles techniques dĂ©pend des mentalitĂ©s liĂ©es Ă  une culture et une Ă©poque.
  • Dans Les passions du savoir, on trouve des articles sur l’eugĂ©nisme, sur l’expĂ©rimentation sur l’homme, sur le nazisme et la « science juive », sur le fĂ©minisme et le sexisme

  • Plusieurs de ces derniers thĂšmes, et d’autres approchants, se retrouvent dans d’autres recueils.

Le darwinisme

Le darwinisme est un thĂšme visiblement important chez Thuillier. DĂšs 1979, il se positionne comme un bon connaisseur du sujet, notamment dans une sĂ©rie d’entretiens sur France Culture animĂ©e par Emile NoĂ«l, et repris sous forme de livre intitulĂ© Le darwinisme aujourd’hui. Thuillier participe Ă  deux entretiens, nommĂ©ment Darwin et le darwinisme et Alors, le darwinisme aujourd’hui ?

Ce dernier entretien paraĂźt significatif : aprĂšs des discussions avec huit scientifiques souvent en dĂ©saccord entre eux, c’est Ă  Thuillier que l’on s’adresse pour faire le point. Non, d’ailleurs, qu’il tranche parmi les thĂšses en prĂ©sence, mais il apporte un recul nĂ©cessaire. Ce recul est peut-ĂȘtre liĂ© au fait que Thuillier ne s’intĂ©resse pas seulement au darwinisme comme thĂ©orie scientifique et «idĂ©ologie» contemporaine, mais aussi en historien. Cette approche est caractĂ©ristique dans son livre consacrĂ© Ă  Darwin et Cie (1981) : la moitiĂ© des articles concerne les idĂ©es de Darwin lui-mĂȘme et de ses contemporains (Galton, Agassiz). Thuillier a Ă©galement rĂ©digĂ© la prĂ©face d’un ouvrage de Darwin, La descendance de l’homme, Ă  l'occasion de sa rĂ©Ă©dition chez Complexe.

La sociobiologie

Thuillier se prĂ©sente en critique virulent de la sociobiologie, qu'il prend comme exemple de ce scientisme qu'il combattait. Il lui a consacrĂ© un livre complet, Les biologistes vont-ils prendre le pouvoir ?, ainsi que divers articles, par exemple le chapitre 6 des Passions du savoir, ou bien son article dans L’État des sciences.

De la critique du scientisme à celle de l’Occident

L’évolution de Thuillier est visible Ă  travers notamment les titres et les sous-titre de ses livres. On voit que l’on part de titres amusants pour passer Ă  des titres et sous-titres explicites, et terminer avec un titre plutĂŽt provocateur. Cela correspond Ă  une Ă©volution effective des recueils, au fil desquels la remise en cause des prĂ©tentions rationalistes se fait de plus en plus forte.

Il est ainsi plus facile de comprendre l’évolution la plus rĂ©cente de Thuillier, qui l’a amenĂ© Ă  critiquer non seulement le scientisme, mais l’ensemble des prĂ©tentions de l’Occident, notamment celle qui consiste Ă  tout apprĂ©hender Ă  travers la rationalitĂ©, et donc Ă  nier ce qui se situe en dehors (la “poĂ©sie”, pour reprendre son terme). C'est ce qui l'a amenĂ© Ă  Ă©crire La grande implosion (1995). Cet essai, sĂ©rieux dans son propos, est bĂąti sur une trame de science-fiction : il s’agit d’un rapport prĂ©tendument rĂ©digĂ© par un groupe de travail et publiĂ© en 2081, qui traite donc d’un Ă©vĂšnement historique, qui se situe dans notre proche avenir. Et quel Ă©vĂšnement ! Rien de moins que l’implosion de l’Occident. Parmi les auteurs citĂ©s, une place spĂ©ciale doit ĂȘtre rĂ©servĂ©e au Professeur Dupin, inspirateur du Groupe de travail et ayant vĂ©cu dans la premiĂšre moitiĂ© du XXIe siĂšcle, que l’on peut considĂ©rer comme tenant le rĂŽle de porte-parole de l’auteur.

La thĂšse centrale est simple : l’échec de l’Occident est avant tout culturel, et il s’apprĂȘte Ă  mourir Ă  cause de la cĂ©citĂ© qui l’aveugle sur ses propres rĂ©alisations. Les sciences, la technique, l’économie, la vie urbaine figurent parmi les principales croyances que la civilisation occidentale s’avĂšre ĂȘtre incapable de remettre en cause. Thuillier cite Durkheim : une sociĂ©tĂ© est constituĂ©e «avant tout par l’idĂ©e qu’elle se fait d’elle-mĂȘme». Selon lui, le drame de la sociĂ©tĂ© occidentale est qu’elle se fait d’elle-mĂȘme une idĂ©e radicalement fausse. Thuillier insiste, d’une façon surprenante au premier abord, sur l’absence de spiritualitĂ© et de poĂ©sie dans l’occident contemporain. Il Ă©crit : «si l’Occident s’était effritĂ©, s’il s’était culturellement dĂ©composĂ©, c’était parce qu’il avait fini par perdre tout sens poĂ©tique». Ou encore : «Sans poĂštes, pas de mythes ; et sans mythes, pas de sociĂ©tĂ© humaine ; c’est-Ă -dire pas de culture». Et de qualifier de poĂšte des auteurs tels que Durkheim, Novalis ou Albert Camus. L’auteur cite de nombreux «scientifiques» ou «ingĂ©nieurs», du Moyen Âge (Roger Bacon) Ă  nos jours (Einstein), en passant par la Renaissance (GalilĂ©e ou LĂ©onard de Vinci), esquissant une espĂšce d’histoire de la mentalitĂ© occidentale, Ă  travers le prisme des sciences et des techniques. Il estime que tout a commencĂ© au XIIe siĂšcle, dans les phĂ©nomĂšnes d’urbanisation qu’on a constatĂ© Ă  cette Ă©poque, avec l’apparition d’une nouvelle catĂ©gorie sociale : le «marchand». Lequel, associĂ© Ă  «l’ingĂ©nieur», a initiĂ© cette approche purement matĂ©rialiste du monde qui s’est dĂ©veloppĂ©e en Occident, Ă  travers notamment la science et l’économie.

ƒuvres

Livres

  • Socrate fonctionnaire. Essai sur (et contre) la philosophie universitaire, Robert Laffont, 1969 ; Complexe, 1982.
  • Jeux et enjeux de la science, Robert Laffont, 1972.
  • Le petit savant illustrĂ©, Le Seuil, 1980.
  • Les biologistes vont-ils prendre le pouvoir ? La sociobiologie en question, Complexe, 1981.
  • Darwin et Cie, Complexe, 1981.
  • L’aventure industrielle et ses mythes. Savoirs, techniques et mentalitĂ©s, Complexe, 1982.
  • Les savoirs ventriloques. Ou comment la culture parle Ă  travers la science, Le Seuil, 1983.
  • D’ArchimĂšde Ă  Einstein. Les faces cachĂ©es de l’invention scientifique, Fayard, 1988 ; Livre de poche, 1996.
  • Les passions du savoir. Essais sur les dimensions culturelles de la science, Fayard, 1988.
  • La grande implosion. Rapport sur l’effondrement de l’Occident 1999-2002, Fayard, 1995 ; « Pluriel », Hachette, 1996.
  • La revanche des sorciĂšres. L’irrationnel et la pensĂ©e scientifique, Belin, 1997.

Ouvrages collectifs

  • L’Express va plus loin avec ces thĂ©oriciens, Collectif, Laffont, 1973.
    Entretien avec P. Thuillier pages 253 à 275, originellement parus dans L’Express en octobre 1970.
  • Le darwinisme aujourd’hui, NoĂ«l, Emile, Seuil, 1979, coll. Points Sciences.
    Ce livre reprend une sĂ©rie d’entretiens originellement radio-diffusĂ©s sur France Culture.
  • La descendance de l’homme et la sĂ©lection sexuelle, Darwin, Charles ; Complexe, 1982.
    P. Thuillier a rédigé la préface de cette réédition.
  • La Recherche en histoire des sciences, GILLE, Bertrand ; AL-HASSAN, A.Y. ; THUILLIER, Pierre ; LLOYD, Geoffrey Ernest Richard ; BIEZUNSKI, Michel ; Seuil, 1983, coll. Points Sciences.
  • L’état des sciences et des techniques, BLANC, Marcel (sous la direction de) ; La DĂ©couverte/MaspĂ©ro, 1983.
    P. Thuillier a rĂ©digĂ© l’article intitulĂ© «la sociobiologie Ă  l’assaut de la culture», page 120.
  • Sortir de l’imposture Ă©conomique, Collectif, Actes de colloque No 4, La Ligne d’Horizon, 1999.
    La contribution de P. Thuillier est en page 11.

Traduction

Notes et références

  1. « Pierre Thuillier, in memoriam », La Recherche, no 314,‎ , p. 12 (lire en ligne).
  2. Reçu en 1959, d'aprÚs André Chervel, « Les Agrégés de l'enseignement secondaire - Répertoire 1809-1960 », (consulté le ).
  3. Catherine Vincent, « Pierre Thuillier », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  4. Libération du 6 janvier 1981, entretien avec Didier Eribon.

Liens externes

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