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Philosophie de la guerre

La philosophie de la guerre est l'ensemble des réflexions philosophiques ayant trait à la guerre.

Origines de la guerre

Kant et la dialectique de la guerre

Emmanuel Kant propose dans plusieurs de ses ouvrages des réflexions sur la guerre. La guerre s'inscrit dans une dialectique historique. La guerre est une voie historique de non-droit, qui permet d'aboutir à la création de droit[1]. Dans Conjectures sur le commencement de l'histoire humaine, Kant soutient que c'est c'est lorsque les familles vivent de manière proche « et pourtant sont étrangères l'une à l'autre » que la guerre peut être déclenchée.

Alain et la peur

Dans les Propos sur le bonheur, Alain relie le déclenchement des guerres à la peur, c'est-à-dire aux passions. Pris dans les passions, l'homme ne peut plus penser droitement. Le philosophe écrit ainsi que la Première Guerre mondiale eut lieu parce que « hommes importants furent tous surpris ; d’où ils eurent peur » ; or, « celui qui a peur n’écoute point les raisons »[2].

Guerre juste

Cicéron et le droit international de la guerre

Cicéron, dans son De officiis, pose les pierres d'un premier droit international de la guerre, tout en recherchant les critères d'une guerre juste. La première des choses est, pour un pays, d'interpréter le droit international de manière équilibrée, et jamais de manière abusive (summum jus, summa injuria : l’excès du droit est le comble de l‘injustice). L’État ne doit pas davantage abuser de la force s'il rentre en guerre ; et la guerre ne doit être que l'ultime recours lorsque toute négociation a échoué[3]. Le seul objectif de la guerre doit être la paix[4].

Saint Augustin et le bellum justum

La doctrine de la guerre juste trouve ses racines chrétiennes dans les travaux de Saint Augustin. Henri Burgelin soutient ainsi que « la doctrine de la guerre juste [a été] élaborée par saint Augustin », quoiqu'il existe des sources antiques sur ce sujet[5].

Augustin semble avoir dans un premier temps (De libero Arbitrio, publié en 385) repris des idées courantes à son époque sur les questions liées à la guerre et à la peine de mort. Il cherche à justifier les « guerres de Yahwé » à partir du Contre Faustus, publié en 398. Dès 385, Augustin justifie la violence du soldat, ou du bourreau, à condition qu'il n'obéisse qu'à l'autorité politique légitime, et que la défense du prochain soit sa raison suffisante pour recourir à la force[6].

D'un point de vue politique, Augustin n'est en rien naïf et reconnaît qu'il est parfois nécessaire de faire la guerre. « Le soin de l’État est confié aux princes : il leur appartient de défendre la cité, le royaume ou la province qui se trouve sous leurs ordres. Ils doivent les défendre par le glaive matériel contre ceux qui les troublent à l’intérieur : ce qu’ils font quand ils punissent les malfaiteurs […]. De même, ils doivent les défendre contre les ennemis extérieurs, ce qu’ils font par le glaive de la guerre »[6].

Saint Thomas d'Aquin et le bellum justum

Thomas d'Aquin, en tant que penseur chrétien innervé par la philosophie antique, cherche à mettre en place une solide doctrine de la guerre juste. Les règles qu'il met en place doivent assurer un droit minimal qui garantisse que la guerre soit juste, et donc conforme aux enseignements du Christ[7].

Le philosophe soutient trois principes. Le premier est l'auctoritas principis : la guerre ne peut être décidée et menée que par la puissance publique, sans quoi elle ne peut qu'être un crime. L'auctoritas principis s'oppose à la décision individuelle appelée persona privata. Le deuxième critère est celui de la causa justa, à savoir que la cause de la guerre soit juste. Enfin, il est nécessaire qu'il y ait une intentio recta : l'intention ne doit pas être entachée de causes cachées mais uniquement dans le but de faire triompher le bien commun[7].

More et la guerre légitime en Utopie

Thomas More écrit, dans L'Utopie, que si la guerre n'a pas cours à Nusquama, il est nécessaire pour les habitants d'être entraînés militairement dans le cas où il faut mener une guerre légitime. Ainsi, les guerres liées à la défense du territoire ou du territoire d'un allié en cas d'agression, ou les interventions en faveur d'un peuple tyrannisé, sont légitimes. More justifie également une expédition contre un peuple qui refuserait d'utiliser une terre qu'ils laissent en friche car, en vertu du droit naturel, la terre doit servir à nourrir les hommes[8].

Rousseau et le droit international de la guerre

Jean-Jacques Rousseau, dans Du contrat social (chapitre 4), rédige des règles que doivent suivre les États dans la conduite de la guerre. Il aide ainsi à la fondation du droit international de la guerre moderne[9]. Il considère que la guerre se situe dans « une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats ». Ainsi, « chaque État ne peut avoir pour ennemis que d'autres États ». Les déclarations de guerre sont obligatoires pour les belligérants, afin de prévenir non pas tant l'adversaire que la population adverse. Les belligérants peuvent s'emparer de ce qui est possédé par l’État adverse, mais ne doit pas détruire ou piller les propriétés privées[10].

Guerre civile

Platon et la guerre défensive

Platon se montre également très critique envers la guerre civile, la stasis, qui est la source de maux politiques et sociaux immenses. Elle doit être évitée par une réorganisation de la société en une Kallipolis (Cité idéale), comme présentée dans la République[11].

Aristote et la calamité de la guerre civile

Aristote est fortement influencé par son maître, Platon. Dans la Politique, il écrit rappelle les dangers que présente la guerre civile pour l'unité de la Cité[11].

Hobbes et l’État comme réaction à la guerre civile

Thomas Hobbes pense l'État, dans le Léviathan, comme l'entité politique par excellence capable de faire régner l'ordre et la sécurité à partir d'un contrat social passé par les citoyens. La guerre civile est facteur de dissolution de l’État, car elle signifie que ce dernier a failli. C'est pour éviter l'écueil de la guerre civile que l’État est en permanence maintenu[12]. La réaction étatique permanente est permise par sa puissance infinie. Certains auteurs ont ainsi pu considérer Hobbes comme un précurseur des totalitarismes[13].

Guerre offensive et guerre défensive

Platon et le refus de l'impérialisme

Platon refuse, dans sa philosophie politique, d'admettre que la guerre puisse être le liant de la Cité, ou son fondement. Il refuse explicitement, notamment dans le Timée, qu'une bonne Cité puisse admettre une guerre offensive. La guerre est possible lorsqu'elle est défensive. Dans le Gorgias, il critique sévèrement la politique impérialiste de l'Athènes de son temps[11].

Aristote et la nécessité de la préparation de la guerre défensive

Sur les onze références à la guerre dans la Politique, seules trois relèvent d'un ennemi extérieur[11].

Dans la Rhétorique, le philosophe soutient que, parmi les sujets les plus importants à soumettre à la délibération politique, sont la déclaration de guerre, la signature d'accords de paix, et la défense du territoire de la Cité. Il rappelle la nécessité de l'étude de la situation géopolitique de la Cité vis-à-vis des adversaires limitrophes. Il est important à ce titre de « savoir avec quels peuples on peut s’attendre à avoir la guerre, afin de rester en paix avec les plus forts que soi et d’être maître de faire la guerre avec les plus faibles »[14].

Rapport à la guerre

Kant et les deux versants de la guerre

Dans la remarque finale de ses Conjectures sur le commencement de l’histoire, Kant offre une double conclusion. D'une part, il définit la guerre négativement, en concluant que « les plus grands maux qui accablent les peuples nous viennent de la guerre », et non pas tant de l'effectivité de la guerre, « que des préparatifs incessants et même régulièrement multipliés en vue de la guerre à venir ». En effet, en préparation de la guerre, « la liberté subit en bien des endroits des restrictions importantes ». Il y a toutefois un versant positif à la guerre, car elles incitent les peuples à mener des réformes juridiques qui instituent un État qui administre le droit[15].

Constant et la guerre des Anciens contre celle des Modernes

Benjamin Constant distingue le mode de vie des Anciens, c'est-à-dire des hommes de l'Antiquité, et celui des Modernes, à savoir ses contemporains. Il soutient que l'une des différences principales entre les Anciens et les Modernes réside dans leur rapport à la guerre. Constant considère en effet que les hommes de l'Antiquité, considérant la guerre comme la norme et la paix comme la parenthèse, acceptaient un affrontement perpétuel entre les peuples, là où les Modernes auraient substitué leurs rivalités dans le commerce. Il adhère par là à la théorie du doux commerce[11].

Métaphysique de la guerre

Héraclite et la guerre créatrice

Héraclite défend une théorie positive de la guerre comme instant créateur pour l'humanité. Il écrit ainsi dans un de ses fragments que la guerre est « père de toute chose » (Polemos panton men pater estin)[16]. La guerre est pour lui l'état normal : « la guerre est inhérente à tout [...] le droit n'est rien que d'autre dispute »[17]. Elle a un rôle social, qui réside dans ce qu'elle distingue les hommes : « de quelques-uns, elle a fait des dieux, de quelques-uns des hommes ; des uns des esclaves, des autres des hommes libres »[18].

Hegel et la guerre accoucheuse des peuples

Georg Wilhelm Friedrich Hegel soutient une doctrine de la guerre comme force positive faisant d'elle la « grande accoucheuse des peuples »[19] (ou, alternativement, « de toute humanité nouvelle »)[20]. Elle empêche les peuples de s'affaiblir et de se ramollir, et est donc la « santé éthique des peuples »[21].

Levinas et la guerre comme être

Emmanuel Levinas relie la guerre à la question de l'être. Ainsi, « l'être se révèle comme guerre », car être, c'est déjà exister dans un rapport de forces permanent, où chaque être pour vivre cherche à dominer les autres êtres. Il défend ainsi un conatus essendi. Le réel étant précisément un rapport de forces permanent, la guerre peut ainsi être définie comme « la patence même, ou la vérité, du réel ». C'est un réel qui s'impose « dans sa nudité et dans sa dureté ». Levinas synthétise cette pensée en écrivant que « la guerre se produit comme l’expérience pure de l’être pur, à l’instant même de la fulgurance où brûlent les draperie de l’illusion »[22].

De manière pratique, la guerre est une « violence appliquée à l'être libre ». Elle est la mise en jeu d'une implacable mécanique des forces qui produit un choc non pas frontal, mais de biais. Chacun se rapporte à l'autre comme une force, c'est-à-dire que le visage est effacé de l'autre, rendant possible meurtre[23].

Articles connexes

Notes et références

  1. Myriam Revault d’Allonnes, « L’idée de guerre juste a-t-elle encore un sens ? », dans La guerre et l’Europe, Presses de l’Université Saint-Louis, coll. « Collection générale », (ISBN 978-2-8028-0355-3, lire en ligne), p. 125–141
  2. Alain, Propos sur le bonheur, Gallimard, (ISBN 2-07-032321-8 et 978-2-07-032321-0, OCLC 417139068, lire en ligne)
  3. Guillaume Lagane, Les relations internationales en livres, (ISBN 978-2-340-01913-3 et 2-340-01913-3, OCLC 1010786203, lire en ligne)
  4. Jean-Mathieu Mattéi, Histoire du droit de la guerre (1700-1819): Introduction à l’histoire du droit international, Presses universitaires d’Aix-Marseille, (ISBN 978-2-8218-5319-5, lire en ligne)
  5. Henri Burgelin, « Un point de vue protestant. Les chrétiens et la guerre » in L’Armement, Revue de la Délégation Générale pour l’Armement, no 48, août septembre 1995
  6. Frank Bourgeois, « La théorie de la guerre juste : un héritage chrétien ? », Etudes theologiques et religieuses, vol. 81, no 4,‎ , p. 449–474 (ISSN 0014-2239, DOI 10.3917/etr.0814.0449, lire en ligne, consulté le )
  7. Frank Bourgeois, « La théorie de la guerre juste : un héritage chrétien ? », Études théologiques et religieuses, vol. 81, no 4,‎ , p. 449 (ISSN 0014-2239 et 2272-9011, DOI 10.3917/etr.0814.0449, lire en ligne, consulté le )
  8. Jean-Jacques Chevallier, Histoire de la pensée politique, Payot, 1979-<1984> (ISBN 9782228135306, OCLC 6356697, lire en ligne)
  9. Karma Nabulsi, « Guerre et inégalité dans la pensée politique de Rousseau », Les Études philosophiques, vol. 83, no 4,‎ , p. 413 (ISSN 0014-2166 et 2101-0056, DOI 10.3917/leph.074.0413, lire en ligne, consulté le )
  10. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Flammarion, (ISBN 978-2-08-127523-2, lire en ligne)
  11. Frédéric Ramel, « Origine et finalité de la Cité idéale : la guerre dans la philosophie grecque », Raisons politiques, vol. 5, no 1,‎ , p. 109 (ISSN 1291-1941 et 1950-6708, DOI 10.3917/rai.005.0109, lire en ligne, consulté le )
  12. Thomas Hobbes, Léviathan, Flammarion, (ISBN 978-2-08-140739-8, lire en ligne)
  13. Frédéric Claisse, Maxime Counet et Pierre Verjans, Introduction aux doctrines et aux idées politiques, De Boeck Superieur, (ISBN 978-2-8073-0658-5, lire en ligne)
  14. Aristotle, Rhétorique, Société d'édition "Les Belles Lettres", (lire en ligne)
  15. Christian Mongay nyabolondo, Aux sources de l'identité cosmopolitique - La construction juridico-politique de la paix chez Kant e, Editions du Cerf, (ISBN 978-2-204-13695-2, lire en ligne)
  16. Olivier Dhilly et Bernard Piettre, Les grandes figures de la philosophie: les grands philosophes de la Grèce antique au XXe siècle, Editions l'Etudiant, (ISBN 978-2-84624-743-6, lire en ligne)
  17. Valérie Robert, Intellectuels et polémiques: dans l'espace germanophone, Presses Sorbonne Nouvelle, (ISBN 978-2-87854-803-7, lire en ligne)
  18. Jean-Jacques Chevallier, Histoire de la pensée politique, Payot, 1979-<1984> (ISBN 9782228135306, OCLC 6356697, lire en ligne)
  19. Patrice Touchard, Christine Bermond et Patrick Cabanel, Le siècle des excès. De 1870 à nos jours: De 1870 à nos jours, Humensis, (ISBN 979-10-358-0351-3, lire en ligne)
  20. Jacques Huntzinger, Introduction aux relations internationales, Seuil (réédition numérique FeniXX), (ISBN 978-2-02-127408-0, lire en ligne)
  21. Paillard Christophe-Alexandre, Les nouvelles guerres économiques, Editions OPHRYS, (ISBN 978-2-7080-1322-3, lire en ligne)
  22. François-David Sebbah, « C'est la guerre », Cités, vol. 25, no 1,‎ , p. 41 (ISSN 1299-5495 et 1969-6876, DOI 10.3917/cite.025.0041, lire en ligne, consulté le )
  23. Agata Zielinski, Emmanuel Levinas. La responsabilité est sans pourquoi, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-063613-7, lire en ligne)
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