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Paris-Rouen 1869

La 1re édition de la course cycliste Paris-Rouen a eu lieu le . Organisée par le journal Le Vélocipède illustré, avec le soutien de la Compagnie parisienne des vélocipèdes, elle est considérée comme la première course cycliste d'endurance de ville à ville.

Paris-Rouen 1869
Généralités
Course
Paris-Rouen
Date
Distance
123 km
Pays traversé(s)
Lieu de départ
Lieu d'arrivée
Coureurs à l'arrivée
32
RĂ©sultats
Vainqueur

Présentation de la course

Contexte de création de l'épreuve

Jusqu'en 1867, la pratique du vĂ©locipède est avant tout considĂ©rĂ©e comme une activitĂ© de loisir[1]. Le , Ă  l'initiative de la Compagnie parisienne des vĂ©locipèdes, le principal fabriquant français de vĂ©locipèdes, et avec l'accord de l'empereur NapolĂ©on III, un concours de vitesse est organisĂ© dans le parc de Saint-Cloud, sur une distance de 1 200 mètres. Rassemblant dix concurrents, elle est remportĂ©e par le coureur britannique James Moore[2]. Dès lors, les compĂ©titions se multiplient en France, mais aussi en Angleterre, en Belgique, en Italie et en Moravie. Elles consistent alors en une sĂ©rie de courses disputĂ©es sur de courtes distances, allant de 1000 Ă  2 600 mètres[1]. Plusieurs associations de pratiquants se crĂ©ent, dans le sillage du VĂ©loce Club de Paris, au point que la France compte deux-cents de ces sociĂ©tĂ©s au milieu de l'annĂ©e 1869[3]. En parallèle, la presse spĂ©cialisĂ©e se dĂ©veloppe avec la crĂ©ation du VĂ©locipède, un bimensuel Ă©ditĂ© Ă  Grenoble par Louis Fillet Ă  partir du [4], auquel succède un autre bimensuel, Le VĂ©locipède illustrĂ©, fondĂ© Ă  Paris le par Richard Lesclide[3] - [5].

Dans son édition du , ce dernier annonce la création d'une course de fond reliant Paris à Rouen avec le soutien de la Compagnie parisienne[5]. L'objectif affiché par la rédaction est de « démontrer que le bicycle autorise à parcourir des distances considérables avec une fatigue incomparablement moins grande que celle résultant de la marche »[6].

Parcours et règlement

Le règlement de la course est publié dans l'édition du . Il en fixe la date au dimanche suivant, ainsi que le parcours[7]. Aux termes du règlement, « tous les vélocemen de France et de l'étranger sont invités à prendre part »[5] ; de plus, « tous les vélocipèdes, tous les engins mécaniques mus par la force de l'homme, soit par son poids soit par l'action des pieds et des mains : monocycles, bicycles, tricycles, quadricycles ou polycycles, sont admis au concours »[5]. Pour autant, l'organisateur stipule que les participants doivent être seuls pour diriger leur machine et qu'il leur est interdit d'en changer pendant la course[8]. Les réparations, de même que la marche à pied à côté du « véloce », sont autorisés, à condition que le participant ne reçoive aucune aide de quelque sorte, sous peine d'exclusion[8]. Le ravitaillement, à la charge des coureurs, est lui aussi autorisé[8].

Le parcours annoncĂ© le prĂ©voit un dĂ©part depuis la place de l'Étoile Ă  Paris, tandis que l'arrivĂ©e est jugĂ©e devant le bureau d'octroi de la ville de Rouen, pour une distance approximative de 135 kilomètres[7]. Par ailleurs, quatre points de contrĂ´le sont Ă©tablis Ă  Saint-Germain-en-Laye, Mantes-la-Jolie, Vernon et Louviers[9]. Les organisateurs de l'Ă©preuve modifient cependant l'itinĂ©raire dans les jours qui prĂ©cèdent la course en dĂ©plaçant le dernier point de contrĂ´le sur la commune de Pont-de-l'Arche, au dĂ©triment de Louviers[10], ce qui ramène la distance totale Ă  seulement 123 kilomètres[11]. De mĂŞme, il est dĂ©cidĂ© de changer les points de contrĂ´le fixĂ©s par le règlement, et sans en avertir les coureurs, afin de rĂ©duire les possibilitĂ©s de fraude[11].

Coureurs engagés

Les inscriptions, gratuites, sont ouvertes aux coureurs français et internationaux. Seul le retour Ă  Paris par le train est Ă  la charge des participants. La liste complète des 202 engagĂ©s, dont 79 auprès de la Compagnie parisienne et 123 auprès du VĂ©locipède illustrĂ©, est publiĂ©e dans le journal organisateur le matin mĂŞme de la course[12]. Bien qu'ils doivent faire parvenir aux organisateurs leur identitĂ© complète, les coureurs ont la possibilitĂ© de s'inscrire sous un nom d'emprunt ou sous le couvert d'initiales. Cette prĂ©caution permet de garantir la prĂ©sence de coureurs souhaitant cacher leur engagement au public, Ă  une Ă©poque oĂą la pratique vĂ©locipĂ©diste suscite encore des railleries[10].

Seuls dix coureurs étrangers font parvenir leur inscription (six britanniques, trois belges et un allemand), de même que six femmes, bien que la compétition soit mixte[13]. Par ailleurs, la course est ouverte aussi bien aux amateurs qu'aux coureurs professionnels, mais ces derniers font figure de favoris, à l'image de Bobillier, Castéra, Pascaud ou encore Cantellauve[13].

Prix et récompenses

La distribution des prix et des mĂ©dailles est prĂ©vue Ă  Paris le suivant, au manège de la Compagnie parisienne des vĂ©locipèdes. Cinq prix sont attribuĂ©es par cette dernière aux cinq premiers concurrents classĂ©s. Une somme de 1 000 francs est offerte au vainqueur, tandis que le deuxième reçoit un vĂ©locipède Ă  double suspension. Le troisième reçoit une mĂ©daille d'or, le quatrième une mĂ©daille de vermeil et le cinquième une mĂ©daille d'argent[9].

Par ailleurs, une médaille commémorative en bronze numérotée est offerte à tous les participants qui effectuent le parcours en moins de vingt-quatre heures, délai accordé par l'organisateur de l'épreuve[9].

DĂ©roulement de la course

Photographie en noir et blanc montrant deux hommes se tenant debout de part et d'autre d'un vélocipède.
James Moore (à gauche) et André Castéra, 1er et 2e de la course.

Tous les coureurs admis doivent se prĂ©senter le matin de la course au siège de la Compagnie parisienne, situĂ© avenue Bugeaud Ă  Paris, oĂą une carte de parcours Ă  faire viser lors de chaque point de contrĂ´le leur est remise[14]. Mais sur les 202 coureurs officiellement inscrits, seuls 120 concurrents prennent le dĂ©part de la course[15].

Un incident se produit lors du départ : à 7 h 15, et alors qu'ils s'échauffaient, un groupe de quarante à cinquante coureurs, portés par les encouragements du public, s'élance vers l'avenue de Neuilly, pensant que le départ avait été donné. D'autres concurrents s'informent auprès des organisateurs qui leur demandent de se rassembler devant l'Arc de triomphe car certains inscrits n'ont pas encore rejoint la ligne de départ[16]. Malgré les protestations des coureurs restés sur place, la direction de course refuse d'exclure les engagés du premier départ, considérant qu'ils sont de bonne foi et se sont simplement laissés entraîner. Mais dans la mesure où il est impossible de les rattraper, il est finalement convenu de donner un deuxième départ trente minutes après le premier, tout en accordant aux coureurs du second groupe une demi-heure d'avance sur les coureurs qui se sont déjà élancés[16].

Au passage de Mantes, après 48 km de course, Henri Pascaud est en tĂŞte de la course. ArrivĂ© au point de contrĂ´le Ă  11 h 40, il devance le Britannique John Thomas Johnson de seulement cinq minutes. Ă€ 11 h 45, Pierre Bellay, membre du VĂ©loce Club de Lyon et qui s'est Ă©lancĂ© dans le deuxième dĂ©part, se prĂ©sente au contrĂ´le, ce qui signifie qu'il a dĂ©jĂ  rattrapĂ© son retard, tout comme les Britanniques James Moore, arrivĂ© Ă  11 h 46 et Hinton Shand, arrivĂ© deux minutes plus tard[11]. La première femme, « Miss America », est pointĂ©e en quarantième position, Ă  près de deux heures de la tĂŞte de course[17].

Au contrĂ´le du Vaudreuil, après 98 km, l'ordre des coureurs a sensiblement Ă©voluĂ©. James Moore passe en tĂŞte devant CastĂ©ra et Bobillier, tandis que Pascaud a reculĂ© Ă  la quatrième place. DĂ©jĂ  plusieurs concurrents semblent Ă©puiser, Ă  l'image de John Thomas Johnson, pointĂ© au cinquième rang et qui reconnaĂ®t ne pas s'ĂŞtre suffisamment alimentĂ© depuis le dĂ©part. Le chef de gare de la localitĂ© lui offre du vin chaud, comme Ă  plusieurs autres concurrents[18].

La compĂ©tition se poursuit alors que la nuit tombe. Dans un cafĂ© situĂ© devant l'Ă©glise Saint-Paul de Rouen, des membres du VĂ©loce Club Rouennais, mis Ă  la disposition des organisateurs, attendent les premiers concurrents. James Moore se prĂ©sente Ă  18 h 10, soit 10 h 40 après son dĂ©part de Paris, et remporte la course[19] Ă  une vitesse moyenne avoisinant les 12 km/h[20]. AndrĂ© CastĂ©ra et Jean Bobillier, arrivĂ©s quinze minutes plus tard, rĂ©clament aux organisateurs d'ĂŞtre classĂ©s ex æquo, tout en acceptant de se partager Ă  l'amiable le deuxième et le troisième prix[19]. Le Britannique Hinton Shand, neuvième de la course, doit parcourir Ă  pied les sept derniers kilomètres du parcours après avoir brisĂ© son bicycle contre un amas de pierre en bord de route[21]. Au total, 32 coureurs franchissent la ligne d'arrivĂ©e dans le dĂ©lai imparti de 24 h, dont Miss America, la seule femme Ă  terminer l'Ă©preuve, et qui reçoit pour la circonstance un prix spĂ©cial[19]. Un trente-troisième coureur, Fortin, arrive hors dĂ©lai le lundi matin, Ă  8 h 30[19].

Classement final

Rang Cycliste Pays Temps
1 James MooreDrapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni10 h 40
2 Jean-Eugène-André CastéraDrapeau de la France France+ 15 min
Jean BobillierDrapeau de la France France
4 Henri PascaudDrapeau de la France France+ 1 h 15
5 FĂ©lix-Gaston BiotDrapeau de la France France+ 1 h 39
6 Georges CantellauveDrapeau de la France France+ 2 h 54
7 Édouard-Charles BonDrapeau de la France France+ 3 h 5
8 John Thomas JohnsonDrapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni+ 3 h 40
9 Hinton ShandDrapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni+ 4 h 33
10 Eugène MeyerDrapeau de la France France+ 4 h 43

Bilan et postérité

Réactions et retombées

Si la préparation et le déroulement de l'épreuve sont largement mis en avant dans les colonnes du Vélocipède illustré, le journal organisateur, la presse nationale n'accorde que peu d'écho à l'évènement. Seuls Le Petit Journal le [22] et Le National deux jours plus tard[23] y consacrent une brève[24]. Trois titres de la presse régionale normande évoquent également la course, à savoir Le Progrès de Rouen, Le Nouvelliste de Rouen et le Journal de Rouen, ce dernier étant d'ailleurs le seul à publier un classement général de la course[24], tandis que certaines gazettes parisiennes tournent l'épreuve en dérision[25].

Les fabricants de vélocipède profitent quant à eux de l'évènement pour mettre en avant leur produit, à l'image de Jean Suriray, qui équipe le vainqueur de la course, James Moore, et fait publier dans les jours qui suivent une publicité vantant sa machine dans plusieurs journaux[26].

Le suivant, un banquet réunissant les lauréats de la course, des représentants de l'industrie vélocipédique et des journalistes est organisé au café des Mille Colonnes, dans la galerie de Montpensier à Paris, grâce à la vente de bons de souscription organisée par le Véloce-Club de Paris[27].

Un élan vélocipédiste stoppé par la guerre

Dans le sillage du premier Paris-Rouen, de nombreuses courses sont disputĂ©es au dĂ©but de l'annĂ©e 1870, le plus souvent en pĂ©riphĂ©rie des grandes villes ainsi qu'en rĂ©gion parisienne. Les distances proposĂ©es aux coureurs sont bien plus courtes qu'entre Paris et Rouen, Ă  l'image du Tour de Paris disputĂ© le sur 34 km[28]. La rĂ©gion toulousaine voit apparaĂ®tre de nombreuses Ă©preuves, comme Toulouse-Castanet, Ă  laquelle participe le pionnier de l'aviation ClĂ©ment Ader, ou Toulouse-Villefranche-de-Lauragais et retour, remportĂ©e le par le gymnaste Jules LĂ©otard[29]. Pour autant, le dĂ©clenchement de la guerre franco-allemande au mois de brise cet Ă©lan[28]. Les coureurs professionnels français sont mobilisĂ©s et rejoignent les rangs de l'armĂ©e, tandis que James Moore sert au sein du groupe des ambulanciers du 1er arrondissement[30].

Interrompu en France, le dĂ©veloppement de la vĂ©locipĂ©die se poursuit au Royaume-Uni, tant sur la route que sur la piste[28], ainsi qu'en Italie oĂą une première course sur route est organisĂ©e sur 35 km entre Florence et Pistoia et remportĂ©e par un jeune coureur amĂ©ricain, Rynner Van Heste[31].

Postérité

Le souvenir de cette première course d'endurance de ville Ă  ville est plusieurs fois Ă©voquĂ©. Le , l'Ă©dition annuelle de Paris-Rouen est transformĂ©e en une course commĂ©morative sous l'impulsion du « ComitĂ© d'organisation du centenaire de Paris-Rouen ». RĂ©unissant 106 participants, elle est remportĂ©e par RĂ©gis DelĂ©pine[32]. Du 9 au , une reconstitution est organisĂ©e pour cĂ©lĂ©brer le 150e anniversaire, Ă  laquelle participe une vingtaine d'amateurs de vĂ©locipèdes, parmi lesquels le journaliste GĂ©rard Holtz[33].

Notes et références

  1. Chany 1975, p. 75.
  2. Chany 1975, p. 30-31.
  3. Chany 1975, p. 33-34.
  4. Chany 1975, p. 75-76.
  5. Michel Dalloni, Le VĂ©lo, Paris, La BoĂ©tie, coll. « 100 Questions sur », , 1 vol., 254 (ISBN 978-2-36865-004-2), chap. 38 (« Quelle est la plus vieille course cycliste de ville Ă  ville ? »), p. 80-82
  6. Chany 1975, p. 78-79.
  7. Chany 1975, p. 79.
  8. Chany 1975, p. 80.
  9. Chany 1975, p. 82.
  10. Chany 1975, p. 88.
  11. Chany 1975, p. 95.
  12. « Liste provisoire », Le Vélocipède illustré, no 51 (1re année),‎ , p. 2-3 (lire en ligne).
  13. Chany 1975, p. 89.
  14. Chany 1975, p. 80-81.
  15. Pryor Dodge (trad. de l'anglais), La grande histoire du vélo, Paris, Flammarion, , 224 p. (ISBN 2-08-012443-9), p. 48.
  16. Chany 1975, p. 94.
  17. Chany 1975, p. 96.
  18. Chany 1975, p. 97-98.
  19. Chany 1975, p. 100.
  20. Chany 1975, p. 104.
  21. Chany 1975, p. 104-105.
  22. « Paris », Le Petit Journal,‎ , p. 2 (lire en ligne).
  23. « Faits divers », Le National,‎ , p. 3 (lire en ligne).
  24. Chany 1975, p. 101-103.
  25. Chany 1975, p. 107.
  26. Chany 1975, p. 109.
  27. Chany 1975, p. 110-111.
  28. Chany 1975, p. 117.
  29. Raymond Cahisa, L'aviation d'Ader et des temps héroïques, Paris, Albin Michel, , p. 20.
  30. Chany 1975, p. 112.
  31. Chany 1975, p. 118.
  32. Chany 1975, p. 114-115.
  33. NoĂ©mie Lair, « GĂ©rard Holtz et 19 vĂ©locipĂ©distes relient Paris Ă  Rouen pour les 150 ans de la première course cycliste », France Bleu, (consultĂ© le ).

Voir aussi

Bibliographie

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