Mines d'or du ChocĂł
Les mines d'or du ChocĂł Ă©taient situĂ©es dans le bassin hydrographique du RĂo Choco, l'ancien nom du RĂo Atrato, qui descend des montagnes de l'ouest de la Colombie vers le Golfe d'Urabá, dans la Province du DariĂ©n. Elles sont situĂ©es pour l'essentiel dans la partie supĂ©rieure du RĂo Atrato.
Cette région est l’une des plus humides de la planète car l’air chaud et gorgé d’eau de l’océan Pacifique y rencontre les froids sommets des Andes provoquant des précipitations de plus de neuf mètres d’eau par an. En raison de ce constant arrosage, la faune et la flore y sont encore plus diversifiées qu’en Amazonie.
Le département du Chocó est le territoire ancestral des tribus indigènes Wounaan, qui sont 7 000, et des Emberá, qui sont 40 000, ainsi que d'environ 700 000 paysans noirs, descendants des esclaves fugitifs des plantations de café et des mines d’or du Chocó, qui s’y sont installés à la fin du XIXe siècle.
Histoire
La difficile conquĂŞte espagnole
Ces mines ont connu leur apogée à l'époque de l'empire colonial espagnol et constituaient l'essentiel de la production aurifère de la Nouvelle-Grenade au début du XVIIIe siècle, lorsque cette dernière était la première région productrice d'or au monde.
Mais l'exploitation a été freinée par le fait que les rapports entre les Espagnols et les Emberá, les Kunas et les Wounaan ont été conflictuels durant tout le XVIe siècle[1].
Les Espagnols ont eu connaissance de la richesse aurifère du Chocó dès le début du XVIe siècle, mais il leur a fallu au moins deux siècles pour s'établir et s'installer dans la région, en raison de la résistance progressive que les Chocoes ont opposée et grâce à l'environnement physique de la région (jungle tropicale), qui limitait les expéditions presque uniquement à l'époque d'été et gênait l'utilisation des arquebuses.
Les Espagnols avaient fait venir des esclaves noirs au moment oĂą ils tentaient d'exploiter les mines d'or du RĂo Choco, au dĂ©but du XVIe siècle, les indigènes de la rĂ©gion ayant collectĂ© de l'or alluvionnaire dans le fleuve, mais refusant de travailler pour les colons. En 1517, Charles Quint autorise l’importation de 15 000 esclaves noirs, pour la production d'or. Ils seront beaucoup moins nombreux. La plupart fuient dans la jungle.
La pĂ©nĂ©tration espagnole a Ă©tĂ© tentĂ©e successivement dans trois directions : par le nord, en partant de Santa MarĂa la Antigua del DariĂ©n pour remonter l'Atrato, par l'ouest et la cĂ´te pacifique du ChocĂł, ou encore par l'est, d'Anserma vers l'amont des fleuves RĂo San Juan et Atrato.
C'est Vasco Núñez de Balboa qui dĂ©couvrit la prĂ©sence de cet or, grâce aux cadeaux des indigènes de la partie nord du ChocĂł, en contact avec l'Atlantique. Il a menĂ© l'expĂ©dition de 1512 le long du fleuve Atrato, visant Ă retrouver l'origine de cet or alluvionnaire, après qu’une inondation eut ruinĂ© les semailles plantĂ©es autour de Santa MarĂa la Antigua del DariĂ©n, fondĂ©e en 1510. Il est arrivĂ© jusqu'Ă l'embouchure de l'actuel RĂo Sucio. L'expĂ©dition fut relatĂ©e dans BrevĂsima relaciĂłn de la destrucciĂłn de las Indias (Très brève relation de la destruction des Indes), par BartolomĂ© de las Casas (1542) en ces termes : "ils dĂ©cidèrent d'aller inquiĂ©ter, tourmenter, voler, faire prisonniers et tuer les plus Ă©loignĂ©s et de leur prendre leur nourriture et leur or avec la justice qui leur fait droit ; l'habitude de Vasco Núñez et de sa compagnie Ă©tait de tourmenter les indiens qu'ils faisaient prisonniers pour dĂ©couvrir les villages des seigneurs qui avaient le plus d’or et la plus grande abondance de nourriture. Ils les attaquaient de nuit Ă feu Ă sang, si les indigènes ne disposaient pas d’espions ou n’étaient pas avisĂ©s (…) ils dĂ©cidèrent donc de partir sur deux brigantins ou canoĂ«s avec une grande dĂ©votion Ă la recherche de ce dieu de Dabayba, ou plutĂ´t de l'or auquel ils sacrifiaient leurs vies malheureuses, et Vasco Núñez de Balboa partit avec 160 hommes colmenares avec lui, auquel il ordonna de remonter le fleuve Grande avec le tiers d'entre eux"[2].
Le successeur de Vasco Núñez de Balboa, Pedro Arias Dávila, qui le fit décapiter en 1519, entra dans d'autres conflits avec les indigènes qui lui rendirent la tâche difficile. Les mines d'or du Rio Choco produisirent pour environ un million de pesos entre 1511 et 1515, soit l'essentiel du 1,509 million de pesos d'or qui arrivait dans le port de Séville en Espagne, ce qui a amené Madrid à appeler la région la Castille d'Or dès 1513.
Après la découverte du Pérou par Francisco Pizarro en 1532, le chiffre était multiplié par 6 avec 10,2 millions de pesos d'or arrivant à Séville sur la période 1536-1540. L'exploitation aurifère du Rio Choco était alors déjà terminée depuis 1525. Elle reprit ensuite avec l'importation en quantités croissantes d'esclaves noirs chargés de l'orpaillage.
Vers 1534 et 1536, les frères Heredia ont fait incursion dans les zones du RĂo SinĂş et de Dabeiba, Ă la recherche du prĂ©tendu Eldorado. Sebastián de Belalcázar a chargĂ© Juan Ladrillero de chercher une voie vers la mer en traversant la cordillère via le territoire du ChocĂł en 1536, expĂ©dition qui n'a pas rĂ©ussi Ă atteindre son but. Une autre tentative de colonisation date de 1539 par le capitaine GĂłmez Hernández, partant d'Anserma sur ordre de Jorge Robledo et remontant le RĂo San Juan, qui se jette dans le Pacifique, jusqu'Ă sa source. Il est arrivĂ© jusqu'au site d'Andágueda oĂą il fut rejetĂ© par les Chocoes en 1539 ; le report de la fuite des indigènes vers les montagnes de Sima ou Cima (actuellement les rochers escarpĂ©s de Citará) date de cette Ă©poque[3].
Vers 1573, Melchor Velásquez De Valdenebro a fondé Toro[4] dans le but de peupler les provinces de Chocoes et de Chancas. Malgré la mise en place de quelques centres miniers dans la région, ceux-ci ont détruit celui de Nóvita en 1586. Velásquez a été battu en 1588 et en 1590 respectivement par des Chocoes et par des Noanama. Mais l'expédition a répandu la variole qui a tué une grande partie des indiens. Cáceres et Nóvita ont été abandonnés et Toro a dû être transféré sur l'actuel territoire du Valle del Cauca. Cependant, au début du siècle suivant, les indigènes vont renforcer les relations commerciales avec les villages ou villes espagnoles[5], en particulier dans le Valle del Cauca[6].
L'Ă©poque des pirates et boucaniers
L’histoire coloniale du Chocó se singularise par l’absence relative de populations espagnole et créole, mais les documents coloniaux attestent l’inquiétude devant la présence incessante de pirates et de contrebandiers, qui remontaient les fleuves Atrato et San Juan, achetant or et produits agricoles aux campements esclavagistes et aux orpailleurs noirs libres, et leur vendant en échange armes, tissus, et outils. La fermeture presque permanente de ces deux grandes voies de navigation par l'Espagne encourageait une économie de subsistance dans les campements et chez les groupes libres de noirs, en même temps que le commerce interne, autre pilier d’une existence en marge du pouvoir colonial. La contrebande exerça également une influence sur la population noire du Chocó : elle acheminait de nombreux esclaves du Panama tout en permettant à des esclaves marrons de la côte caraïbe de gagner les zones forestières marginales du Chocó, en particulier sur le versant Pacifique[3].
GĂ©ographie et ethnologie
La rivière la plus riche en or Ă©tait le Rio Andágueda[7], qui rejoint le RĂo Atrato au village de QuibdĂł. La plus grosse pĂ©pite trouvĂ©e pesait 25 livres[8]. La province s'appelait aussi Antioquia, du nom de la ville un peu au nord de MedellĂn.
Les Indiens ChocĂł, de langue caraĂŻbe, sont rĂ©partis en trois groupes entre Colombie et Panamá : les ChocĂł du Nord (appelĂ©s aussi Emberá) sont Ă©tablis en villages le long des abords les plus accessibles des rivières de la baie de San Miguel (Panamá) et de celles qui, en Colombie, coulent vers la cĂ´te pacifique. Ceux du Sud se concentrent aux abords du rĂo San JosĂ©. Les Catios habitent la partie orientale de la vallĂ©e Atrato. Les lĂ©gendes des Indiens ChocĂł font Ă©tat de combats avec leurs voisins Cunas ainsi que de succès guerriers du XVIIe siècle contre les Espagnols.
Après l'abolition de l'esclavage
Dans le haut Chocó, le peuplement noir correspond au développement, pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, de colonies d’esclaves orpailleurs dans le bassin supérieur des fleuves Atrato et San Juan, mais celui du littoral Pacifique fut le fruit du marronnage continu, de la manumission et du rachat de la liberté des esclaves mineurs. Ces Noirs libres, fuyant en petits groupes l’autorité coloniale et les centres miniers d’Antioquia, du Valle del Cauca et du Chocó, se répartirent dans les zones marécageuses des rivières secondaires ou du littoral et apprirent la navigation, la pêche, l’exploitation des marais et des forêts, au contact des populations indiennes locales, qui avaient elles-mêmes fui le contrôle colonial[3].
Dès l’abolition de l’esclavage en Colombie (1851-1852), les migrations des esclaves noirs récemment émancipés, mais aussi de travailleurs libres ou libérés depuis plusieurs générations et désormais débarrassés de tout tracas, s’intensifient en direction des forêts hyperhumides du littoral pacifique, peu peuplées et dépourvues de voies de communication, où ils s’installent comme agriculteurs le long des rivières[9]. Ils y pratiquent aussi la chasse, la pêche, l’orpaillage à certaines saisons, en interaction avec les Indiens Emberá et waunana[10].
Luis Alfredo Hurtado, de l'association locale Asocasan, a lancé une coopérative pour perpétuer cet orpaillage, sans utiliser de produits toxiques comme le mercure[11], qui fait vivre 194 familles dans la région du Chocó, dont 112 vivant autour de Tado[12].
Bibliographie
Articles connexes
Notes et références
- Spiritualité, identité et autodetermination des peuples indigènes, le cas du Chocó en Colombie, thèse de Jésus Alfonso Florez Lopez.( 2005)
- « Le miroir de la cruelle et horrible tyrannie espagnole perpétrée aux Pays-Bas par le tyran duc d'Albe et autres commandants du roi Philippe II », sur World Digital Library, (consulté le )
- Fernand Meunier, « Rapport de mission. Dans le département de Chocó en Colombie, les indigènes Embera manifestent pour la reconnaissance de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Le blocus alimentaire et la malnutrition des enfants », sur explorerhumanity.org, Explolrer Humanity, (consulté le ).
- (es) Redacción ELTIEMPO, « Toro Valle », El Tiempo,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Between resistance and adaptation: indigenous peoples and the colonisation, par Caroline A. Williams, page 31
- (en) Caroline A. Williams, Between Resistance and Adaptation : Indigenous Peoples and the Colonisation of the ChocĂł, 1510-1753, Liverpool University Press, , 254 p. (lire en ligne).
- Henri Landrin, De l'Or, de son état dans la nature, de son exploitation, de sa métallurgie, , 12 p. (lire en ligne).
- Alexander von Humboldt, Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, vol. 3-4, Antoine-Augustin Renouard, , 1282 p. (lire en ligne).
- Odile Hoffmann, « Jeux de parole et de mémoire autour des mobilisations identitaires (Colombie) », sur halshs.archives-ouvertes.fr, HAL archives-ouvertes, (consulté le ).
- Édouard Charton, Le Tour du monde : Nouveau journal des voyages publié sous la direction de Édouard Charton et illustré par nos plus célèbres artistes, Hachette, (lire en ligne).
- « En Colombie, les mines clandestines font grimper le paludisme », Le Parisien,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- « Au fin fond de la Colombie, Oro verde, un premier label écologique pour l'or », ladepeche.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).