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Midrash des Lamentations

Lamentations Rabba (hĂ©breu: ŚžŚ“ŚšŚ© ŚŚ™Ś›Ś” ŚšŚ‘Ś” Midrash Eikha Rabba) est un midrash sur le Livre des Lamentations.

ComposĂ© au Ve siĂšcle ou au VIIe siĂšcle en Palestine byzantine, il fait partie des midrashim les plus anciens avec Bereshit Rabba et la Pessikta de Rav Kahana. Il comprend 36 peti’htot (« introductions Â») et cinq chapitres d’interprĂ©tations.TantĂŽt exĂ©gĂ©tiques, tantĂŽt homilĂ©tiques, elles amplifient et Ă©laborent sur les cinq Ă©lĂ©gies du Livre des Lamentations, Ă©crites pour la chute du premier Temple, leur trouvant des Ă©chos avec la destruction du second Temple qui se produit quelque six cents ans plus tard ainsi qu’avec la chute de Beitar qui conclut la rĂ©volte de Bar Kokhba. Pour ces raisons, Lamentations Rabba est considĂ©rĂ© comme une lecture particuliĂšrement appropriĂ©e au jeĂ»ne du 9 av, et a inspirĂ© plusieurs kinot rĂ©citĂ©es en ce jour.

Datation et appellations de l’ouvrage

Eikha Rabba fait partie des Midrashim compilĂ©s par les AmoraĂŻm de la terre d’IsraĂ«l peu aprĂšs la clĂŽture du Talmud de JĂ©rusalem. Il est postĂ©rieur Ă  GenĂšse Rabba et Ă  la Pessikta deRav Kahana mais les tentatives de le dater aprĂšs la conquĂȘte arabo-musulmane ne sont pas concluantes (le rabbin Zunz cite par exemple Lamentations Rabba 1:14 oĂč figure « IshmaĂ«l Â» mais il semble que la version soit faussĂ©e et qu’il faille lire en lieu et place « SeĂŻr Â»).
Le midrash est citĂ©, peut-ĂȘtre pour la premiĂšre fois, par Hananel ben Houshiel sous le nom d’Aggadat Eikha. Il est Ă©galement mentionnĂ© dans les Avot deRabbi Nathan sous l’appellation de Meguilat Eikha et d’autres auteurs le connaissent sous les noms de Midrash Kinot, Meguilat Kinot ou Midrash Eikha. On dĂ©signe par le nom d’Eikha Rabbati (rabbati provient de Lamentations 1:1 et n’est pas synonyme de Rabba) les nombreux extraits de ce midrash repris dans le Yalkout Shimoni, aux cĂŽtĂ©s d’un autre midrash sur les Lamentations, dĂ©nommĂ© Eikha Zoutta par Salomon Buber[1].

Il semble exister deux versions diffĂ©rentes d'Eikha Rabba, la premiĂšre (A), dite sĂ©farade, Ă©tant celle qui circulait au Moyen Age en Espagne, en Afrique du Nord et, sous une forme abrĂ©gĂ©e, au YĂ©men (Cambridge Add. 495), la seconde (B) Ă©tant connue en Provence, en Italie, en Allemagne et dans le nord de la France (Parme 2559) ; la diffĂ©rence entre les versions pourrait ĂȘtre due Ă  leur milieu d’origine — l’une, couchĂ©e sur papier pour la premiĂšre fois dans l’empire byzantin se serait fondĂ©e sur des sources Ă©crites tandis que l’autre, apparue en Babylonie, serait tributaire d’une transmission orale avec ce que cela implique de plus grande variabilitĂ© et d’inclusion d’autres matĂ©riaux rabbiniques au Midrash des Lamentations. La premiĂšre Ă©dition du livre, basĂ©e sur la version A, paraĂźt Ă  Pesaro en 1519 ; Buber Ă©tablit en 1899 une Ă©dition critique basĂ©e en grande partie sur la version A mais dont la section interprĂ©tative et les 32 derniĂšres peti’htot sont tirĂ©s de la version B[2].

Contenu

Peti’htot

Lamentations Rabba s’ouvre sur 36 peti’htot qui Ă©tablissent un lien entre les versets des Lamentations et d’autres livres bibliques. Vestiges de leçons et sermons synagogaux sur le Livre des Lamentations, elles occupent plus du quart de l’ouvrage et constituent une collection en elles-mĂȘmes, bien qu’elles soient probablement du mĂȘme auteur que le reste du midrash.
Elles puisent, comme Bereshit Rabba, aux mĂȘmes sources que le Talmud de JĂ©rusalem et la Pessikta deRav Kahana, empruntant Ă©galement Ă  ces derniers et rĂ©ciproquement.
Ainsi, la peti’hta Ă  l’un des discours sur Lamentations commentant sur OsĂ©e 6:7 (« tandis qu'eux Ă  la façon des hommes [kĂš-adam] ont transgressĂ© l'alliance et, depuis lors, me sont devenus infidĂšles. Â»), se retrouve en Bereshit Rabba 19 comme commentaire Ă  GenĂšse 3:9 (« L'Éternel-Dieu appela l'homme [ha-adam], et lui dit: "OĂč es-tu?" Â»), et la fin de cette peti’hta, qui fait le lien avec Lamentations 1:1 (« HĂ©las! Comme [eikha] elle est assise solitaire, la citĂ© naguĂšre si populeuse! Â»), se retrouve dans les Pessiktot, en commentaire sur IsaĂŻe 1:21 (« Ah! Comment [eikha] est-elle devenue une prostituĂ©e, la CitĂ© fidĂšle ? Etc. Â») qui fait partie de la haftara pour le chabbat prĂ©cĂ©dant le 9 av.
De mĂȘme, les seconde et quatriĂšme introductions de la Pessikta sont repris verbatim dans les peti’htot de Lamentations Rabba et les premiĂšre et cinquiĂšme peti’htot de ce midrash se retrouvent sous une forme tronquĂ©e ou altĂ©rĂ©e dans la Pessikta. En revanche, certaines peti’htot de la Pessikta se retrouvent dans la section interprĂ©tative proprement dite de Lamentations Rabba, et reprĂ©sentent vraisemblablement un emprunt de l’auteur de cette derniĂšre Ă  la Pessikta[1].

Section interprétative

La section interprĂ©tative de Lamentations Rabba couvre l’ensemble du Livre des Lamentations, Ă  l’exception de quelques versets du chapitre 3.
Elle n’est pas sans rappeler Bereshit Rabba, avec son lexique riche en termes issus du grec, combinant les explications de phrases ou de mots difficiles Ă  des interprĂ©tations et commentaires d’auteurs sĂ©parĂ©s par les Ă©poques et rĂ©unis par l’auteur du midrash. LĂ  aussi, il semble y avoir eu des emprunts croisĂ©s entre Bereshit et Eikha Rabba, notamment lorsque les livres qu’ils commentent contiennent des passages ou expressions similaires (Ă  l'instar de GenĂšse 8:9 — « [elle] ne trouva pas de point d'appui [manoa'h] pour la plante de ses pieds » — et Lamentations 1:3 — « [elle] demeure parmi les nations, sans trouver de repos [manoa'h] »). Lamentations Rabba comprend aussi des passages tirĂ©s des peti’htot et certains passages sont rĂ©pĂ©tĂ©s lorsqu’une mĂȘme expression ou le mĂȘme phĂ©nomĂšne se rĂ©pĂštent en diffĂ©rents passages des Lamentations (comme l’inversion du pe et du ayin dans l’acrostiche de Lamentations 2 et Lamentations 3)[1].

Reprenant les thĂšmes centraux du Livre qu’il commente, le midrash se distingue en outre par ses nombreuses amplifications narratives sur les malheurs de JĂ©rusalem et du peuple juif, toutes Ă©poques confondues. Il fait en effet le rapprochement entre diffĂ©rents textes sans souci de temporalitĂ©, le Temple dĂ©truit peut ĂȘtre le premier comme le second et les ennemis du peuple juif, qu’ils aient nom Nabuchodonosor, Vespasien ou Hadrien, se croisent ou se cĂŽtoient puisque leurs actes et intentions aboutissent, d’un point de vue juif, au mĂȘme rĂ©sultat. Eikha Rabba dĂ©borde donc largement le sujet des Lamentations car il pleure, outre la chute du premier Temple, celle du second et la sanglante rĂ©pression de la rĂ©volte de Bar Kokhba - au terme de laquelle JĂ©rusalem est non seulement dĂ©truite mais reconstruite comme une ville paĂŻenne interdite aux Juifs, sur une terre qui ne s’appelle plus JudĂ©e mais Syrie-Palestine[3] - [4].

Grandeur et décadence

Comme les Lamentations, Eikha Rabba pleure une belle ville populeuse dont la gloire rayonnait dans le monde, Ă  prĂ©sent dĂ©vastĂ©e, mais le midrash magnifie tant la grandeur de JĂ©rusalem que sa dĂ©cadence : chacune de ses vingt-quatre voies comportaient vingt-quatre portails qui avaient chacun vingt-quatre routes qui avaient chacune vingt-quatre rues qui avaient chacune vingt-quatre cours qui avaient chacune vingt-quatre maisons dans chacune desquelles il y avait deux fois plus d’habitants que les 600 000 qui Ă©taient sortis d’Égypte (Lamentations Rabba 1:2)[5]. Chacun de ceux-ci comptait lui aussi parmi la fine fleur de l’humanitĂ©, au niveau esthĂ©tique, intellectuel, social et Ă©thique et l’auteur multiplie les commentaires sur ce qui avait valu aux habitants de JĂ©rusalem d’ĂȘtre appelĂ©s « les nobles fils de Sion » (Lamentations 4:2)[1]. OĂč qu’aille un JĂ©rusalĂ©mite, on s’empressait de lui offrir une chaire (Lamentations Rabba 1:4) et par dix fois, JĂ©rusalem et AthĂšnes, Ă©pitome de la ville de sagesse, sont mis en contraste : un AthĂ©nien se montre incapable d’acquĂ©rir la sagesse hyĂ©rosolimitaine avant d’acheter l’un des habitants de JĂ©rusalem en esclave, et mĂȘme un enfant se montre intellectuellement supĂ©rieur aux AthĂ©niens les plus distinguĂ©s (Lamentations Rabba 1:5-13)[6].

Plus dure en est la chute : les commentaires sur le verset 1:16 (Êżal ĂšlĂš ani bokhia, litt. « sur ceux-lĂ  je pleure ») dĂ©crivent non seulement les massacres et privations qui entraĂźnent le cannibalisme mais aussi la dĂ©chĂ©ance des plus nobles parmi ces nobles : Rabbi ElĂ©azar ben Tzadok atteste avoir vu Myriam bat Nakdimon, fille de l’un des hommes les plus riches de la ville, rĂ©duite Ă  chercher sa subsistance sous les sabots des chevaux Ă  Acco (Lamentations Rabba 1:31), et Myriam bat BƓthus, issue d’une famille sacerdotale riche et distinguĂ©e, mourir traĂźnĂ©e par des chevaux auxquels elle est liĂ©e par les cheveux (Lamentations Rabba 1:47). Viols et meurtres sont monnaie courante, et Myriam bat Tan’houm meurt en martyr aprĂšs avoir vu ses sept fils exĂ©cutĂ©s l’un aprĂšs l’autre par Hadrien, dans des conditions qui rappellent celles d’une autre mĂšre de sept fils, en d’autres livres et d’autres temps (Lamentations Rabba 1:50)[7]. Les malheurs frappent aussi la classe sacerdotale, et le fils ainsi que la fille du prĂȘtre Tsadok sont vendus comme esclaves Ă  deux maĂźtres diffĂ©rents, le premier Ă©tant offert en salaire Ă  une prostituĂ©e, la seconde Ă©tant Ă©changĂ©e pour une barrique de vin[8].

Cependant, au-delĂ  de ces atrocitĂ©s qui sont le lot des lendemains de guerre pour les vaincus, la destruction de JĂ©rusalem est rendue unique par celle de son Temple : si le midrash se fĂ©licite d’une part que la colĂšre de Dieu se soit dĂ©versĂ©e sur le bois et la pierre plutĂŽt que sur la chair et le sang (Lamentations Rabba 4:14), il insiste d’autre part sur la perte du centre spirituel de l’univers que ce Temple reprĂ©sente[9].

Perles du midrash

  • « Si l’on te dit qu’il y a de la sagesse parmi les nations, crois-le ; [si l’on te dit qu’il y a] de la Torah parmi les nations, ne le crois pas Â» (Lamentations Rabba 2:13)

Notes et références

  1. Jewish Encyclopedia 1906
  2. Alexander 2007, p. 51-53
  3. Zucker 2013, p. 83
  4. Cohen 2010, p. 22-43
  5. Cohen 2010, p. 27-28
  6. Cf. Hasan-Rokem 2000, p. 45-57
  7. Ilan 1997, p. 283-284, Cohen 2010, p. 28-30
  8. Cohen, p. 25 fait remarquer l’allusion cachĂ©e Ă  JoĂ«l 4:3
  9. Cohen 2010, p. 24-25

Annexes

Liens externes

Bibliographie

  • (en) Jewish Encyclopedia, Ekah (Lamentations) Rabbati, New York, Jewish Encyclopedia (Funk & Wagnalls), (lire en ligne)
  • (en) TáșĄl Îlān, Mine and Yours Are Hers : Retrieving Women's History from Rabbinic Literature, Brill, coll. « Arbeiten zur Geschichte des Antiken Judentums und des Urchristentums » (no 41), , 346 p. (ISBN 978-90-04-10860-8, lire en ligne)
  • (en) Galit Hasan-Rokem, Web of Life : Folklore and Midrash in Rabbinic Literature, Stanford University Press, , 287 p. (ISBN 978-0-8047-3227-7, lire en ligne)
  • (en) Philip S. Alexander, The Targum of Lamentations, Collegeville, Liturgical Press, , 224 p. (ISBN 978-0-8146-5864-2, lire en ligne)
  • (en) Shaye J. D. Cohen, « The Destruction : From Scripture to Midrash », dans The Significance of Yavneh and Other Essays in Jewish Hellenism, Mohr Siebeck, (ISBN 978-1620327388)
  • (en) David J. Zucker, The Bible's Writings : An Introduction for Christians and Jews, Wipf and Stock Publishers, , 248 p. (ISBN 978-1-62032-738-8)
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