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Matatias Carp

Matatias Carp (né le à Bucarest, Roumanie, et mort le à Ramat Gan, Israël) est un avocat roumain, témoin de la Shoah en Roumanie.

Matatias Carp
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Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
(Ă  49 ans)
Ramat Gan
Nationalité
Activité
PĂšre
Horia Carp (d)

Contexte

En Roumanie comme ailleurs en Europe et aux États-Unis Ă  la mĂȘme Ă©poque, l’antisĂ©mitisme se manifestait sous diverses formes dont une prĂ©fĂ©rence donnĂ©e aux « citoyens de souche Â» (roumanophones, chrĂ©tiens et ayant servi dans l’armĂ©e roumaine durant la PremiĂšre Guerre mondiale) au dĂ©triment des autres[1], mais des formes d’antifascisme et d’humanisme existaient aussi et pas seulement Ă  gauche[2], car la dictature « carliste Â» Ă©tait conservatrice et de droite mais n’en fit pas moins une guerre civile aux « lĂ©gionnaires Â» fascistes et antisĂ©mites menĂ©s par Corneliu Zelea Codreanu qui finit emprisonnĂ© et exĂ©cutĂ© comme beaucoup de ses fidĂšles[3]. Dans ce contexte, beaucoup de Juifs Ă©taient intĂ©grĂ©s et le pĂšre de Matatias, Horia Carp, Ă©tait une des grandes figures de la vie intellectuelle roumaine de l’entre-deux-guerres. Ainsi Matatias devient un avocat connu, doublĂ© d’un virtuose du piano[4]. C’est plus tard qu’il sera exclu du barreau en raison de ses origines, lorsque la Roumanie, obligĂ©e par les pressions de l’Allemagne nazie de cĂ©der la Transylvanie Ă  la Hongrie, la Bucovine du Nord et la Bessarabie Ă  l’URSS et la Dobroudja mĂ©ridionale Ă  la Bulgarie, est dĂ©membrĂ©e et que le mĂ©contentement populaire force le roi Carol II Ă  abdiquer, permettant, en , au marĂ©chal Antonescu (auto-proclamĂ© « PĂ©tain roumain Â») de s’emparer du pouvoir avec l’aide des « lĂ©gionnaires ». Ce rĂ©gime de type fasciste systĂ©matise les persĂ©cutions contre les Roms et les Juifs, s’allie Ă  Hitler contre Staline, engage le pays dans la Seconde Guerre mondiale dans le camp de l’Axe et se livre, aux cĂŽtĂ©s des nazis, Ă  des crimes antisĂ©mites[5].

ƒuvre

Matatias Carp dĂ©cide alors de devenir l’archiviste des persĂ©cutions des Juifs en Roumanie. Sa position de prĂ©sident de l’Union des juifs roumains lui permet de bĂ©nĂ©ficier de nombreux contacts dans tout le pays, de collecter de nombreux rapports et photos envoyĂ©s par ses correspondants juifs victimes de persĂ©cutions ou de massacres, et par des humanistes et des « justes ». Il rĂ©ussit aussi Ă  soudoyer un officier allemand pour lui acheter des photos.

Matatias Carp consigne tout au fur et Ă  mesure que les informations lui arrivent. Il a au ministĂšre de l’intĂ©rieur un ami humaniste ce qui lui permet de se rendre au ministĂšre, le dimanche, pour y recopier les archives. Il travaille en collaboration avec sa femme. Dans l’immĂ©diat aprĂšs-guerre, Carp obtient, grĂące Ă  des amis juristes qui instruisent les procĂšs de Bucarest intentĂ©s aux responsables du rĂ©gime Antonescu pour crimes contre l’humanitĂ©, divers dossiers d’instruction. De tous ces documents, il tire une sĂ©rie de rĂ©cits, publiĂ©e en trois volumes aprĂšs la guerre entre 1946 et 1948 Ă  Bucarest, sous le titre Cartea Neagră (le « Livre noir »). Le nombre d’exemplaires est modeste, car l’État communiste stalinien mis en place le , bien qu’antifasciste, combattait ce qu’il cataloguait comme du « nationalisme bourgeois » ou du « cosmopolitisme » et se mĂ©fiait du sionisme, dĂšs avant la proclamation de l’État d’IsraĂ«l : avoir Ă©tĂ© persĂ©cutĂ© comme prolĂ©taire ou communiste Ă©tait conforme Ă  l’idĂ©ologie officielle, mais l’avoir Ă©tĂ© en raison de sa religion, de son ethnie, rappelait trop les persĂ©cutions des communistes eux-mĂȘmes[6] contre les religions et contre certains peuples.

D’autres auteurs partagent le point de vue nationaliste de la Garde de fer en Ă©crivant : « le livre est mis trĂšs vite Ă  l’index par le parti communiste car il rĂ©vĂšle l'antisĂ©mitisme profond du peuple roumain »[7], une maniĂšre de prĂ©senter les choses que Neagu Djuvara analyse ainsi : « La position descriptive de Carp et Mircu est cathartique, car elle suscite l’horreur chez les jeunes gĂ©nĂ©rations, et les incite Ă  prendre des moyens pour que cela ne recommence pas, tandis que la thĂšse de l’« antisĂ©mitisme comme partie intĂ©grante de l’identitĂ© roumaine » est gĂ©nĂ©ratrice de nouvelles formes de xĂ©nophobie, car le jeune lecteur se trouve accusĂ© et culpabilisĂ© d’ĂȘtre antisĂ©mite par le seul fait d’ĂȘtre nĂ© roumain, ce qui ne l’incite pas Ă  ressentir de l’empathie pour les victimes, et peut le pousser Ă  adhĂ©rer aux fantasmes des bourreaux »[8].

Carp n’adopte justement pas un point de vue nationaliste, mais socio-politique : il n’écrit pas « les Roumains » mais « le fascisme roumain » et dĂ©crit toute la tragĂ©die sans jamais accuser un peuple ou un pays entier d’en ĂȘtre collectivement coupable par son identitĂ© mĂȘme : au contraire, il analyse les crimes comme rendus possibles par l’effondrement de l’État de droit et de la dĂ©mocratie parlementaire (Ă  partir de 1937), dĂ©litement qui a dĂ©chaĂźnĂ© les forces les plus bestiales du genre humain. Carp Ă©crit : « La Roumanie n’a abritĂ© sur son sol ni chambre Ă  gaz ni fours crĂ©matoires, et elle n’a pas non plus procĂ©dĂ© Ă  l’exploitation industrielle des dents, des cheveux ou de la graisse des victimes. Ayant adoptĂ© des mĂ©thodes de tueries « classiques », pratiquĂ©es depuis la nuit des temps, le fascisme roumain s’est cependant singularisĂ© dans l’extermination des Juifs par un certain nombre de techniques originales : des hommes battus Ă  mort ou asphyxiĂ©s dans des wagons plombĂ©s, d’autres vendus au beau milieu des colonnes des marches de la mort pour ĂȘtre tuĂ©s et leurs vĂȘtements vendus au plus offrant ; d’autres littĂ©ralement coupĂ©s en morceaux et dont le sang servait Ă  graisser les roues des charrettes ».

MalgrĂ© son point de vue rĂ©aliste et exempt de tout nationalisme, Matatias Carp est marginalisĂ© par l’État communiste et Ă©migre en 1952 en IsraĂ«l oĂč il meurt l’annĂ©e suivante. Le livre, traduit et Ă©ditĂ© en France pour la premiĂšre fois en 2009, reste, avec Marius Mircu[9], Raoul Rubsel[10], Carol Iancu[11], Radu Ioanid[12] ou Matthieu Boisdron[13], l’une des principales sources d’information sur le sort des 756 930 Juifs roumains de 1938, dont 369 000 avaient encore la nationalitĂ© roumaine en 1940, et dont 47% soit 356 237 apparaissent au recensement de 1951. L’extermination par le rĂ©gime Antonescu de plus de 265 000 Juifs roumains et soviĂ©tiques est le bilan de la Shoah mise en Ɠuvre par le fascisme en Roumanie : cela reprĂ©sente une moyenne de 240 victimes par jour (-) et c’est le plus lourd bilan aprĂšs la « Solution finale » des nazis.

Bibliographie

Notes et références

  1. Cartea neagră, le livre noir de la destruction des Juifs de Roumanie, 1940-1944, Denoël, 2009 : commentaire critique et traduction de Alexandra Laignel-Lavastine.
  2. (en) LĂĄszlĂł GyĂ©mĂĄnt, « The Romanian Jewry - Historical destiny, tolerance, integration, marginalisation », SRI (Journal for the Study of Religions and Ideologies, no 3,‎ , p. 85-98 (lire en ligne).
  3. Catherine Durandin : Histoire des Roumains, Fayard, Paris, 1995. (ISBN 2-213-59425-2).
  4. (ro) Victor Eskenasy : Izvoare și mărturii referitoare la evreii din RomĂąnia („Sources et tĂ©moignages concernant les Juifs de Roumanie”), vol. I, Ă©d. de la FĂ©dĂ©ration des communautĂ©s hĂ©braĂŻques de Roumanie, p. 141-144, 1986.
  5. C. Durandin : Op.cit., (ISBN 2-213-59425-2).
  6. Victor Frunză, Histoire du communisme en Roumanie, ed. EVF, 588 p., Bucarest 1999, (ISBN 973 9120 05 9).
  7. Phrase de cet article à sa création : voir PdD.
  8. Conférence-débat à l'initiative de l'institut Erudio, le 11 novembre 2009, au Novotel Rive droite de Paris.
  9. Marius Mircu, Ce qui est arrivé aux juifs de Roumanie, Glob, Bat Yam et Papyrus, Holon 1996
  10. Raoul S. Rubsel (trad. Alain Combier), Messages de l'enfer, Ă©d. Fischbacher 1958
  11. Carol Iancu, La Shoah en Roumanie, Université de Montpellier, 2000
  12. Radu Ioanid, La Roumanie et la Shoah : destruction et survie des juifs et des tsiganes sous le régime Antonescu, 1940-1944, Maison des sciences de l'homme, 2003
  13. Matthieu Boisdron, « La Roumanie d'Antonescu dans la Shoah », in Histoire(s) de la derniÚre guerre, no 12, juillet-août 2011.

Articles connexes

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