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Manifestations de Deraa

Les manifestations de Deraa ont lieu en , lors du printemps arabe. Elles marquent le début de la guerre civile syrienne.

Manifestations de Deraa
Informations
Date –
Localisation Deraa (Syrie)
Caractéristiques
Revendications Libération des enfants arrêtés pour un graffiti contre Bachar el-Assad, davantage de libertés et fin de la corruption[1]
Nombre de participants 2 000 Ă  20 000[2]
Bilan humain
Morts 30 Ă  130 au moins[3]

Prélude

En , quelques jours après la chute de Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et celle d'Hosni Moubarak en Égypte, un groupe d'une quinzaine ou d'une vingtaine d'adolescents inscrit sur les murs d'une Ă©cole de Deraa le slogan « Jay alek el door ya doctor » (« Ton tour arrive, docteur »)[4] - [5] - [2] - [1] - [6] - [7] - [8]. Ces mots visent alors directement le prĂ©sident syrien Bachar el-Assad, ancien ophtalmologue[5]. La plupart des enfants, âgĂ©s de 10 Ă  17 ans, sont très rapidement arrĂŞtĂ©s par les services de renseignement et torturĂ©s pendant plusieurs semaines[1] - [6] - [7]. Ils sont frappĂ©s, fouettĂ©s, battus Ă  coups de câbles Ă©lectriques et ont les ongles arrachĂ©s[1] - [6] - [7].

Afin de solliciter la libération des adolescents, un groupe de parents, mené par un cheikh du clan Abazeid, se rend chez le chef de la branche locale de la Sécurité politique, Atef Najib, un cousin de Bachar el-Assad[1]. En signe de soumission, le cheikh dépose son hatta, un turban bédouin, sur le bureau d'Atef Najib[1]. Mais ce dernier réplique brutalement et aurait déclaré aux membres de la délégation : « Oubliez vos enfants et allez retrouver vos femmes. Elles vous en donneront d'autres. Et puis, si vous n'êtes pas capables de leur faire des enfants, amenez-nous vos femmes. On le fera pour vous[1]. » Ces paroles se répandent alors à Deraa comme une traînée de poudre et scandalisent les habitants[1].

DĂ©roulement

Le , un premier rassemblement d'une cinquantaine de personnes a lieu devant le palais de justice de Deraa, mais il se tient dans le silence par peur d'une répression[5] - [1]. Une seconde manifestation de bien plus grande ampleur, baptisée le « vendredi de la liberté », suit le [1]. Selon Benjamin Barthe, journaliste pour Le Monde : « Le cri libérateur survient [...] lors de la prière du vendredi, dans une petite mosquée de Deraa. [...] Au milieu du sermon, dans une ambiance électrique, alors que l'imam prêche le respect du régime, un homme lâche : "Allah akbar !" C'est le signal. Peu à peu, d'autres fidèles l'imitent, à voix basse puis de plus en plus fort. Le petit groupe d'hommes en colère quitte la salle de prière et marche vers la mosquée Al-Omari, quelques centaines de mètres plus loin »[1]. Atef Najib et le gouverneur Fayçal Kalthoum se portent à la rencontre des manifestants près de la mosquée al-Omari, mais ces derniers les accueillent par des insultes et des jets de pierre[1]. Atef Najib appelle alors en renfort une unité antiterroriste : des hélicoptères se posent sur le terrain du stade municipal et les soldats qui en sortent tirent sur la foule, faisant deux à quatre morts et de nombreux blessés[1] - [9] - [5] - [2]. Deux victimes — nommées Hossam Ayach et Mahmoud Jawabreh — sont enterrées le lendemain[2]. Des milliers de personnes viennent assister à leurs funérailles, mais la foule est dispersée violemment par les forces de l'ordre qui arrêtent plusieurs personnes[2].

Le régime tente ensuite de calmer la situation : le ministre de la Justice Mohamad Ahmad Younis se rend à Deraa pour tenter de calmer les esprits et d'ouvrir un dialogue avec les manifestants[10]. Des notables locaux demandent alors la libération de détenus politiques, la fermeture du siège de la police secrète à Deraa et le limogeage du gouverneur, ainsi qu'un procès public pour les responsables de la répression[10]. Le , Fayçal Meqdad, le vice-ministre des Affaires étrangères, et Rostom Ghazaleh, un haut responsable sécuritaire, présentent leurs condoléances pour les morts du [2] - [1] - [7]. Le même jour, la plupart des adolescents sont libérés et célébrés en « héros »[8] - [7] - [6]. Mais les traces de tortures sur leurs corps et leurs visages ravivent la colère des habitants de Deraa[1] - [7] - [2]. Des centaines de personnes tentent alors de gagner le palais du gouverneur, défendu par les forces de l'ordre qui tirent en l'air et utilisent des gaz lacrymogènes[2]. Les manifestants mettent le feu au palais de justice, au siège du Parti Baas et aux succursales de deux compagnies de téléphone mobile dont l'une, Syriatel, appartient à Rami Makhlouf, un cousin du président Bachar el-Assad[2] - [11] - [10] - [12]. Un manifestant est tué par balles, plus de 100 autres sont blessés et la mosquée al-Omari est utilisée comme hôpital de campagne[2] - [11]. Un enfant décède également le après avoir inhalé des gaz lacrymogènes[2].

Environ 2 000 personnes tiennent alors un sit-in Ă  la mosquĂ©e al-Omari[2]. Les manifestants rĂ©clament davantage de libertĂ© et la fin de la corruption en Syrie[11]. Les manifestations commencent Ă©galement Ă  gagner les localitĂ©s voisines de Deraa, comme Enkhel, Jassem ou Nawa[2]. Le , des manifestations pacifiques ont lieu Ă  Jassem (en), au nord-ouest de Deraa, oĂą la foule scande le slogan : « Dieu, Syrie, libertĂ© »[10]. Ă€ Nawa (en), une marche contre le rĂ©gime rassemble 2 500 personnes[13].

Le , plus de mille personnes encerclĂ©es par les forces de sĂ©curitĂ© forment une chaĂ®ne humaine autour de la mosquĂ©e al-Omari[2] - [13]. La police lance l'assaut dans la soirĂ©e : neuf personnes sont tuĂ©es et des dizaines d'autres blessĂ©es[2]. Le , la situation devient insurrectionnelle : les forces de l'ordre tirent Ă  balles rĂ©elles[2] - [14] - [15] - [16]. Selon Jean-Pierre Perrin, journaliste de LibĂ©ration : « Les vidĂ©os disponibles sur Internet confirmaient la violence de l’assaut en montrant des soldats et des hommes en civils, probablement des moukhabarats (la police politique) tirant sur la foule Ă  la kalachnikov »[15]. La police tire encore sur la foule autour de la mosquĂ©e al-Omari et pendant les funĂ©railles de victimes de la veille[16]. Le mĂŞme jour, le gouverneur Fayçal Khaltoum est limogĂ©[17]. Selon des militants locaux des droits de l'homme, les tueries ont fait entre 51 et 100 morts parmi les manifestants[18] - [2] - [14] - [19]. Sana, l'agence de presse du rĂ©gime syrien, affirme qu'un membre des forces de l'ordre a Ă©tĂ© tuĂ© et ne reconnait la mort que de cinq manifestants qu'elle qualifie de membres de « gang armĂ© »[16]. De leur cĂ´tĂ©, le Centre pour les droits de l’homme de Damas et l'hĂ´pital central de Deraa font Ă©tat d'au moins 36 Ă  37 victimes[15]. Le , la mosquĂ©e al-Omari est sous le contrĂ´le des forces de sĂ©curitĂ©[2]. Des milliers de soldats et des unitĂ©s anti-Ă©meutes et anti-terroristes sont dĂ©ployĂ©s dans les rues et aux entrĂ©es de la ville[2]. La tĂ©lĂ©vision d'État syrienne dĂ©clare alors que des armes et des liasses de billets ont Ă©tĂ© saisies Ă  l'intĂ©rieur de la mosquĂ©e, tandis que le rĂ©gime accuse IsraĂ«l d'avoir fomentĂ© la rĂ©volte[2].

Le , à Al-Sanamayn, au nord de Deraa, des hommes du régime ouvrent le feu sur la foule rassemblée devant un bâtiment utilisé par les services de renseignements militaires et tuent 20 personnes selon des habitants[20] - [21]. Les autorités justifient la tuerie en affirmant que les protestataires étaient armés[20].

Le , des manifestants arrachent un portrait gĂ©ant de Bachar el-Assad, tandis qu'une statue de Hafez el-Assad est dĂ©boulonnĂ©e et incendiĂ©e par une foule de 3 000 personnes[22] - [23] - [20]. Des membres des forces de l'ordre en tenue civile ouvrent alors le feu Ă  l'arme automatique Ă  partir de bâtiments alentour et dispersent la foule[20]. Le , des centaines de contestataires se rassemblent sur la place centrale de Deraa en brandissant des pancartes portant le slogan : « Le peuple veut la chute du rĂ©gime »[20]. Le mĂŞme jour, un local du parti Baas et un commissariat sont incendiĂ©s Ă  Tafas, près de Deraa[20] - [21].

Le , une grève gĂ©nĂ©rale est votĂ©e Ă  Deraa[24]. Le , 26 manifestants sont tuĂ©s Ă  Deraa par des tirs des forces syriennes de sĂ©curitĂ© contre un rassemblement pacifique selon l'Organisation nationale pour les droits de l'homme en Syrie[25]. Les mĂ©dias du rĂ©gime affirment quant Ă  eux que 19 policiers ont Ă©tĂ© tuĂ©s et 75 blessĂ©s le mĂŞme jour. 10 000 personnes se rassemblent dans le centre de la ville[26]. Le , après la mort la veille de 25 nouvelles personnes Ă  Deraa et Damas, Nasser Hariri et Khalil RifaĂŻ, deux dĂ©putĂ©s indĂ©pendants de Deraa et Abdel-Rahim Abazid, le mufti de ville, dĂ©missionnent[27] - [28].

Le , les chars de l'armée syrienne entrent dans la ville de Deraa, désormais assiégée (écoles et administrations fermées, couvre-feu complet, interdiction de sortir, excepté une permission de deux heures pour les femmes, électricité, téléphone et internet coupés)[29] - [30] - [31] - [32] - [33].

Bilan humain

Le , les autorités syriennes annoncent l'ouverture d'une enquête sur les morts de Deraa[3]. Le bilan des violences est alors d'au moins 30 morts selon le gouvernement, plus de 70 selon Human Rights Watch et 130 selon les opposants sur place[3]. Amnesty International fait pour sa part état d'au moins 55 morts à la date du [21].

Human Rights Watch dénonce les tirs à balles réelles effectués par les forces de sécurité syriennes contre des manifestants pacifiques[34]. Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch déclare : « Le gouvernement syrien n'a eu aucun scrupule à faire tirer sur des citoyens qui ne cherchaient qu'à exercer leur droit de s'exprimer. Les Syriens font preuve d'un courage incroyable en osant protester publiquement contre l'un des régimes les plus répressifs de la région, et ne devraient pas être soumis au risque de payer de leur vie »[35].

Début mai, l'organisation des droits de l'homme Insan affirme que 607 personnes ont été tuées en Syrie depuis le début de la répression, dont 451 à Deraa[36].

Références

  1. Benjamin Barthe, « Les enfants de Deraa, l'étincelle de l'insurrection syrienne », Le Monde,
  2. « Syrie: Deraa, sept jours de soulèvement », Libération,
  3. « Syrie : une commission va enquêter sur les morts de Deraa », Le Monde avec AFP et Reuters,
  4. Frédéric Gerschel, « Syrie : Deraa, là où tout a commencé », Le Parisien,
  5. Mélanie Longuet, « Six ans de guerre en Syrie, plus de 300 000 morts : les origines d'un conflit sans fin », Le Parisien,
  6. Céline Lussato, « Mars 2011, le tag qui a mis le feu à la Syrie », L'Obs,
  7. Oussama Issa, « Moawyah Sayasneh, la guerre aux mots », Libération,
  8. Syrie : l'adolescent qui a déclenché la guerre a été retrouvé, Le Point, 17 décembre 2016.
  9. AFP, « Syrie/manifestations: 4 morts », Le Figaro,
  10. Les manifestations gagnent une deuxième ville de Syrie, L'Express, 21 mars 2011.
  11. « Syrie : la contestation vire à l'émeute dans la ville de Deraa », Le Monde avec AFP et Reuters,
  12. AFP, « Syrie: sanglantes manifestations à Deraa, bâtiments et voitures en feu », Le Point,
  13. AFP, « Syrie: 5e journée de manifestations contre le régime dans le sud », Le Point,
  14. Gilles Paris, « En Syrie, la ville de Deraa est en état quasi insurrectionnel », Le Monde,
  15. Jean-Pierre Perrin, Deraa, ville martyre de Syrie, Libération, 25 mars 2011.
  16. « Syrie: au moins 15 morts dans des affrontements à Deraa », L'Express avec AFP,
  17. AFP, « Syrie: nouveaux morts dans des affrontements à Deraa », Le Dépèche,
  18. « Syrie: des dizaines de morts à Deraa », L'Express avec AFP,
  19. « Deux ans de guerre sanglante en Syrie », Le Monde,
  20. « Le mouvement de contestation s'étend en Syrie », L'Express avec Reuters,
  21. « Les appels à la révolte continuent malgré les tentatives d'apaisement du gouvernement », Le Monde avec AFP et Reuters,
  22. « Les manifestants syriens à l'assaut des symboles du pouvoir », Libération,
  23. [vidéo] Syrie: des manifestants s'attaquent à une statue du père d'Assad, AFP, 28 mars 2011.
  24. « Une tension toujours très vive en Syrie », Le Monde avec AFP,
  25. « Une ONG syrienne fait état de 26 morts vendredi à Deraa », L'Express,
  26. « Syrie : la répression des manifestations fait plusieurs dizaines de morts », Le Monde avec AFP, AP et Reuters,
  27. « Syrie: le mufti de Deraa démissionne », AFP,
  28. « La police tire à nouveau sur la foule en Syrie », Le Monde avec AFP,
  29. « Syrie: les chars se retirent de Deraa... et se déploient à Banias », sur Libération (consulté le )
  30. Nicolas HĂ©nin, Haytham, jeunesse syrienne, Dargaud, , p. 35
  31. « Syrie: les troupes appuyées par des chars entrent à Deraa, au moins 25 morts », AFP,
  32. Armin Arefi, « Les enfants rebelles de Deraa », Le Point,
  33. « « Syrie : la répression continue avec l’entrée des blindés à Deraa », », RFI,
  34. « Syrie: Les forces de sécurité ont tué des dizaines de manifestants », Human Rights Watch,
  35. « Syrie: La répression gouvernementale a fait plusieurs morts », Human Rights Watch,
  36. « Des centaines d'arrestations de manifestants en Syrie », RFI,
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