Madeleine Mouton
Madeleine Mouton (en arabe : Ù Ű§ŰŻÙÙÙ Ù ÙŰȘÙÙ), nĂ©e Madeleine Maxence Le Veller, Ă Ăvreux, le , et morte guillotinĂ©e Ă Sidi Bel AbbĂšs, le , est une tueuse en sĂ©rie et une empoisonneuse qui fut condamnĂ©e Ă mort et exĂ©cutĂ©e. Elle est l'avant derniĂšre femme française Ă avoir Ă©tĂ© guillotinĂ©e et la seule Ă l'avoir Ă©tĂ© en AlgĂ©rie française[1].
Naissance | |
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DĂ©cĂšs | |
Nom de naissance |
Madeleine Maxence Le Veller |
Surnom |
L'empoisonneuse de Berthelot |
Nationalité |
française |
Conjoint |
Clément Désiré Mouton |
Condamnée pour | |
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Condamnation |
Biographie
Enfance et prime jeunesse en France
Madeleine Le Veller est nĂ©e Ă Ăvreux, le [2]1910[3]. Les parents y sont ouvriers. Une sĆur naĂźt Ă©galement de cette union[Notes 1]. Dix annĂ©es plus tard, le couple se sĂ©pare en raison de l'alcoolisme paternel. La maman part alors s'installer Ă Charleville avec ses deux filles. Madeleine Mouton frĂ©quente l'Ă©cole jusqu'Ă 14 ans et obtient son certificat d'Ă©tudes primaires. Des tĂ©moins rapportent que l'enfant Ă©tait d'humeur instable, volontiers vaniteuse et affabulatrice. Elle aimait ainsi Ă raconter qu'elle Ă©tait de haute naissance et se promenait parfois â le fait est rapportĂ© par sa sĆur â avec un Ă©tui vide de violon pour que d'aucuns la croient musicienne[3]. Ă 17 ans, elle tente de mettre fin Ă ses jours en ingĂ©rant du pĂ©trole. Jeune fille, elle est alors employĂ©e au buffet de la gare de Charleville. C'est lĂ qu'elle rencontre ClĂ©ment Mouton. Le couple qu'ils forment dĂ©sormais se marie Ă Charleville en 1929, elle a 18 ans. Elle aurait fait une premiĂšre grossesse qualifiĂ©e de « nerveuse » en 1933. Son mari s'enrĂŽle dans la Garde-mobile. Plusieurs tĂ©moins confirment que Madeleine noue une idylle avec un officier de la garnison dont la rupture lui causa un « vif chagrin »[4].
L'Algérie
En 1940, ClĂ©ment Mouton demande Ă ĂȘtre mutĂ© Ă Constantine en AlgĂ©rie. Madeleine l'y accompagne et confesse que le « climat africain » a dĂ©rĂ©glĂ©, « dĂ©rangĂ© » sa vie. Elle mĂšne alors une vie tumultueuse, s'abandonne aux plaisirs de la chair, sort, boit et fait passer sa vie sexuelle avant toute autre prĂ©occupation[4]. C'est Ă cette Ă©poque qu'elle mĂšne une grossesse Ă son terme, l'accouchement est difficile et son enfant meurt ĂągĂ© de cinq jours[4]. Les fredaines de madame Mouton provoquent de nombreuses mutations de son mari, d'abord Ă MoliĂšre en 1941, nouvelles frasques, nouvelle mutation Ă Boghari oĂč elle met au monde son second enfant. Sa maternitĂ© ne calme pas ses ardeurs, au contraire, poursuivant de plus belle, son inconduite conduit Ă nouveau Ă l'affectation de son mari Ă la gendarmerie de Berthelot, nous sommes mi-42, mieux encore, cette fois-ci Madeleine Mouton est interdite de logement Ă la caserne. Durant cette pĂ©riode, elle prend une pension chez Madame Dez Ă Berthelot. Enceinte, elle met au monde un troisiĂšme enfant quelques mois plus tard. En , Madeleine Mouton est enfin autorisĂ©e Ă regagner le logement qu'occupe son mari Ă la caserne[3]. LĂ , elle retrouve un couple d'amis rencontrĂ© en France, les Ă©poux Leroux, dont le mari est lui aussi casernĂ© Ă Berthelot. Elle y rencontre Ă©galement â et surtout â le Brigadier-chef auquel elle fait des avances des plus directes, ils deviennent amants[3]. Madeleine Mouton mĂšne alors grand train, elle accumule les dettes, contracte des emprunts et se rend trĂšs frĂ©quemment Ă Sidi Bel AbbĂšs oĂč elle sĂ©journe plusieurs jours[3].
Durant l'annĂ©e 1943, diffĂ©rents dĂ©cĂšs suspects surviennent Ă Berthelot. Les victimes prĂ©sentent toutes les caractĂ©ristiques d'un empoisonnement aigu. Ceci Ă©veille les soupçons de l'auxiliaire mĂ©dical du village puis du mĂ©decin de SaĂŻda. La rumeur enfle et les regards se tournent vers Madeleine Mouton, celle-lĂ mĂȘme qui a prodiguĂ© des soins constants et manifestĂ© un dĂ©vouement sans faille Ă l'ensemble des victimes[5]. Plusieurs autres personnes Ă Berthelot, dont ClĂ©ment Mouton, ont Ă©galement prĂ©sentĂ© une symptomatologie identique mais ont nĂ©anmoins survĂ©cus. Vers octobre 1943, le troisiĂšme enfant de Madeleine Mouton ĂągĂ© de dix mois meurt. Fin 43, dĂ©but 44, la Brigade-mobile est saisie et diligente une enquĂȘte[5].
L'enquĂȘte
L'enquĂȘte rĂ©vĂšle que lorsqu'elle logeait chez Madame Dez, Madeleine Mouton a achetĂ© 200 grammes d'arsĂ©nite de soude pour lutter contre les fourmis avait-elle expliquĂ© au droguiste. La sĆur de Madeleine mentionne un courrier reçu de son beau-frĂšre, ClĂ©ment Mouton, dans lequel il lui explique les soupçons qu'il nourrit envers sa femme quant au dĂ©cĂšs de leur enfant. Cette enquĂȘte conduit Ă l'arrestation de Madeleine Mouton en . ArrĂȘtĂ©e, elle passe aussitĂŽt aux aveux et reconnait 4 empoisonnements, en revanche, pour le reste, elle nie farouchement[3].
Elle a tout d'abord empoisonnĂ© Madame Leroux en , puis, dix jour plus tard, son mari, le gendarme Leroux. Madame Leroux meurt mais son mari survit. Madeleine n'est Ă ce moment pas du tout suspectĂ©e. Le gendarme Leroux et sa fille, Micheline, viennent mĂȘme s'installer en pension chez Madeleine[3]. Une collecte est organisĂ©e et rĂ©colte 2 400 francs pour la petite orpheline de mĂšre. La somme disparait entre les mains de Madeleine Mouton qui doit emprunter 4 000 francs auprĂšs de Madame Lamasse dĂšs lors que cet argent est requis pour l'Ă©ducation de la gamine. Quelques semaines plus tard, en , la belle-mĂšre de Madame Lamasse, Madame Juan, meurt empoisonnĂ©e. En , un vieillard, Monsieur Bene, succombe Ă son tour aux bons soins de Madame Mouton[3].
Madeleine Mouton, d'abord Ă©crouĂ©e Ă Sidi Bel AbbĂšs est ensuite transfĂ©rĂ©e, le , Ă la prison civile d'Alger en vue de son « expertise mentale »[4]. Nouvelles tergiversations, elle aurait nouĂ© une relation avec l'un de ses geĂŽliers, serait enceinte et est donc transfĂ©rĂ©e Ă la maternitĂ© de l'hĂŽpital Mustapha. Elle y reste plusieurs semaines non pour sa grossesse â inexistante au demeurant â mais pour une infection gynĂ©cologique. Elle tait le vĂ©ritable motif de son inculpation et se fait passer pour une prisonniĂšre politique qui aurait dit un peu trop haut son admiration pour le marĂ©chal PĂ©tain. Elle embobine tout le monde et des tĂąches lui sont mĂȘme confiĂ©es au sein de la maternitĂ©[4]. L'expertise peut enfin avoir lieu. Antoine Porot dans ses conclusions rĂ©pond Ă la seule question qui lui fut posĂ©e : « LâinculpĂ©e jouit-elle de la plĂ©nitude de ses facultĂ©s mentales?[6] » et affirme que Madeleine Mouton est saine d'esprit et par consĂ©quent responsable de ses actes et note toutefois une importante consommation de vin (plusieurs litres par jour) qui n'excluait pas la prise d'apĂ©ritifs et autres liqueurs[7]. Il prĂ©cise : « Cette extinction du sens moral est soulignĂ©e par lâabsence de remords. Rien de profond ne vibre en elle. Les sentiments familiaux sont assez Ă©moussĂ©s; lâhonneur conjugal a Ă©tĂ© balayĂ© par sa sensualitĂ© Ă©rotique toujours en quĂȘte de satisfactions; elle ne craint pas de nous dire que, son mari Ă©tant absent, tout lui Ă©tait permis[8] ». Il remet ses conclusions au tribunal, le [6].
Le jugement et la condamnation
Madeleine Mouton est finalement accusée de onze empoisonnements ayant conduit à la mort de sept personnes [9]. Son jeune avocat, maßtre Allégret plaide l'irresponsabilité : « Quoique empoisonneuse, elle n'est pas responsable, ayant perdu la raison » et plus avant : « Cette femme qui est une détraquée a droit à l'internement[10] ».
Faute de preuves suffisantes, les sept faits suspectés ne sont pas retenus. Seuls les quatre empoisonnements pour lesquels elle est en aveux seront poursuivis. Le procÚs débute le .
Le , la Cours d'assises de Sidi Bel AbbĂšs rend son verdict. Le procureur gĂ©nĂ©ral Coquilhat, pendant plus d'une heure, revient sur les crimes commis[10]. Le jury rend son verdict, Madeleine Mouton est condamnĂ©e Ă la peine capitale[11]. La sĂ©vĂ©ritĂ© du jugement s'explique par le « caractĂšre monstrueux » de cette sĂ©rie de meurtres : « Il sâagissait dâempoisonnements en sĂ©rie prĂ©parĂ©s et perpĂ©trĂ©s en toute luciditĂ©, habilement camouflĂ©s sous des dehors de bienveillance et de dĂ©vouement et quâaucun mobile passionnel (jalousie, vengeance, cupiditĂ©) ne venait expliquer[11] » commente l'expert psychiatre, Antoine Porot, dans son compte rendu dont de larges extraits sont publiĂ©s et commentĂ©s dans les Annales de mĂ©decine lĂ©gale[11].
Elle introduit une demande en grùce auprÚs du président Vincent Auriol[9].
L'exécution
Sa demande de grĂące prĂ©sidentielle est rejetĂ©e. Le [9] - [11] Madeleine Mouton est exĂ©cutĂ©e Ă 5h17 du matin dans la cour intĂ©rieure de la prison de Sidi Bel AbbĂšs. Plus tĂŽt dans le mois, Maurice Meyssonnier, l'exĂ©cuteur des hautes Ćuvres comme il aimait Ă se faire appeler, reçoit l'ordre d'exĂ©cution « le plus dramatique de sa carriĂšre »[12]. Il s'agissait, du jamais vu Ă cette Ă©poque, d'exĂ©cuter une femme. Le , la veille de l'exĂ©cution, le bourreau et son assistant[Notes 2] rencontrent la prisonniĂšre, se faisant passer pour des entrepreneurs venus mesurer sa cellule afin de venir la repeindre le lendemain. Ils remettent des vĂȘtements civils au gardien-chef et lui signale qu'ils viendront le lendemain de bonne heure. Le soir mĂȘme, le gardien-chef remet ses habits Ă Madeleine Mouton pour qu'elle les revĂȘte le lendemain en vue d'une sortie. Lorsque les bourreaux arrivent le au point du jour, Madeleine Mouton est Ă mille lieues d'imaginer ce qui l'attendait. Son avocat est dĂ©jĂ sur place, lui qui n'avait de cesse de la conforter dans l'idĂ©e que sa peine serait commuĂ©e en perpĂ©tuitĂ©, est prĂ©sent lors de l'annonce de son exĂ©cution imminente. Sont Ă©galement prĂ©sent le procureur de la rĂ©publique Coquilhat, le prĂ©sident du tribunal Barbazan, le juge d'instruction Escrivant et son greffier, M. Marquet. Ă l'annonce de l'application de la sentence, Madeleine Mouton fait une syncope. Le mĂ©decin est appelĂ©, elle est aussitĂŽt ranimĂ©e[12]. Elle demande ensuite le secours de la religion qu'elle obtient auprĂšs du chanoine Mas de Sidi Bel AbbĂšs. Conduite Ă l'Ă©chafaud, elle lance : « Adieu maman, je l'ai mĂ©ritĂ© ». Sa jupe avait Ă©tĂ© Ă©pinglĂ©e Ă l'entre jambe, ses cheveux remontĂ©s et son chemisier Ă©chancrĂ© pour ne pas gĂȘner la course du couperet. Lorsqu'elle fut basculĂ©e sur la guillotine, ses seins en sortirent. Elle s'Ă©cria « Mes enfants, mes enfants ! » et ce fut la fin[12]. Le docteur Ayach dressa le procĂšs-verbal de dĂ©cĂšs et le corps fut inhumĂ© au cimetiĂšre de Sidi Bel AbbĂšs.
Sources
Les principales sources sont Antoine Porot qui fut chargĂ© en 1945 de rĂ©aliser l'expertise psychiatrique de Madeleine Mouton sur laquelle il revient longuement dans les Annales de mĂ©decine lĂ©gale de janvier-fĂ©vrier 1948 publiĂ©es cependant dĂ©but 1949. Ce texte est postĂ©rieur Ă l'exĂ©cution de Madeleine Mouton[13]. Un autre texte, plus rĂ©cent, a Ă©tĂ© co-Ă©crit par Fernand Meyssonnier dans ses mĂ©moires : « Paroles de bourreau ». ĂgĂ© de 17 ans lors de l'exĂ©cution, il est le jeune assistant de son pĂšre Maurice Meyssonnier, le bourreau en titre Ă cette Ă©poque en AlgĂ©rie française. Il reprend Ă©galement un texte Ă©crit par Maurice Meyssonnier, qui revient Ă©galement sur les circonstances de l'exĂ©cution[12]. La presse d'Ă©poque couvre Ă©galement le procĂšs, la condamnation Ă mort et l'exĂ©cution de la sentence.
Bibliographie
- Hani Abdelkader, « La justice pĂ©nale coloniale dans la rĂ©gion de Sidi Bel AbbĂšs », La Voix de l'Oranie, no 5072,â (lire en ligne).
- Jean-Marie Bessette et Fernand Meyssonnier, Paroles de bourreau, Editions Imago, (ISBN 978-2-84952-405-3, lire en ligne).
- « Maurice Meyssonnier : ExĂ©cution de Madeleine Mouton : Les mĂ©moires de Mr d'Alger, exĂ©cuteur des hautes Ćuvres. », dans Fernand Meyssonnier, Parole de bourreau, , pages non numĂ©rotĂ©es.
- Antoine Porot, « L'empoisonneuse de Berthelot », dans Annales de médecine légale de criminologie, police scientifique, médecine social, et toxicologique, t. 1, J.-B BailliÚre et Fils., 1948-1949 (lire en ligne), p. 224-231.
Presse d'Ă©poque
- « L'empoisonneuse Madeleine Mouton condamnĂ©e Ă mort par les Assises de Sidi Bel AbbĂšs. », Alger rĂ©publicain, no 1345,â , p. 1-2 (lire en ligne)
- « Aux Assises de Bel AbbĂšs, Madeleine Mouton, l'empoisonneuse de Berthelot, est condamnĂ©e Ă mort. », L'Ăcho d'Alger : journal rĂ©publicain du matin, no 13416,â (lire en ligne)
Archives
- Acte de naissance de Madeleine Le Veller
Notes et références
Notes
- Le pĂšre de Madeleine Maxence Le Veller, Jean Marie Le Veller, nait Ă PlĂ©lo le , il est le fils de Jean Le Veller et de Jeanne Louise Monjaret. Il Ă©pouse Ă Ăvreux, le , Louise Gabrielle Latouche, nĂ©e en cette mĂȘme ville, le . Elle est la fille de Pierre Louis Latouche (1858-1913) et d'Alphonsine LĂ©onie Bienvenu (1865-1952). Jean-Marie Le Veller et Louise Gabrielle Latouche rĂ©sident Ă Louviers en 1906 lorsque leur premiĂšre enfant naĂźt, Solange RenĂ©e Le Veller (source : Actes de naissance de Solange RenĂ©e Le Veller, Archives dĂ©partementales de l'Eure, municipalitĂ© de Louviers, annĂ©e 1906 (voir en ligne).), le . Madeleine Maxence naĂźt quant Ă elle Ă Ăvreux le . Ă cette Ă©poque, Jean Le Veller est journalier et Louise Gabrielle Latouche est ouvriĂšre de manufacture (source : Actes de naissance de Madeleine Le Veller, Archives dĂ©partementales de l'Eure, municipalitĂ© d'Ăvreux, annĂ©e 1910 (voir en ligne).
- André Berger
Références
- « Zabana et Ferradj, les premiers guillotinĂ©s de la guerre dâAlgĂ©rie », sur www.humanite.fr, (consultĂ© le )
- Actes de naissance de Madeleine Le Veller, Archives dĂ©partementales de l'Eure, municipalitĂ© d'Ăvreux, annĂ©e 1910.
- Porot 1948-1949, p. 226.
- Porot 1948-1949, p. 227.
- Porot 1948-1949, p. 225.
- Porot 1948-1949, p. 231.
- Porot 1948-1949, p. 228.
- Porot 1948-1949, p. 229.
- Hani Abdelkader 2016, p. 7.
- « L'empoisonneuse Madeleine Mouton condamnĂ©e Ă mort par les Assises de Sidi Bel AbbĂšs. », Alger rĂ©publicain, no 1345,â , p. 1-2 (lire en ligne)
- Porot 1948-1949, p. 224.
- Bessette-Meyssonier 2002, p. non numérotées.
- Porot 1948-1949, p. 224-231.
Voir aussi
Articles connexes
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