MĂ©trique de Cayley-Klein
En mathĂ©matiques, une mĂ©trique de Cayley-Klein est une mĂ©trique dĂ©finie sur le complĂ©mentaire d'une quadrique fixĂ©e d'un espace projectif, la quadrique absolue, Ă l'aide du birapport. Cette mĂ©trique a Ă©tĂ© construite par Arthur Cayley en 1859 ; la construction fut complĂ©tĂ©e par Felix Klein entre 1871 et 1873. Les mĂ©triques de Cayley-Klein fournissent un cadre unifiĂ© aux diffĂ©rentes gĂ©omĂ©tries euclidiennes et non euclidiennes, en y dĂ©finissant la notion de distance par la mĂȘme construction dans tous les cas.
Historique
Parmi les idĂ©es ayant servi de base Ă la construction de Cayley-Klein, on trouve l'« algĂšbre des jets (en) » crĂ©Ă©e par Karl von Staudt en 1847, une approche de la gĂ©omĂ©trie ne faisant pas intervenir de distances ou d'angles, et n'utilisant que les notions de division harmonique et de birapport[1]. En 1853, Edmond Laguerre obtint un autre rĂ©sultat important (en), montrant que l'angle entre deux droites (en gĂ©omĂ©trie euclidienne) peut ĂȘtre calculĂ© Ă partir d'un birapport[2]. Finalement, en 1859, Arthur Cayley formula dans son article On the theory of distance[3] des relations exprimant les distances Ă partir de calculs (en gĂ©omĂ©trie projective) liĂ©s Ă une quadrique dĂ©finie par lui comme l'absolu de la gĂ©omĂ©trie Ă©tudiĂ©e[4] - [5]. Felix Klein, dans des articles de 1871 et 1873, puis dans une sĂ©rie d'ouvrages[6], reprit le travail de von Staudt, en supprima les derniĂšres rĂ©fĂ©rences Ă la distance euclidienne, et le combina Ă la thĂ©orie de Cayley pour dĂ©finir la nouvelle mĂ©trique comme le logarithme d'un birapport[7], Ă©liminant le risque d'une dĂ©finition circulaire[8], et montrant que les gĂ©omĂ©tries non euclidiennes pouvaient, comme la gĂ©omĂ©trie euclidienne, ĂȘtre dĂ©finies Ă partir de cette mĂ©trique[9].
La géométrie de Cayley-Klein (suivant les principes du programme d'Erlangen) est l'étude du groupe des isométries pour cette métrique ; on démontre qu'il s'agit du sous-groupe des transformations projectives laissant globalement invariante la quadrique absolue ; chaque choix de quadrique correspond à une des géométries classiques (euclidienne, hyperbolique, elliptique, etc.).
DĂ©finition
On fixe une quadrique Q d'un espace projectif E sur le corps des complexes ; Q est appelĂ©e la quadrique absolue de la gĂ©omĂ©trie qu'on veut dĂ©finir. Si a et b sont deux points distincts de E, non dans Q, la droite (a,b) intersecte Q en deux autres points p et q[10]. La distance de CayleyâKlein d(a,b) est proportionnelle au logarithme du birapport (a,b ; p,q)[11] : , oĂč est une constante.
Si le birapport est positif, est réel (cela correspond à une géométrie hyperbolique ; la valeur 1/2 donne une courbure ) ; sinon, il faut prendre complexe (on est alors dans le cas d'une géométrie elliptique).
Pour des calculs algĂ©briques (et en utilisant une forme plus moderne de reprĂ©sentation), on se place en coordonnĂ©es homogĂšnes, et on fixe une forme quadratique ; on note la forme bilinĂ©aire associĂ©e, appelĂ©e dans ce contexte forme polaire de , dĂ©finie par . La quadrique absolue a alors pour Ă©quation (plus prĂ©cisĂ©ment, , Ă©tant un point de coordonnĂ©es , avec dans le cas du plan et dans l'espace ; de plus, la matrice de Ă©tant symĂ©trique, on a ) ; on dĂ©montre alors que la distance de CayleyâKlein entre les points et est [12]:
- ; avec ces notations, .
Prenant pour simplifier, on en déduit que dans le cas hyperbolique[13] :
- ,
et dans le cas elliptique (en prenant )[14] :
- .
Formes normales de la quadrique absolue
Dans le cas rĂ©el, toute quadrique dĂ©finie par l'Ă©quation peut ĂȘtre mise par changement (linĂ©aire) de variable sous la forme , avec (rĂ©duction de Gauss), le nombre des de chaque type ne dĂ©pendant pas du changement de variable, d'aprĂšs la loi d'inertie de Sylvester. On obtient dans l'espace euclidien usuel la classification suivante (voir l'article quadrique et les articles dĂ©taillĂ©s pour des illustrations)[15] :
- I. Quadriques réguliÚres.
- 1. . Surface vide.
- 2. . Surfaces topologiquement semblables Ă la sphĂšre.
- a) EllipsoĂŻde (pas d'intersection avec le plan de l'infini).
- b) ParaboloĂŻde elliptique (tangente avec le plan de l'infini).
- c) Hyperboloïde à deux nappes (sécante avec le plan de l'infini).
- 3. . Surfaces topologiquement semblables Ă la bouteille de Klein.
- a) Hyperboloïde à une nappe (sécante avec le plan de l'infini).
- b) ParaboloĂŻde hyperbolique (tangente avec le plan de l'infini).
- II. CĂŽnes.
- 1. . « CÎnes » vides.
- 2. . « CÎnes » ordinaires.
- a) CĂŽne
- b) Cylindre elliptique (sommet dans le plan Ă l'infini)
- c) Cylindre parabolique (droite double dans le plan Ă l'infini)
- d) Cylindre hyperbolique (deux droites dans le plan Ă l'infini)
- III. Couples de plans.
- 1. . Plans imaginaires conjugués.
- a) Intersection Ă distance finie.
- b) Plans parallĂšles.
- 2. . Plans réels.
- a) Intersection Ă distance finie.
- b) Plans parallĂšles.
- c) Un plan Ă distance finie et le plan de l'infini.
- 1. . Plans imaginaires conjugués.
- IV. Plan double.
- 1. .
- a) Plan double Ă distance finie.
- b) Plan de l'infini compté deux fois.
- 1. .
Les transformations projectives bijectives (les collinĂ©ations) laissant ces formes invariantes sont liĂ©es aux transformations de Möbius[16]. Ces formes amĂšnent Ă des Ă©quations simples pour la distance de Cayley-Klein ; le plan euclidien a ainsi pour absolu les droites isotropes (ou , si l'on prĂ©fĂšre, les points cycliques )[17]. De mĂȘme, le plan hyperbolique a pour absolu le cercle unitĂ© , et comme distance de Cayley-Klein [18].
Relativité restreinte
Dans ses conférences de 1919 et 1920 (publiées à titre posthume en 1926) sur l'histoire des mathématiques, Klein écrivait[19] :
« Le cas (ou , pour rester en trois dimensions et utiliser des coordonnées homogÚnes) a récemment acquis une signification particuliÚre à travers la théorie de la relativité. »
Autrement dit, la conique (ou quadrique) absolue de la gĂ©omĂ©trie hyperbolique, ou , correspond aux intervalles ou de l'espace-temps, et les transformations laissant la quadrique absolue invariante sont en correspondance avec les transformations de Lorentz. De mĂȘme, les Ă©quations du cercle ou de la sphĂšre unitĂ© en gĂ©omĂ©trie hyperboliquecorrespondent Ă des vitesses physiques ou , qui, en relativitĂ©, sont bornĂ©es par la vitesse de la lumiĂšre c, donc pour tout vecteur-vitesse physique v, le rapport v/c doit rester Ă l'intĂ©rieur de la sphĂšre unitĂ©, qui forme l'absolu de cette gĂ©omĂ©trie.
D'autres aspects de cette relation entre la mĂ©trique de CayleyâKlein pour l'espace hyperbolique et celle de l'espace de Minkowski en relativitĂ© restreinte furent mis en Ă©vidence par Klein en 1910[20], ainsi que dans l'Ă©dition de 1928 de ses confĂ©rences sur la gĂ©omĂ©trie non euclidienne[21].
CK-géométrie affine
En 2008, Horst Martini et Margarita Spirova ont gĂ©nĂ©ralisĂ© le premier des thĂ©orĂšmes de Clifford sur les cercles (en) et dâautres thĂ©orĂšmes de gĂ©omĂ©trie euclidienne en utilisant la gĂ©omĂ©trie affine associĂ©e Ă une mĂ©trique de Cayley-Klein : lâidĂ©e est dâappliquer la mĂȘme construction Ă des coniques absolues dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©es (formĂ©es du produit dâune droite et de la droite de lâinfini) ; le rĂŽle jouĂ© par les complexes en gĂ©omĂ©trie euclidienne est dĂ©volu aux complexes fendus dans leurs constructions[22].
Références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « CayleyâKlein metric » (voir la liste des auteurs).
- Klein & Rosemann (1928), p. 163
- Klein & Rosemann (1928), p. 138
- Cayley (1859), p 82, §§209 to 229
- Klein & Rosemann (1928), p. 303
- Pierpont (1930), p. 67ff
- Klein (1871, 1873), Klein (1893ab), Fricke/Klein (1897), Klein (1910), Klein/Ackerman (1926/1979), Klein/Rosemann (1928)
- Klein & Rosemann (1928), pp. 163, 304
- Russell (1898), page 32
- Campo & Papadopoulos (2014)
- Si cette droite est tangente Ă Q, on a p=q.
- Klein & Rosemann (1928), p. 164
- Klein & Rosemann (1928), p. 167ff
- Veblen & Young (1918), p. 366
- Veblen & Young (1918), p. 372
- Klein & Rosemann (1928), p. 68; voir aussi les classifications des pages 70, 72, 74, 85 et 92.
- Klein & Rosemann (1928), chapter III
- Klein & Rosemann (1928), pp. 132f
- Klein & Rosemann (1928), pp. 185, 251
- Klein/Ackerman (1926/1979), p. 138
- Klein (1910)
- Klein & Rosemann (1928), chapter XI, §5
- Martini and Spirova (2008)
Bibliographie
Sources primaires
- (de) Karl von Staudt, Geometrie der Lage, NĂŒrnberg F. Korn, (lire en ligne)
- Edmond Laguerre, « Note sur la thĂ©orie des foyers », Nouvelles annales de mathĂ©matiques, vol. 12,â , p. 57â66 (lire en ligne)
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- (de) Felix Klein, « Ueber die sogenannte Nicht-Euklidische Geometrie », Mathematische Annalen, vol. 6, no 2,â , p. 112â145 (DOI 10.1007/BF01443189, lire en ligne)
- (de) Felix Klein, Nicht-Euklidische Geometrie I, Vorlesung gehalten wĂ€hrend des Wintersemesters 1889â90, Göttingen, Schilling, Fr., (lire en ligne)
- (de) Felix Klein, Nicht-Euklidische Geometrie II, Vorlesung gehalten wÀhrend des Sommersemesters 1890, Göttingen, Schilling, Fr., (lire en ligne)
Sources secondaires
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- (en) Bertrand Russell (1898) An Essay on the Foundations of Geometry, re-issued 1956 by Dover Books
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Compléments
- (en) Jan Drösler (1979) "Foundations of multidimensional metric scaling in Cayley-Klein geometries", British Journal of Mathematical and Statistical Psychology 32(2); 185â211