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Mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États

Un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (en anglais Investor-state dispute settlement, ISDS en abrégé) est un instrument présent dans de nombreux accords de libre-échange, qui permet aux entreprises d'attaquer un État devant un tribunal arbitral international comme le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), organe dépendant de la Banque mondiale basé à Washington. L'un des arbitres est nommé par l'entreprise, le deuxième par l'État et le troisième par la secrétaire générale de la Cour permanente d'arbitrage[1].

Principe

Une entreprise qui investit dans un pays autre que le sien s'expose à un risque juridique : le pays hôte peut prendre des décisions nuisant à son activité ou ne pas respecter certains engagements envers elle. Afin de réduire le risque pris par les investisseurs, certains pays acceptent de mettre en place un dispositif pour régler de façon impartiale les différends éventuels entre ces investisseurs et les États qui les accueillent.

Accords portant sur les investissements

Un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États est prévu dans de nombreux traités de libre-échange ou d'investissement, par exemple :

Ces accords définissent des règles encadrant les actions que les États peuvent prendre ayant un effet sur la rentabilité des investissements dans l'un des pays signataires de l'accord. Ils précisent également comment un différend éventuel sera réglé. Parmi les règles les plus fréquentes relatives aux décisions que les États peuvent prendre, on trouve :

  • le principe de non-discrimination : les règles qui s'appliquent à une entreprise doivent s'appliquer à toutes ;
  • des règles relatives aux expropriations (indemnisations, etc.).

Expropriation

Si la définition de l'expropriation est peu ambigüe, celle de l'expropriation indirecte a été pendant longtemps moins claire. Le texte de l'Accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada tente une clarification de cette notion. Celle-ci nécessite de prendre en compte les effets économiques d'une mesure qui pourrait être prise par un État. Le texte de l'accord inclut des dispositions précisant que les mesures « conçues et appliquées pour protéger des objectifs légitimes d'intérêt public, tels que la santé, la sécurité ou l'environnement » ne sont pas assimilables à des expropriations indirectes« sauf dans les rares circonstances où l’impact de la mesure [...] apparaît manifestement excessif »[2] - [3].

Exemples

Différends

Selon un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement en 2013 les États ont obtenu gain de cause dans 42 % des cas, contre 31 % pour les entreprises. Les cas restants ont été conclus par un règlement à l'amiable[4].

Dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain, à une exception près en 25 ans, toutes les indemnisations versées à des entreprises dans des affaires relatives à l'environnement faisaient suite à des plaintes de sociétés américaines contre des politiques publiques canadiennes[5].

Menaces

Avant le déclenchement d'un différend, une multinationale peut aussi menacer un État qui envisage un projet de loi d'avoir recours à une procédure en arbitrage international. Ce fut le cas pour la loi française interdisant la production d'hydrocarbures, dite « loi Hulot », de 2017, dont les ambitions ont dû être revues à la baisse à la suite de l'intervention de la société pétrolière canadienne Vermilion Energy. Celle-ci invoqua ses droits émanant de la charte énergétique européenne signée en 1994, et fit valoir que le projet portait atteinte à son droit de propriété et à sa liberté d'entreprendre[6].

Critiques

Ce mécanisme est utilisé par certaines entreprises pour freiner l'adoption de nouvelles lois par les États.

Dans le domaine de la santé, le cigarettier Philip Morris a ainsi attaqué l'Australie à propos de sa décision de mettre en place des paquets de cigarettes sans logo en s'appuyant sur un traité d'investissement entre Hong Kong et l'Australie. Il est à noter que Philip Morris a réorganisé ses investissements après l'annonce par l'Australie de son intention de mettre en place les paquets neutres afin de bénéficier de cet accord : Philip Morris Asie (basé à Hong-Kong) a acheté Philip Morris Australie le [7]. Le , la Cour permanente d'arbitrage a accepté le recours de l'Australie, qui contestait la légitimité de la plainte de Philip Morris au motif que le rachat de Philip Morris Australie n'aurait pas eu d'autre objectif que de permettre d'attaquer la loi en préparation. Bien que Philip Morris ait finalement perdu la bataille juridique auprès du Cirdi[8], la menace de poursuites a été utilisée par l'entreprise pour retarder l'adoption de mesures similaires dans d'autres pays, notamment la France[9], le Royaume-Uni, et la Nouvelle-Zélande, qui a préféré repousser sa décision jusqu'à l'issue de la procédure australienne[10]. Ainsi, les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États peuvent avoir des effets dissuasifs qui limitent la souveraineté des États[11]. Par ailleurs, bien que le jugement ait établi que la procédure engagée par Philip Morris était entièrement non fondée, l'entreprise n'a dû rembourser que la moitié des frais engagés par l'Australie, qui s'élèvent à 24 millions de dollars australiens (environ 15 millions d'euros)[12].

Philip Morris est également en conflit contre l'Uruguay (affaire Philip Morris v. Uruguay), au motif que la politique de lutte contre le tabagisme menée par ce pays dévalorise la valeur des marques et des investissements de la compagnie. Il s'appuie pour cela sur un traité bilatéral d'investissements entre la Suisse (la maison-mère de Philip Morris est basée à Lausanne) et l'Uruguay. La directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé, Margaret Chan, a également exprimé ses réserves à propos des effets potentiellement néfastes sur la santé publique des nouveaux accords régionaux, notamment l'accord de partenariat transpacifique et le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement[13].

La promulgation de nouvelles lois pour davantage protéger l'environnement est aussi rendue plus difficile et donc ralentie par l'existence de ces mécanismes d'arbitrage. Ainsi, dans une affaire opposant le fonds d'investissement Renco group (en) au gouvernement du Pérou, Renco réclame un dédommagement au gouvernement péruvien parce que celui-ci avait exigé qu'une entreprise du groupe nettoie la pollution massive que ses activités avaient occasionné dans le pays. La filiale a été déclarée en faillite en 2010 et l'environnement de la région concernée est toujours hautement toxique. La société Renco ne se contente pas de ne pas assumer sa responsabilité de société-mère ; elle réclame 800 millions de dollars de dédommagement au Pérou pour la perte de sa filiale, ainsi que le remboursement des dommages éventuels que Renco pourrait avoir à payer si le Pérou obtenait gain de cause dans une plainte déposée aux États-Unis au nom des enfants péruviens victimes de la pollution occasionnée par l'entreprise[14] - [15]. Dans un autre dossier, la société Pacific Rim Mining Corporation (en) poursuit le gouvernement du Salvador pour son refus d'octroyer à l'entreprise une licence d'extraction d'or. La compagnie s'appuie sur l'Accord de libre-échange d'Amérique centrale : la société Pacific Rim est canadienne mais opère aussi aux États-Unis, qui sont partie prenante à l'accord.

Les entreprises obtiennent parfois gain de cause et parviennent à faire annuler des décisions prises par les gouvernements. Ainsi, en 1997, la société Ethyl Gasoline Corporation a obtenu que le Canada annule l'interdiction de l'importation et du commerce du MMT, un composé toxique utilisé comme additif dans l'essence sans plomb[16].

Notes et références

  1. Maxime Vaudano, « Le traité TAFTA va-t-il délocaliser notre justice à Washington ? », Le Monde, (lire en ligne)
  2. Maxime Vaudano, « Ce que révèle la version fuitée de l'accord de libre-échange Europe/Canada », Le Monde, .
  3. « Consolidated CETA text », (consulté le ), p. 183.
  4. (en) Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, « Recent Developments in Investor-State Dispute Settlement (ISDS) » [PDF], .
  5. Lori M. Wallach, « Premières brèches dans la forteresse du libre-échange », Le Monde diplomatique, (lire en ligne).
  6. Maxime Vaudano, « Comment la menace d'arbitrage a permis aux lobbys de détricoter la loi Hulot », Le Monde, (consulté le ).
  7. Tania Voon, « The Case for Plain Packaging: Law and Health » (consulté le ).
  8. « Australia wins international legal battle with Philip Morris over plain packaging », the Guardian, (consulté le ).
  9. « Paquet neutre : les cigarettiers prêts à réclamer 20 milliards », Le Figaro, (consulté le ).
  10. « Revive plain packaging law for cigarettes », The Dominion Post, (consulté le ).
  11. « Investor-State Dispute Settlement (ISDS) Provisions in the EU's International Investment Agreements », (consulté le ), p. 19.
  12. Pat Ranald, « When even winning is losing. The surprising cost of defeating Philip Morris over plain packaging », sur The Conversation, .
  13. Matthew Rimmer, « Smoke and mirrors in trade disputes will harm public health », sur East Asia Forum, .
  14. Andrew Martin, « Coup d’Etat to Trade Seen in Billionaire Toxic Lead Fight », sur Bloomberg News, .
  15. « A brief introduction of the Doe Run / Renco vs Peru case », sur Network for Justice in Global Investment], .
  16. « NAFTA's Chapter 11 Makes Canada Most-Sued Country Under Free Trade Tribunals », (consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

  • La plate-forme ISDS, centre de ressources collaboratif destiné à fournir les dernières informations, outils de campagnes et analyses critiques aux organisations engagées dans la lutte contre l’ISDS (en anglais, français, et espagnol).
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