Loi de composition interne
En mathématiques, et plus précisément en algÚbre générale, une loi de composition interne est une application qui, à deux éléments d'un ensemble E, associe un élément de E. Autrement dit, c'est une opération binaire[1] par laquelle E est stable.
L'addition et la multiplication dans l'ensemble des entiers naturels sont des exemples classiques de lois de composition internes.
Les lois de composition internes et externes servent à définir les structures algébriques, qui occupent une place privilégiée en algÚbre générale.
Présentation
Nous avons tous depuis le primaire une assez bonne idĂ©e de la notion d'opĂ©rations telles que l'addition, la soustraction, la multiplication ou la division. Une opĂ©ration (interne) dans un ensemble est une relation interne dans cet ensemble, qui, Ă deux Ă©lĂ©ments quelconques de cet ensemble, appelĂ©s opĂ©randes, en associe Ă©ventuellement un troisiĂšme, unique, nommĂ© rĂ©sultat, toujours dans ce mĂȘme ensemble.
Pour que lâopĂ©ration considĂ©rĂ©e soit effectivement une loi de composition interne, il faut quâelle ait un sens quels que soient les deux Ă©lĂ©ments de lâensemble choisis (on dit formellement que l'opĂ©ration doit ĂȘtre dĂ©finie partout). Ainsi :
- la division nâest pas une loi de composition interne dans â, parce quâon ne peut pas diviser par zĂ©ro : par exemple, « 3 / 0 » nâa pas de sens. Mais cette mĂȘme division est une loi de composition interne dans â* (ensemble des rĂ©els privĂ© de 0). Enfin cette mĂȘme opĂ©ration n'est pas une loi de composition interne dans â€* car 2 / 3 n'est pas un entier relatif.
- la soustraction peut ĂȘtre ou non une loi de composition interne selon lâensemble de nombres considĂ©rĂ© :
- sâil sâagit de lâensemble des nombres usuels, dits entiers naturels { 0, 1, 2, 3,... }, ce nâen est pas une, puisque « 3 â 5 », par exemple, nâa pas pour rĂ©sultat lâun de ces nombres usuels.
- si au contraire, on choisit lâensemble des entiers relatifs, qui en plus des entiers naturels, contient les entiers nĂ©gatifs { ..., â3, â2, â1}, alors la soustraction est bien une loi de composition interne.
En résumé, une loi de composition interne dans un ensemble E, ou, plus simplement une loi dans E, est une opération qui donne un résultat dans E pour tous les couples possibles d'éléments de E.
Exemples
Dans lâensemble des entiers relatifs, lâaddition est une loi de composition interne ayant entre autres les propriĂ©tĂ©s suivantes, qui seront dĂ©finies plus formellement dans la seconde partie de lâarticle :
- 0 est Ă©lĂ©ment neutre pour cette loi : lâajouter Ă nâimporte quel nombre redonne ce nombre : par exemple, 5 + 0 = 5 , et 0 + 8 = 8 ;
- pour tout entier, il existe un autre nombre, son opposĂ© (le terme gĂ©nĂ©ral est Ă©lĂ©ment symĂ©trique), tel quâajoutĂ© au premier, il redonne lâĂ©lĂ©ment neutre 0. LâopposĂ© se note comme lâentier initial changĂ© de signe. Ainsi : 3 + (â3) = 0 ;
- on peut Ă©changer les deux Ă©lĂ©ments autour du signe « » : 3 + 5 = 5 + 3 = 8 . On dit que lâopĂ©ration est commutative ;
- on peut grouper les éléments comme on le souhaite quand on en ajoute plus de deux : 3 + 5 + 4 peut se calculer de deux maniÚres :
- en calculant dâabord 3 + 5 = 8 puis en ajoutant 4 au rĂ©sultat,
- ou en calculant 5 + 4 = 9 avant de calculer 3 + 9 .
- Ces deux mĂ©thodes mĂšnent au mĂȘme rĂ©sultat, ce que lâon note : (3 + 5) + 4 = 3 + (5 + 4) . On dit que lâopĂ©ration est associative.
Ces quatre propriĂ©tĂ©s, existence dâun Ă©lĂ©ment neutre, existence de symĂ©triques, commutativitĂ©, associativitĂ©, peuvent se retrouver pour dâautres ensembles et dâautres lois. Ainsi, on peut Ă©tudier lâensemble des translations (câest-Ă -dire les dĂ©placements en ligne droite : par exemple, se dĂ©placer de 3 mĂštres vers la gauche et de 2 mĂštres vers le haut), et une loi de composition interne sur cet ensemble, la composition : la composition de deux translations consistant simplement Ă faire le premier dĂ©placement, puis le second. On retrouve pour la composition les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s que pour lâaddition :
- le neutre est la translation nulle, consistant à ne pas se déplacer ;
- le symĂ©trique dâune translation consiste Ă faire le mĂȘme dĂ©placement dans lâautre sens (3 mĂštres Ă droite et 2 mĂštres vers le bas pour lâexemple prĂ©cĂ©dent) : si on fait successivement les deux, câest comme si on faisait le dĂ©placement nul ;
- on peut faire les dĂ©placements dans lâordre quâon veut, on retrouve la commutativitĂ© et lâassociativitĂ©.
Lâensemble des entiers relatifs avec lâaddition, et lâensemble des translations avec la composition ont ces propriĂ©tĂ©s simples en commun. Un ensemble et une loi qui possĂšdent ces quatre propriĂ©tĂ©s particuliĂšres sâappelle en algĂšbre un groupe abĂ©lien. L'algĂšbre gĂ©nĂ©rale sâattache ensuite Ă rechercher dâautres propriĂ©tĂ©s plus complexes qui dĂ©coulent de ces quatre premiĂšres. Ces nouvelles propriĂ©tĂ©s seront alors valables aussi bien pour lâensemble des entiers relatifs que pour celui des translations, et pour tout autre ensemble et toute autre loi de composition interne ayant la structure dâun groupe abĂ©lien, sans quâil soit nĂ©cessaire de le redĂ©montrer pour chacun.
DĂ©finition formelle
On appelle loi de composition interne sur un ensemble E toute application du produit cartésien E à E dans E.
Un ensemble E muni dâune loi de composition interne constitue une structure algĂ©brique appelĂ©e magma et notĂ©e « ( E, ) ».
Quelques exemples triviaux, pour un ensemble E non vide :
- les applications constantes : si c appartient Ă E : â x â E, â y â E, x y = c ;
- lâapplication sĂ©lectionnant le terme de gauche : â x â E, â y â E, x y = x ;
- lâapplication sĂ©lectionnant le terme de droite : â x â E, â y â E, x y = y.
ĂlĂ©ments particuliers
Carrés et dérivés
- un élément est dit carré si :
- En sens inverse, tout élément x a un carré unique, noté habituellement « x2 ».
- Si la loi est notée additivement, le terme de double sera employé de préférence à celui de carré.
- Exemple : dans â€, le double de 3 (pour l'addition) est 6, et son carrĂ© (pour la multiplication) est 9.
- un élément est dit idempotent (d'ordre 2) ou projecteur si :
- En dâautres termes, cet Ă©lĂ©ment est son propre carrĂ©.
- Exemples :
- tout élément neutre d'une loi est idempotent pour cette loi ;
- dans tout ensemble numérique les contenant, 0 et 1 sont les seuls éléments idempotents pour la multiplication.
- Exemples :
Neutres et dérivés
Un élément est dit :
- neutre Ă gauche si ;
- neutre Ă droite si ;
- neutre lorsquâil est neutre Ă droite et Ă gauche.
- Exemples
- Dans â, l'Ă©lĂ©ment neutre de l'addition est 0, et celui de la multiplication est 1.
- Dans l'ensemble des parties d'un ensemble X, l'ensemble vide est neutre pour l'union et l'ensemble X est neutre pour l'intersection.
Tout élément neutre à gauche ou à droite est idempotent.
S'il existe un élément neutre à gauche et un élément neutre à droite, alors la loi admet un unique élément neutre, et tout élément neutre à gauche ou à droite lui est égal.
Lorsqu'il existe un élément neutre :
- un élément est dit involutif si .
- Le seul élément involutif et idempotent est l'élément neutre ;
- un élément est dit symétrique à gauche de l'élément si . L'élément est alors symétrique à droite de l'élément .
Absorbants et dérivés
Un élément est dit :
- absorbant Ă gauche si : ;
- absorbant Ă droite si : ;
- absorbant s'il est absorbant Ă droite et Ă gauche.
- Exemples
- Dans â, 0 est absorbant pour la multiplication.
- Dans l'ensemble des parties d'un ensemble X, l'ensemble vide est absorbant pour l'intersection et l'ensemble X est absorbant pour l'union.
Tout élément absorbant à gauche ou à droite est idempotent.
S'il existe un élément absorbant à gauche et un élément absorbant à droite, alors la loi admet un unique élément absorbant, et tout élément absorbant à gauche ou à droite lui est égal.
Lorsque la loi admet un élément absorbant , un élément est dit nilpotent (d'ordre 2) si .
Centre d'une structure
Un élément est dit central si .
Les éléments neutre et absorbant bilatÚres sont centraux.
On appelle centre de E, et on note Z(E), lâensemble des Ă©lĂ©ments centraux de E.
Réguliers et dérivés
Un élément est dit
- régulier à gauche ou simplifiable à gauche si :
- ;
- régulier à droite ou simplifiable à droite si :
- ;
- rĂ©gulier ou simplifiable lorsquâil est rĂ©gulier Ă droite et Ă gauche ;
- diviseur de zéro à gauche s'il existe un élément absorbant (évidemment unique), différent de , et si :;
- diviseur de zéro à droite s'il existe un élément absorbant , différent de , et si : .
Les diviseurs de zĂ©ro sont irrĂ©guliers. Les Ă©lĂ©ments nilpotents autres que lâĂ©lĂ©ment absorbant sont des diviseurs de zĂ©ro.
Paires d'éléments
Des paires dâĂ©lĂ©ments peuvent aussi prĂ©senter des propriĂ©tĂ©s particuliĂšres :
- deux éléments et seront dits permutables ou commutants si :
- deux éléments permutables et seront dits symétriques ou inversibles si :
- il existe un élément neutre ,
- et : ;
- deux éléments permutables et seront dits diviseurs de zéro ou désintégrants si :
- il existe un élément absorbant ,
- et aucun des deux Ă©lĂ©ments nâest Ă©gal Ă ,
- et : ;
Exemple : pour les entiers relatifs, 0 est neutre pour lâaddition, absorbant pour la multiplication, et neutre Ă droite pour la soustraction.
Propriétés
Certaines propriétés des lois de composition internes, particuliÚrement intéressantes, ont reçu un nom. Soit un magma (E, ) ; la loi peut y présenter les propriétés suivantes :
Existence dâĂ©lĂ©ments remarquables
Une loi est dite
- unifĂšre Ă gauche sâil existe un Ă©lĂ©ment neutre Ă gauche. Une loi peut prĂ©senter plusieurs Ă©lĂ©ments neutres Ă gauche, Ă condition quâelle ne prĂ©sente pas dâĂ©lĂ©ment neutre Ă droite ;
- unifĂšre Ă droite sâil existe un Ă©lĂ©ment neutre Ă droite. Une loi peut prĂ©senter plusieurs Ă©lĂ©ments neutres Ă droite, Ă condition quâelle ne prĂ©sente pas dâĂ©lĂ©ment neutre Ă gauche ;
- unifĂšre (parfois unitaire) sâil existe un Ă©lĂ©ment neutre (qui est alors unique).
Régularité et propriétés liées
- est dite réguliÚre à gauche ou simplifiable à gauche si tous les éléments de E sont réguliers à gauche, c'est-à -dire si :
- est dite réguliÚre à droite ou simplifiable à droite si tous les éléments de E sont réguliers à droite, c'est-à -dire si :
- est dite rĂ©guliĂšre ou simplifiable si tous les Ă©lĂ©ments de E sont rĂ©guliers, câest-Ă -dire si :
- Une loi est réguliÚre si et seulement si elle est réguliÚre à gauche et réguliÚre à droite.
Associativité et propriétés analogues
Une loi est dite :
- associative si :
- .
- LâassociativitĂ© dâune loi permet de se passer des parenthĂšses quand on rĂ©pĂšte la loi ; la plupart des lois intĂ©ressantes sont associatives (exemples : lâaddition, la multiplication, la composition des relations binairesâŠ) ;
- alternative si :
- .
- Cette propriété est moins forte que l'associativité ;
- associative des puissances si, lorsqu'un Ă©lĂ©ment est composĂ© par lui-mĂȘme plusieurs fois, l'ordre dans lequel sont effectuĂ©es ces compositions n'influe pas sur le rĂ©sultat (ce qui implique en particulier : ).
- Quand cette propriĂ©tĂ© est vĂ©rifiĂ©e, il est possible dâintroduire la notion de puissance dâun Ă©lĂ©ment (dâoĂč le nom de la propriĂ©tĂ©) :
- la puissance n-iĂšme dâun Ă©lĂ©ment x, notĂ©e habituellement xn, est Ă©gale au rĂ©sultat de la composition de x selon , (n â 1) fois avec lui-mĂȘme ; ainsi, x1 = x, x2 = x x, x3 = x x x, etc.
- si de plus la loi présente un élément neutre e, on pose x0 = e
- si en outre l'Ă©lĂ©ment x est inversible (voir infra), on pose xân = (xn)â1.
Autres propriétés
Une loi est dite
- intĂšgre si elle admet un Ă©lĂ©ment absorbant et si aucun Ă©lĂ©ment nâest diviseur de zĂ©ro ;
- commutative si .
La liste de propriĂ©tĂ©s ci-dessus nâest pas exhaustive, loin de lĂ . Toutefois, nous n'aborderons dans ce paragraphe quâun seul autre cas : dans des structures algĂ©briques comportant plusieurs lois, certaines de ces lois ont des propriĂ©tĂ©s relatives Ă dâautres lois. La plus importante de ces lois relatives est la distributivitĂ©.
- Une loi est distributive Ă gauche par rapport Ă une autre loi si :
- Une loi est distributive Ă droite par rapport Ă une autre loi si :
- Une loi est distributive par rapport Ă une autre loi si elle est Ă la fois distributive Ă droite et Ă gauche par rapport Ă
Par exemple, la multiplication est distributive par rapport Ă lâaddition.
Remarque : si de plus est réguliÚre et unifÚre, alors son élément neutre est nécessairement absorbant pour la loi . Cela explique entre autres pourquoi, dans un corps commutatif, l'élément neutre de la premiÚre loi n'a pas de symétrique par la deuxiÚme loi.
Inversibilité
Cette propriété importante mérite un paragraphe séparé. Nous nous placerons dans un magma (E, ) dont nous supposerons la loi unifÚre donc disposant d'un élément neutre . Il est alors possible de définir les notions suivantes :
- un élément est dit symétrisable à gauche ou inversible à gauche si :
- s' est alors appelé élément symétrique à gauche de s ;
- un élément est dit symétrisable à droite ou inversible à droite si :
- s' est alors appelé élément symétrique à droite de s ;
- Tout Ă©lĂ©ment inversible Ă gauche est rĂ©gulier Ă gauche, et de mĂȘme Ă droite. Si E est fini, la rĂ©ciproque est vraie car toute injection de E dans E est alors surjective (voir les propriĂ©tĂ©s des bijections).
- un élément est dit symétrisable ou inversible lorsqu'il est inversible à droite et à gauche et que les deux symétriques sont égaux ;
- s' est alors appelé élément symétrique de s.
- la loi est dite symétrisable à gauche ou inversible à gauche si tous les éléments de E sont inversibles à gauche;
- la loi est dite symétrisable à droite ou inversible à droite si tous les éléments de E sont inversibles à droite ;
- la loi est dite symétrisable ou inversible si tous les éléments de E sont inversibles.
Si la loi est de plus associative, il y a unicité, pour les éléments symétrisables à gauche (respectivement à droite), de leur symétrique à gauche (resp. à droite). Et si un élément s est symétrisable à droite et à gauche alors ses symétriques à gauche et à droite sont forcément égaux entre eux et cet élément est donc symétrisable. Son symétrique est alors noté habituellement « s -1 ».
Exemples :
- 2 n'est pas symétrisable pour l'addition dans les entiers naturels ;
- 2 est symĂ©trisable, de symĂ©trique â2, pour lâaddition dans les entiers relatifs ;
- 2 nâest pas inversible pour le produit dans les entiers relatifs ;
- 2 est inversible, dâinverse 1/2, pour le produit dans les rationnels.
Remarque :
Lorsque la loi est notée additivement, le symétrique est plutÎt appelé opposé, et quand la loi est notée multiplicativement le symétrique est plutÎt appelé inverse.
Nombre de lois de composition internes sur un ensemble à n éléments
Soit E un ensemble à n éléments.
Le nombre de lois de composition internes sur E est le nombre d'applications de EĂE dans E, soit
On peut compter de mĂȘme combien, parmi elles, sont commutatives. Une loi commutative sur E est entiĂšrement dĂ©terminĂ©e par sa valeur xâČy=yâČx pour les paires {x,y} et sa valeur xâČx pour les singletons {x}. Le nombre de ces paires et singletons Ă©tant ,
le nombre de lois commutatives sur E est donc
Voir aussi
Note
- Cette utilisation de l'expression « opération binaire » est inspirée de l'expression anglaise « binary operation », utilisée en lieu et place de « loi de composition ». En mathématiques, le mot « opération » peut aussi désigner autre chose qu'une loi de composition interne.
Références
- N. Bourbaki, ĂlĂ©ments de mathĂ©matique, vol. II : AlgĂšbre, Chapitres 1 Ă 3, Berlin, Springer, (rĂ©impr. 2007), 2e Ă©d. (ISBN 978-3-540-33849-9, prĂ©sentation en ligne)
- Serge Lang, AlgÚbre [détail des éditions]