Letizia Battaglia
Letizia Battaglia est une photographe et photojournaliste italienne née le à Palerme et morte le à Palerme. Elle est connue pour son travail sur la Cosa nostra au cours des années de plomb qui a été récompensé par plusieurs prix.
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(Ă 87 ans) Palerme |
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Maria Letizia Battaglia |
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Directrice du service photo du quotidien de Palerme LâOra de 1974 Ă 1990, Letizia Battaglia capture de nombreuses scĂšnes de crime, documente la corruption avec des rencontres entre membres de la mafia et hommes politiques ou encore des meurtres et arrestations qui font entrer ses clichĂ©s dans lâhistoire sicilienne. Ses photographies, en noir et blanc, sâancrent aussi dans le quotidien des habitants de lâĂźle, des plus pauvres Ă ceux issus de l'aristocratie, marquĂ© par la violence, avec une place spĂ©ciale accordĂ©e aux jeunes filles et aux femmes.
Ă la fin des annĂ©es 1980, son combat contre la mafia se traduit par un engagement politique notamment aux cĂŽtĂ©s de Leoluca Orlando Ă la mairie de Palerme et Ă La Rete. AprĂšs l'assassinat des deux juges anti-mafia Falcone et Borsellino en 1992, elle met fin Ă son travail photographique sur la Cosa nostra au profit d'activitĂ©s dans dâautres domaines artistiques (littĂ©rature, thĂ©Ăątre) tout en rĂ©explorant le passĂ© Ă travers un projet mĂȘlant archives personnelles et adjonction de nouveaux Ă©lĂ©ments avec pour thĂšme le corps fĂ©minin.
Biographie
Enfance et mariage
Issue dâun milieu bourgeois[1]; avec un pĂšre travaillant dans le domaine maritime, Letizia Battaglia passe une partie de son enfance Ă Trieste, Civitavecchia et Naples pendant la guerre puis revient Ă Palerme[2] - [3]. Libre durant ses trois annĂ©es Ă Trieste[4], elle est enfermĂ©e chez elle par son pĂšre aprĂšs avoir vu un homme se masturber devant elle dans une rue de sa ville natale Ă lâĂąge de dix ans[5].
ĂlĂšve dans une Ă©cole catholique mais devenue athĂ©e[5], elle souhaite devenir Ă©crivain mais elle nâest pas autorisĂ©e Ă poursuivre ses Ă©tudes[6]. Elle se marie Ă lâĂąge de seize ans pour Ă©chapper Ă lâemprise de ce pĂšre jaloux[7] - [8] - [9], autoritaire[10] et violent[11], mais entre ainsi dans une relation tout aussi abusive[12]. Son mari, hĂ©ritier dâune dynastie de torrĂ©facteurs italiens[13], la contrĂŽle de la mĂȘme maniĂšre refusant, par exemple, quâelle sorte seule arguant de sa sĂ©curitĂ©[14] - [n 1]. Avec la naissance de ses trois filles[n 2], elle est cantonnĂ©e Ă un rĂŽle traditionnel de femme au foyer de la classe moyenne car son Ă©poux ne la soutient pas dans ses ambitions littĂ©raires[6] et va mĂȘme jusquâĂ la qualifier de « folle » lorsquâelle Ă©met le souhait de commencer une formation[16]. Elle traverse une dĂ©pression de laquelle elle sort aprĂšs une psychanalyse de deux ans avec Francesco Corrao (it)[14].
DĂ©buts dans le journalisme et la photographie Ă Milan
AprĂšs sa guĂ©rison, elle dĂ©bute comme pigiste pour LâOra Ă Palerme en 1969[17] puis, en , ĂągĂ©e dâenviron trente-cinq ans, elle divorce[6] et quitte la Sicile, avec ses enfants, pour vivre Ă Milan[1] - [13].
Refusant toute pension de la part de son ex-conjoint et devant subvenir aux besoins de sa famille[18], elle commence en tant que journaliste[19]. Collaborant aux revues Le Ore (it) et ABC (it). elle doit illustrer elle-mĂȘme ses articles[20], dĂ©couvrant ainsi la photographie en autodidacte, plus par nĂ©cessitĂ© que par attrait particulier pour ce mĂ©dium[10] - [21]. Elle capture notamment les mouvements Ă©tudiants, photographie Pier Paolo Pasolini[22] - [23] qui deviendra lâun de ses amis[24], Gae Aulenti, la Palazzina Liberty de Dario Fo et Franca Rame[20].
Retour Ă Palerme et carriĂšre Ă LâOra
AprĂšs un sĂ©jour Ă Paris, elle retourne, en 1974, au quotidien de gauche LâOra[25] - [26] dont elle est directrice de la photographie jusqu'en 1990[1] - [27]. Palerme est alors le thĂ©Ăątre d'une violente guerre de mafia entre familles rivales et contre les reprĂ©sentants de lâĂtat et des journalistes, et Letizia Battaglia dĂ©cide de montrer les crimes mafieux par ses photographies[11].
Seule femme dans un milieu dâhommes et Ă©voluant, plus largement, dans une ville oĂč le patriarcat rĂšgne alors[28], Letizia Battaglia rapporte avoir subi du harcĂšlement de la part de ses « collĂšgues »[n 3] Ă plusieurs reprises[29]. Les relations avec les forces de police sont aussi compliquĂ©es, par exemple pour accĂ©der aux scĂšnes de crime car elle nâest pas jugĂ©e « crĂ©dible »[20] au contraire des hommes qui y accĂšdent sans problĂšme[30]. AcquĂ©rant progressivement une renommĂ©e importante en tant que photographe travaillant sur la mafia sicilienne[31] - [32], elle « dĂ©truit des tabous » selon lâun de ses proches[33].
Elle rencontre Franco Zecchin en Ă Venise lors dâun stage de thĂ©Ăątre[34] dirigĂ© par Jerzy Grotowski[35]. En couple, ils travaillent ensemble pendant prĂšs de deux dĂ©cennies marquant une tradition de journalisme de « service public » contrastant avec les conglomĂ©rats contemporains issus de lâempire de Silvio Berlusconi[36]. Elle crĂ©e avec lui en une galerie, Il Laboratorio dâIF, oĂč passent de nombreux photographes italiens ou Ă©trangers[37] - [38] comme Josef Koudelka qui enseigne au couple certaines mĂ©thodes ce qui leur permet dâamĂ©liorer la composition tout en conservant la « dĂ©nonciation sociale » dans leurs photographies[35].
En , elle participe avec Franco Zecchin Ă la crĂ©ation du Centro Siciliano di Documentazione Giuseppe Impastato qui demande la rĂ©ouverture de lâenquĂȘte â bouclĂ©e en six heures â ayant conclu au suicide de l'animateur radio tuĂ© par la mafia un an plus tĂŽt. Vingt-cinq ans plus tard, le commanditaire de lâassassinat est finalement condamnĂ© grĂące Ă cette premiĂšre forme dâassociation anti-mafia[34]. Celle-ci constitue, par ailleurs, la plus importante bibliothĂšque du monde sur la mafia[35]. Toujours en , elle photographie Giulio Andreotti[n 4] en compagnie du mafieux Nino Salvo[4]. Ayant elle-mĂȘme oubliĂ© lâexistence de ces clichĂ©s, ceux-ci ressortent en lorsque la police fouille ses archives. Ils constituent la seule preuve matĂ©rielle du lien unissant les deux hommes[4] - [30] et deviennent un symbole de la lutte contre la mafia[39]. Durant la mĂȘme dĂ©cennie, elle photographie Ă plusieurs reprises Vito Ciancimino[n 5] lors de rassemblements du parti DĂ©mocratie chrĂ©tienne â prĂ©sent en tant qu'invitĂ© d'honneur â alors mĂȘme que ses relations avec la pĂšgre sont censĂ©es, Ă lâĂ©poque, lâavoir rendu persona non grata dans les cercles de pouvoir[40].
Ă partir de cette date, Letizia Battaglia rĂ©alise des tirages en grand format de victimes de la mafia quâelle accroche sur la place principale de Corleone, commune connue en tant que repĂšre du clan. Ses expositions sauvages et plus globalement lâensemble de ses publications lui valent des menaces de mort[33] - [31] - [30] - [13]. La photographe devient plus engagĂ©e encore Ă travers son art Ă la fin des annĂ©es qui voit lâarrivĂ©e du trafic dâhĂ©roĂŻne dans la mafia entraĂźnant, dâune part, une forte augmentation du nombre dâindividus dĂ©pendant dans la population[28] et, dâautre part, une guerre de clans entre Palerme et Corleone qui coĂ»tera la vie Ă un millier de personnes[41]. Elle immortalise des photos de rues, manifestations, scĂšnes de crime, etc.[42] :
« Il nâĂ©tait pas question de faire de belles photos ou de se sentir courageuse, mais simplement de rĂ©sister, de se tenir face Ă eux pour dire non. »
Ainsi, le 6 janvier 1980, Letizia Battaglia photographie le futur prĂ©sident de la RĂ©publique, Sergio Mattarella tirant de voiture le cadavre de son frĂšre, le prĂ©sident de la rĂ©gion Sicile, Piersanti Mattarella, mort sous les balles de la mafia[4] - [43]. La mĂȘme annĂ©e, elle assiste Ă l'arrestation de Leoluca Bagarella, lâun des tueurs les plus violents de la Cosa nostra, qui essaye de se libĂ©rer pour lâattaquer[44] - [45]. Sa photographie, trĂšs connue depuis lors, montre la « rage » et « fĂ©rocitĂ© » de lâindividu[46].
Mandats Ă©lectoraux
En , elle devient la premiĂšre femme europĂ©enne Ă se voir remettre le prix Prix W. Eugene Smith[32]. Cette distinction constitue un tournant pour Letizia Battaglia qui considĂšre quâelle doit « faire plus »[47].
Alors que les exĂ©cutions par la Cosa nostra ensanglantent lâĂźle, elle dĂ©cide de sâengager en politique. Elle est Ă©lue au conseil municipal de Palerme[48] - [49] avec la FĂ©dĂ©ration des Verts et Leoluca Orlando en fait son adjointe Ă la « vivabilitĂ© urbaine » de 1987 Ă 1990[17]. Dans ces fonctions, elle lutte derechef contre la mafia et la corruption[50]. En particulier, elle participe au sauvetage du quartier historique de la ville menacĂ© par les vellĂ©itĂ©s des clans recherchant des contrats de construction lucratifs[27] - [7], crĂ©e le premier financement municipal en matiĂšre culturelle[51], sâimplique sur la collecte des ordures dont le systĂšme est gangrenĂ© par la corruption[48], dĂ©veloppe les espaces verts[52] dont la palmeraie du Foro Italico et dĂ©gage le front de mer de Mondello des Ă©tals[17].
Elle refuse de reprĂ©senter les Verts aux Ă©lections europĂ©ennes de 1989[53] et est Ă©lue dĂ©putĂ©e de lâAssemblĂ©e rĂ©gionale sicilienne[54] - [33] aux rĂ©gionales de 1991 sous lâĂ©tiquette du parti La Rete fondĂ© par Orlando[55].
Son militantisme vit Ă©galement par son travail auprĂšs de prisonniers politiques puis en faveur des Roms[11].
ArrĂȘt du photojournalisme sur les scĂšnes de crime et diversification des activitĂ©s
En , ses amis les juges anti-mafia Giovanni Falcone et Paolo Borsellino sont assassinĂ©s[8]. Le , date du meurtre du premier, sous le choc de la nouvelle, elle dĂ©cide dâarrĂȘter de photographier les scĂšnes de crime. Elle exprime vingt ans plus tard des regrets Ă ce sujet : « Ces photos, que je n'ai jamais prises, m'ont fait plus de mal que celles que j'ai faites »[56]. Elle rĂ©alise cependant en une photographie de Rosaria Cosca, veuve de Vito Schifani, garde du corps de Falcone[57] - [20] - [58]. En plus de symboliser le deuil dâune Ă©pouse et la tristesse dâune nation, le visage de Rosaria Costa â dont une partie sort de l'ombre â reprĂ©sente la population dont la rĂ©volte contre la mafia Ă©merge alors publiquement, rĂ©clamant une sociĂ©tĂ© sicilienne « honnĂȘte »[54] - [59] - [60].
En , elle quitte le conseil municipal de Palerme et sâengage dans un programme dâaide aux prisonniers[61] - [62]. Elle va Ă la rencontre des individus situĂ©s au bas de lâĂ©chelle hiĂ©rarchique dans la Cosa Nostra et refuse de les photographier : « [c]e sont des petits, des victimes de la pauvretĂ© »[1]. Elle crĂ©e Ă©galement sa maison dâĂ©dition (Edizioni della Battaglia) en 1992[63] - [39] et une librairie dans le centre de Palerme quâelle est contrainte de fermer rapidement aprĂšs que la mafia ait tentĂ© de lui extorquer le pizzo[13].
Ă partir de lâĂ©lection de Silvio Berlusconi et en raison dâun recul gĂ©nĂ©ral dans la lutte contre la criminalitĂ© organisĂ©e, elle indique que ses photographies ne sont plus publiĂ©es dans les journaux italiens et quâelle ne reçoit plus aucune commande[51] - [19].
Nouveaux projets : exploration des archives et documentaires
Au dĂ©but des annĂ©es , elle poursuit un projet intitulĂ© Rielaborazioni[29] pour lequel elle ajoute Ă certaines de ses archives des photos de corps fĂ©minins, gĂ©nĂ©ralement au premier plan et agrandies. Le but est ainsi de rappeler les Ă©vĂ©nements traumatiques du passĂ© qui ne doivent pas ĂȘtre oubliĂ©s tout en incluant, selon Letizia Battaglia, une forme dâespoir incarnĂ©e dans lâadjonction de ces nouveaux visuels, les femmes reprĂ©sentant « la possibilitĂ© de rĂ©gĂ©nĂ©ration et de transformation »[64].
En 2003, et pour 2 ans, elle s'installe Ă Paris avant de retrouver Palerme[65].
En , elle figure au casting de lâadaptation du livre Excellent Cadavers (en) portant sur les relations croisĂ©es entre mafia et politique en Sicile avec pour fil conducteur le combat de Falcone et Borsellino[66] - [67].
En , elle inaugure un centre international de la photographie Ă Palerme, espace se voulant Ă la fois un musĂ©e et un lieu destinĂ© Ă la dĂ©couverte de nouveaux talents[38] - [52]. La mĂȘme annĂ©e, Ă lâoccasion des commĂ©morations du vingt-cinquiĂšme anniversaire de lâassassinat de Falcone et Borsellino, elle participe Ă La mafia non Ăš piĂč quella di una volta de Franco Maresco, documentaire dans lequel le rĂ©alisateur et la photographe sâinterrogent sur le poids actuel de la Cosa nostra sur lâĂźle alors que le mouvement citoyen le combattant est devenu « boiteux »[68] - [69].
Letizia Battaglia meurt Ă Palerme le Ă 87 ans[4].
Analyse de son Ćuvre
Si Letizia Battaglia dit ne pas avoir eu de source dâinspiration particuliĂšre, elle a cependant admirĂ© deux de ses contemporaines : Diane Arbus et Mary Ellen Mark[70] - [33]. Sont aussi citĂ©s SebastiĂŁo Salgado et Eugene Richards[71].
Histoire de Sicile à travers la mafia et les réalités socio-économiques
Au cours de sa carriĂšre, elle rĂ©alise 600 000 clichĂ©s en noir et blanc[72] - [42] - [30] qui ont trait Ă la criminalitĂ© organisĂ©e[44] - [9] â ce qui amĂšne des comparaisons rĂ©guliĂšres avec Weegee[26] - [24] - [12] â et Ă la vie quotidienne sicilienne[1] - [21], passant de la pauvretĂ© des bidonvilles aux salons de la noblesse[8]. Concernant le choix exclusif du monochrome, elle dĂ©clare quâoutre le style, il sâagit dâune question de respect pour les victimes[62] - [7]. Selon ses propres mots, ses archives sont remplies « de sang, [âŠ] de douleur, de dĂ©sespoir [et] de terreur »[73].
Alexander Stille (en) relĂšve trois aspects illustrant, selon lui, lâenracinement du travail de la photographe dans lâhistoire sicilienne. PremiĂšrement, ses nombreuses captations de processions religieuses dont il ressort une sorte de fervent espoir « semblent reprĂ©senter la rĂ©demption d'un monde de souffrances presque ininterrompues », les habitants ayant vĂ©cu des pĂ©riodes successives de domination Ă©trangĂšre avant celle de la mafia. DeuxiĂšmement, certains de ses travaux renseignent sur la vie de millions de siciliens marquĂ©e par lâillĂ©galitĂ© pendant de nombreuses annĂ©es (contrebande, habitations en dehors des zones constructibles, exploitations commerciales sans licence, fraude fiscale) et sur les consĂ©quences dĂ©coulant de cet Ă©tat de fait, les citoyens Ă©tant devenus des complices « naturels » de la mafia car craignant les autoritĂ©s judiciaires. TroisiĂšmement, ses photographies sur lâaristocratie locale, Ă lâinstar dâun de ses clichĂ©s notoires pris au Palais Valguarnera-Gangi[n 6], tĂ©moignent des liens qui ont toujours existĂ© entre ce monde et celui de la pĂšgre[74]. El PaĂs tient globalement la mĂȘme analyse : le travail de Letizia Battaglia va au-delĂ de la chronique des crimes mafieux lors des annĂ©es de plomb : ses photographies dressent le portrait dâune Ăźle marquĂ©e par la misĂšre Ă©conomique et culturelle oĂč les habitants sont tuĂ©s dans lâindiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale, problĂ©matiques que lâĂtat central italien ignore sciemment des annĂ©es durant en prĂ©textant de la distance gĂ©ographique[75]. Luana Ciavola considĂšre, quant Ă elle, que le travail de la photographe rĂ©vĂšle lâensemble des forces du corps social italien en prĂ©sence, forces qui sâentremĂȘlent « comme de vĂ©ritables nĆuds oĂč le pouvoir est montrĂ© et en mĂȘme temps dĂ©fiĂ©, interrogĂ© et moquĂ© »[76].
In fine, ces photographies participent Ă une prise de conscience de la gravitĂ© des faits dans lâopinion publique selon le New York Times[27] et le Harperâs Bazaar[30]. Mais la rĂ©percussion de ce travail de documentation sâĂ©tend bien au-delĂ de la ville natale de Letizia Battaglia et mĂȘme de la Sicile comme lâattestent les rĂ©compenses quâelle reçoit Ă lâimage du Prix Cornell Capa dĂ©cernĂ© outre Atlantique en [77]. Le Corriere della Sera Ă©voque, de son cĂŽtĂ©, une Ćuvre « fortement ancrĂ©e dans l'imaginaire collectif » et marquĂ©e par une dimension Ă©thique[78]. Dâun point de vue davantage analytique, Norma Bouchard explique que son travail prĂ©sente un double aspect : dâune part, il met en avant lâhorreur dâun point de vue factuel et objectif ; dâautre part, il reflĂšte la subjectivitĂ© dâune photographe traumatisĂ©e par les actes dont ses photos constituent une preuve[79]. En ce sens, Letizia Battaglia caractĂ©rise son rĂŽle de « combattante » au cours des annĂ©es de plomb : « Je n'allais pas photographier la guerre ; je vivais de l'intĂ©rieur de la guerre »[80].
Le Financial Times voit une filiation entre Le Caravage et Letizia Battaglia notamment Ă travers les jeux dâombre et de lumiĂšre, le sujet de la souffrance et lâimpression, Ă travers leurs Ćuvres respectives, que la mort peut adopter la rĂ©demption[26]. Die Zeit la compare Ă Henri Cartier-Bresson sur le plan de la notoriĂ©tĂ©[16].
Place des jeunes filles et des femmes
Si une partie de son Ćuvre, moins connue, concerne les jeunes filles siciliennes[33], elle considĂšre que le fĂ©minin reste son sujet de prĂ©dilection[81]. Les photographies dâenfants quâelle rĂ©alise pendant sa carriĂšre tĂ©moignent dâune reprĂ©sentation de ces derniers en tant que sujets Ă part entiĂšre. NĂ©anmoins, dans le mĂȘme temps, elles dĂ©montrent une vision diffĂ©renciĂ©e de ce que lesdits sujets transmettent par leur prĂ©sence et leurs expressions : les filles apparaissent comme des « petites crĂ©atures solitaires » dont le regard rĂ©vĂšle le sentiment dâune enfance enlevĂ©e par la pĂšgre. Il ressort de ces clichĂ©s un sentiment dâaffection et de tendresse. A contrario, les garçons ressemblent Ă des « petits hommes » qui font usage dâarmes et dont les yeux fixent lâobjectif avec un regard provocateur[82].
Le documentaire que Kim Longinotto lui consacre met en lumiĂšre la façon dont Letizia Battaglia a dĂ©construit les « rĂ©cits masculins du pouvoir » organisĂ©s autour de lâimage de lâhomme courageux qui protĂšge sa famille en se lançant dans des activitĂ©s criminelles. En capturant les rĂ©percussions concrĂštes des actions de la Cosa nostra sur la sociĂ©tĂ© sicilienne, la photojournaliste fait montre dâune vision de la mafia Ă lâopposĂ©e de celle vĂ©hiculĂ©e par le cinĂ©ma Ă travers, par exemple, Le Parrain, oĂč en plus du mythe de lâhomme dâhonneur, les rĂŽles fĂ©minins demeurent exclusivement ceux de lâĂ©pouse ou de la fille de mafieux, jamais ceux de femmes qui sâopposent[12].
Le travail de la photographe accorde une place importante Ă lâimaginaire fĂ©minin, Ă la volontĂ© que les femmes ont de changer le cours des choses Ă lâimage de leur rĂŽle dans lâhistoire de la lutte contre la mafia lorsquâelles sont tour Ă tour militantes dans des syndicats de travailleurs, tĂ©moins devant les tribunaux, citoyennes rĂ©clamant des droits. Dans le projet Rielaborazioni, Letizia Battaglia utilise le corps des femmes, nu : ce choix symbolise des ĂȘtres humains sâaffichant sans artifice pour « exorciser » un passĂ© fait « de violence, de meurtre, de complicitĂ©, d'omertĂ , d'injustice, de peur ». Il rappelle aussi lâespoir et la libertĂ© quâelle voit Ă travers les femmes[83]. En , elle explique[84] :
« La liberté est quelque chose d'extraordinaire et d'incommensurable. Personne ne peut vous forcer à vivre d'une maniÚre que vous ne voulez pas. Personne. Je me suis toujours vue comme une créature libre ; j'ai toujours senti que j'avais droit à la liberté et j'ai vécu toute ma vie avec cette idée. »
FĂ©minisme
Dans les annĂ©es 1980, Letizia Battaglia anime un atelier de thĂ©Ăątre Ă l'hĂŽpital psychiatrique de via Pindemonte oĂč elle est bĂ©nĂ©vole[27] - [19] - [85]. En 1991, elle participe avec l'ancienne dĂ©putĂ© communiste Simona Mafai, Rosanna Pirajno, Carla Aleo Nero et la journaliste Silvia Ferraris, la revue Mezzocielo qu'elle dirige de 2000 Ă 2003[85], pensĂ©e afin de combler le manque dâespace dĂ©diĂ© Ă lâexpression des femmes Ă©voluant dans le domaine des arts, de la politique, du journalisme et de lâĂ©cologie[86] - [49]. DĂ©crite comme dĂ©fendant la cause fĂ©ministe[25] - [87], elle prĂ©cise[81] :
« Je n'Ă©tais pas fĂ©ministe mĂȘme si je me comportais comme telle. J'ai toujours Ă©tĂ© du cĂŽtĂ© des femmes. Dans mes photos, je pense que cette complicitĂ© avec celles dans le besoin apparaĂźt. »
Prix et récompenses
- 1985 : prix W. Eugene Smith[22] - [88].
- 1999 : Photography Lifetime Achievement des Mother Jones International Fund for Documentary Photography[89] - [61].
- 2007 : prix Erich Salomon[51] - [90].
- 2009 : prix Cornell Capa[50] - [91].
SĂ©lection dâexpositions
- 1999 : Visa pour lâimage â Perpignan[92] - [93]
- 2008 : Italics, Art italien entre tradition et révolution 1968-2008 au Palais Grassi[94]
- 2011 : Biennale dâIstanbul[95]
- 2016 : #Letizia Battaglia #Per pure passion au MusĂ©e national des Arts du XXIe siĂšcle â rĂ©trospective[78] - [20] - [39]
SĂ©lection de publications
- Letizia Battaglia et Franco Zecchin, Chroniques siciliennes, Paris, Centre national de la photographie, , 86 p. (ISBN 2867540534)[96]
- Letizia Battaglia, Passion - justice - liberté, Milan / Arles, Motta / Actes Sud, , 139 p. (ISBN 2742724133)[25]
- (en) Letizia Battaglia, Anthology, Rome, Drago, , 360 p. (ISBN 978-8898565184)[97]
Documentaires
- 2004 : Battaglia - une femme contre la mafia de Daniela Zanzotto[98]
- 2006 : Camera segreta - Letizia Battaglia de Lavinia Longo
- 2019 : La mafia non Ăš piĂč quella di una volta de Franco Maresco
- 2019 : Shooting the Mafia (en) de Kim Longinotto[9] - [12]
Notes et références
Notes
- Letizia Battaglia dĂ©crit ses parents et son Ă©poux comme Ă©tant imprĂ©gnĂ©s dâune « culture de la peur ».
- Lâune dâentre elles, Shobha, exerce la mĂȘme profession que sa mĂšre[15].
- Les guillemets sont utilisés dans la source.
- Président du Conseil des ministres à plusieurs reprises entre et .
- Il deviendra en le premier homme politique italien condamné pour ses liens avec la mafia.
- Le propriĂ©taire des lieux, le prince Vanni Calvello di San Vincenzo, sera arrĂȘtĂ© pour ses relations avec la mafia locale.
Références
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Liens externes
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- Delarge
- (de + en) Artists of the World Online
- (da + en) Kunstindeks Danmark
- (en) MutualArt
- (nl + en) RKDartists
- (en) Union List of Artist Names
- Ressources relatives Ă l'audiovisuel :
- Allociné
- (en) AllMovie
- (de + en) Filmportal
- (en) IMDb
- Ressource relative Ă la vie publique :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Letizia Battaglia : Entretien avec Brigitte Patient, Regarder Voir, France Inter, 4 décembre 2016