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Lesbianisme séparatiste

Le lesbianisme séparatiste est un courant à l'intersection du féminisme séparatiste (en) et du lesbianisme politique qui promeut et fait vivre des communautés autonomes composées exclusivement de lesbiennes. Il vise à la fois à offrir un meilleur mode de vie aux lesbiennes qui le rejoignent, en leur permettant d'échapper à l'hétérosexualité comme système politique, et à l'émergence d'une culture lesbienne autonome, telle que la womyn's music (en).

Prenant souvent la forme de petites communautés rurales, le lesbianisme séparatiste, essentiellement pratiqué par des lesbiennes blanches, a été critiqué par des lesbiennes Noires en raison de son incapacité à adopter une pratique intersectionnelle.

Buts poursuivis

Pour l'historienne Alice Echols, le séparatisme lesbien, pensé séparément du féminisme séparatiste (en), prend sa source dans un double rapport entre féministes lesbiennes et féministes hétérosexuelles : selon elle, d'une part, il permet aux lesbiennes d'échapper à la lesbophobie des organisations féministes, telles que la National Organization for Women ; d'autre part, il rend le lesbianisme plus confortable aux yeux des hétérosexuelles, en en évacuant la dimension sexuelle[1].

La temporalité de ce séparatisme varie suivant les organisations et les projets : pour la militante et écrivaine Elana Dykewomon, il s'agit au contraire d'un choix de mode de vie s'inscrivant dans la durée, tandis que pour Charlotte Bunch, co-fondatrice de The Furies Collective, il est avant tout une stratégie temporaire visant un développement personnel ou l'accomplissement de certains objectifs militants spécifiques[2]. Elle souligne aussi que, dans une perspective où l'hétérosexualité est un système de pouvoir, le séparatisme lesbien permet d'échapper à cette domination[3].

Cette dimension personnelle et sociale est aussi développée dans Lesbian Ethics: Toward New Value, publié en 1988 par la philosophe Sarah Lucia Hoagland (en) : elle y développe l'idée que le lesbianisme séparatiste permet aux lesbiennes de construire une éthique communautaire saine, par la création de communautés basées sur des valeurs partagées[4]. C'est aussi la vision de Lillian Faderman, citant comme valeurs l'intégrité, le soin aux personnes le nécessitant, l'auto-détermination, et l'équité dans le travail[5].

Bette Tallen cite la création d'une communauté lesbienne solide et autonome, définie par et pour elle-même, comme objectifs du lesbianisme séparatiste[6]. Cet aspect est poussé plus loin par Faderman, pour qui le séparatisme permet non seulement la création et le maintien d'une culture lesbienne, mais aussi sa visibilité, et a fortiori celle du lesbianisme, auprès d'un large public[5].

Modalités

Le lesbianisme séparatiste passe souvent par l'achat de terres, typiquement pour l'établissement de Womyn's land[7]. Ces communautés rurales développent généralement une pensée écoféministe et de reconnexion à la nature[8].

En plus de la séparation envers les hommes dans les sphères professionnelles et personnelles, l'organisation The Furies recommande aussi la mise à distance, pour les lesbiennes séparatistes, d'avec les « femmes qui n'ont pas coupé les liens avec le privilège masculin », c'est-à-dire celles qui bénéficient des privilèges et de la sécurité liés à l'hétérosexualité, puisque la position de ces femmes les amènera à trahir les lesbiennes qui ne bénéficient pas de cette protection[9].

Histoire

Aux États-Unis, The Furies en 1971 crĂ©ent leur communautĂ©, composĂ©e de trois enfants et douze femmes, toutes lesbiennes, fĂ©ministes et blanches, et âgĂ©es de 18 Ă  28 ans[10]. Les autres groupes sĂ©paratistes incluent The Gutter Dykes, The Gorgons, et les Radicalesbians (en)[11].

En Italie se crée en 2006 la communauté rurale La Porta, qui développe à la fois une forte pensée écoféministe et des pratiques culturelles avec la création de la maison d'édition lesbienne Lesbacce Incolte et le groupe de musique Tribad[12].

Productions culturelles

Littératures

The Wanderground (en) est une utopie par Sally Miller Gearhart, qui s'inspire de son expérience dans les communautés lesbiennes séparatistes rurales[13].

Revues

De nombreux collectifs lesbiens séparatistes, qu'ils soient communautaires ou informels, publient des revues : à Londres, Gossip: A Journal of Lesbian Feminist Ethics[14], à Wellington, Lesbian Feminist Circle (en)[15], en Australie, Sage: The Separatist Age[16]; à Montréal, Amazones d'Hier, Lesbiennes d'Aujourd'hui[17] et, à Chicago, Killer Dyke[18] - [19].

Musique

Le début des années 1970 est l'âge d'or du womyn's music (en), représenté notamment par les artistes Maxine Feldman et Alix Dobkin et le Michigan Womyn's Music Festival, actif jusqu'en 2015[20] - [21].

Critiques

Blanchité du mouvement

La poétesse lesbienne Noire Jewelle Gomez, dans son essai Out of the Past, souligne à quel point son histoire est indissociable de celle des femmes hétérosexuelles et des hommes noirs, et que beaucoup de femmes racisées ne pourraient pas avoir le choix de se séparer de ces deux groupes qui sont si essentiels à leur survie[22].

En 1982, les écrivaines Barbara Smith et Beverly Smith (en) publient une conversation sur le black feminism et le féminisme lesbien, dans laquelle elles critiquent le séparatisme lesbien[23]. Elles soulignent que le racisme place les lesbiennes racisées dans une position différente, par rapport aux autres qui partagent leurs oppressions, que celle des lesbiennes et plus généralement des femmes blanches par rapport aux hommes blancs[23]. Cette réalité fait que le séparatisme lesbien, dans les faits très majoritairement blanc, a développé une vision politique isolée, qui ignore l'ensemble des oppressions que les femmes subissent[24].

Références

  1. Echols, Alice. "The Eruption of Difference", from Daring to be Bad: Radical Feminism in America, 1967–1975, 1989, University of Minnesota Press, (ISBN 0-8166-1787-2), p218.
  2. Davis, Flora. Moving the Mountain: The Women's Movement in America since 1960, University of Illinois Press, 1999, (ISBN 0-252-06782-7), p271
  3. Bunch, Charlotte. Learning from Lesbian Separatism, Ms. Magazine, Nov. 1976
  4. Hoagland, Sarah Lucia. Lesbian Ethics: Towards a New Value, Institute for Lesbian Studies, Palo Alto, Ca.
  5. Faderman, Lillian. Odd Girls and Twilight Lovers, Columbia University Press, (ISBN 0-231-07488-3), p220
  6. Tallen, Bette S. Lesbian Separatism: A Historical and Comparative Perspective, in For Lesbians Only: A Separatist Anthology, Onlywomen Press, 1988, (ISBN 0-906500-28-1), p141
  7. Sarah Kershaw, « My Sister's Keeper », The New York Times,‎ (lire en ligne [archive du ])
  8. Sine Anahita, « Nestled into Niches: Prefigurative Communities on Lesbian Land », Journal of Homosexuality, vol. 56, no 6,‎ , p. 719–737 (PMID 19657932, DOI 10.1080/00918360903054186, S2CID 28508292)
  9. Bunch, Charlotte/The Furies Collective, "Lesbians in Revolt", in The Furies: Lesbian/Feminist Monthly, vol. 1, January 1972, pp.8–9
  10. (en) Dudley Clendinen et Adam Nagourney, Out For Good: The Struggle to Build a Gay Rights Movement in America, Simon and Schuster, (ISBN 978-0-684-86743-4, lire en ligne)
  11. Ariel Levy, « Lesbian Nation », The New Yorker,‎ (lire en ligne, consulté le )
  12. Anna Cuenca, « La Porta - Festival Lesbico Internazionale - Una Terra Di Donne », dans Actes de l'Eurolesbopride, Centre évolutif Lilith, (ISBN 978-2-7466-9511-5 et 2-7466-9511-1)
  13. Dana R. Shugar, Separatism and Women's Community, University of Nebraska Press, , xi–xvii (ISBN 978-0-8032-4244-9, lire en ligne)
  14. « GEI to HUZ – Serials List – Lesbian & Gay Archives of New Zealand » [archive du ], Laganz.org.nz (consulté le )
  15. « CAP to CUT – Serials List – Lesbian & Gay Archives of New Zealand » [archive du ], Laganz.org.nz (consulté le )
  16. « S.E to SQU – Serials List – Lesbian & Gay Archives of New Zealand » [archive du ], Laganz.org.nz, (consulté le )
  17. Warner 2002, p 179.
  18. « Special Identity Women's Periodicals: 1963–1983 » [archive du ], Wifp.org (consulté le )
  19. « CLGA: Lesbian and Gay Periodicals » [archive du ]
  20. Garofalo, Reebee. Rockin' the Boat, South End Press, 1992, (ISBN 0-89608-427-2)
  21. Kath Browne, « Lesbian separatist feminism at Michigan Womyn's music festival », Feminism & Psychology, vol. 21, no 2,‎ , p. 248–256 (DOI 10.1177/0959353510370185, S2CID 145055941)
  22. Gomez, Jewelle. Out of the Past, in David Deitcher's The Question of Equality:Lesbian and Gay Politics in America Since Stonewall, Scribner, 1995, (ISBN 0-684-80030-6), pp44–45.
  23. Smith, Barbara and Beverly Smith. 1983. "Across the Kitchen Table: A Sister-to- Sister Dialogue", anthologized in This Bridge Called My Back: Writings by Radical Women of Color, p121
  24. Smith, Barbara. Response to Adrienne Rich's Notes from Magazine: What does Separatism Mean?" from Sinister Wisdom, Issue 20, 1982

Bibliographie

  • Françoise Flamant, Women's lands : construction d'une utopie. Oregon, USA, 1970-2010 (ISBN 9791090062825)
  • (en) Dianna Hunter Wild Mares: My Lesbian Back-to-the-Land Life (University of Minnesota Press, 2018)
  • (en) For Lesbians Only: A Separatist Anthology, Onlywomen Press, (ISBN 978-0-906500-28-6, lire en ligne Inscription nĂ©cessaire)
  • (en) Cheney, Joyce. Lesbian Land, Word Weavers Press, 1976

Voir aussi

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