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Lesbianisme politique

Le lesbianisme politique ou lesbianisme radical est un courant fĂ©ministe, gĂ©nĂ©ralement associĂ© Ă  la deuxiĂšme vague fĂ©ministe et au fĂ©minisme radical. Il inclut, mais ne se limite pas au sĂ©paratisme lesbien. Le lesbianisme politique repose sur l'idĂ©e qu'il faut combattre le patriarcat en tant que systĂšme politique, en arrĂȘtant de soutenir l'hĂ©tĂ©rosexualitĂ© et d'avoir des relations avec des hommes.

Historique

Le lesbianisme politique commence Ă  exister Ă  la fin des annĂ©es 1960 au sein de la seconde vague des fĂ©ministes radicales, comme un moyen de combattre le sexisme et l'hĂ©tĂ©rosexualitĂ© comme construction sociale. Sheila Jeffreys aide Ă  dĂ©velopper le concept quand elle Ă©crit, au sein du Leeds Revolutionary Feminist Group, un essai intitulĂ© Love Your Enemy? The Debate Between Heterosexual Feminism and Political Lesbianism (Aime ton ennemi ? Le dĂ©bat entre le fĂ©minisme hĂ©tĂ©rosexuel et le lesbianisme politique)[1]. Les autrices y affirment que les femmes devraient arrĂȘter de soutenir l'hĂ©tĂ©rosexualitĂ© en ayant des rapports sexuels avec des hommes, et encouragent les lectrices Ă  se dĂ©barrasser des hommes « dans vos lits et dans vos tĂȘtes »[2].

À la fin des annĂ©es 1980, Monique Wittig et Adrienne Rich thĂ©orisent le lesbianisme politique en France dans leurs essais La PensĂ©e straight et La Contrainte Ă  l'hĂ©tĂ©rosexualitĂ©. Elles y font une critique de l'hĂ©tĂ©ronormativitĂ© et des institutions qui en dĂ©coulent, comme le mariage et la famille traditionnelle[3]. En Espagne, Empar Pineda affirme ses choix[4].

À la fin des annĂ©es 1990, le mouvement LGBT s'oppose au lesbianisme radical. Dans les annĂ©es 2010, le courant trouve un renouveau dans des associations locales comme le collectif Bonny Read ou l'association parisienne non mixte FiÈres[3].

Concept de lesbianisme politique

DĂ©finition

Le lesbianisme politique repose sur l'idĂ©e que pour combattre le patriarcat et ses oppressions, il faut refuser les relations avec les hommes et s’extraire de l’hĂ©tĂ©rosexualitĂ©.

Selon cette doctrine, les hommes sont dĂ©terminĂ©s Ă  avoir des comportements sexistes et problĂ©matiques par le simple fait qu’ils sont des hommes et ont grandi dans une sociĂ©tĂ© dont les rapports de genre s’exercent en leur faveur. Ainsi les femmes en couple avec des hommes ne peuvent pas Ă©chapper Ă  l'oppression patriarcale dans la sphĂšre intime. Pour Monique Wittig en particulier, le militantisme fĂ©ministe qui se construit autour de l'hĂ©tĂ©rosexualitĂ© repose actuellement sur un amĂ©nagement dudit systĂšme plutĂŽt que sur une volontĂ© de l'abolir[5]. Louise Turcotte, militante lesbienne radicale, explique ainsi : « Le lesbianisme radical, quant Ă  lui, place la dimension politique du lesbianisme dans le fait que les lesbiennes occupent une position spĂ©cifique Ă  l'intĂ©rieur de la classe des femmes et qu'elle constitue par consĂ©quent une faille Ă  ce rĂ©gime politique qu'est l'hĂ©tĂ©rosexualitĂ© »[6].

Le comportement hétérosexuel est vu comme la fondation de la structure politique patriarcale : les lesbiennes qui refusent les relations hétérosexuelles combattent directement le systÚme politique du patriarcat[7].

De cette façon, les femmes peuvent s'Ă©loigner d'un carcan oppressif qui inclut les normes hĂ©tĂ©rosexuelles, la sexualitĂ© traditionnelle, le mariage et la vie de famille. En effet, pour les lesbiennes politiques, les normes hĂ©tĂ©rosexuelles imposent une vie de travail difficile sans reconnaissance, oĂč elles sont subordonnĂ©es aux hommes.

Relations sexuelles

Le lesbianisme politique ne repose pas sur les relations sexuelles entre femmes : le Leeds Revolutionary Feminist Group définit une lesbienne politique comme « une femme qui ne baise pas des hommes ».

Certaines choisissent le cĂ©libat, ou s'identifient comme asexuelles. D'autres encore sont bisexuelles et choisissent de se qualifier de lesbiennes, ne mettant en Ɠuvre que leur attirance pour des femmes[3]. Le mouvement a donc pour effet de donner plus de visibilitĂ© Ă  certaines sexualitĂ©s non normatives[8].

Enfin, quelques lesbiennes politiques ne s'opposent pas à partager des relations sexuelles, sans lien affectif ou romantique, avec des hommes. Cette vision est cependant moins répandue au sein du mouvement[3].

SĂ©paratisme lesbien

Le sĂ©paratisme lesbien est une forme de fĂ©minisme radical qui soutient que l'opposition au patriarcat obtient les meilleurs rĂ©sultats en se concentrant exclusivement sur les femmes et les filles[9]. Les fĂ©ministes sĂ©paratistes considĂšrent que les hommes ne peuvent pas apporter de contributions positives au mouvement fĂ©ministe et que mĂȘme les hommes de bonne foi rĂ©pĂštent les dynamiques du patriarcat[10].

Ti-Grace Atkinson, féministe radicale et cofondatrice du groupe The Feminists, est attribué la phrase qui résume le mouvement : « le féminisme, c'est la théorie ; le lesbianisme, c'est la pratique »[11] - [12]. Néanmoins, elle aurait réellement dit « le féminisme, c'est la théorie ; mais le lesbianisme une pratique »[13] - [14].En sortant des relations hétérosexuelles, les femmes peuvent s'exprimer comme lesbiennes et se trouver des valeurs communes : le féminisme pourra donc fournir un environnement dans lequel le lesbianisme est une question politique et non une contrainte. Les valeurs communes des femmes créent une énergie positive nécessaire à l'élévation sociale des femmes.

Charlotte Bunch, une des premiĂšres membres du The Furies CollectiveThe Furies Collective (Collectif des Furies), voit le fĂ©minisme sĂ©paratiste comme une premiĂšre Ă©tape nĂ©cessaire Ă  l'accomplissement d'objectifs spĂ©cifiques et au dĂ©veloppement personnel[15]. Les Furies recommandant que les sĂ©paratistes lesbiennes ne devraient socialiser qu'avec les femmes qui se dĂ©solidarisent du privilĂšge masculin et suggĂšre que « tant que les femmes bĂ©nĂ©ficient de l'hĂ©tĂ©rosexualitĂ©, reçoivent ses avantages et sa sĂ©curitĂ©, elles sont vouĂ©es Ă  trahir leurs sƓurs, en particulier leurs sƓurs Lesbiennes qui n'ont pas reçu ces privilĂšges »[16].

Les femmes choisissant de devenir lesbiennes politiques se libĂšrent Ă©galement de la charge de pĂ©dagogie envers les hommes. Si, fĂ©ministes hĂ©tĂ©rosexuelles, elles peuvent ressentir un besoin d'expliquer leurs combats pour que les hommes apprennent et Ă©voluent, une fois le lesbianisme adoptĂ©, elles n'ont plus le devoir moral de s'en charger, n'Ă©tant pas proches de ces hommes. Une autre logique derriĂšre ce raisonnement est le dĂ©terminisme social : les hommes restent une classe privilĂ©giĂ©e et ne peuvent pas comprendre pleinement les luttes fĂ©ministes, mĂȘme s'ils sont pleins de bonne volontĂ©[3].

Le lesbianisme séparatiste a été critiqué par certains courants du lesbianisme politique. Louise Turcotte reproche notamment à ce courant d'avoir « développé, dans une visée essentialiste, des valeurs spécifiquement lesbiennes », tout en reconnaissant la nécessité des communautés lesbiennes[6].

Critiques

Critique de Gayle Rubin

Pour l'anthropologue et militante lesbienne et fĂ©ministe Gayle Rubin, le lesbianisme politique est parti d'une bonne intuition. En effet, le fait d'ĂȘtre lesbienne amĂšne bien Ă  se confronter Ă  des Ă©lĂ©ments fondamentaux de la hiĂ©rarchie de genre.

Cependant, avec lui, il est « devenu plus difficile d’admettre qu’il y a des hĂ©tĂ©rosexuelles qui sont fĂ©ministes et des lesbiennes qui ne le sont pas. Elle a gĂȘnĂ© le dĂ©veloppement d’un mouvement politique lesbien et d’une conscience lesbienne. Elle a amenĂ© Ă  considĂ©rer que le lesbianisme n’est justifiĂ© politiquement que dans la mesure oĂč il est fĂ©ministe – ce qui a, en retour, incitĂ© les lesbiennes fĂ©ministes Ă  mĂ©priser les gouines qui n’appartenaient pas au mouvement. Elle a conduit les lesbiennes fĂ©ministes Ă  s’identifier avec le mouvement fĂ©ministe plutĂŽt qu’avec la communautĂ© lesbienne. Elle a incitĂ© de nombreuses femmes qui ne sont pas sexuellement attirĂ©es par les femmes Ă  se dĂ©finir comme lesbiennes. Elle a empĂȘchĂ© le mouvement lesbien d’affirmer que notre dĂ©sir pour les femmes est lĂ©gitime, qu’il provienne ou non des idĂ©es politiques du fĂ©minisme. Elle a donnĂ© naissance Ă  un lesbianisme politique qui semble avoir honte du dĂ©sir lesbien.»[17]

Selon elle en effet, il est important de sĂ©parer analytiquement et politiquement le genre et la sexualitĂ©, et elle reproche aux lesbiennes politiques d'avoir « analysĂ© l'oppression des lesbiennes en termes d'oppression des femmes. Cependant les lesbiennes sont aussi opprimĂ©es en tant que queer, que perverses, par le fruit d'une stratification de la sexualitĂ© et non de genre. Bien que cela heurte certaines lesbiennes, force est de constater que les lesbiennes ont partagĂ© beaucoup des caractĂ©ristiques sociales et souffert des mĂȘmes formes d'exclusion sociales que les hommes homosexuels, les travestis et les prostituĂ©s.»[18]

Critique de la part de la communauté LGBT+

Certaines lesbiennes estiment que leur orientation est ainsi fétichisée[3].

Notes et références

  1. (en) Sheila Jeffreys, « Love Your Enemy? The Debate Between Heterosexual Feminism and Political Lesbianism ».
  2. (en) Julie Bindel, « My sexual revolution », The Guardian, (consulté le ).
  3. « Devenir lesbienne par conviction : "Quand je suis en couple avec un mec, je me dissous" », L'Obs,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  4. « Empar Pineda, “lesbiana porque sí” », sur www.publico.es
  5. Louise Turcotte, Avant-note de La Pensée Straight de Monique Wittig, Paris, Balland, (lire en ligne)
  6. Monique Wittig (prĂ©f. Louise Turcotte), La pensĂ©e straight, Paris, Éditions Amsterdam, , 153 p. (ISBN 978-2-35480-175-5), « La rĂ©volution d'un point de vue », p. 21.
  7. (en) Charlotte Bunch, « Lesbians in Revolt », The Furies: Lesbian/Feminist Monthly (consulté le ).
  8. (en) Caroline Ramazanoglu, Feminism and the Contradictions of Oppression, Routledge, , 218 p. (ISBN 978-0-415-02836-3), p. 84-86
  9. (en) Christine Skelton et Becky Francis, Feminism and the Schooling Scandal, Taylor & Francis, , 176 p. (ISBN 978-0-415-45510-7, lire en ligne), p. 184
  10. Sarah Hoagland, Lesbian Ethics: toward new value, p. 60, 154, 294.
  11. Anne Koedt, « Lesbianism and Feminism »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?).
  12. « Feminism is the theory, lesbianism is the practice ». (Chicago Women's Liberation Union pamphlet, Lesbianism and Feminism, 1971; Stevi Jackson, Sue Scott, Feminism and Sexuality: A Reader, Columbia University Press, 1996, p. 282).
  13. (en) Sam McBean, « Feminist diagrams », Feminist Theory, vol. 22, no 2,‎ , p. 206–225 (ISSN 1464-7001, DOI 10.1177/1464700121997182, lire en ligne, consultĂ© le )
  14. (en) Katie King, « Theory in Its Feminist Travels: Conversations in U.S. Women’s Movements », Indiana University Press,‎ , p. 125
  15. (en) Flora Davis, Moving the Mountain : The Women's Movement in America Since 1960, University of Illinois Press, , 628 p. (ISBN 0-252-06782-7, lire en ligne), p. 271
  16. Bunch, Charlotte/The Furies Collective, « Lesbians in Revolt Â», in The Furies: Lesbian/Feminist Monthly, vol. 1, January 1972, p. 8–9.
  17. Gayle Rubin, « Le Péril cuir », traduction française fr. de Rostom Mesli, in Gayle Rubin, Surveiller et jouir : Anthropologie politique du sexe, textes rassemblés et édités par Rostom Mesli, traductions de Flora Bolter, Christophe Broqua, Nicole-Claude Mathieu, Rostom Mesli, EPEL, 2010, page 115.
  18. Gayle Rubin, « Penser le sexe », traduction française fr. de Flora Bolter, in Gayle Rubin, Surveiller et jouir : Anthropologie politique du sexe, textes rassemblés et édités par Rostom Mesli, traductions de Flora Bolter, Christophe Broqua, Nicole-Claude Mathieu, Rostom Mesli, EPEL, 2010, page 204.

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Ruth Allison, Lesbianism : Its Secrets and Practices, Los Angeles, Medco, (OCLC 7965371), « Lesbian by choice »
  • Gottschalk, Lorene. Genderations of Women Choosing to Become Lesbian: Questioning the Essentialist Link, [S.l. : s.n.], 1999 (OCLC 320880086)
  • Jeffreys, Sheila; Leeds Revolutionary Feminist Group; et al. (1981) Love Your Enemy?: The Debate Between Heterosexual Feminism and Political Lesbianism, London: Onlywomen Press, (ISBN 0-906500-08-7)
  • (en) Celia Kitzinger et Sue Wilkinson, The Social Construction of Lesbianism, London; Newbury Park, Calif., Sage Publications, , 230 p. (ISBN 0-8039-8116-3, OCLC 18388282)
  • (en) Bonnie J. Morris, The Disappearing L : Erasure of Lesbian Spaces and Culture, , 1re Ă©d., 256 p. (ISBN 978-1-4384-6177-9, lire en ligne)
  • Rich, Adrienne (1980). « Compulsory heterosexuality and lesbian existence ». Signs: Journal of Women in Culture and Society. University of Chicago Press via JSTOR. 5 (4), 631-660. JSTOR:3173834. DOI 10.1086/493756.
  • (en) Michelle Robertson, The Politics of Sexual Identity : The Case of Political Lesbianism, Nathan, Qld., Griffith University, (OCLC 222860038)
  • (en) Denise Thompson, Reading Between the Lines : a Lesbian Feminist Critique of Feminist Accounts of Sexuality, Chicago, Spinifex Press, (ISBN 978-1-74219-457-8, OCLC 782877206)
  • Monique Wittig (trad. de l'anglais), La PensĂ©e straight, Paris, Éditions Amsterdam, , 153 p. (ISBN 978-2-35480-175-5)
  • Adrienne Rich, La contrainte Ă  l'hĂ©tĂ©rosexualitĂ© (ISBN 978-2-940116-09-6)

Articles connexes

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