Lanceurs d'alerte en république populaire de Chine
Les lanceurs d'alertes de la rĂ©publique populaire de Chine sont lĂ©galement protĂ©gĂ©s par la constitution et des articles de loi autorisant les critiques et plaintes contre lâĂtat et les fonctionnaires pour « violation de la loi ou nĂ©gligence de ses devoirs ». Cependant, en pratique, le pays a incarcĂ©rĂ© de nombreuses personnes considĂ©rĂ©es comme des lanceurs d'alerte, notamment lors de l'Ă©mergence du SARS-CoV-2. Le rĂ©gime utilise le fait que « la fabrication ou la dĂ©formation des faits Ă des fins de diffamation ou de machination » soient passibles de poursuites pour justifier l'arrestation de lanceurs d'alerte pour dĂ©sinformation (comme Li Wenliang). La pratique des arrestations arbitraires a Ă©galement Ă©tĂ© observĂ©e dans le cadre de la pandĂ©mie de Covid-19 comme avec les arrestations de Fang Bin et Chen Qiushi.
Cadre légal
Les Chine, comme dans de nombreux pays, les lanceurs dâalerte sont lâobjet, dans un premier temps, de sanctions voir de poursuites judiciaires. Pourtant lâarticle 41 de la Constitution chinoise donne le « droit de critiquer et de faire des suggestions Ă tout organe ou fonctionnaire de lâĂtat ». Il est aussi possible de porter plainte contre lâĂtat et les fonctionnaires pour « violation de la loi ou nĂ©gligence de ses devoirs ». NĂ©anmoins, « la fabrication ou la dĂ©formation des faits Ă des fins de diffamation ou de machination » sont passibles de poursuites[1] - [2].
Attitude du gouvernement chinois vis-Ă -vis des lanceurs d'alertes
Le gouvernement chinois emploie une politique de rĂ©pression et de censure[3] des lanceurs d'alerte. Cette attitude est Ă l'origine de courants de pensĂ©es divergents parmi les chercheurs du pays. Des travaux de recherche issus d'universitĂ©s chinoises critiquent les lanceurs d'alertes et leur reproche de privilĂ©gier la vĂ©ritĂ© mĂȘme quand cela nuit Ă la sociĂ©tĂ© dans son ensemble[4] et ainsi de privilĂ©gier leur intĂ©rĂȘt personnel avant le bien-ĂȘtre collectif[5]. En contradiction, une Ă©tude de 2016 appuyait la nĂ©cessitĂ© de mettre en Ćuvre une meilleure politique de protection des lanceurs d'alerte afin de mieux protĂ©ger ceux-ci et de combattre plus efficacement la corruption[6].
Malgré une protection légale garantie notamment par la constitution, le gouvernement commande fréquemment des arrestations arbitraires[3] (comme avec les arrestations de Fang Bin et Chen Qiushi) et utilise le fait que « la fabrication ou la déformation des faits à des fins de diffamation ou de machination » soient passibles de poursuites pour justifier l'arrestation de lanceurs d'alerte pour désinformation (comme Li Wenliang)[7].
Révélations et réactions des autorités chinoises
Révélations de Harry Wu
En 1991, Harry Wu, ex-détenu des camps de rééducation par le travail chinois (laogai) dans lesquels il a passé 19 ans[8], décide de retourner en Chine filmer clandestinement la réalité de ces camps de travaux forcés du régime communiste chinois. Les images sont à destination du magazine d'information américain 60 Minutes[9] - [10]. Diffusé le [11], il remporta les Emmy Awards[12].
Réactions des autorités chinoises
Le régime chinois publie le son livre blanc, intitulé The Human Rights Situation in China ou il répond aux détracteurs de la pratique des travaux forcés (parmi lesquels figure Harry Wu)[13].
En , Human Rights Watch/Asia et Human Rights in China présentent un document secret du bureau de la sécurité publique élaboré en , donnant le nom de 49 personnes qui ne sont pas autorisées à pénétrer en Chine, Harry Wu en fait partie[14].
La Chine n'annonce qu'en , la fin de la politique des laogai. Toutefois selon le sinologue Jean-Luc Domenach, cette décision ne fut pas suivie de la fermeture des camps et le dispositif concentrationnaire perdure en 2017 avec 5 à 8 millions de prisonniers[15].
Révélation de Jiang Yanyong
En avril 2003, lors de la crise du SRAS, le médecin militaire Jiang Yanyong indique aux médias étrangers l'importance de l'épidémie en Chine alors que le régime chinois s'efforce de maintenir le secret sur ce problÚme de santé publique. Sa révélation provoque une crise politique : le ministre de la Santé et le maire de Pékin sont limogés. Les autorités sont contraintes de jouer provisoirement la transparence. Les médias libéraux le portent aux nues mais le Parti communiste chinois le met sous surveillance[16].
2014 : corruption
Les autorités chinoises luttent depuis plusieurs années contre la corruption notamment au sein du Parti communiste.
Xu Zhiyong
Le lanceur d'alerte Xu Zhiyong s'Ă©lĂšve contre la corruption et demande une transparence du patrimoine des hauts fonctionnaires. ArrĂȘtĂ© en juillet 2013 il est condamnĂ© Ă quatre ans de prison[17] - [18].
Analyse
En 2014, l'ONGI Transparency International, ayant essentiellement vocation de lutter contre la corruption des gouvernements et institutions gouvernementales mondiales, indique :« La Chine (âŠ) doit fournir un meilleur accĂšs Ă lâinformation et crĂ©er des protections plus grandes pour les dĂ©nonciateurs quâelle ne lâa fait jusquâĂ prĂ©sent dans sa lĂ©gislation »[19].
Révélations
En novembre 2019, un lanceur dâalerte chinois fais parvenir au New York Times, des documents officiels chinois concernant la rĂ©pression envers les OuĂŻghours dans la province du Xinjiang[20]. Les Xinjiang Papers sont dĂ©crits comme « les plus importantes fuites de documents gouvernementaux Ă l'intĂ©rieur du parti communiste au pouvoir en Chine depuis des dĂ©cennies »[21]. Ils sont composĂ©s de « 96 pages de discours inĂ©dits du prĂ©sident Xi Jinping, de 102 pages de discours de cadres du parti, 161 pages de directives et de rapports sur la surveillance des citoyens et 44 pages dâenquĂȘtes internes »[22]. Xi Jinping y appelle personnellement les cadres du parti à «lutter contre le terrorisme, lâinfiltration et le sĂ©paratisme» en utilisant les «outils de la dictature» et en ne montrant «absolument aucune pitié»[22].
RĂ©action de la Chine
L'auteur des révélations n'est pas connu, le New York Times indique simplement que sa source est « à l'intérieur du Parti communiste chinois ». La pérennité de son anonymat et les éventuelles conséquences ne sont pas connues[23].
Cas de Li Wenliang
Ă la fin de lâannĂ©e 2019, Li Wenliang, avec sept autres confrĂšres mĂ©decins, a essayĂ© d'alerter les autoritĂ©s chinoises sur une Ă©ventuelle Ă©pidĂ©mie de type SRAS[24]. Il prend connaissance le d'un rapport de patient qui montre un rĂ©sultat positif avec un intervalle de confiance Ă©levĂ© pour les tests de dĂ©pistage du coronavirus du SRAS[25]. Li Wenliang est accusĂ© de rĂ©pandre des fausses rumeurs[7].
RĂ©actions de Xi Jinping
Le prĂ©sident Xi Jinping est dĂ©terminĂ© Ă maintenir la « stabilitĂ© sociale ». Il demande le 3 fĂ©vrier 2020 de « sĂ©vir contre ceux qui profitent de (l'Ă©pidĂ©mie) pour lancer des rumeurs » et de « renforcer (...) son contrĂŽle des mĂ©dias en ligne ». Les critiques envers les cadres communistes du Hubei nâont pas Ă©tĂ© censurĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux, ceux-ci ont Ă©tĂ© limogĂ©s. Par contre les demandes dâune plus grande libertĂ© dâexpression ont disparu[26]. Le 21 fĂ©vrier, le ministĂšre de la SĂ©curitĂ© publique annonce 5 111 cas « de fabrication et de diffusion intentionnelle de fausses nouvelles nuisibles » qui ont nĂ©cessitĂ© lâintervention de la police[27].
Citoyens journalistes
Au dĂ©but de l'annĂ©e 2020, l'Ă©pidĂ©mie de COVID-19 frappe la Chine et plusieurs citoyens journalistes tentent d'informer sur la situation. Au cours du mois de , Chen Qiushi, Fang Bin et Li Zehua, tous trois lanceurs d'alertes, citoyens journalistes et contradicteurs de terrain de la version officielle de gestion de la crise par le rĂ©gime chinois sont arrĂȘtĂ©s et disparaissent[3].
Le , une semaine aprÚs sa vidéo polémique du , Chen annonce à sa famille qu'il compte se rendre dans un des hÎpitaux temporaires de Wuhan. Il disparaßt dans la soirée. à partir de 19 heures, aucune des tentatives de contact de ses proches n'aboutit[28] - [29]. Dans les jours qui suivent, sa famille est prévenue par la police qu'il a été mis en quarantaine forcée[30], il ne présente pourtant à ce moment aucun symptÎme au dire d'un de ses proches[31].
Le , Fang Bin[32] et le Li Zehua[33], deux autres citoyens journalistes lanceurs d'alertes sur la situation à Wuhan disparaissent également. AprÚs deux mois d'emprisonnement, Li Zehua est finalement libéré le [34]. Le 30 avril 2023, Associated Press dévoile la libération de Fang Bin, condamné à trois ans de prison lors d'un procÚs secret tenu à Wuhan[35] - [36]. Chen Qiushi est toujours porté disparu[3].
Le , Zhang Zhan est arrĂȘtĂ©e. Disparue pendant un mois aprĂšs son interpellation, elle est dĂ©tenue et aurait Ă©tĂ© torturĂ©e pour avoir enquĂȘtĂ© sur la gestion chinoise de la pandĂ©mie de Covid-19 et l'Institut de Virologie de Wuhan[37] - [38].En , elle est condamnĂ©e Ă quatre ans de prison. L'Union europĂ©enne demande Ă la rĂ©publique populaire de Chine sa libĂ©ration immĂ©diate [39].
Références
- Constitution chinoise Chapitre II Des droits et des devoirs fondamentaux des citoyens
- Vigjilenca Abazi La vĂ©ritĂ© tenue Ă distance ? Lâalerte comme remĂšde Ă la censure lors de la pandĂ©mie Grand Continent, 28 juin 2020
- Marie Campistron Coronavirus : oĂč sont passĂ©s les lanceurs dâalerte chinois ? Le Parisien, 12 avril 2020
- (en) Junhong Zhu, « Is it ethical to be a âwhistleblowerâ during COVID-19 pandemic? Ethical challenges confronted by health care workers in China », Journal of Advanced Nursing, vol. 76, no 8,â , p. 1873â1875 (ISSN 1365-2648, PMID 32281144, PMCID PMC7262094, DOI 10.1111/jan.14376, lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) Niu Lei, « Theoretical Thinking about the Improvement of China's Whistleblower System », Journal of Southwest University of Science and Technology (Philosophy and Social Science Edition),â (lire en ligne)
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- DĂ©cĂšs de Harry Wu, lanceur dâalerte des camps chinois La Croix, 27 avril 2016
- (en) Remembering Harry Wu, 'Troublemaker' For The Chinese Communist Party, npr.org, 29 avril 2016
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- (en) Troublemaker: One Man's Crusade Against China's Cruelty,
- (en) Robert L. Suettinger, Beyond Tiananmen: The Politics of U.S.-China Relations 1989-2000, p. 228
- (en) Lawrence R. Sullivan, Historical Dictionary of the People's Republic of China, Scarecrow Press, 2007, 720 pages, p. 258. : « In 1991, the PRC responded to its critics by issuing its first White Paper The Human Rights Situation in China. [...] The paper also contained a riposte to critics of China's practice of prison labor, which the naturalized Chinese-American Harry Wu had extensively documented [...]. »
- Dissidence politique -mise Ă jour Commission de l'immigration et du statut de rĂ©fugiĂ©s du Canada : « Par contre, un rapport publiĂ© en janvier 1995 par Human Rights Watch/Asia et Human Rights in China prĂ©sente un document secret du bureau de la sĂ©curitĂ© publique, produit en mai 1994 et qui contient le nom de 49 personnes non autorisĂ©es Ă retourner en Chine pour des raisons politiques, ainsi que des renseignements Ă leur sujet [...]La troisiĂšme catĂ©gorie comprend des cas semblables Ă ceux de la deuxiĂšme, mais les fonctionnaires chargĂ©s de la sĂ©curitĂ© des frontiĂšres doivent consulter les hauts fonctionnaires sur la façon de traiter ces personnes. Des considĂ©rations d'ordre politique peuvent ĂȘtre importantes pour cette catĂ©gorie, qui comprend plusieurs personnalitĂ©s cĂ©lĂšbres [...] Harry Hongda Wu, dont les rĂ©vĂ©lations sur les conditions qui existent dans les prisons et sur l'utilisation du travail des prisonniers pour fabriquer des marchandises pour l'exportation ont embarrassĂ© le gouvernement chinois »
- « Chine â Les camps de travail forcĂ©, une «horreur» qui perdure », Tribune de GenĂšve,â (ISSN 1010-2248, lire en ligne, consultĂ© le )
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- En Chine, PĂ©kin rĂ©prime les « lanceurs dâalerte » sur la corruption La Croix, 21 janvier 2010
- Chine: le militant anticorruption Xu Zhiyong est sorti de prison Le Point, 15 juillet 2017
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- ĂpidĂ©mie en Chine : le prĂ©sident Xi Jinping exhorte au maintien de l'ordre LâExpress, 15 fĂ©vrier 2020
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- Grace Tsoi avec Lok Lee, "Fang Bin: China Covid whistleblower returns home to Wuhan after jail", BBC News, 2 mai 2023 ; page consultée le 6 mai 2023.
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- Répression.Pour avoir filmé Wuhan en pleine épidémie, Zhang Zhan risque cinq ans de prison, COURRIER INTERNATIONAL le 18/11/2020
- LâUE demande Ă la Chine la libĂ©ration de la « journaliste citoyenne » Zhang Zhan Le Nouvel Obs, 29/12/2020 : « Outre Zhang Zhan, lâUE demande la libĂ©ration immĂ©diate de lâavocat Yu Wensheng, [...] Elle rĂ©clame Ă©galement celle des avocats Li Yuhan et Gao Zhisheng, des cyberdissidents Huang Qi et Wu Gan, du dĂ©fenseur des droits Ge Jueping (arrĂȘtĂ© en 2016 lors du G20 en Chine), de lâĂ©crivain et militant Qin Yongmin, du militant de la langue tibĂ©taine Tashi Wangchuk, du dĂ©fenseur des droits de lâhomme Liu Feiyue, ainsi que de lâintellectuel ouĂŻghour Ilham Tohti. »