La Neige sur les champs
La Neige sur les champs (Cross Country Snow) est une nouvelle de jeunesse d’Ernest Hemingway publiée pour la première fois dans le numéro d’ de la revue littéraire The Transatlantic Review de Ford Madox Ford [1].
La Neige sur les champs | |
Ernest Hemingway et sa 1re épouse Hadley à Chamby (près des Avants, au-dessus de Montreux), pendant l’hiver 1922. | |
Publication | |
---|---|
Auteur | Ernest Hemingway |
Titre d'origine | Cross Country Snow
|
Langue | Anglais américain |
Parution | Paris, 1924 dans le Transatlantic Review |
Recueil | |
Intrigue | |
Genre | Nouvelle |
La nouvelle a été publiée ensuite aux États-Unis en 1925 par les éditions anti-conformistes Boni & Liveright, dans un recueil intitulé In Our Time, puisqu'une édition augmentée du premier In Our Time, moins fourni, avait été imprimé en 1924 à Paris par Bill Bird dans son imprimerie artisanale Three Mountain’s Press [2].
La nouvelle décrit deux amis, Nick Adams et George, qui, dans les années suivant l'après Première Guerre mondiale, skient dans les prairies entrecoupées de bois du pays de Vaud (au-dessus de la ville de Montreux, en Suisse), puis les jeunes hommes entrent dans une auberge de village où ils boivent du vin et discutent. Après le plaisir de la descente, les préoccupations sociales (travail, vie de couple et future paternité de Nick) les reprennent. Ils se séparent dans la soirée, après un retour à pied vers l’hôtel dans le froid qui s'intensifie.
Comme dans la plupart des œuvres d’Hemingway, la concision, l’importance du non-dit et la rudesse du style forcent le lecteur, qui cherche à décrypter le message, à lire le texte avec attention, voire plusieurs fois.
En France, la nouvelle, traduite par Henri Robillot, est parue dans le recueil Paradis perdu, suivi de La Cinquième Colonne chez Gallimard en 1949.
Résumé de la nouvelle
George et peu après son ami Nick Adams sautent du funiculaire, apparemment bloqué avant la gare de terminus par une congère, et s’élancent en ski sur les pentes.
"La voiture du funiculaire eut encore un cahot et s’arrêta. Elle ne pouvait aller plus loin, la neige durcie avait envahi la voie. La bourrasque qui avait fouetté la face exposée de la montagne avait balayé la neige et avait croûté sa surface, qui était dure comme une planche. Nick, qui fartait ses skis dans le fourgon à bagages [3], poussa ses souliers dans les fixations et les ferma, bien bloquées. Il sauta de côté, de la voiture sur la neige dure comme une planche, vira en sautant, et, accroupi et ses bâtons traînant derrière lui, glissa à toute allure dans la pente.
Sur le blanc, en dessous, George descendait, montait, et il disparut dans la pente. La vitesse et l’accélération soudaine lorsqu’il fila dans une ondulation plus raide de la montagne firent tout oublier à Nick et il ne lui resta que cette merveilleuse sensation de son corps qui volait, qui tombait. Il s’enleva sur une légère montée, puis la neige lui sembla se dérober sous lui alors qu’il descendait, descendait, plus vite, encore plus vite dans une rush vers le bas de la dernière longue pente raide. Accroupi au point d’être presque assis sur ses skis, essayant de garder bas son centre de gravité, avec la neige qui volait comme une tempête de sable, il savait qu’il allait trop vite. Mais il soutint son allure. Il ne voulait pas ralentir et tout perdre. Puis une poche de neige molle, laissée dans un creux par le vent, le bloqua soudain[4], et il roula encore et encore, dans un cliquetis de skis, comme, pensa-t-il, un lapin boulé par un chasseur, puis il se planta, jambes croisées, les skis droits vers le ciel, et le nez et les oreilles pleins de neige tassée.
George, debout un peu plus bas dans la pente, faisait tomber la neige de sa vareuse à grandes claques. - " Tu t’es fait avoir en beauté, Mike, cria-t-il à Nick. C’est de la sale neige molle. Elle m’a eu de la même façon.". "C’est comment, après le khud ?". Nick, couché sur le dos, agitait ses skis dans tous les sens et se redressa."
Puis Nick passe devant : "J’aime te voir prendre les khuds [5]" lui a dit George.
"Il s’envola vers le bas de la pente, crissant dans la neige cristalline et poudreuse ; il paraissait flotter et tomber pendant qu’il montait et descendait sur les vagues de khuds successifs. Il resta à gauche à la fin, alors qu’il arrivait à toute allure sur la clôture, et, en gardant les jambes collées et en tournant son corps comme une vis, il fit virer soudain ses skis vers la droite dans un nuage de neige et il ralentit doucement, parallèlement à la pente et à la clôture de fil de fer. Il regarda vers le haut de la pente. George descendait en position de télémark, agenouillé, une jambe en avant et pliée, l’autre suivant derrière ; ses bâtons pendaient comme les pattes minces d’un insecte, levant de petits nuages de neige lorsqu’ils touchaient la surface de la neige. Et finalement, complètement agenouillé, sa longue silhouette décrivant une belle courbe vers la droite, penché en avant, les jambes bien étendues vers l’avant et l’arrière, le corps incliné pour résister à la force centrifuge, les bâtons faisant comme des accents de lumière, George s’arrêta en soulevant un grand nuage de neige[6].
- "La neige était trop profonde, dit George, j’ai eu peur de faire une christiana. La tienne était de toute beauté."
- "Avec ma jambe, dit Nick, je ne peux pas faire de télémark [7]".
Nick appuya sur le fil de fer supérieur de la clôture et George passa en glissant par-dessus. Nick le suivit vers la route. Genoux pliés, ils poussaient le long de la route dans une forêt de pins. La route devint de la glace polie, teintée en orange et en brun tabac par les attelages des débardeurs de bois. Les skieurs restaient sur la bande de neige sur le bas-côté de la route. La route descendait brusquement vers un ruisseau puis remontait abruptement tout droit. À travers les bois ils pouvaient voir une maison longue au toit bas, délavée par les intempéries. À travers les arbres elle était jaune pâle [8]. De plus près, on voyait que les fenêtres étaient peintes en vert. La peinture s’écaillait. Nick défit d’un coup ses fixations avec la pointe de ses bâtons, et sortit ses pieds des skis… … Ils posèrent leurs skis sur le côté de l’auberge, chacun fit tomber la neige du pantalon de l’autre, tapa du pied pour nettoyer ses chaussures, et ils entrèrent.
À l’intérieur il faisait presque sombre. Un gros poêle de porcelaine brillait dans un coin de la pièce. Il y avait un plafond bas [9]. Des bancs lisses derrière des tables sombres, tachées de vin longeaient chaque côté de la pièce. Deux Suisses étaient assis près du poêle, pipe en main, devant deux décis de vin nouveau trouble. Les garçons enlevèrent leur veste et s’assirent contre le mur de l’autre côté du poêle. Une voix dans la pièce voisine s’arrêta de chanter et une fille en tablier bleu passa la porte pour voir ce qu’ils voulaient boire.
- "Une bouteille de Sion, dit Nick. Ca te va, Jojo ?" - "Bien sûr dit George. Tu t’y connais mieux que moi en vins. Moi j’aime tout."
La fille sortit."[10]
Le calme règne dans l’auberge de Les Avants [11].Mais dès l'entrée des jeunes hommes dans l'auberge (qui d'ailleurs, selon sa description, est bien loin de l'archétype de la coquette auberge suisse), le ton déprécatif de Nick après qu'il est passé du grand air à l'intérieur de l'auberge est contemporain du retour de ses préoccupations, qui l'avaient quitté pendant la descente ("La vitesse et l’accélération soudaine... firent tout oublier à Nick"). Comme un jeune touriste américain outrecuidant qui pense que forcément personne ne comprend ses commentaires désobligeants, Nick assure à haute voix à son ami que "Nom de Dieu, les Suisses de la localité ne se marient que quand leur fiancée est en ballon" [12]- et plus tard que "Ils sont tous goitreux" [13].
La serveuse de l'auberge semble préoccupée (bien qu'elle chante des airs d'opéra), elle est enceinte (mais ne porte pas d'alliance). Et après quelques instants, George évoque la grossesse d'Helen, la femme de Nick. Par monosyllabes, Nick lui donne à entendre que l'homme marié doit payer les avantages de la vie de couple en acceptant de prendre des responsabilités et en voyant sa liberté diminuer [14].
Cependant la chaleur et le calme qui règnent dans l'auberge (et ensuite le vin blanc et l'apfelstrudel) font leur effet : les 2 jeunes hommes échangent des propos d'amateurs de glisse qu’on pourrait entendre de nos jours en bas des remonte-pentes ou sur une plage fréquentée par des planchistes : "Y’a rien de mieux que le ski, hein ? dit Nick. La façon dont ça te prend au début d’un schuss.- Ouais, dit George, c’est trop super pour en parler" [15]. Et leur amitié virile est manifeste : "George et Nick étaient heureux. Ils s’aimaient bien. Ils savaient qu’ils avaient encore à faire ensemble le chemin du retour" [16]. Certes George va prendre le Simplon-Orient-Express le soir même, mais il reste aux amis encore un bon moment : ils vont rentrer à pied, skis sur l’épaule à l’hôtel [17].
Le vin blanc agit sur George, apparemment moins habitué à l'alcool que Nick : "George s’adossa au mur et ferma les yeux : Le vin ça me fait toujours ça, dit-il - Tu t’sens mal ? demanda Nick - Non, je me sens bien, mais tout drôle. - Je sais, dit Nick. - Tu parles, dit George. - Est-ce qu’on prend une autre bouteille ? demanda Nick. - Pas pour moi, dit George." [18].
Mais quand George demande abruptement "Est-ce que Helen va avoir un bébé ?" la peur de l’accouchement et de la paternité revient soudain en Nick [19], et se mêle à la frustration : il va lui falloir revenir aux États-Unis pour l'accouchement d'Helen [20]. Et fatalisme et superstition (tendances sans doute développées dans cette génération par la guerre dans les tranchées) suivent : les deux amis ébauchent un raid à skis qu'ils pourraient faire à travers l’Oberland, le Valais et l’Engadine, mais ils ne se promettent pas formellement de se revoir. Car, dit Nick : "Ce n’est pas bon de faire des promesses" ("There isn’t any good in promising").
Le jour tire à sa fin, des bûcherons vaudois entrent à l'auberge. Les deux amis remettent leur veste et sortent dans le froid devenu plus intense. Ils vont rentrer ensemble à pied, avant de se séparer.
Contexte culturel aux États-Unis et en France dans les années 1918-1922
Après la fin de la guerre de 14-18, les arts et lettres entrent en ébullition, surtout sur le versant européen de l'Atlantique. L’américanophilie des Années Folles et la facilité des communications est à l’origine d’une intrication entre les cultures américaine et française ; le modernisme atteint un sommet en 1922, la génération perdue découvre le tourbillon culturel de l'Europe et de Paris.
De vieilles gloires s'éteignent : Edmond Rostand (auteur de la pièce L’Aiglon) meurt en 1918, Georges Feydeau meurt en 1921; en 1921 l'œuvre d'Anatole France est couronnée par le prix Nobel de Littérature.
Guillaume Apollinaire succombe à l’épidémie de grippe espagnole juste avant l’armistice, alors qu'en Tristan Tzara a proclamé le manifeste dada, qui est accueilli par une violente campagne de presse ; André Breton utilise l’écriture automatique en 1919, et publie Les Champs magnétiques avec Philippe Soupault ; le surréalisme est encore en gestation.
Autre scandale littéraire (surtout dans les pays anglo-saxons) : Ulysses de James Joyce (un ami intime d’Hemingway) est publié dans son intégralité à Dijon par Sylvia Beach en [21].
Aux États-Unis (qui sont sous le régime de la prohibition totale de l’alcool depuis la mi-), la littérature exploite le genre "étude sociologique". Si L'Envers du paradids de F. Scott Fitzgerald est sorti dans l’indifférence, par contre le Babbitt de Sinclair Lewis, qui a soulevé une forte polémique, et Winesburg, Ohio de Sherwood Anderson[22] se vendent bien, ainsi que La Splendeur des Amberson de Booth Tarkington (1919).
Les Prix Pulitzer successifs [23] décrivent la vie de catégories sociales américaines (bourgeoisie et surtout nouvelle aristocratie de l’argent) bien définies.
À Paris, en 1922, Hemingway, en possession de quelque argent après ses reportages (il a suivi la 2° guerre gréco-turque, puis la Conférence de Lausanne qui entérine les victoires turques - et la signature des Accords de Gênes pour le journal nord-américain Toronto Star), n'est plus aussi dépendant de sa femme Hadley sur le plan monétaire. Mais son travail, s'il lui fournit des expériences et de la matière première, l'empêche de se consacrer à l'écriture. Hemingway est l'ami d'Ezra Pound, de James Joyce, de John Dos Passos, de Scott Fitzgerald ; conseillé par Gertrude Stein, grande collectionneuse de tableaux modernes, il fréquente les peintres Georges Braque, Juan Gris, Joan Miró, André Masson, Jules Pascin. Il a acheté (pour 5 000 francs de l’époque) le tableau La Ferme de Joan Miró et l’a offert à Hadley pour son anniversaire [24].
Il passera les vacances de Noël 1922 en Suisse, à Les Avants (au-dessus de Montreux) avec son épouse Hadley et des amis : Eric Dorman-Smith, George O'Neil.
Contexte pratique et technique : la Suisse en 1922
Le pays accueillait à nouveau des touristes. La population de Montreux et de ses alentours (soit la Riviera vaudoise et les préalpes surplombant le lac Léman qui dominent Montreux) cherchait à retrouver sa prospérité d’avant-guerre et était consciente que son niveau de vie dépendait du tourisme : après avoir été avant le rendez-vous des célébrités et des plus grosses fortunes mondiales (Sacha Guitry, Paul Morand, Romain Rolland, Edgar Wallace, le prince Ibn Seoud, futur roi d’Arabie Saoudite, John D. Rockefeller, le maharajah de Baroda), la Riviera Vaudoise avait été subitement désertée pendant 5 ans. Le sérieux, l’amabilité, le sens de l’organisation et la bonne volonté des Suisses étaient toutefois proverbiale [25]. Quant à l’infrastructure hôtelière, elle existait (de l’auberge-pension de famille comme celle du village de Chamby, au-dessus de Montreux, où séjournent les Hémingway, au grand hôtel, comme le Caux-Palace, inauguré en 1905) et ne demandait en 1919-22 qu’à reprendre son activité. Certes, pour un Américain, le taux de change dans les années 1920 n’est pas aussi favorable en Suisse qu'en France[26], mais on rencontrait des célébrités à Montreux. Pour un écrivain débutant, il n'était pas mauvais de s’y faire voir et, en tant que sportsman, on pouvait y bénéficier des installations sportives déjà existantes. En effet, les sports de neige et de glace étaient connus et pratiqués depuis longtemps autour de Montreux : il y existait une patinoire et une piste de bobsleigh, le premier championnat d'Europe de hockey sur glace avait eu lieu en 1910 dans la commune, et c’est l’équipe de Grande-Bretagne de hockey sur glace qui l’avait emporté.
De plus, le réseau serré de trains à crémaillère et de funiculaires construit pour les touristes (comme le funiculaire Les Avants – Sonloup, celui qu'emprumtent Nick Adams et George, construit en 1901) permettait de se faire déposer en haut des champs de neige. Les touristes anglophones aimaient Montreux depuis longtemps[28].
Par ailleurs, la desserte ferroviaire de Montreux est déjà excellente : parti le soir de Paris-Gare de l’Est, après une nuit et une matinée dans un sleeping-car [29] du train Simplon-Orient-Express, le touriste débarquait à Montreux et les champs de neige étaient à quelques kilomètres de la gare.
Notes
- Selon l'article de WP english "The Transatlantic Review (1924)", la revue mensuelle (qui ne parut que pendant un an, en 1924) était conçue à Paris et imprimée à Londres, et c'est Hemingway qui en fut l'éditeur au mois d'août 1924, en l'absence de Ford. Selon Carlos Baker, le travail estival de Hemingway fut salué par Ford de quelques commentaires ironiques, ce qui est peut-être à l'origine du vindicatif chapitre sur Ford dans Paris est une fête, 9e chapitre)...
- Voir l'article Bill Bird et les articles de WP en "Boni & Liveright", "The Transatlantic Review (1924)" et "In Our Time (book)"
- Hemingway a écrit l'équivalent de : "Nick, fartant ses skis dans le fourgon à bagages, poussa ses souliers …." Cette tournure tend peut-être à suggérer la rapidité et la continuité du mouvement
- Hemingway emploie le verbe spill 2 fois, à 13 mots d’intervalle, et dans 2 sens différents : "perdre" (de l’élan, un acquis) – et "bloquer brutalement et renverser". Noter par ailleurs la description de la chute "en soleil" ; les fixations de sécurité n’existaient pas encore, et chuter dans ces conditions était très risqué pour quelqu’un dont la jambe et le genou droit avaient été blessés et opérés 4 ans auparavant (voir infra : "Avec ma jambe je ne peux pas faire de télémark", dit Nick). Mais Hemingway a toujours exalté le courage.
- khuds, employé par Hemingway comme équivalent de "bosses" alors que le terme hindi signifie "ravin" (voir Wiktionary, http://en.wiktionary.org/wiki/khud) est certainement emprunté au vocabulaire militaire britannique. Le régiment de "Chink" ( Eric Dorman-Smith), le Royal Northumberland Fusiliers, a été cantonné en Inde et en Afrique du Sud. Le mot khud apparaît 3 fois dans la nouvelle. En somme le compagnon de Nick Adams semble un composite de plusieurs amis d’Hemingway : il s’appelle George (comme George O’Neil), et utilise le vocabulaire "Armée des Indes" de Chink (Eric Dorman-Smith) . Et si sa "tête blonde" peut être celle de Chink, par contre son "large dos" (big back) n’est pas celui de "Chink, La Gazelle" ; seul Waldo Peirce avait une carrure plus importante que celle de Hemingway (voir http://www.jfklibrary.org/Asset-Viewer/NtYtc2aagUe1tEVh26Xj0Q.aspx)
- La description du télémark et de la christiana est technique, précise et détaillée, mais elle exalte en fait l'esthétique du geste sportif. On trouve une longue phrase du même style(sans doute destinée à provoquer un effet équivalent au ralenti en technique cinématographique) au milieu du § 43 de Pour qui sonne le glas : la description du dynamitage du pont (voir l'article Ilya Starinov, note n° 12)
- Début juillet 1918, à 19 ans, Hemingway a été blessé à la jambe droite (par des éclats d’obus puis par balles de mitrailleuse) sur le front austro-italien du fleuve Piave. Il a décrit la convalescence d’un jeune américain (engagé volontaire dans l’armée italienne) après une blessure aux jambes dans le roman L'Adieu aux armes et dans la nouvelle Dans un autre pays. Les nouvelles Maintenant je me couche et Ça ne risque pas de vous arriver décrivent les tourments d’un jeune engagé volontaire américain qui a souffert d'une commotion cérébrale lors de l'explosion d’un obus. Les nouvelles A Very Short Story et Un soldat chez lui décrivent les difficultés de réadaptation au monde civil d’un "jeune ancien combattant", ex-soldat de la grande guerre.
- une maison longue, jaunâtre, au toit descendant bas (probablement une image infra-liminaire captée par le sub-conscient d’Hemingway en Italie du Nord) revient dans les rêves du jeune soldat américain qui a été secoué par un obus, aurait dû être trépané, et est resté " bizarre" et insomniaque : voir les 2 nouvelles (Nick Adams en est le héros) : Maintenant je me couche (1927) - et Ça ne risque pas de vous arriver (1933)
- Hemingway a Ă©crit "There was a low ceiling."
- "The funicular car bucked once more and then stopped. It could not go farther, the snow drifted solidly across the track. The gale scouring the exposed face of the mountain had swept the snow surface into a wind-board crust. Nick, waxing his skis into the baggage car, pushed his boots into the toe irons and shut the clamp tight. He jumped from the car sideways onto the hard windboard, made a jump turn and crouching and trailing his sticks slipped in a rush down the slope. On the white below George dipped and rose and dipped out of sight. The rush and the sudden swoop as he dropped down a steep undulation in the mountain side plucked Nick’s mind out and left him only the wonderfull flying, dropping sensation of his body. He rose to a slight up-turn and then the snow seemed to drop out under him as he went down, down faster and faster in a rush down the last, long steep slope. Crouching so he was almost sitting on his skis, trying to keep the center of gravity low, the snow driving like a sand-storm, he knew the pace was too much. But he held it. He would not let go and spill. Then a patch of soft snow, left in a hollow by the wind, spilled him and he went over and over in a clashing of skis, feeling like a shot rabbit, then stuck, his legs crossed, his skis sticking straight up and his nose and ears jammed full of snow. George stood a little farther down the slope, knocking he snow from his wind jacket with big slaps. "You took a beauty, Mike, he called to Nick. That’s lousy soft snow. It bagged me the same way. What’s it like over the khud ?". Nick kicked his skis around as he lay on his back and stood up. "You’ve got to keep to your left. It’s a good fast drop with a christy at the bottom on account of a fence"."Wait a sec and we’ll take it together"."No, you come on and go first. I like to see you take the khuds". Nick Adams came up past George, big back and blond head still faintly snowy. Then his skis started slipping at the edge and he swooped down, hissing in the cristalline powder snow, and seeming to float up and drop down as he went up and down the billowing khuds. He held to his left and at the end, as he rushed toward the fence, keeping his knees locked tight together and turning his body like tightening a screw brought his skis sharpky around to the right in a smother of snow and slowed into a loss of speed parallel to the hill sides and the wire fence. He looked up the hill. George was coming down in telemark position, kneeling ; one leg forward and bent, the other trailing ; his sticks hanging like some insect’s thin legs, kicking up puffs of snow as they they touched the surface and finally the whole kneeling, trailing figure coming around in a beautiful right curve, crouching, the legs shot forward and back, the body leaning out the swing, the sticks accenting the curve like points of light, all in a wild cloud of snow. "I was afraid to christy, George said, the snow was too deep. You made a beauty". "I can’t telemark with my leg", Nick said. Nick held down the top strands of the wire fence with his ski and George slid over. Nick followed him down to the road. They thrusted bent-kneed along the road into a pine forest. The road became polished ice stained orange and tobacco yellow from the teams hauling logs. The skiers kept to the stretch of snow along the side. The road dipped sharply to a stream and then ran straight up-hill. Through the woods they could see a long, low-eved, weather-beaten building. Through the trees it was a faded yellow. Closer, the window frames were painted green. The paint was peeling. Nick knocked his clamps loose with one of his ski sticks and kicked off the skis. … … Inside it was quite dark. A big porcelaine stove shone in the corner of the room. There was a low ceiling. Smooth benches back of dark, wine-stained tables were along each sides of the room. Two Swiss sat over their pipes and two decises of cloudy new wine next to the stove. The boys took off their jackets and sat against the wall on the other side of the stove. A voice in the next room stopped singing and a girl in a blue apron came through the door to see what they wanted to drink. "A bottle of Sion, Nick said. Is that all right, Gidge ?". "Sure, said George. You know more about wine than I do. I like any of it". The girl went out.
- alors que dans le bar nord-américain décrit dans la nouvelle La Lumière du monde (1933), indifférence, et tension et agressivité latente sont palpables : "Quand il nous vit arriver, le barman leva les yeux, puis tendit le bras et posa les couvercles de verre sur les bocaux d’amuse-gueules" ("When he saw us come in the door the bartender looked up and then reached over and put the glass covers on the two free-lunch bowls"). Hemingway décrit l’intérieur de l'auberge de Les Avants en 2 lignes parfaitement évocatrices, alors que celui du gasthof de Galtür (Tyrol autrichien) n’est même pas évoqué (in An alpine Idyll, 1927), mais que les buffets (tous 3 identiques) des gares de Montreux, Vevey et Territet sont décrits dans Homage to Switzerland (1933)
- "Hell, no girls get married around here till they are knocked up". Le complexe de supériorité des Américains par rapport aux Européens au début du XXe siècle est pourtant largement injustifié : voir l'article James Anderson Burns, chapitre "Le terrain"
- "They've all got goiter". La xénophobie d'Hemingway jeune était évidente : le jeune Américain héros de l'une des premières nouvelles d'Hemingway (Mon vieux) décrit ainsi les Italiens qui, dans l'immédiat après-guerre, sont surpris de le voir faire un jogging avec son père dans la banlieue de Milan : "Vous auriez dû voir les métèques, comme ils nous regardaient... (You ought to have seen wops look at us...). Mais les Européens ne sont pas les seuls à être mal traîtés par le jeune Hemingway : voir le poème "Oklahoma" (1923) et les nombreuses connotations défavorables sur les Amérindiens dans l'œuvre d'Hemingway - les qualificatifs anti-sémites assénés à Robert Cohn dans Le soleil se lève aussi, 1926) - et la pleutrerie du cuisinier Afro-américain dans la nouvelle Les Tueurs (1927), ainsi que la sauvagerie du rire du Noir que l'on entend à distance dans The Torrents of Spring (1925)
- Mrs Edenfield (voir : Edenfield, Olivia Carr (Fall 1999). "Doomed Biologically: Sex and entrapment in Ernest Hemingway's "Cross-Country Snow"". The Hemingway Review. 1 19) pense que Hemingway a utilisé des métaphores : les courroies des skis encombrants, serrant les pieds du jeune homme dans des fixations, sont l'image des servitudes du mariage - et le plaisir de la descente schuss représente la contrepartie : la jouissance sans entraves et sans risques (sinon les grossesses) de l'épouse légitime...Mais Hemingway a par ailleurs décrit aussi la souffrance sourde du couple qui n'a pas d'enfant (dans les nouvelles Un chat sous la pluie - et Monsieur et Madame Eliott)
- "There is nothing really can touch skiing, is there ? Nick said. The way it feels when you first drop off on a long run.- Huh, said George, it’s too swell to talk about"
- "George and Nick were happy. They were fond of each other. They knew they had the run back home ahead of them"
- noter à la dernière ligne de la nouvelle, la répétition presque identique de la phrase déjà lue plus haut : "Maintenant ils auraient le retour à faire ensemble." ("Now they would have the run home together")
- "George leaned back against the wall and shut his eyes.- Wine always makes me feel this way, he said.- Feel bad ? Nick asked.-No. I feel good, but funny.- I know, Nick said.- Sure, said George. - Should we have another bottle ?Nick asked.- Not for me, George said."
- Apparemment écartée à ce moment par le dialogue monosyllabique, cette peur émergera ultérieurement, et étroitement associée à la mort, dans la description éprouvante du travail prolongé de la parturiente et de la césarienne, suivis du suicide du mari de l’Amérindienne dans la nouvelle Le Village indien (1925) – ou de la mort du nouveau-né et de la femme aimée à la fin de L'Adieu aux armes (1929)
- la réticence de l'expatrié Hemingway à revenir vivre aux USA s'exprime aussi dans la nouvelle Le Vin du Wyoming (1933)
- les exemplaires d’Ulysses que Hemingway cherchera à introduire aux États-Unis seront confisqués par les douanes : l’œuvre a été déclarée obscène par un tribunal américain en 1921
- Sherwood Anderson qui après-guerre sera l'inspirateur d'Hemingway, lui conseillera de vivre et travailler à Paris, et qui le recommandera à Gertrude Stein. Hemingway rompra ses cordons ombilicaux avant la fin des années 1920, en caricaturant dans son The Torrents of Spring (1926) le livre Dark Laughter d’Anderson, et en se fâchant avec Anderson et Gertrude Stein.
- Prix Pulitzer : His Family d’Ernest Poole (1918) - La Splendeur des Amberson de Booth Tarkington (1919)- Le Temps de l'innocence de la Française d'adoption Edith Wharton (1921) – Alice Adams de Booth Tarkington (1922)
- Pour voir le tableau "La ferme" de Joan MirĂł : http://www.terra.es/personal/asg00003/miro/grmasia.jpg
- Qualités décrites (voire caricaturées) par Hemingway dans sa nouvelle Hommage à la Suisse : Au buffet de la gare de Montreux la serveuse est polyglotte (elle dit parler français, anglais, allemand, et les dialectes), et de plus dévouée et tolérante aux fantaisies (même les plus bizarres) du touriste de passage - et au buffet de la gare de Vevey les porteurs attablés devant leur déci de vin blanc nouveau sont disposés à écouter placidement le touriste déprimé et ont un humour tongue in the mouth bien local.
- Voir l’article Caux-Palace, § «Les années de crise. Hemingway était sensible aux avantages apportés par la vie loin d’une Amérique au dollar très fort et où régnait la prohibition de l’alcool (1919-1933). Living on $1,000 a Year in Paris, un de ses articles (paru dans le Toronto Star du 4 février 1922, voir Wikisource http://en.wikisource.org/wiki/Living_on_$1,000_a_Year_in_Paris) vante les charmes de la vie d’expatrié à Paris dans les années 1920.
- selon http://www.seat61.com/OrientExpress.htm, cité dans le § "Der Simplon-Orient-Express" de l’article de WP de "Orient-Express" Simplon-Orient-Express#Der Simplon-Orient-Express
- Dans L’Adieu aux armes, quand les deux héros, Catherine et Frederic, arrivent épuisés en Suisse après avoir fui l'Italie en barque, les policiers suisses, une fois rassurés sur leur solvabilité, leur demandent quel sera leur lieu de résidence. Catherine choisit immédiatement Montreux, au grand plaisir du policier originaire du pays de Vaud, alors que celui natif de Locarno est vexé.
- "La Madone des sleepings", roman de Maurice Dekobra (1925), puis film à succès de 1927, cristallisera le succès du luxueux mode de locomotion nocturne
Sources
- « Glion » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne.
- "La Suisse vue par les Ă©crivains de langue anglaise" de Patrick Vincent, p. 127
- Baker, Carlos : "Hemingway: The Writer as Artist", Princeton University Press, 1972 (4° édition)
- Edenfield, Olivia Carr "Doomed Biologically: Sex and entrapment in Ernest Hemingway's "Cross-Country Snow"". The Hemingway Review, Fall 1999, 1, 19)
Bibliographie
- Abouddahab, Rédouane, L'écriture-limite. Poétique des nouvelles de Hemingway. 2 vols. Lyon: Ed. Merry World, 2011.
- Fishkin Shelley Fisher : "From Fact to Fiction: Journalism and Imaginative Writing in America" (1985), The Johns Hopkins University Press, Baltimore, MD (ISBN 0-8018-2546-6)
- Meyers, Jeffery "Hemingway: A Biography" (1999), Da Capo Press (ISBN 978-0-306-80890-6)
- Vernon, Alex : "War, Gender, and Ernest Hemingway" in "The Hemingway Review", automne 2002, vol 22, p. 34-55