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La Grande Roche (Quinçay)

La Grande Roche, aussi connue sous le nom de la Grande Roche de la Plématrie, est une grotte à gisement archéologique située sur la commune de Quinçay, dans la Vienne, en Nouvelle-Aquitaine.

Grande Grotte de la Plématrie
Localisation
Coordonnées
46° 36′ 56″ N, 0° 12′ 38″ E
Pays
RĂ©gion
RĂ©gion historique
DĂ©partement
Commune
Vallée
de l'Auxance
Localité voisine
lieu-dit la Plématrie
Caractéristiques
Occupation humaine
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Cette grotte a livré une stratigraphie exceptionnelle de Châtelperronien[1], en particulier vers l'avant de la cavité[2], qui forme la série la plus complète connue en France à la fin du XXe siècle, couvrant l'interstade des Cottés, pendant le stade isotopique 3.

Situation

La Grande Roche se trouve vers le lieu-dit de la PlĂ©matrie Ă  environ km (Ă  vol d'oiseau) au nord-ouest de Quinçay, sur le versant orientĂ© au sud-ouest d'une vallĂ©e sèche rejoignant la rive droite (cĂ´tĂ© sud) de l'Auxance, sous-affluent de la Loire[3]. Elle est au bord de la forĂŞt domaniale de VouillĂ©-Saint-Hilaire, Ă  4,5 km au sud-est de VouillĂ©, sur le trajet du GRP des Trois Batailles de Poitiers[4].

GĂ©ologie

Elle est creusĂ©e dans le calcaire du Bajocien-Bathonien[5] (~170 Ă  166 Ma, dans le Jurassique moyen ou Dogger).

Description

Le porche d'entrĂ©e est orientĂ© sud-ouest. Large d'une quinzaine de mètres, il s'ouvre sur une salle profonde d'environ 20 m, prolongĂ©e par des galeries[6]. Ă€ la suite d'un effondrement de la voĂ»te[5], la partie antĂ©rieure Ă©tait couverte de très grandes dalles calcaires de plusieurs mètres de longueur et pouvant atteindre 70 cm d'Ă©paisseur[2].

Historique

La Grande Roche est dĂ©couverte en 1952 par Louis Gabriel Heily et Bernard Decron, deux spĂ©lĂ©ologues poitevins[7]. Elle est fouillĂ©e de 1968 Ă  1990 sous la direction de François LĂ©vĂŞque[4] pour contrer les fouilles clandestines sur le talus, devant l'entrĂ©e de la grotte. Ces fouilles couvrent un peu plus de 20 m2, principalement sous les blocs d'effondrement vers l'entrĂ©e de la grotte[5].

L'outillage lithique est étudié de nouveau par Roussel et Soressi en 2010[8].

Stratigraphie

À l'avant de la grotte, sous les dalles effondrées, cinq niveaux baptisés « ensembles » sont identifiés sur la base des variations colorimétriques et texturales de leurs sédiments[9]. François Lévêque associe les couches aux différentes cultures préhistoriques d'après son analyse typologique de l'outillage lithique, basée sur la typologie analytique mise en place par Georges Laplace[10] - [9]. De la base vers le sommet de la séquence, Lévêque reconnaît :

Ensemble rouge (Er)

Sédiment sableux à blocaille de rognons de silex[9], archéologiquement stérile[11]. Il repose sur les blocs d'un effondrement plus ancien[12].

Ensemble gris (Eg)

Sédiment pulvérulent produit par la décomposition du calcaire[9]. Dont trois couches :

  • Egb
  • Egc : LĂ©vĂŞque (1980) l'attribue au proto-Châtelperronien ou Châtelperronien « archaĂŻque »[12], mais Roussel et Soressi (2010) la replacent comme MoustĂ©rien de tradition acheulĂ©enne, mettant en Ă©vidence d'une part la grande homogĂ©nĂ©itĂ© technologique du dĂ©bitage laminaire, et d'autre part l'homogĂ©nĂ©itĂ© typologique des autres niveaux châtelperroniens[11] - [8].
    L'industrie de ce niveau comporte encore de nombreux caractères du Paléolithique moyen : racloirs nombreux, denticulés assez nombreux, quelques petits bifaces foliacés ; mais il inclut aussi des burins, des grattoirs, parfois sur lame, des pièces à dos marginal et profond[12].
  • Egf : cette couche contient des « foyers de petite taille, parfois emboĂ®tĂ©s dont la base est soulignĂ©e par des horizons rouges ou jaunes »[9].
Lévêque (1980) attribue cette couche (Egf) au Châtelperronien « ancien » ou « typique »[12] - [11] - [8].

L'ensemble Eg correspond à un climat tempéré associé à l'amélioration de l'interstade des Cottés[13] (interstade Würm I-Würm II).

Ensemble noir (En)

De couleur brun-noirâtre, parfois franchement noire. Il s'agit d'un « important niveau de foyers […] dont la base est soulignée par un horizon sablo-argileux, parfois rougeâtre, plus souvent de couleur jaune »[9]. Cet ensemble (En) est attribué au Châtelperronien « ancien » ou « typique »[12] - [11]. Il correspond à la fin de l'amélioration climatique de l'interstade des Cottés et au début de l'instabilité climatique qui s'ensuit[13].

Ensemble marron (Em)

Sédiment argilo-sableux de couleur foncée, avec « un aspect parfois très feuilleté puis légèrement plus pulvérulent à sa base »[9]. Dont trois couches :

  • Emj
  • Emf
  • Emo

Cet ensemble comprend un sous-niveau intermédiaire « marron de foyers […] marqué d'abord par quelques traces de charbon de bois puis par des passées plus noirâtres et de l'argile rouge carmin »[9].
Lévêque (1980) attribue cet ensemble (Em) au Châtelperronien « évolué »[12] - [11].

Ensemble jaune (Ej)

D'un jaune parfois orangé, sablo-argileux, « caractérisée par ses nombreux éléments calcaires à angles vifs ». Il est en contact direct avec les grandes dalles d'effondrement[14]. Il est formé de deux couches :

  • Ejm : elle correspond au minimum climatique du WĂĽrm IIIa[15].
  • Ejo : cette dernière couche a Ă©tĂ© remaniĂ©e par cryoturbation et contient une industrie pauvre ayant un aspect « parfois lustrĂ© Ă  bords souvent Ă©crasĂ©s »[14]. Les indices de froid de la couche prĂ©cĂ©dente s'estompent[15].

Lévêque attribue cet ensemble Ej au Châtelperronien « à caractères régressifs »[12].

Intégrité des couches châtelperroniennes

La stratigraphie de la grotte présente une rare caractéristique : le sommet du Châtelperronien (couche Ejo) est scellé par les blocs d'effondrement déjà mentionnés, ce qui exclut toute contamination par des niveaux ultérieurs ; d'ailleurs aucun niveau du Paléolithique supérieur n'est présent au-dessus. Par ailleurs, la couche « Er » à la base de la fouille est elle aussi scellée par des blocs similaires qui excluent toute contamination par des dépôts préalables (voir plus haut).

L'intégrité des couches critiques pour la série châtelperronienne est ainsi assurée, avec le scellement des couches de l'intervalle archéologique[12].

Occupations ultérieures

Il n'est pas possible de déterminer de façon précise l'évolution de l'occupation de la grotte après l'effondrement de la voûte car les strates plus récentes n'ont pas été protégées ; mais la cavité a continué à être utilisée au Paléolithique supérieur final (industrie lithique[16]), au Mésolithique, au Néolithique[4] (tessons[16]), à l'Âge du bronze, aux temps gallo-romains et au Moyen-Âge[4].

Éléments du débat sur le passage Châtelperronien / Aurignacien

Ce débat est celui de la transition entre Néandertaliens, traditionnellement cantonnés au Paléolithique moyen, et Hommes modernes, avec lesquels commence traditionnellement le Paléolithique supérieur. La culture charnière est le Châtelperronien, dernière manifestation des Néandertaliens de France avant leur disparition - et la seule pour laquelle les Néandertaliens sont associés à des ornements corporels[17]. Ce dernier point est déjà un nœud de contention : l'association "Néandertaliens - ornements corporels" est contestée par certains préhistoriens, argüant parfois qu'elle apparait par contamination des strates respectives[17].
Or ici l'intégrité des couches critiques est indiscutable : la dernière couche châtelperronienne (Ejo) est scellée par des dalles (voir plus haut). Et elle contient des ornements corporels, souvent considérés comme représentatifs d'un comportement symbolique évolué. Le seul autre site châtelperronien connu ayant livré des ornements corporels est la grotte du Renne à Arcy-sur-Cure (Yonne)[17], dont la stratigraphie, qui va du Moustérien au Gravettien en passant par le Châtelperronien et l'Aurignacien, a été validée par le préhistorien Francesco d'Errico.

L'analyse détaillée de la production laminaire des trois niveaux de la séquence châtelperronienne du site de Quinçay et sa comparaison avec les productions laminaires protoaurignaciennes montre une opposition nette entre ces deux systèmes techniques, tant sur les méthodes que sur les objectifs à atteindre ; et dément l'idée d'une filiation technique entre les méthodes de débitage laminaire de ces deux groupes[18].
Les types d'outils et les mĂ©thodes de dĂ©bitage laminaire et lamellaire restent Ă  peu près constantes dans toutes les couches châtelperroniennes. Par contre les mĂ©thodes et les objectifs du dĂ©bitage laminaire montrent une nette diffĂ©rence avec ceux du Protoaurignacien, notamment pour la mĂ©thode de production de grandes lamelles (dĂ©bitage semi-tournant, recul axial, intĂ©gration des flancs au dĂ©bitage laminaire, continuitĂ© opĂ©ratoire entre les dĂ©bitages de lames et de lamelles). Toutefois l’objectif reste le mĂŞme : obtenir de grandes lamelles Ă  retoucher en grandes lamelles Dufour. Roussel (2011) en conclut que les groupes châtelperroniens et aurignaciens ont pu ĂŞtre en contact limitĂ©, par exemple sur des lieux de passage, ce qui aurait permis la diffusion de l'idĂ©e des lamelles retouchĂ©es en lamelles Dufour – potentielles armatures de projectiles – chez les groupes châtelperroniens[19].

Ornements corporels châtelperroniens

La couche supérieure du Châtelperronien a livré entre autres une série de six dents percées, canines de renard et de loup soigneusement travaillées. La technique utilisée varie en fonction des dents. La racine est amincie par abrasion / frottement. Les canines de loup sont percées par des enlèvements par pression ou percussion avec un outil acéré, ce qui laisse des traces en écaille sur la racine de la dent et tout autour de la perforation. Pour comparaison, les dents percées trouvées dans l'Aurignacien ancien de la Quina ont leurs racines amincies par raclage et le percement des dents est obtenu par des rainurages, ce qui donne un trou plus petit que par pression ou percussion mais un travail moins soigné[20].

Cette série a renforcé l'hypothèse de la fabrication de parures par les Néandertaliens[20]. Seuls deux autres sites sont connus pour avoir livré des ornements corporels dans un niveau châtelperronien : la grotte du Renne à Arcy-sur-Cure (Yonne) et la Roche à Pierrot à Saint-Césaire (Charente-Maritime)[17], mais la stratigraphie de ce dernier site demeure contestée.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • [Granger & LĂ©vĂŞque 1997] Jeanne-Marie Granger et François LĂ©vĂŞque, « Parure castelperronienne et aurignacienne : Ă©tude de trois sĂ©ries inĂ©dites de dents percĂ©es et comparaisons », Comptes-Rendus De L'AcadĂ©mie Des Sciences SĂ©rie II Fascicule A - sciences De La Terre Et Des Planetes, no 325,‎ , p. 537-543 (lire en ligne [sur academia.edu], consultĂ© en ).
  • [LĂ©vĂŞque 1980] François LĂ©vĂŞque, « Note Ă  propos de trois gisements castelperroniens de Poitou-Charentes », DialektikĂŞ, Cahiers de typologie analytique, no 7,‎ , p. 25-40 (lire en ligne [sur zenodo.org], consultĂ© en ). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • [LĂ©vĂŞque & Miskovsky 1983] François LĂ©vĂŞque et J.-C. Miskovsky, « Le Castelperronien dans son environnement gĂ©ologique. Essai de synthèse Ă  partir de l'Ă©tude stratigraphique du remplissage de la grotte de la Grande Roche de la PlĂ©matrie (Quinçay, Vienne) et d'autres dĂ©pĂ´ts actuellement mis au jour », L'Anthropologie, t. 87, no 3,‎ , p. 369-391.
  • [LĂ©vĂŞque, Gouraud & Bouin 1997] François LĂ©vĂŞque, GĂ©rard Gouraud et FrĂ©dĂ©ric Bouin, « Contribution Ă  l'Ă©tude des occupations prĂ©historiques de la grotte de la Grande Roche de la PlĂ©matrie Ă  Quincay (Vienne) », Bulletin du Groupe vendĂ©en d'Ă©tudes prĂ©historiques, no 33,‎ , p. 5-7 (rĂ©sumĂ©). « lien brisĂ© »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?) [PDF] sur gvep.fr Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • [Roussel & Soressi 2010] Morgan Roussel et Marie Soressi, « La Grande Roche de la PlĂ©matrie Ă  Quinçay (Vienne). L'Ă©volution du Châtelperronien revisitĂ©e », dans Jacques Buisson-Catil et JĂ©rĂ´me Primault, PrĂ©histoire entre Vienne et Charente - Hommes et sociĂ©tĂ©s du PalĂ©olithique, Association des Publications Chauvinoises, MĂ©moire 38, , sur researchgate.net (lire en ligne), p. 203-219. Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • [Roussel 2011] Morgan Roussel, Normes et variations de la production lithique durant le Châtelperronien : la sĂ©quence de la Grande-Roche-de-la-PlĂ©matrie Ă  Quinçay (Vienne) (thèse de doctorat en PrĂ©histoire, dir. Éric BoĂ«da et Jean-Jacques Hublin), universitĂ© Paris 10, École doctorale « Milieux, cultures et sociĂ©tĂ©s du passĂ© et du prĂ©sent » (Nanterre), , 564 p. (rĂ©sumĂ©, prĂ©sentation en ligne).
  • [Roussel 2013] Morgan Roussel, « MĂ©thodes et rythmes du dĂ©bitage laminaire au Châtelperronien : comparaison avec le Protoaurignacien », Comptes-Rendus Palevol, vol. 12, no 4,‎ avril–mai 2013, p. 233-241 (lire en ligne [sur sciencedirect.com], consultĂ© en ). Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article

Notes et références

Notes

    Références

    1. [Primault 2003] Jérôme Primault, Exploitation et diffusion des silex de la région du Grand-Pressigny au Paléolithique (thèse de doctorat en Préhistoire), université de Paris X-Nanterre, , 358 p., sur tel.archives-ouvertes.fr (présentation en ligne, lire en ligne), p. 338.
    2. LĂ©vĂŞque 1980, p. 25.
    3. « Emplacement de la Grande Roche, carte interactive » sur Géoportail. Coordonnées approximatives d'après Roussel & Soressi 2010, p. 204.
    4. LĂ©vĂŞque, Gouraud & Bouin 1997, p. 5.
    5. Roussel & Soressi 2010, p. 204.
    6. Lévêque & Miskovsky 1983. Cité dans Roussel & Soressi 2010, p. 204.
    7. Louis Gabriel Heily et Bernard Decron, Bulletin du Spéléo-club poitevin, 1954, t. 8, n° 1, p. 15. Cité dans Roussel & Soressi 2010, p. 204.
    8. [Patou-Mathis 2018] Marylène Patou-Mathis, Néandertal de A à Z, Allary éd., , 640 p. (ISBN 978-2-37073-160-9, lire en ligne), p. 106.
    9. Roussel & Soressi 2010, p. 206.
    10. [Laplace 1966] Georges Laplace, « Recherches sur l'origine et l'évolution des complexes leptolithiques » (monographie, 574 p.), Publications de l'École française de Rome, Mélanges d'Archéologie et d'Histoire, Paris, Éd. de Boccard, no suppl. 4,‎ (lire en ligne [sur persee]). Cité dans Roussel & Soressi 2010, p. 207.
    11. Roussel & Soressi 2010, p. 207.
    12. LĂ©vĂŞque 1980, p. 27.
    13. Cabrera-Valdés et al. 1996, p. 56.
    14. LĂ©vĂŞque 1980, p. 26.
    15. [Cabrera-Valdés et al. 1996] V. Cabrera-Valdés, M. Hoyo Gomez et F. Bernaldo de Quiros, « La transition du Paléolithique moyen au supérieur dans la grotte de El Castillo : caractéristiques paléoclimatiques et situation chronologique », dans Pyrénées préhistoriques arts et sociétés (Actes du 118e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Pau, 1993), Paris, éd. du CTHS, , sur gallica (ISBN 2-7355-0329-1, lire en ligne), p. 27-59. Châtelperronien de la Grande Roche de la Plématrie : p. 55.
    16. LĂ©vĂŞque et al. 1997, p. 6.
    17. [Hublin et al. 2012] Jean-Jacques Hublin, Sahra Talamo, Michèle Julien, Francine David, Nelly Connet, Pierre Bodu, Bernard Vandermeersch et Michael P. Richards, « Radiocarbon dates from the Grotte du Renne and Saint-Césaire support a Neandertal origin for the Châtelperronian », Proceedings of the National Academy of Sciences U.S.A., vol. 109, no 46,‎ , p. 18743-18748 (lire en ligne [PDF] sur pnas.org, consulté en ), p. 18743.
    18. Roussel 2013, « Résumé ».
    19. Roussel 2011, Présentation en ligne, « Des contacts à faible degré d’intimité sociale avec les groupes protoaurignaciens ».
    20. Laetitia Becq-Giraudon, « Les parures de la Préhistoire », L'Actualité Poitou-Charentes, no 42,‎ , p. 48 (lire en ligne [sur manualzilla.com], consulté le ).
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