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Jury citoyen

Un jury citoyen est une assemblée temporaire désignée par tirage au sort ou choisie par une autre méthode aléatoire (démarchage dans la rue, etc.) pour orienter certaines décisions politiques. Le but est de renforcer la participation citoyenne dans les processus politiques et/ou d'éclairer la prise de décision dans des situations complexes en consultant un échantillon de la population.

Les jurys citoyens se distinguent par diffĂ©rentes procĂ©dures qui l'organisent. Ils se dĂ©ploient dans des situations trĂšs diverses et selon des modalitĂ©s d'organisations elles-mĂȘmes multiples : rĂ©unions de quartier, sondages dĂ©libĂ©ratifs, confĂ©rences de citoyens, forums thĂ©matiques, forums dĂ©libĂ©ratifs, cercles Samoan, jurys citoyens, etc.

Les jurys citoyens sont utilisés dans de nombreux pays depuis les années 1990 et ont un cadre plus officiel dans certains pays comme l'Allemagne (notamment à Berlin), au Danemark ou en Espagne.

Les jurys citoyens « se singularisent par la lourdeur et la précision de leur procédure, comme par la complexité des enjeux qui leur sont soumis, généralement situés à l'interface sciences-techniques/société »[1].

Origine

Dans les annĂ©es 1970, en Allemagne, Peter Dienel, un sociologue travaillant pour une administration chargĂ©e de la rĂ©novation de quartiers urbains, cherche Ă  associer les habitants Ă  la conception des projets. Pour lui les rĂ©unions publiques ne constituent pas le bon outil : elles peuvent mobiliser un grand nombre de personnes mais ne parviennent pas Ă  concerner tous les groupes sociaux. De plus, les dĂ©bats trop brefs ne dĂ©bouchent le plus souvent que sur des revendications hĂ©tĂ©roclites et pas toujours rĂ©alistes, voire sur un clivage entre les visions des participants plutĂŽt que sur un consensus. Pendant des annĂ©es, Dienel expĂ©rimente de nouveaux dispositif de formation et de recueil de la parole des citoyens, jusqu’à aboutir Ă  ce qu’il appelle les « cellules de planification » (Planungszelle) : des groupes de vingt-cinq personnes tirĂ©es au sort parmi les habitants d’un quartier et mobilisĂ©s pendant plusieurs jours, qui reçoivent des Ă©lĂ©ments de formation et d’information sur le problĂšme Ă  traiter, puis qui dĂ©libĂšrent pour Ă©laborer des recommandations[2]. Le principe des jurys citoyens s'inspire de ce concept en l'Ă©largissant Ă  toutes les dĂ©cisions politiques locales. Le terme de « jury citoyen » (citizens' jury) a Ă©tĂ© d'abord employĂ© par le politologue amĂ©ricain Ned Crosby Ă  partir des annĂ©es 1980 lorsqu'il crĂ©e aux États-Unis, quelques annĂ©es plus tard, des groupes fonctionnant sur le mĂȘme principe. Ceux-ci se penchent le plus souvent sur des questions de portĂ©e locale, « l’expertise du quotidien » Ă©tant souvent mise en avant pour lĂ©gitimer l’intervention citoyenne.

Nouvelles perspectives

Elles apparaissent en 1987, quand le Conseil danois de la technologie, affine la mĂ©thode qu'il baptise "ConfĂ©rence de consensus". Il mobilise un groupe de citoyens Ă  qui il soumet une question qui n’appartient en rien Ă  l’espace local, celle de l’usage des organismes gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©s dans l’alimentation et l’agriculture. Ce n’est pas, alors, le bon sens et la connaissance empirique des citoyens qui sont invoquĂ©s pour justifier leur intervention, mais leur caractĂšre profane et leur sens de la responsabilitĂ©.

Le modĂšle danois s’est exportĂ© en Belgique, en Espagne (oĂč il est parfois appelĂ© NIP - Nucleo de intervencion participativa)[3] et dans bien d’autres pays. En France, il est connu sous le nom de ConfĂ©rence de citoyens. Il ne s’agit pas d’un organe de prise de dĂ©cision, mais le plus souvent d’un outil d’aide Ă  la dĂ©cision, Ă  statut consultatif, temporairement mis en Ɠuvre par des autoritĂ©s politiques dĂ©sireuses de disposer d’une vision de leur opinion publique sur un sujet dĂ©fini par elles. Le plus souvent, les animateurs de jurys citoyens mobilisent des savoir-faire issus de la facilitation (c’est-Ă -dire de l’animation de collectifs de travail) ou de la mĂ©diation.

En 2012, la mĂ©thode est reprise, Ă  Ă©chelle mondiale, sous l'Ă©gide de l'ONU[4] qui pour prĂ©parer la ConfĂ©rence d'Hyderabad sur la diversitĂ© biologique organise avec le Conseil danois de la technologie un Ă©vĂšnement dit « World Wide Views on Biodiversity »[5] (WWVB) [6] : Cette consultation mobilise environ 4000 simples citoyens (de 16 ans et plus) dans 40 pays. Ils sont invitĂ©s Ă  rĂ©pondre Ă  un sondage mondial organisĂ© simultanĂ©ment dans ces pays (Congo, Cameroun, Maldives, Bolivie, BrĂ©sil, Costa Rica, Canada, États-Unis, Danemark, Allemagne, Chine, Japon, États-Unis, France
) le . La synthĂšse tiendra lieu de propositions citoyennes sur de grandes questions et enjeux de biodiversitĂ©. En France des citoyens volontaires se mobiliseront Ă  La RĂ©union, avec l'aide du Conseil rĂ©gional de La RĂ©union[7] - [8] et Ă  Lille dans les locaux du Conseil rĂ©gional Nord-Pas-de-Calais ; en partenariat avec la Fondation Hulot pour la Nature et l'Homme et Terra Eco. Le panel de citoyens est tirĂ© au sort parmi un groupe de volontaires, en rĂ©pondant Ă  certains critĂšres (ils doivent ĂȘtre des citoyens ordinaires, ni Ă©lus, ni spĂ©cialistes de ces questions)[9]. Ces citoyens aprĂšs avoir visionnĂ© des films portant sur ces sujets, tĂ©moignent et dĂ©battent pour se forger une opinion Ă©clairĂ©e puis formuler des recommandations sur les enjeux majeurs de la biodiversitĂ©. Le protocole de travail est commun aux 40 pays, afin de produire des rĂ©sultats comparables, qui seront publiĂ©s le . En France, le cabinet "Missions publiques" en fera une synthĂšse qui sera transmise aux dĂ©cideurs de la COP d'HydĂ©rabad. Les organisateurs de France communiqueront ces rĂ©sultats au PrĂ©sident de la RĂ©publique, au Premier ministre et Ă  la Ministre de l'Ă©cologie, mais aussi les nĂ©gociateurs français et europĂ©ens de la confĂ©rence d'Hyderābād. Ces mĂȘmes rĂ©sultats seront ensuite prĂ©sentĂ©s aux dĂ©lĂ©gations prĂ©sentes lors de la ConfĂ©rence, de maniĂšre Ă  encourager un « mode de gouvernance intĂ©grant davantage la parole citoyenne » et la prise en compte des « prioritĂ©s des citoyens « ordinaires » concernant la problĂ©matique de la biodiversitĂ© », deux moyens de rĂ©pondre Ă  l'« enjeu A »[10] des objectifs d'Aichi.

Fonctionnement

Bien que le fonctionnement des jurys citoyens puisse varier, il existe quelques constantes :

  • Le nombre de jurĂ©s est limitĂ© pour permettre des dĂ©bats plus efficaces (gĂ©nĂ©ralement Ă  une dizaine ou une vingtaine) ;
  • Les jurĂ©s sont tirĂ©s au sort pour obtenir un panel reprĂ©sentatif des personnes concernĂ©es par le processus politique Ă  arbitrer (une minoritĂ© des jurĂ©s est parfois dĂ©signĂ©e dans les milieux associatifs) ;
  • Les jurĂ©s sont officiellement libĂ©rĂ©s de leurs obligations professionnelles et familiales et sont souvent indemnisĂ©s financiĂšrement ;
  • La participation aux jurys citoyens est volontaire (aucune pĂ©nalitĂ© ne touche ceux qui refusent d'y participer) ;
  • Les pĂ©riodes de dĂ©libĂ©ration sont prĂ©cĂ©dĂ©es d'une phase d'apprentissage, qui peut se limiter, dans certains cas Ă  la simple lecture d'un document rĂ©sumant les enjeux du dĂ©bat mais qui comprend gĂ©nĂ©ralement des dĂ©bats avec des experts et des reprĂ©sentants d'associations porteurs d'opinions contrastĂ©es sur la question posĂ©e ;
  • Les pĂ©riodes de dĂ©libĂ©ration sont gĂ©nĂ©ralement courtes (2 Ă  4 jours).

Critiques

Les critiques faites aux jurys citoyens sont de plusieurs ordres :

  • leur caractĂšre limitĂ© en termes de mobilisation. Elles concernent gĂ©nĂ©ralement de petits groupes, d'une Ă  quelques dizaines de participants, ce qui peut apparaĂźtre limitĂ© pour en faire des outils d'une dĂ©mocratie "participative". Il existe des expĂ©riences de sondage dĂ©libĂ©ratif qui sont assez similaires dans l'esprit mais plus brĂšves et concernant plusieurs milliers de personnes, notamment les "Town Meetings" menĂ©s aux États-Unis par l'association America Speaks.
  • les risques de manipulation des citoyens, par une information biaisĂ©e ou une animation influençant leur rĂ©flexion. Bien qu'il existe des moyens de se prĂ©munir contre ces risques (en avertir les citoyens, accepter la prĂ©sence d'observateurs au cours de la confĂ©rence, etc.) le dispositif lui-mĂȘme crĂ©e un cadre (une question initiale, des modes de discussion, etc.) qui sont rarement remis en cause.
  • leurs coĂ»ts : indemnisation et formation des jurĂ©s, organisation des dĂ©bats prĂ©paratoires, etc. En Espagne, oĂč les jurĂ©s sont trĂšs nombreux, le coĂ»t peut aller de 5 000 euros pour 50 jurĂ©s jusqu'Ă  100 000 euros pour 300 jurĂ©s[11], hors financement Ă©ventuel d'un prestataire extĂ©rieur. Dans le cas de jurys dĂ©cisionnaires, ce coĂ»t est amorti par les processus qu'il remplace alors que pour les jurys consultatifs, il vient s'y ajouter.

Applications

Allemagne

Les jurys citoyens (BĂŒrgerforum) sont notamment utilisĂ©s depuis 2001 dans 17 quartiers de Berlin pour dĂ©cider d'une partie de leur budget (500 000 euros). Ils sont constituĂ©s pour majoritĂ© de rĂ©sidents tirĂ©s au sort (quelle que soit leur nationalitĂ©) auxquels se joignent des reprĂ©sentants d'associations locales. Le nombre de jurĂ©s est fixĂ© Ă  un pour mille habitants.

Belgique

En Belgique, depuis la premiÚre expérience menée en 2001 dans le Brabant wallon à l'initiative du ministÚre des Transports et de celui de l'Aménagement du territoire, la fondation pour les générations futures a conduit plusieurs expériences de panel citoyen (site de la fondation pour les générations futures).

Canada (Québec)

Au Québec, le Directeur général des élections a mandaté l'Institut du Nouveau Monde pour concevoir et animer un jury citoyen sur le financement des partis politiques de la province. Les 12 jurés ont dû, à la suite de deux jours d'auditions et deux jours de délibérations répartis sur 2 fins de semaine en , répondre à la question suivante: "Faut-il ouvrir le financement des partis politiques aux contributions des compagnies et de tout autre regroupement: oui ou non? Si oui, à quelles conditions? Si non, faut-il modifier les rÚgles existantes?"[12].

États-Unis

Aux États-Unis, les jurys citoyens ont Ă©tĂ© introduits par Ned Crosby (UniversitĂ© du Minnesota) dĂšs 1973[13] - [14].

Des jurys citoyens ont notamment été organisés en 1999 sur les technologies des télécommunications et en 2005 sur les nanotechnologies.

France

En France, plusieurs expérimentations ont eu lieu au niveau national, notamment sur des questions relatives à la science et à la technologie (bioéthique, OGM, etc.) à partir de 1998. Depuis lors, les conférences de citoyens sont également utilisées par les collectivités territoriales pour formuler des avis sur des sujets trÚs divers : la gestion de l'eau, le traitement des déchets, la politique sociale, le développement rural, la santé...

Par exemple, les conférences de citoyens locales suivantes ont été organisées (liste non limitative) :

  • en 1998, sur les aliments d'origine transgĂ©niques, par l'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
  • en 2001 sur le changement climatique,
  • en 2004, sur le traitement des ordures mĂ©nagĂšres Ă  une Ă©chelle locale par le Syndicat intercommunal de traitement des dĂ©chets de Saint Brieuc (SMICTOM) ;
  • en 2006, sur la sĂ©curitĂ© et l'environnement, par le Conseil gĂ©nĂ©ral de Meurthe-et-Moselle[15] ;
  • en 2006, sur plusieurs sujets (transports, dĂ©veloppement rural, etc.) par la RĂ©gion RhĂŽne-Alpes ;
  • en 2007 sur les nanotechnologies
  • en 2008, sur la gestion de l'eau potable, par Nantes mĂ©tropole ;
  • en 2009, sur le Plan municipal de santĂ©, par la Ville de Toulouse ;
  • en 2010, sur l'eau et l'assainissement, par la CommunautĂ© urbaine de Bordeaux [16]
  • en 2014, sur la fin de vie, par le ComitĂ© national consultatif d'Ă©thique[17]
  • en 2014, sur le projet de centre de stockage de dĂ©chets radioactifs en Meuse Haute-Marne (CIGEO)[18] par la Commission nationale du dĂ©bat public

Les jurys de citoyens sont entrĂ©s au cƓur du dĂ©bat prĂ©sidentiel français de 2007 aprĂšs que SĂ©golĂšne Royal a Ă©mis l'hypothĂšse qu'ils puissent ĂȘtre utilisĂ©s pour Ă©valuer l'action des Ă©lus.

Suisse

Des panels de citoyens ont été mis en place en Suisse, notamment pour élaborer des informations avant des votations (à Sion[19] et à GenÚve[20] - [21]), pour élaborer des projets de quartier (à Lausanne[20]), ainsi que pour proposer des mesures de politique alimentaire (au niveau national[22]) ou contre le dérÚglement climatique (à Uster[21]).

Notes et références

  1. Bourg, p. 31
  2. D'aprÚs la Commission nationale du débat public.
  3. « Le modÚle NIP ». Hans Harms, 1998. http://adonnart.free.fr/doc/citoy/confcit6.htm.
  4. suivi par le Secrétariat de la Convention des Nations unies sur la biodiversité
  5. WWViews, et sur You Tube, consultés 20122-09-12
  6. Jean-Charles BATENBAUM, WWVB : la biodiversité dans tous ses états ; Actualités News; 2012-08-30
  7. Débats sur les enjeux de la biodiversité ; Clicanoo, 2012-08-28
  8. « RĂ©union au MOCA »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?) (MOngaillard Culture et Arts, prĂšs de Saint-Denis de la RĂ©union), le 15 septembre 2012
  9. Formulaire d'inscription au
  10. Enjeu A de l'd'Aichi : GĂ©rer les causes sous-jacentes de l’appauvrissement de la diversitĂ© biologique en intĂ©grant la diversitĂ© biologique dans l’ensemble du gouvernement et de la sociĂ©tĂ©
  11. Les jurys de citoyens berlinois, Rapport final pour la Délégation Interministérielle à la Ville, 2002.
  12. .
  13. (en) CROSBY Ned, Concerns for All, University of Minnesota.,
  14. CROSBY Ned, In Search of the Competent Citizen: A Research Proposal., Minneapolis, Center for New Democratic Processes.,
  15. Site du Conseil général de Meurthe-et-Moselle.
  16. Conférence citoyenne du projet "eau et assainissement" de la CUB
  17. « Avis citoyen et vidéo de la conférence de citoyens sur la fin de vie »
  18. « La conférence de citoyens sur le projet CIGEO »
  19. GrĂ©goire Baur, « L’information politique citoyenne en test Ă  Sion », Le temps,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  20. Lise Bourgeois, « Les penseurs de l’avenir du quartier ont Ă©tĂ© tirĂ©s au sort », 24 heures,‎ .
  21. Michel Guillaume, « Des panels citoyens au chevet d’une dĂ©mocratie en panne », Le Temps,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  22. Sami ZaĂŻbi, « Les leçons de la premiĂšre assemblĂ©e citoyenne suisse », Le temps,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).

Voir aussi

Bibliographie

  • Ismael Blanco. « Les jurys citoyens en Espagne : vers un nouveau modĂšle de dĂ©mocratie », dans Mouvements (ISSN 1291-6412) no 18, novembre-.
  • Dominique Bourg et Daniel Boy, ConfĂ©rences de citoyens : mode d'emploi, Éditions Charles LĂ©opold Mayer, 2005 (ISBN 9782843771071).
  • Pierre-Yves GuihĂ©neuf, Chronique d'une confĂ©rence de citoyens, Éditions Charles-LĂ©opold Mayer, 2008.
  • ÉlĂ©onore Koehl et Yves Sintomer, Les jurys de citoyens de Berlin, Centre Marc Bloch, 2002, 135 pages [lire en ligne].
  • Anja Röcke et Yves Sintomer, « Les jurys de citoyens berlinois », dans Marie-HĂ©lĂšne BacquĂ©, Henri Rey et Yves Sintomer, Gestion de proximitĂ© et dĂ©mocratie participative, Ă©ditions La DĂ©couverte, Paris, 2004 (ISBN 2-7071-4306-5).
  • Article « Jury citoyen » du Dictionnaire de la participation.

Filmographie

Articles connexes

Liens externes

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