Ibrahim Eissa
Ibrahim Eissa ou Ibrahim ʿissa (en arabe :إبراهيم عيسى), né en novembre 1965, est un journaliste égyptien, un romancier et une personnalité de la télévision connu surtout pour avoir co-fondé l'hebdomadaire populaire égyptien Al-Dustour (« La Constitution ») de 1995 à 1998 et de 2005 à 2010[1]. Il est actuellement rédacteur en chef de Al Tahrir (journal) (en) (« La Libération »), qu'il a co-fondé en juillet 2011.
Naissance | |
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Nom dans la langue maternelle |
إبراهيم عيسى |
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Prix Gébrane Tuéni (d) () Index Award () |
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Mawlana : riwayah (d) |
Biographie
Ibrahim Eissa est né en novembre 1965 en Égypte. Son père enseignait l'arabe. À onze ans, il a publié son premier magazine, Al Haqiqa (« La vérité »), qu'il s'est arrangé pour imprimer lui-même et distribuer à la main aux écoles locales et aux kiosques à journaux. À dix-sept ans, pendant sa première année à l'école de journalisme de l'Université du Caire, Eissa a commencé à travailler pour le magazine Rose al-Yūsuf (en), devenant son plus jeune secrétaire de rédaction[2]. Bien qu'il s'agisse d'un journal public, il est réputé pour son ouverture à des sujets habituellement tabous et pour son opposition nationaliste et de gauche aux Frères musulmans et au groupe Gamaa al-Islamiya. Cependant, lorsque Eissa refusa d'apporter son soutien à l'invasion irakienne de 1990, il a été forcé de démissionner dans un délai d'un an de la rédaction politique pour assumer la rédaction littéraire[2].
Carrière
Al-Dustour et Aala Al Qahwa
Un éditeur privé nommé Essam Fahmi Ismail a tenté de convaincre le collègue d'Eissa, Adel Hammouda (ar), pour démarrer une entreprise journalistique, mais il a été repoussé. Il s'est alors rapproché d'Eissa, et ils ont créé l'hebdomadaire Al-Dustour sous une licence étrangère en 1995. Le journal adopte à l'égard du régime égyptien un ton critique qui est inédit pour l'époque, en particulier quand il met en avant la corruption du gouvernement, la qualité de la gouvernance et les relations de l'Égypte avec Israël. Le journal accueille des contributeurs venant de tout le spectre politique et religieux, y compris des marxistes, nationalistes, et partisans de Nasser. En tant que rédacteur en chef, Ibrahim Eissa fut la cible principale de la controverse qui en résulta. Le journal était aussi réputé pour être familier, provocateur, et illustré de caricatures[3]. Il eut une grande influence sur l'évolution de la presse égyptienne - si bien qu'on se mit à utiliser le néologisme « dustouriser » dans les salles de rédaction[2]. Sa diffusion atteignit 150.000 exemplaires par semaine. Eissa a attribué la raison de ce succès à la manière dont le journal s'adressait à son public principal, la jeunesse[4].
Le journal a été fermé en février 1998 après qu'il eut publié une menace de mort du groupe Gamaa islamiyya visant trois hommes d'affaires coptes. Avant cette fermeture, trois numéros avaient été confisqués à cause de leur nature polémique[4]. Selon Eissa, la publication a été interrompue à la suite d'un appel de Naguib Sawiris au président Hosni Mubarak en personne, afin de protester contre la publication de la menace de mort par le journal[2].
Après la fermeture d'Al-Dustour, Eissa a tenté neuf fois de fonder un autre journal. Chacune de ses tentatives a été rejetée, sous différents types de licences, aussi bien pour des publications politiques que culturelles. Il a essayé d'écrire sous pseudonyme pour le Parti Démocratique du Peuple (en), mais ses efforts ont été contrariés par l'intervention du gouvernement. Néanmoins, il s'est progressivement réintroduit en tant qu'écrivain dans des domaines non-politiques[2].
Quand Dream TV (en) a démarré en 2001, Eissa a été invité à animer l'émission d'actualités Aala Al Qahwa (« Au café »). En 2003, la chaîne a été contrainte de lâcher Eissa en raison de la nature controversée de son programme. C'est à cette période que Eissa a écrit le premier d'une série de romans, Maqtal Al-Rajul Al Kabir. Aucun de ses romans n'a bénéficié d'un accueil favorable, et celui-ci en particulier a été interdit et censuré par le gouvernement[2].
Relance d'Al-dustour et procès divers
En 2004, Eissa se voit offrir deux postes. Le premier comme rédacteur en chef du journal du Parti Al-Ghad. Ayman Nour, le chef du parti à l'époque, voulait recruter Eissa en pensant que sa popularité pourrait profiter au parti. En même temps, il se vit proposer par Essam Fahmi de relancer Al-Dustour. Bien que Eissa ait choisi de travailler avec le Parti El-Ghad, le mouvement fut bloqué lorsque les services de sécurité ont fait expulser Eissa par Mostafa Moussa, en 2005, pendant qu'Ayman Nour était en prison. Eissa s'est alors rabattu sur son second choix et devint rédacteur en chef d'Al-Dustour[2]. En 2005, il a pris en charge aussi l'autre journal de Fahmi, Sawt al-Umma (ar), et a fait des apparitions régulières dans l'émission télévisée Min awul sadr[2].
En juin 2006, Eissa a été convaincu de diffamation à l'égard d'Hosni Mubarak dans un écrit qui décrivait la tentative d'un juriste pour traduire en justice le président et sa famille pour corruption. Il fut condamné à un an de prison, de même que son avocat Saïd Abdullah. La sentence a été commuée, en février 2007, en une amende de 3.950 $. La plainte a été déposée au nom de Moubarak par un citoyen privé, et instruite rapidement, en contravention des règles juridiques égyptiennes[5].
Le 5 décembre 2007, Eissa a été traduit devant la Cour d'Algalaa après la publication d'un article concernant les problèmes de santé du président Mubarak. Le 31 mars 2008, il a été reconnu coupable d'atteinte à l'économie nationale après que la Banque centrale eut témoigné que 350 millions de dollars d'investissements avaient quitté le pays à la suite de la publication de l'article[6]. Le 28 septembre 2008, la Cour d'Appel Boulak Abul Ela a confirmé le verdict de culpabilité, mais a réduit la sentence à deux mois de prison, accusant Eissa de rapporter et de publier des fausses informations. À l'origine, c'est le procureur qui s'était porté en appel, jugeant que la peine de six mois de prison était trop légère. Eissa a déclaré : « Ce jugement ouvre les portes de l'enfer pour la presse égyptienne »[7]. Des ONG telles que Amnesty international et Arabic Network for Human Rights Information (en) ont dénoncé cette condamnation[8]. Le 8 octobre 2008, Eissa a été gracié par Mubarak[6].
Le 5 octobre 2010, Ibrahim Eissa est licencié de son poste à Al-Dustour après le rachat du journal par l'homme d'affaires Sayyid Badawi, membre du parti égyptien Wafd. Selon Eissa, c'est dans le but de l'empêcher d'y écrire que le journal a été repris : « They bought the newspaper for $4 millions, just to stop me from writing[9]. » La raison immédiate était son souhait de publier un article de Mohamed El Baradei qui s'opposait au président Moubarak et constituait un rival potentiel pour la présidence. Plus tôt la même année, Eissa a été renvoyé de son poste de Baladna bel Masry, une émission politique de la chaîne ONTV (en)[10].
Plus récemment, en 2022, une enquête a été ouverte contre lui, après qu'il eut mis en doute, lors d'une émission télévisée, qu'il faille prendre à la lettre le récit coranique du voyage nocturne du Prophète (le Miraj)[11].
Projets médiatiques à l'ère post-Moubarak
Depuis la révolution égyptienne de 2011, Eissa s'est impliqué dans deux projets médiatiques. Le premier est le lancement d'une chaîne télévisée satellite privée, baptisée Al Tahrir TV Channel (en), en février 2011. Le second est le lancement d'un quotidien, Al Tahrir (en) (« La libération »), en juillet 2011. Bien qu'ils portent le même nom, la chaîne de télévision et le journal sont deux projets de médias séparés[12].
Al Tahrir TV channel
Al Tahrir TV Channel a été la première chaîne de télévision lancée en Égypte après la démission de Moubarak[13]. Elle a été fondée en février 2011[12]. Le slogan de la chaîne est « The people want to liberate the minds »[14]. Ibrahim Eissa était l'un des trois propriétaires de la chaîne, avec Ahmed Abu-Haiba et Mohamed Morad[15]. Cependant, en octobre 2011, rencontrant de sérieuses difficultés financières, Eissa a vendu ses parts à deux hommes d'affaires, Nabil Kamel and Dr. Said Tawfiq[16]. Eissa a continué de travailler pour la chaîne, en tant que reporter pour l'émission Fil midan[17]. Cependant, en février 2012, il a quitté l'émission et n'est plus, depuis, associé à la chaîne.
En décembre 2011, Tawfiq a vendu se parts à l'homme d'affaires Suleiman Amer, qui possède alors 84% du capital de la chaîne. Cette dernière a été largement critiquée par ses reporters vedettes, y compris Eissa, qui reprochent à la nouvelle administration de servir les intérêts de l'État égyptien[16].
Al Tahrir, le journal
Le journal Al Tahrir a été lancé en juillet 2011[13]. Il fut le deuxième à être créé après la démission du président Moubarak, après l'hebdomadaire Youm 7[18]. Comme Al Tahrir TV, son nom fait référence à la place Tahrir. Le capital du journal est divisé entre Eissa et l'éditeur Ibrahim al-Moalem, qui collabore aussi avec un autre quotidien indépendant, Al-Shorouk (en), en tant que président[13]. Eissa est le rédacteur en chef du journal. Quand le périodique a été lancé, il se caractérisait par le même ton que le journal précédent de Eissa, Al-Dustour, dominé par la satire et les articles d'opinion. Le rédacteur en chef déclare qu'en plus des reportages d'actualité, Al Tahrir a pour but de fournir une compréhension et une analyse des événements. Le journal cherche aussi à renouveler l'importance de la presse écrite, en particulier aux yeux de la jeunesse, qui a recours aux nouveaux médias sociaux pour s'informer[12].
Menaces de mort
En décembre 2011, des sources indiquent que Eissa et plusieurs personnalités de la sphère médiatique ont reçu des menaces de mort en raison de la nature polémique des sujets qu'ils couvraient[19].
Témoignage au procès de Moubarak
Des activistes ont reproché à Eissa d'avoir modifié son témoignage lors du procès de Moubarak en 2011, puis du nouveau procès de 2014[20]. Eissa avait d'abord accusé la police d'avoir tiré sur les manifestants, puis il a déclaré lors du second procès qu'il n'avait pas été témoin de tirs[3], mais que Moubarak était un président patriote, qui n'a ordonné ni de faire usage de la force contre les manifestants, ni de couper téléphone et Internet[21], mais a seulement demandé aux responsables de la sécurité d'user des mesures nécessaires pour contenir le chaos[22].
Distinctions
En 2008, Eissa s'est vu attribuer le prix Gébrane Tuéni au Liban[23] - [24]. En mars 2011, a reçu le prix de la liberté d'expression 2010 de l'organisation Index on censorship[25] - [26]. Le prix a été décrit comme une récompense pour tous ceux qui risquent leur vie pour le droit d'exprimer leurs opinions. Eissa a été caractérisé comme « one-man barometer of Egypt's struggle for political and civic freedom » (faisant figure de baromètre de la lutte de l'Égypte pour la liberté politique et civique). Il a dédié sa récompense à la place Tahrir[25].
En avril 2011, Eissa a également reçu le prix du journaliste de l'année 2010 d'une institution britannique appelée Society of editors. Ce prix est lui aussi une reconnaissance de l'engagement d'un journaliste pour la liberté de la presse et la liberté d'expression, et de son courage face aux menaces. Eissa a été distingué en particulier pour son insistance sur la démocratie, et comme résultat de son engagement journalistique et de ses opinions pour le renversement du régime de Moubarak[27].
Son roman Our master a été sélectionné pour le Prix international de la fiction arabe en 2013[28] - [29].
Œuvre
Romans
- Mawlana, en arabe, 2012. Traduit en anglais sous le titre Our master. Le livre a fait l'objet d'un adaptation au cinéma. Il explore le thème des relations entre religion, médias et politique[30].
- Maqtal al-rajul al-kabir, traduit en anglais sous le titre The Assassination of the Big Man en 2013.
- The televangelist, traduit en anglais, 2016.
- El-deif (« L'invité »), adapté au cinéma[31].
- Dam al-Hussein (publié en anglais en 2013 sous le titre Hussein's blood).
Essais
- Al Tariq Ila Yanayer, en arabe, 2012.
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Ibrahim Eissa » (voir la liste des auteurs).
- Bachir Benaziz, « Le journal Al-Dustour/Al-Tahrir. Apogée et déclin d’un journal privé », Revue Tiers Monde 222, , p. 31-48 (lire en ligne)
- (en) Ahmad Aboul-Wafa, Marwa Al-A'sar et Issandr El Amrani, « Comeback kid », Cairo magazine 28, , p. 16-18 (lire en ligne [PDF])
- « Ibrahim Eissa is “The Boss,” but at what cost? | Mada Masr », sur web.archive.org, (consulté le )
- (en) Magda El Ghitany, « 'Loud and clear' », sur Masress, (consulté le )
- (en) « Egypt editor has sentence reduced », sur www.aljazeera.com (consulté le )
- (en) « Press Freedom in Egypt », sur www.censorwatch.co.uk, (consulté le )
- (en) « Journalist jailed for writing about President Mubarak's health », sur France 24, (consulté le )
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- (en-US) David Kenner, « The Death of Egypt's Free Press », sur Foreign Policy, (consulté le )
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- « Égypte: le journaliste Ibrahim Eissa accusé de «mépris de l’islam» », sur RFI, (consulté le )
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- (en) « New Release: 'Mawlana' by Ibrahim Eissa, a novel dedicated to expose misuses of religion - Books », sur Ahram Online, (consulté le )
- « Ibrahim Eissa’s 'El Deif' exceeds LE 2.5M in profit in 2 weeks », sur EgyptToday, (consulté le )