Haie d'Avesnes
La « Haie dâAvesnes » (anciennement dite « Haye dâAvesnes ») est un toponyme forestier qui ne dĂ©crit pas (ou plus) un seul massif forestier, mais un ensemble de boisements plus ou moins proches les uns des autres qui entourait la ville fortifiĂ©e dâAvesnes-sur-Helpe, dans lâest du dĂ©partement du Nord, en France.
Cette succession de bois constituait autrefois un continuum linĂ©aire forestier atteignant probablement une vingtaine de kilomĂštres ; ici le mot « haie » nâa pas son sens habituel dâalignement dâarbres et de buissons taillĂ©s, mais dĂ©signe une large bande forestiĂšre, comme on en trouvait encore ailleurs dans cette rĂ©gion (Avesnois-ThiĂ©rache) aprĂšs la Renaissance[1].
Description, localisation
La Haye dâAvesnes Ă©tait une forĂȘt linĂ©aire autrefois longue d'une vingtaine de kilomĂštres. Mais son origine pourrait ĂȘtre bien plus ancienne que celle de la ville d'Avesnes.
Il sâagit aujourd'hui dâun ensemble relictuel et morcelĂ© de forĂȘts et petits bois, qui marque nĂ©anmoins encore fortement le paysage au nord de la ville sur les communes de Beaufort, Beugnies, Eclaibes, Floursies, Saint-Aubin, Saint-Remy-ChaussĂ©e.
Histoire
Si elle nâa pu retenir les armĂ©es allemandes lors des deux guerres mondiales, cette « haye » relique dâune ancienne forĂȘt fĂ©odale et en partie royale aurait Ă©tĂ© antĂ©rieurement destinĂ©e Ă se prĂ©munir contre les grandes invasions venues du nord, puis contre les tentatives dâinvasions qui ont suivi les cycles de guerres de conquĂȘtes lors de la Renaissance et des siĂšcles qui ont suivi. Cette vocation n'a pas empĂȘchĂ© la production de bois et de gibier, probablement avec une exploitation modĂ©rĂ©e de type pied Ă pied (on coupe les arbres intĂ©ressants Ă maturitĂ©, en laissant les autres pousser), en taillis dispersĂ©s et taillis sous futaie.
Cette haie est une probable relique des épaisses « cloisons forestiÚres » de l'époque gauloise, qui ont ensuite pour partie été conservées pour limiter les finages ; sans relation avec la topographie ou le contexte pédogéologique.
Des haies dĂ©fensives, grandes et petites semblent avoir existĂ© dans cette rĂ©gion au moins depuis lâĂ©poque de Jules CĂ©sar.
Selon J.-J Dubois (biogĂ©ographe et historien des forĂȘts), ces haies sont typiques non de la ThiĂ©rache, mais de ses frontiĂšres ; le cĆur la ThiĂ©rache Ă©tant un bocage qui a presque totalement disparu au XIXe siĂšcle pour ĂȘtre pour partie reconstituĂ© ensuite, et Ă nouveau dĂ©gradĂ© Ă l'Ă©poque des grands remembrements du XXe siĂšcle. SituĂ©e dans la vallĂ©e de la Sambre, cette haie forestiĂšre est effectivement situĂ©e sur un couloir historique dâinvasions, passant par Maubeuge plus au nord et conduisant au bassin parisien en passant par la Picardie, plus au sud ; couloir qui a Ă©tĂ© utilisĂ© au XVIIIe siĂšcle pour la construction dâune route quasi-rectiligne menant de Paris en Belgique en passant par la forteresse de Maubeuge, route devenue la RN2 qui fait lâobjet de travaux dâĂ©largissement (construction de 4 nouvelles voies, parallĂšles aux deux voies existantes de la RN2 dans la haie dâAvesnes, ce qui pose de complexes problĂšmes environnementaux, soulignĂ©s par lâĂ©tude d'impact)
Certaines ont persistĂ© jusqu'Ă la fin du XXe siĂšcle grĂące au fait que cette rĂ©gion ait Ă©tĂ© relativement Ă©pargnĂ©e par la vague de remembrements des annĂ©es 1970-1990 : la haie de Fourmies, qui est de forme massive et non linĂ©aire (ce mot dĂ©signe donc bien une forĂȘt); les haies de Cartignies, dâAubenton et Rumigny, de Bohain et Beaurevois, dâHargnies ou de Gommegnies.
Cependant le parcellaire conserve les traces de défrichement relativement récents (depuis le XVIIIe siÚcle) dans les anciennes haies défensives, véritables « cloisons forestiÚres circulaires » souvent discontinues mais encore repérables sur les cartes ou vues satellitaires depuis leur mises en culture ou géométrisation parcellaire cartésienne du XVIIIe siÚcle[2]).
Les cloisons forestiĂšres d'Avesnes-sur Helpe, de Bohain, Beaurevoir, CrĂ©quy, Saulty Ă©taient peut-ĂȘtre Ă©galement des vestiges des haies dĂ©fensives d'anciens finages mĂ©diĂ©vaux[3]. Ces cloisons encadrant des finages ou groupes de finages suggĂšrent que le dĂ©frichement s'est fait « en alvĂ©oles » ouvertes dans la forĂȘt dense ou plus probablement Ă partir de clairiĂšres naturelles dans l'Ă©paisse marche forestiĂšre de la ThiĂ©rache, elle-mĂȘme relique de la forĂȘt antique et consacrĂ©e par le traitĂ© carolingien de Verdun en 843. Ce bocage selon G. Sivery est un surgeon de l'ancienne Theorascia silva dĂšs la fin du Moyen Ăge, cadrĂ© par des chartes qui se succĂšdent dĂšs 1150 dans le Nord de la ThiĂ©rache oĂč les communautĂ©s rurales repoussent peu Ă peu la forĂȘt jusqu'aux bordures des Ardennes et au sud de l'ancienne Sambre[4] J Harmand a posĂ© l'hypothĂšse que ces haies forestiĂšres Ă©taient une persistance d'un systĂšme d'organisation frontaliĂšre du paysage, en 3 Ă©lĂ©ments :
- un cadre végétal travaillé (champs labourés, probablement initialement en vallées humides ou dans d'anciennes clairiÚres agrandies)
- Des haies de bocage interne à chaque tache défrichée (évoquant le bocage normand et les haies nerviennes décrites par César)
- Des haies pĂ©riphĂ©riques, dĂ©fensives, denses conservant un environnement forestier proche de la sylve primitive. Faute de preuves et archives suffisantes, JJ Dubois ne reprend pas cette classification, mais la cite en prĂ©cisant que « la rĂ©alitĂ© de ces cloisonnements forestiers ne peut ĂȘtre mise en doute », dont en ThiĂ©rache.
Remarque : Une structure comparable a existĂ© en Champagne ; la Haie de Nangis. Toutes ces forĂȘts linĂ©aires, selon Jean-Jacques Dubois (dans sa thĂšse[5]) auraient eu un rĂŽle dĂ©fensif, Ă l'instar des zassieka (voir Ă ce sujet : ru:ĐĐ°ŃĐ”ŃĐœĐ°Ń ŃĐ”ŃŃĐ°) qui protĂ©geaient l'Ătat de Moscou des attaques de cavalerie notamment entre les XVIe et XVIIIe siĂšcles.
IntĂ©rĂȘt patrimonial
Outre un indiscutable intĂ©rĂȘt paysager dans une rĂ©gion qui a prĂ©cocement perdu lâessentiel de ses forĂȘts au profit de lâagriculture puis de lâindustrie et de lâurbanisation, ces massifs pourraient encore protĂ©ger des descendants de la forĂȘt prĂ©historiques et antique (ForĂȘt hercynienne, forĂȘt charbonniĂšre citĂ©es de lâantiquitĂ© au haut Moyen Ăge). LĂ oĂč la rĂ©gĂ©nĂ©ration naturelle s'est poursuivie de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, ces massifs pourraient donc aussi avoir une valeur de conservatoire gĂ©nĂ©tique (rĂ©servoir de diversitĂ© gĂ©nĂ©tique), utile et mĂȘme prĂ©cieux, alors que les sylviculteurs sâattendent Ă devoir sâadapter et adapter leur gestion forestiĂšre aux changements climatiques et Ă©cologiques annoncĂ©s par les climatologues.
Ăcologie
Par son anciennetĂ© et le fait quâelle ait presque conservĂ© une continuitĂ© physique (c'est encore un « continuum Ă©cologique » pour les espĂšces mobiles et/ou peu sensibles au roadkill, elle constitue un Ă©lĂ©ment essentiel de la trame verte rĂ©gionale et locale, qui dĂ©cline localement la trame verte nationale (Cf. Grenelle de l'environnement) et le rĂ©seau Ă©cologique paneuropĂ©en.
Cette « haie » est cependant trÚs fragmentée par les routes, depuis plusieurs siÚcles parfois, comme on peut le voir[6] sur les atlas anciens (carte de Cassini, Atlas de Trudaine..)
Voir aussi
Articles connexes
- Haies :
- Haie plessée, Haie défensive
- Haies bocagĂšres, Bocage
- Joualle, Corridor biologique
- ForĂȘts :
- DĂ©frichements du Moyen Ăge
- Ăcologie du paysage, RĂ©seau Ă©cologique, Fragmentation Ă©copaysagĂšre
- Agrosylviculture, Agroforesterie
Bibliographie
- Amat Jean-Paul, 1999, La ForĂȘt entre guerres et paix, 1870-1995. Ătude de biogĂ©ographie historique sur lâArc meusien de lâArgonne Ă la WoĂ«vre. ThĂšse dâĂtat, universitĂ© Lille-I, 3 vol., 1 116 p.
- Marty Pascal, 1998, ForĂȘts et sociĂ©tĂ©s. Appropriation et production de lâespace forestier. Les logiques dâaction des propriĂ©taires privĂ©s. Lâexemple de la moyenne montagne rouergate. ThĂšse de doctorat, UniversitĂ© Paris -I PanthĂ©on-Sorbonne, 2 vol., 162 p., 247 p.
- Palierne Jean-Max, 1975, Les forĂȘts et leur environnement dans les pays ligĂ©ro-atlantiques nord. Recherches et rĂ©flexions biogĂ©ographiques sur les discontinuitĂ©s et la dynamique des paysages naturels et humains. ThĂšse dâĂtat, universitĂ© de Rennes, 799 p.
- Petit-Berghem Yves, 1996, Ătude de la dynamique des milieux forestiers du littoral du Nord de la France. ThĂšse de doctorat, universitĂ© Lille-I, 2 vol., 473 p.
- Puyo Jean-Yves, 1996, AmĂ©nagement forestier et enjeux scientifiques en France, de 1820 Ă 1940. ThĂšse de doctorat, universitĂ© de Pau et des Pays de lâAdour, 602 p.
- Arnould P., 1991, « ForĂȘts, nouvelles forĂȘts, vieilles forĂȘts ». La forĂȘt. ComitĂ© des travaux scientifiques et historiques, 113e CongrĂšs National des SociĂ©tĂ©s Savantes, p. 13-30
- Dubois J.-J., 1991, Lâapproche de la "biogĂ©ographie historique : concepts, mĂ©thodes, limites Ă lâinterface de la phytodynamique et de lâhistoire forestiĂšres ». Phytodynamique et biogĂ©ographie historique des forĂȘts. Colloques phytosociologiques, tome XX, p. 7-13.
- Dubois J.-J., 1992, « La dynamique des sylvosystĂšmes du Nord de la France : lâapport de la biogĂ©ographie historique ». Les Cahiers Nantais, no 38, p. 173-192
Notes et références
- Voir par exemple les planches gouachées représentant les propriétés des ducs de Croÿ, dans les albums de Croÿ
- Chapitre 2, p. 200, thĂšse de JJ Dubois
- Jean-Jacques Dubois, thĂšse p. 419
- G. SIvery, l'alternance des champs et des prés dans le Nord de la Thiérache du XIIe siÚcle, Revue géographique de l'Est, 1983,/3-4, p. 291-298.
- DUBOIS Jean-Jacques, 1989, Espaces et milieux forestiers dans le Nord de la France. Ătude de biogĂ©ographie historique. ThĂšse dâĂtat, universitĂ© Paris -I PanthĂ©on-Sorbonne, 2 vol., 1 023 pages
- Exemple de carte extrait de lâAtlas de Trudaine vers 1745-1780 (Base de donnĂ©es ARCHIM, Archives nationales)