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Gian Giorgio Trissino

Gian Giorgio Trissino dit Le Trissin (né le à Vicence en Vénétie, mort le à Rome) est un écrivain et poÚte italien de la Renaissance.

Gian Giorgio Trissino
Portrait par Vincenzo Catena.
Blason
ƒuvres principales
L'Italia liberata dai Goti (d), Sofonisba
Plaque commémorative

Biographie

Gian Giorgio Trissino naquit Ă  Vicence, le 8 juillet 1478 : le nom de son pĂšre et de ses aĂŻeux est quelquefois Ă©crit Tressino ou Dressino. Paolo Beni a composĂ© une histoire[1] de cette famille ; il la montre dĂ©jĂ  illustre, Ă  Vicence, au 12e siĂšcle. Le Trissin n’avait que sept ans[2] lorsqu’il perdit son pĂšre, dont le prĂ©nom Ă©tait Gaspard, et il ne paraĂźt pas que sa mĂšre, Cecilia Bevilacqua, nĂ©e Ă  VĂ©rone, ait pris un grand soin de son Ă©ducation littĂ©raire. Il commença tard ses Ă©tudes : ses parents avaient craint que l’application ne compromĂźt la santĂ© d’un fils unique ; c’est ce qu’on lit[3] dans une lettre que Parrasio lui adressa plusieurs annĂ©es aprĂšs. Quelques-uns mĂȘme, et particuliĂšrement Giovanni Imperiali (Mus. histor., p. 43), ont prĂ©tendu qu’à vingt-deux ans il n’avait pas encore appris la grammaire latine. Cette assertion a Ă©tĂ© contredite : Tiraboschi ne la trouve pas rigoureusement rĂ©futĂ©e. Quoi qu’il en soit, Trissino eut pour premier maitre un prĂȘtre de Vicence, nommĂ© François de Gragnuola. Il Ă©tudia ensuite Ă  Padoue, si nous en croyons Papadopoli, auteur d’une histoire l’universitĂ© de cette ville ; mais ce fait aussi a semblĂ© douteux. On s’accorde Ă  dire qu’il rĂ©para promptement le temps perdu ; que la littĂ©rature ancienne, grecque et latine, lui devint bientĂŽt familiĂšre ; qu’il dĂ©vorait les livres, et que DĂ©mĂ©trios Chalcondyle, dont il suivit les leçons Ă  Milan, admirait la rapiditĂ© de ses progrĂšs[4]. Si Lilio Gregorio Giraldi Ă©tait en mĂȘme temps, comme on l’assure, l’un des auditeurs de Chalcondyle, les Ă©tudes du Trissin Ă  Milan ne sont Ă  placer qu’en 1507 : il avait alors vingt-sept ans, et il y a dans l’histoire de sa vie quelques autres faits dont les dates sont antĂ©rieures Ă  celle-lĂ . Il fit en effet, Ă  l’ñge de vingt-deux ans, c’est-Ă -dire en 1500 ou 1501, un premier voyage Ă  Rome, y passa deux annĂ©es, et de retour Ă  Vicence, il Ă©pousa Giovanna Tiene, que Zeno et Maffei appellent par erreur Giovanna Trissina. L’époque de ce mariage n’est pas bien dĂ©terminĂ©e : plusieurs biographes indiquent l’annĂ©e 1504 ; Niceron et GinguenĂ©, 1503 ; Maffei, 1502. Nous savons du moins que Trissino eut de sa premiĂšre femme deux fils, dont l’un, nommĂ© Francesco, pĂ©rit fort jeune ; nous parlerons bientĂŽt de l’autre, que distinguait le prĂ©nom de Giulio : leur mĂšre ne vĂ©cut que jusqu’en 1510. L’annĂ©e suivante mourut DĂ©mĂ©trios Chalcondyle, Ă  qui Trissin fit, par reconnaissance, Ă©lever un monument avec une inscription qu’Argelati a transcrite, et qui se lit encore dans une Ă©glise de Milan[5]. DĂšs les premiĂšres annĂ©es du pontificat de LĂ©on X, Trissino revint Ă  Rome, oĂč son savoir, ses talents et ses mƓurs lui conciliĂšrent l’estime publique. Il avait Ă©tudiĂ© non-seulement les belles-lettres, mais aussi les sciences mathĂ©matiques et physiques, la thĂ©orie de tous les beaux-arts et spĂ©cialement de l’architecture. DĂ©jĂ  connu par quelques essais poĂ©tiques, il devint cĂ©lĂšbre, en 1514 ou 1515, par sa tragĂ©die de Sofonisba. On a dit et Voltaire a rĂ©pĂ©tĂ© plusieurs fois qu’elle fut reprĂ©sentĂ©e en 1514, Ă  Vicence, sur un magnifique thĂ©Ăątre, construit tout exprĂšs pour elle. Ce rĂ©cit n’est pas invraisemblable, quoiqu’on ait prĂ©tendu quelquefois que cette piĂšce n’avait Ă©tĂ© achevĂ©e qu’en 1515. D’autres disent que le pape LĂ©on en fit donner une reprĂ©sentation solennelle : Voltaire s’est abstenu de rapporter ce fait, qui n’est aucunement prouvĂ©, selon Tiraboschi et GinguenĂ©. Dans une lettre de Rucellai au Trissin, datĂ©e du 8 novembre 1515, il est dit que peut-ĂȘtre la Sofonisba sera jouĂ©e devant le pape, durant le sĂ©jour qu’il doit faire Ă  Florence ; il faut noter pourtant que ces mots ne se trouvent point dans l’une des copies manuscrites de cette Ă©pĂźtre. Ce qui est avĂ©rĂ©, c’est que Trissino eut le bonheur d’inspirer Ă  LĂ©on X une haute idĂ©e de ses talents et de ses lumiĂšres. Il fut chargĂ© par ce pontife de plusieurs nĂ©gociations importantes : il remplissait une mission de cette nature Ă  Venise, depuis le mois de septembre 1516 jusqu’au 5 janvier 1517, comme on le voit par des lettres de Bembo. EnvoyĂ© pareillement auprĂšs du roi de Danemark Christian II et de l’empereur Maximilien, avant 1519, Trissino s’acquitta si bien de ces fonctions qu’il sut mĂ©riter Ă  la fois les bonnes grĂąces du pontife qui les lui confiait et celles du chef de l’empire. Celui-ci lui accorda le droit de mettre la Toison d’or dans ses armoiries et de prendre le surnom dal Vello d’oro ; c’est ainsi que sont signĂ©es deux lettres qu’il a Ă©crites depuis au cardinal Madruzzo, Ă©vĂȘque de Trente. Il avait aussi reçu de Maximilien la qualitĂ© de chevalier et de comte. Charles Quint, auprĂšs duquel il a rempli de semblables missions aprĂšs 1519, lui confirma ces titres et ces privilĂšges. Mais a-t-il Ă©tĂ© inscrit dans l’ordre des chevaliers de la Toison d’or ? On ne s’accorde pas sur ce point. Manni l’affirme dans le tome 5, p. 137, de ses observations sopra i sigilli ; mais Tiraboschi et, avant lui, Apostolo Zeno l’ont contestĂ© : ils pensent que le surnom Vello d’oro et le titre de chevalier Ă©taient pour le Trissin indĂ©pendants l’un de l’autre ; ils observent qu’il ne s’est jamais permis de les rĂ©unir et en concluent que la permission de s’en dĂ©corer n’a point entraĂźnĂ© son inscription dans cet ordre. Toutefois il avait joint Ă  ses armes les mots grecs τό Î¶Î·Ï„ÎżÏÎŒÎ”ÎœÎżÎœ ጁλωτόΜ (qui cherche trouve), empruntĂ©s de l’ƒdipe roi de Sophocle (v. 110). LĂ©on X Ă©tant mort en dĂ©cembre 1521, Trissino revint Ă  Vicence. En 1523, il prit dans sa propre famille une deuxiĂšme Ă©pouse, Bianca Trissina, dont il eut bientĂŽt un fils, nommĂ© Ciro, et une fille. Profitant de ses loisirs pour se livrer Ă  ses goĂ»ts littĂ©raires, il publia, en 1529, plusieurs Ă©crits relatifs Ă  l’orthographe italienne, Ă  la grammaire, Ă  la poĂ©tique. Cependant ClĂ©ment VII, souverain pontife depuis 1523, rĂ©clama ses services et l’envoya, comme avait fait LĂ©on, auprĂšs du gouvernement de Venise et Ă  la cour de Charles Quint. Au couronnement de cet empereur Ă  Bologne, en 1530, le Trissin porta la queue de la robe du pape. AprĂšs cette cĂ©rĂ©monie, il se hĂąta de regagner Vicence, d’oĂč il continua nĂ©anmoins de faire quelques voyages Ă  Rome. Il jouissait d’une Ă©gale considĂ©ration dans ces deux villes, aussi bien qu’à Venise : partout on le comblait d’honneurs. Quoiqu’il eĂ»t perdu, en 1525, le plus intime de ses amis, Giovanni Rucellai, qui lui avait dĂ©diĂ© le poĂšme des Abeilles, et auquel il avait lui-mĂȘme consacrĂ© un de ses livres de grammaire, il lui restait d’honorables relations avec plusieurs hommes de lettres, par exemple avec son ancien condisciple Giraldi et, selon Crescimbeni, avec le VĂ©nitien Girolamo Molino[6]. Ce fut vers l’an 1535 qu’il commença de contribuer au dĂ©veloppement des talents de l’architecte Andrea Palladio, qui Ă©tait nĂ© en 1518 : il fut sinon son maĂźtre, du moins son protecteur, son ami et quelquefois son guide ; il le mena plusieurs fois Ă  Rome. On dit plus : on raconte qu’il lui enseigna les premiĂšres rĂšgles de l’architecture, qu’il lui expliqua Vitruve, qu’il lui donna le nom mĂȘme de Palladio, et qu’il lui fournit les dessins du palais de la villa Cricoli ; mais ces faits et surtout les deux derniers ont Ă©tĂ© contestĂ©s. Cette maison de campagne de Cricoli appartenait au Trissin[7] : de lĂ  est datĂ©e l’une des deux lettres qu’il a Ă©crites, en 1538, au duc de Ferrare, Hercule II, et qui montrent Ă  quel point il avait gagnĂ© l’estime et la confiance de ce prince. Depuis longtemps il prospĂ©rait : les pertes qu’il avait essuyĂ©es pendant huit ans de guerre, avant 1513, Ă©taient amplement rĂ©parĂ©es par les bienfaits des papes et des empereurs ; il en convient dans une lettre Ă  son ancien prĂ©cepteur, François de Gragnuola ; mais la fortune rĂ©servait quelques chagrins Ă  sa vieillesse. D’abord il eut Ă  soutenir un long et pĂ©nible procĂšs contre des communes qui dĂ©pendaient de lui ; ensuite il lui fallut plaider avec son propre fils, ce Giulio, nĂ© du premier mariage et qui Ă©tait devenu archiprĂȘtre de la CathĂ©drale de Vicence. Le tendre attachement du Trissin Ă  sa seconde femme et sa prĂ©dilection pour le fils, Ciro, qu’elle lui avait donnĂ© excitĂšrent la jalousie de Giulio, qui, brouillĂ© bientĂŽt avec la belle-mĂšre, ne tarda point Ă  l’ĂȘtre avec le pĂšre mĂȘme : il rĂ©clama l’hĂ©ritage de sa mĂšre Giovanna Tiene, revendiqua la plus grande partie des biens de la famille et jusqu’à la villa Cricoli. IrritĂ© de ces prĂ©tentions, Trissino rĂ©solut de s’éloigner du fils ingrat qui les Ă©levait ; il quitta Vicence pour se retirer Ă  l’Isola di Murano, prĂšs de Venise, et y travailler plus tranquillement au poĂšme de l’Italia liberata da Gotti, qu’il avait entrepris depuis 1525. Mais une autre affliction lui survint : il perdit, en 1540, sa deuxiĂšme Ă©pouse, Bianca Trissina. Ce malheur lui fit prendre la rĂ©solution de retourner Ă  Rome, oĂč Ciro, son jeune fils, l’accompagna. L’étude seule pouvant le consoler, il reprit dans cette ville ses travaux littĂ©raires et s’y livra avec tant d’ardeur qu’en 1547 il publia, outre sa comĂ©die des Simillimi ou des MĂ©nechmes, les premiers chants de son grand poĂšme ; les autres parurent l’annĂ©e suivante. Cependant l’archiprĂȘtre Giulio poursuivait le procĂšs d’autant plus vivement qu’il se sentait, d’une part, menacĂ© d’une exhĂ©rĂ©dation totale, et de l’autre, soutenu par les intrigues et le crĂ©dit de la plupart des membres de sa famille maternelle. Le Trissin se vit obligĂ© de se transporter Ă  Venise en 1548, et Ă  cause de la goutte qui le tourmentait, il ne put faire ce triste voyage qu’en litiĂšre. Avant le jugement dĂ©finitif, il voulut aller Ă  Vicence et y trouva Giulio usant de l’autorisation qu’on lui avait donnĂ©e de faire saisir tous les biens en litige. Il restait au pĂšre fort peu d’espoir d’en recouvrer jamais la possession ; car le fils ne gardait plus de mĂ©nagements depuis qu’il savait qu’en effet le Trissin, annulant un premier testament, en avait signĂ© un autre, oĂč il lĂ©guait tous ses biens Ă  Ciro et aux enfants de Ciro, aprĂšs lesquels, s’ils venaient Ă  manquer, la maison de Cricoli passerait Ă  la rĂ©publique et les autres propriĂ©tĂ©s seraient partagĂ©es entre les procurateurs de Saint-Marc. La cause fut jugĂ©e enfin, et Trissino pĂšre dĂ©pouillĂ© de la meilleure partie de ce qu’il avait possĂ©dĂ©. Pour la derniĂšre fois, il quitta Venise et Vicence, aprĂšs avoir composĂ© huit vers latins, oĂč il se plaignait de la duretĂ© de son fils et de l’iniquitĂ© de ses juges. Le fond de l’affaire n’est point assez expliquĂ© dans les monuments et dans les livres pour que nous sachions si le second de ces reproches Ă©tait fondĂ© ; le premier le serait en toute hypothĂšse. RĂ©fugiĂ© Ă  Rome en 1549, le Trissin y mourut l’annĂ©e suivante. Succombant Ă  son infortune, il termina carriĂšre au commencement de dĂ©cembre 1550, ĂągĂ© de 71 ans. On l’inhuma dans l’église Sant'Agata dei Goti, prĂšs de Janus Lascaris. Il existe une relation fort dĂ©taillĂ©e de sa mort et de ses obsĂšques, par Carlo Tiene, dont la sƓur avait Ă©pousĂ© Ciro. Une inscription en l’honneur du poĂšte se lit dans l’église San Lorenzo de Vicence : elle y a Ă©tĂ© placĂ©e, en 1615, par son petit-fils PompĂ©e Trissino : ses fonctions diplomatiques et ses qualitĂ©s honorifiques y sont retracĂ©es beaucoup plus que ses titres littĂ©raires. Il y est dit qu’il a Ă©tĂ© dĂ©corĂ©, pour lui et pour ses descendants, aurei velleris insignibus et comitis dignitate, et que les plus illustres princes avaient aspirĂ© Ă  l’honneur qu’il obtint de porter la queue du manteau pontifical au couronnement de Charles Quint. On ne sait par quelle Ă©trange mĂ©prise Voltaire et, d’aprĂšs lui, Chamfort et ChĂ©nier l’ont fait prĂ©lat, nonce, archevĂȘque de BĂ©nĂ©vent. C’était peut-ĂȘtre afin de lui trouver un rapport de plus avec le cardinal Bibbiena, qui a composĂ© en Italie la premiĂšre comĂ©die dans le goĂ»t classique, comme Trissino la premiĂšre tragĂ©die rĂ©guliĂšre.

ƒuvres

Frontispice du Castellano du Trissin, 1529

Scipione Maffei a donnĂ©, en 1729, Ă  VĂ©rone, chez l’imprimeur Vallarsi, une Ă©dition des Ɠuvres de Giovan Giorgio Trissino, en 2 volumes, petit in-folio, dont le premier contient ses poĂ©sies ; le second, ses Ă©crits en prose. Le tome 1er comprend quatre parties, savoir : le poĂšme de l’Italia liberata ; Sofonisba, tragĂ©die ; i Simillimi, comĂ©die, et les Rime ou piĂšces diverses. Nous nous arrĂȘterons d’abord Ă  celles-ci, parce qu’on les peut considĂ©rer comme de simples essais, dont la plupart ont Ă©tĂ© composĂ©s avant tous les autres ouvrages de l’auteur, ainsi qu’il le dĂ©clare lui-mĂȘme en les adressant au cardinal Ridolfi : La maggior parte furono per me nella mia prima giovinezza composte. Cinquante-neuf sonnets, treize ballades, treize canzoni, trois madrigaux, deux Ă©glogues, deux sirventes et un dialogue en quatrains, telles sont ces diverses poĂ©sies, toutes assez peu dignes d’exciter notre curiositĂ©, selon Sismondi. On ne pourrait y remarquer en effet que la libertĂ© que le poĂšte a prise dans ses odes ou canzoni, soit de faire des strophes inĂ©gales, soit de mĂȘler des vers de sept syllabes Ă  ceux de onze. Certains rigoristes se sont rĂ©criĂ©s contre ces licences, qui sembleraient aujourd’hui fort pardonnables, si elles Ă©taient rachetĂ©es par l’originalitĂ© des idĂ©es, par la vĂ©ritĂ© des sentiments ; mais des piĂšces froidement galantes remplissent la plus grande partie de ce recueil. Quelques autres, adressĂ©es aux papes ClĂ©ment VII et Paul III, aux cardinaux Ridolfi et FarnĂšse, etc., sont un peu moins fastidieuses, sans ĂȘtre beaucoup plus lyriques. Nous dĂ©signerons comme les meilleures de toutes celles qui sont imitĂ©es des odes d’Horace : Donec gratus eram tibi, etc. ; Exegi monumentum, etc., et qui ont Ă©tĂ© insĂ©rĂ©es dans un recueil assez rare de traductions italiennes de ce poĂšte latin : Odi diverse d’Orazio, Venise, 1605, in-4°. La premiĂšre Ă©dition des Rime du Trissin est de 1529, Ă  Vicence, chez Tolomeo Janicolo, gr. in-8°. Il y a dans l’édition de Maffei quelques morceaux de plus et dix pages de vers latins. Baillet dit que Trissino faisait aussi des vers grecs, et qu’ils ont Ă©tĂ© conservĂ©s dans certains cabinets d’amateurs : mais on n’en a rien publiĂ©. Quelques sonnets italiens qui avaient Ă©chappĂ© Ă  Maffei ont Ă©tĂ© mis au jour depuis 1729. Parmi ceux qu’il a recueillis, il en est qui se retrouvent dans les poĂ©sies d’un versificateur du 14e siĂšcle, imprimĂ©es en 1559 ; mais il y a lĂ  probablement quelque erreur de copiste ou d’éditeur. Le Trissin se serait-il attribuĂ©, en 1529, de si misĂ©rables rimes, s’il n’avait eu le malheur d’en ĂȘtre en effet l’auteur ? C’est Ă  sa Sofonisba qu’il a dĂ», en 1515, l’éclat de sa rĂ©putation poĂ©tique. Cependant cette tragĂ©die n’a Ă©tĂ© imprimĂ©e que neuf ans plus tard : la dĂ©dicace Ă  LĂ©on X n’accompagnait qu’un manuscrit. La plus ancienne Ă©dition est du mois de juillet 1524, Ă  Rome, chez Arrighi, in-4° (cet Ă©diteur rĂ©imprima l’ouvrage au mois de septembre). Les Ă©ditions suivantes sont de Vicence, 1529, in-4° ; Rome, 1540, in-12 ; Venise, Giolito, 1553, 1562 et 1585, in-12, etc. Le Teatro italiano, publiĂ© en 1723, Ă  VĂ©rone (3 vol. in-8°), s’ouvre par la Sofonisba, Mellin de Saint-Gelais l’a traduite en prose française et les chƓurs en vers, Paris, Danfrie, 1559, in-8°. Une autre version dans notre langue, par Claude Mermet, parut Ă  Lyon, chez Odet, in-8°, en 1584. Montchrestien, Montreux, Mairet, Pierre Corneille, Lagrange-Chancel et Voltaire, qui ont successivement traitĂ© le sujet de Sophonisbe, ont plus ou moins imitĂ© le poĂšte italien. La piĂšce de celui-ci avait Ă©tĂ© fort louĂ©e par le Tasse, qui la jugeait comparable aux chefs-d’Ɠuvre des anciens. Elle est encore plus cĂ©lĂ©brĂ©e dans un discours sur la tragĂ©die, par NiccolĂČ Rossi de Vicence. Il faut, selon Scipione Maffei, avoir le goĂ»t dĂ©pravĂ© pour n’y point admirer une composition rĂ©guliĂšre, des sentiments pathĂ©tiques, des beautĂ©s du premier ordre. Voltaire y reconnaĂźt la premiĂšre tragĂ©die raisonnable et purement Ă©crite « que l’Europe ait vue aprĂšs a tant de siĂšcles de barbarie ». GinguenĂ© en donne une analyse exacte, et s’il y mĂȘle quelques observations critiques, s’il regrette que le style n’ait pas toujours assez de noblesse et de gravitĂ©, il trouve que la fable est heureusement conduite ; que les incidents naissent les uns des autres ; que les caractĂšres, tous dramatiques, contrastent naturellement entre eux ; que le chƓur se montre tel que le veut Horace, et que le dĂ©nouement, tout Ă  fait digne d’ĂȘtre qualifiĂ© tragique, rĂ©unit tout ce qui peut Ă©mouvoir la pitiĂ©. C’est aussi, aux yeux de Sismondi, la premiĂšre tragĂ©die rĂ©guliĂšre, depuis le renouvellement de l’art, ou plutĂŽt c’est la derniĂšre des tragĂ©dies de l’antiquitĂ©, tant elle est calquĂ©e celles d’Euripide ! et si l’on n’y retrouve tout le gĂ©nie antique, si la noblesse des personnages ne se soutient pas constamment, du moins le poĂšte n’est pas toujours un simple imitateur : il a des mouvements de vraie sensibilitĂ© ; il fait rĂ©pandre des larmes. Mais cette composition cĂ©lĂšbre a rencontrĂ© aussi des juges plus sĂ©vĂšres, parmi lesquels il convient de compter d’abord Alfieri, puisqu’il a mis sur la scĂšne italienne une Sophonisbe nouvelle, qui d’ailleurs n’est pas, de son propre aveu, un de ses chefs-d’Ɠuvre. AndrĂ©s et Roscoe n’ont guĂšre vu que des dĂ©fauts dans celle du Trissin ; l’action leur paraĂźt languissante, le dialogue prolixe, le style bas et sans coloris. Cependant la piĂšce, malgrĂ© ses imperfections, est le principal titre de gloire du poĂšte de Vicence et mĂ©rite d’ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un monument des progrĂšs de l’art ; elle a rouvert Ă  la tragĂ©die la carriĂšre classique, c’est-Ă -dire celle du bon goĂ»t, ou, ce qui revient encore au mĂȘme, celle de la raison et de la nature. Elle fait Ă©poque aussi dans l’histoire particuliĂšre la versification italienne, en ce que les vers ne sont pas rimĂ©s, exceptĂ© quelquefois dans les chƓurs et en un fort petit nombre d’autres passages. Cette libertĂ©, reprochĂ©e d’abord au poĂšte, est restĂ©e Ă  ses successeurs dans le genre dramatique. Ils lui doivent de les avoir affranchis d’un joug sous lequel il s’est fait, en leur langue et dans la nĂŽtre, tant de mauvais vers. Sur les thĂ©Ăątres d’Italie les versi sciolti ont Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©s, Ă  l’exception des chƓurs et des airs. Est-il bien vrai pourtant que le Trissin ait donnĂ© le premier exemple des vers libres ? Palla Rucellai lui en fait honneur[8], et Crescimbeni n’en paraĂźt pas douter. Cependant Quadrio, aprĂšs avoir dit que telle est l’opinion commune, ajoute qu’elle est contredite par des auteurs qui attribuent cette invention soit Ă  Jacopo Nardi, soit Ă  Sannazar, soit mĂȘme Ă  Giovanni Rucellai. A l’égard de ce dernier, la lettre de son frĂšre Palla suffit pour l’écarter de cette concurrence. Les vers de Sannazar sont rimĂ©s et mĂȘlĂ©s seulement de prose, non de vers libres. Il s’en rencontre en effet de tels, au nombre de vingt-trois, servant d’argument Ă  la comĂ©die de l’Amicizia de Jacopo Nardi ; mais cette piĂšce elle-mĂȘme est tout entiĂšre in terza et parfois in ottava rima. Ainsi, quand elle serait antĂ©rieure Ă  la Sofonisba, et quand elle remonterait aux derniĂšres annĂ©es du 15e siĂšcle, ce qu’Apostolo Zeno conteste Ă  Fontanini, l’idĂ©e d’employer les versi sciolti dans tout le cours d’un poĂšme n’en appartiendrait pas moins Ă  Trissino. Il ne manqua pas d’appliquer ce genre de versification Ă  sa comĂ©die des Simillimi, qu’il mit au jour en 1547. En imitant, comme l’ont fait plusieurs autres poĂštes, les MĂ©nechmes de Plaute, il y introduisait des chƓurs, Ă  la maniĂšre d’Aristophane, se conformait scrupuleusement aux rĂšgles antiques et faisait toutefois dans les noms et les mƓurs les changements que rĂ©clamaient les temps modernes ; mais il n’avait point empruntĂ© la force comique du poĂšte latin, et cette comĂ©die est restĂ©e, s’il faut l’avouer, bien mĂ©diocre. Elle fut imprimĂ©e avec une dĂ©dicace au cardinal FarnĂšse, Ă  Venise, in-8°, en 1547 et 1548 ; c’est une seule et mĂȘme Ă©dition. On en cite une de Vicence, du mĂȘme format et de la mĂȘme annĂ©e. Nous n’en connaissons pas d’autres, sinon dans les Ɠuvres complĂštes de l’auteur. Il publiait en mĂȘme temps son poĂšme de l’Italia liberata da Gotti ; savoir, en 1547, les neuf premiers chants, Ă  Rome, chez Dorici, avec une dĂ©dicace Ă  Charles Quint ; en 1548, les neuf livres suivants ; puis les neuf derniers Ă  Venise, chez Gianicolo : ce sont trois volumes in-8° devenus rares. Au premier doit ĂȘtre joint un plan du camp de BĂ©lisaire ; au deuxiĂšme, un plan de Rome : l’un et l’autre gravĂ©s sur bois. Ce poĂšme n’a Ă©tĂ© rĂ©imprimĂ© qu’en 1729, Ă©poque oĂč il reparut, tant dans le recueil des ouvrages de Trissino que dans l’édition particuliĂšre donnĂ©e par Annibale Antonini, Paris, Briasson, 3 vol. in-8°. Une autre a Ă©tĂ© publiĂ©e Ă  Livourne (sous le nom de Londres), en 1779, 3 vol. in-12. On a longtemps recherchĂ© les exemplaires non cartonnĂ©s de l’édition originale. Les autres en diffĂšrent par le changement de trois vers, Ă  la page 127 du tome 2, de deux mots Ă  la page 228 et par le retranchement de trente vers Ă  la page 131. Fontanini et aprĂšs lui beaucoup d’autres biographes ont prĂ©tendu que la cour de Rome avait exigĂ© ces corrections, parce qu’elle se trouvait offensĂ©e de quelques traits satiriques sur les papes du Moyen Âge, et Roscoe a jugĂ© Ă  propos de publier une copie de ces trente-trois vers du seiziĂšme chant ; mais nous croyons devoir observer qu’ils sont dans l’édition de VĂ©rone, donnĂ©e en 1729, avec approbation et privilĂšge. D’ailleurs il y aurait eu, comme l’a remarquĂ© Zeno, bien d’autres modifications Ă  faire Ă  ce poĂšme, si on l’avait soumis rĂ©ellement au genre de censure que Fontanini et Roscoe supposent qu’il a subi. Le Trissin n’a Ă©prouvĂ©, de la part des pontifes Ă©clairĂ©s qui rĂ©gnaient de son temps, aucune disgrĂące, aucun reproche pour avoir tracĂ© librement et aussi Ă©nergiquement qu’il le pouvait faire le tableau des abus et des scandales que lui offrait l’histoire de leurs prĂ©dĂ©cesseurs. Le malheur de son poĂšme est d’avoir peu fixĂ© l’attention de son siĂšcle et de la postĂ©ritĂ©. Il avait mis plus de vingt ans Ă  le composer et croyait y avoir transportĂ© toutes les beautĂ©s des chefs-d’Ɠuvre poĂ©tiques de la GrĂšce et de Rome, dont il avait fait tout exprĂšs, disait-il, une Ă©tude particuliĂšre. Mais avant 1590 l’Italia liberata Ă©tait dĂ©jĂ  presque plongĂ©e dans l’oubli. Il y a, Ă©crivait le Tasse, qui pourtant louait ce poĂšme, il y a bien peu de gens qui en fassent mention et encore moins qui le lisent : Mentovato da pochi, letto da pochissimi. On s’en est fort peu occupĂ© dans tout le cours du 17e siĂšcle. Rapin s’est contentĂ© d’y remarquer « une espĂšce d’imitation de l’Iliade » ; mais, en 1708, Gravina y trouve d’heureux emprunts, des inventions ingĂ©nieuses, un style pur et sage (casto e frugale), en un mot un vĂ©ritable poĂšme Ă©pique. Crescimbeni est moins indulgent : il reproche au Trissin les minutieux dĂ©tails et les descriptions ridicules ou mĂȘme ignobles dont il a rempli son ouvrage. Cette critique serait justifiĂ©e surtout par le morceau du troisiĂšme chant que Voltaire a citĂ© et traduit. Voltaire juge nĂ©anmoins que le plan est sage et rĂ©gulier, et il ajoute que « l’ouvrage a rĂ©ussi », ce qui nous paraĂźt un peu dĂ©menti par cet espace de cent quatre-vingt-un ans durant lesquels il n’a pas Ă©tĂ© une seule fois rĂ©imprimĂ©. La Harpe dit avec plus de justesse que la nature avait refusĂ© au chantre trop faible de l’Italie dĂ©livrĂ©e le beau feu qui animait ces anciens poĂštes dont il se vantait de suivre les traces. Il n’avait empruntĂ© d’eux, suivant AndrĂ©s, qu’une mĂ©thode exacte et rĂ©guliĂšre, et ce n’était pas Ă  son imagination froide et stĂ©rile qu’il Ă©tait rĂ©servĂ© de reproduire l’antique Ă©popĂ©e. GinguenĂ©, aprĂšs un examen dĂ©taillĂ© de toutes les parties de ce poĂšme, conclut qu’il est ennuyeux, languissant et illisible. On l’a dĂ©clarĂ© depuis l’un des plus mauvais qui aient jamais paru en aucune langue (LittĂ©rat. du Midi, t. 2, p. 99). C’est le plus triste et le plus fastidieux qui existe, au dire de Roscoe, qui en trouve le style rampant et le plan vicieux. Quelque rigoureux que soient ces jugements, il est difficile d’en porter d’autres quand on s’est donnĂ© la peine de lire les vingt-sept chants de l’Italie dĂ©livrĂ©e des Goths. Elle est aussi en vers non rimĂ©s, et c’est pour cela peut-ĂȘtre qu’elle plaisait tant Ă  Gravina, mortel ennemi de la rime. Toutefois les versi sciolti, admis au thĂ©Ăątre, dans les poĂšmes didactiques et en plusieurs autres genres, ne l’ont point Ă©tĂ© dans l’épopĂ©e : l’ottava rima s’est maintenue en possession de ces grandes compositions. De Thou assure que l’invention des vers libres n’a pas rĂ©ussi au Trissin : c’est trop dire, puisqu’ils ont prospĂ©rĂ© dans sa Sofonisba ; mais il se peut que l’emploi qu’il en fait dans l’Italia liberata ait contribuĂ© au mauvais succĂšs de cette Ɠuvre, quoique Ă  vrai dire elle ne fĂ»t digne, Ă  aucun Ă©gard, d’ĂȘtre mieux accueillie. Le projet de la refaire en vers rimĂ©s a Ă©tĂ© conçu, on ne sait par quels oisifs, au commencement du 18e siĂšcle, Ă  ce que rapportent Crescimbeni et Quadrio. Ils Ă©taient vingt-sept et devaient rimer chacun un chant : ils ont eu la sagesse ou le bonheur d’abandonner cette entreprise. Entre les ouvrages Ă©crits par Trissino en prose italienne, les premiers dans l’ordre chronologique sont une harangue au doge de Venise Andrea Gritti, imprimĂ©e Ă  Rome, en 1524, in-4° ; les portraits des plus belles femmes d’Italie, et une Ă©pĂźtre sur la conduite que doit tenir une veuve. Les portraits, publiĂ©s aussi en 1524, in-4°, Ă  Rome, y ont eu une seconde Ă©dition, du mĂȘme format, en 1531. L’auteur y fait mention de la jeune Bianca Trissina de Vicence, qui devint sa seconde Ă©pouse en 1526, quelque temps aprĂšs la composition de ce livre. La veuve Ă  laquelle l’épĂźtre est adressĂ©e est Margherita Pia Sanseverina. Cette piĂšce, dont la premiĂšre Ă©dition est encore de 1524, Ă  Rome, in-4°, a Ă©tĂ© rĂ©unie aux deux articles prĂ©cĂ©dents, Ă  la Sofonisba et Ă  une canzone, dans un volume in-8°, imprimĂ© Ă  Venise, chez Penzio, en 1530, et reproduit chez Bindoni, en 1549. En se reportant de nouveau Ă  1524, on trouve la premiĂšre Ă©dition, donnĂ©e Ă  Rome, chez Arrighi, in-4°, d’une Ă©pĂźtre Ă  ClĂ©ment VII sur les lettres qu’il convient d’ajouter Ă  l’alphabet italien. Il y a deux systĂšmes gĂ©nĂ©raux d’orthographe moderne : l’un tend Ă  conserver les traces de l’étymologie, l’autre Ă  reprĂ©senter la prononciation. Les Italiens du 16e siĂšcle adoptaient ce second systĂšme, et pour mieux contribuer Ă  l’établir, le Trissin proposait d’abord de distinguer l’ù ouvert de l’é fermĂ©, qui est en effet une autre voix ou voyelle. Il Ă©crivait l’é fermĂ© par l’e ordinaire, et le premier par l’epsilon grec Δ. Il employait ensuite l’omĂ©ga ω pour l’î grave ou long, et l’o simple pour le bref ou l’aigu. Il voulait encore qu’on distinguĂąt les deux prononciations ou valeurs de z par l’emploi du z simple et du zĂȘta ζ ; celles de s par s et ʃ. Enfin il demandait qu’on ne confondĂźt plus les voyelles i et u avec les consonnes j et v. Cette derniĂšre rĂ©forme est la seule que les Italiens aient admise, et c’est au Trissin qu’ils la doivent. En vain, pour accrĂ©diter les autres, il les fit exĂ©cuter dans l’impression de sa Sofonisba et de ses divers ouvrages. Ces innovations n’eurent pas d’imitateurs et furent vivement attaquĂ©es par des littĂ©rateurs alors renommĂ©s, Agnolo Firenzuola, NiccolĂČ Liburnio, Lodovico Martelli, Claudio Tolomei ; elles n’eurent guĂšre qu’un seul apologiste, Vincenzo Orlandini, de PĂ©rouse. La lettre Ă  ClĂ©ment VII, oĂč elles avaient Ă©tĂ© proposĂ©es, eut une seconde Ă©dition, en 1529, Ă  Vicence, chez Tolomeo Gianicolo, in-4°, faite, est-il dit, avec les caractĂšres inventĂ©s par l’auteur. Cette note, qui s’est appliquĂ©e Ă  des Ă©ditions de ses autres livres, induirait en erreur si l’on en concluait qu’il a imaginĂ©, dessinĂ© de nouveaux caractĂšres typographiques : il ne s’agit que des rĂ©formes orthographiques, dont il voulait offrir l’exemple. En 1529, il fit imprimer, par le mĂȘme Gianicolo, les Dubbii grammaticali, in-fol. la Grammatichetta, in-4° ; le Castellano, in-4° ; les quatre premiĂšres parties (divizioni) d’une poĂ©tique, in-fol. et en ce mĂȘme format la traduction italienne du livre du Dante sur l’éloquence ou la langue vulgaire. Dans ses doutes de grammaire, il soutient et dĂ©veloppe son systĂšme d’orthographe et s’applique Ă  prouver que l’alphabet latin ne suffit pas pour toutes les voyelles et toutes les consonnes que les Italiens prononcent. La Grammatichetta ne se borne point Ă  cette controverse : elle prĂ©sente des notions Ă©lĂ©mentaires sur les noms, les verbes et les autres espĂšces de mots dont le langage se compose. Le principal object du dialogue intitulĂ© il Castellano est de montrer que la langue d’Italie doit s’appeler italienne et non pas florentine ou toscane, comme l’ont voulu divers littĂ©rateurs du mĂȘme siĂšcle. Le titre de ChĂątelain, imposĂ© Ă  cet opuscule, Ă©tait une sorte d’hommage Ă  Giovanni Rucellai, alors gouverneur du ChĂąteau Saint-Ange, et il suit de lĂ  que c’est un livre Ă©crit avant 1529, mĂȘme avant 1525, date de la mort de Rucellai, qui, d’une autre part, n’a gouvernĂ© ce chĂąteau qu’aprĂšs 1521 : tel est l’intervalle dans lequel ce dialogue a Ă©tĂ© adressĂ© Ă  Cesare Trivulzio. En faisant cet envoi, le Trissin prenait le nom d’Arrigo Doria ; il ne se nomme lui-mĂȘme qu’en troisiĂšme personne dans le cours du livre. Il y en a une seconde Ă©dition, faite en 1583, chez Mamarelli, Ă  Ferrare, in-8°. AprĂšs avoir publiĂ© les quatre premiĂšres divisions de sa poĂ©tique, Trissino en composa une cinquiĂšme et une sixiĂšme, qui n’ont pas vu le jour de son vivant, mais seulement en 1562 ou 1563, Ă  Venise, chez Arrivabene, in-4° ; et Ă  Vicence, en 1580, mĂȘme format. On a peu parlĂ© de cet ouvrage, qui est nĂ©anmoins le plus Ă©tendu que l’auteur ait Ă©crit en prose : il y traite du style poĂ©tique, des rimes et de la versification ; de divers genres de petits poĂšmes, tels que les sonnets, les ballades, les canzoni, les sirventes, puis de la comĂ©die et la tragĂ©die, du poĂšme didactique et de l’épopĂ©e. Les vues gĂ©nĂ©rales n’y sont pas trĂšs-Ă©levĂ©es, ni trĂšs-profondes ; mais les dĂ©tails ont de la prĂ©cision, et ce recueil d’observations et d’examples ne se lit pas sans intĂ©rĂȘt et sans fruit. Le Trissin a rendu aussi un service aux lettres en faisant connaĂźtre, par une traduction, un livre du Dante dont le texte n’avait pas Ă©tĂ© encore imprimĂ©. On crut d’abord que Trissino Ă©tait le vĂ©ritable auteur de l’ouvrage, et ensuite on prĂ©tendit qu’il n’en Ă©tait pas mĂȘme le traducteur, que Dante l’avait Ă©crit Ă  la fois en latin et en italien. Cette question s’est Ă©claircie en 1577, par la publication du texte : la version resta au Trissin et fut rĂ©imprimĂ©e Ă  Ferrare en 1583, in-8°. Maffei, en l’insĂ©rant dans les Ɠuvres complĂštes du traducteur l’a rapprochĂ©e du latin. On vient de voir qu’en 1529 Trissino avait, en trĂšs-grande partie, vidĂ© son portefeuille : de lĂ  jusqu’en 1540 il n’a publiĂ© aucune production nouvelle ; mais on connaĂźt quatre lettres Ă©crites par lui dans cet intervalle : la premiĂšre est adressĂ©e, en 1531, François de Gragnuola ; la deuxiĂšme, datĂ©e de Cricoli et du 5 mars 1537, est insĂ©rĂ©e dans la Descrizione di tutta l’Italia de Leandro Alberti. Elle contient les renseignements qu’Alberti avait demandĂ©s sur la grotte ou carriĂšre de Costozza, au territoire vicentin. Elle n’a point Ă©tĂ© recueillie par Maffei, non plus que deux lettres de 1538, au duc de Ferrare, Hercule II, qui se conservent dans les archives et que Tiraboschi a fait connaĂźtre ; elles sont orthographiĂ©es selon le systĂšme de l’auteur. Par l’une, il s’excuse d’avoir manquĂ© de se rendre Ă  Ferrare ; sa goutte et ses infirmitĂ©s l’en ont empĂȘchĂ©. La deuxiĂšme nous apprend que le duc l’avait consultĂ© sur le choix d’un prĂ©cepteur Ă  donner au jeune prince son fils ; Trissin rĂ©pond en indiquant Buonamici, Romolo Amaseo, Battista Egnazio, Pierio Valeriano et Bartolommeo Ricci, qui fut en effet choisi. Ce que Trissino a mis au jour en 1540 est un opuscule latin intitulĂ© Grammatices introductionis liber primus, VĂ©rone, chez Puteletto, in-12, mince abrĂ©gĂ© de grammaire latine, rempli aux trois quarts de dĂ©clinaisons et de conjugaisons. Dans le cours des dix annĂ©es suivantes, nous n’aurions d’autres Ă©crits en prose Ă  indiquer ici que les dĂ©dicaces des Simillimi de l’Italia liberata ; les lettres Ă©crites en 1548, Ă  l’occasion de ce dernier poĂšme, Ă  l’empereur Charles Quint et au cardinal Madruzzo, et deux lettres latines Ă  Jacopo Sadoleto, insĂ©rĂ©es p. 258 et 259 du tome 4 (in-4°) du catalogue de Pietro Antonio Crevenna, Ă  qui Giovanni Antonio et Gaetano Volpi en avaient envoyĂ© une copie : elles ne sont point datĂ©es ; mais on voit qu’elles sont Ă©crites aprĂšs la perte du procĂšs, en 1549. Crevenna a pareillement publiĂ© (ibid., p. 254-258) six sonnets du Trissin, qui presque tous Ă©taient restĂ©s inĂ©dits jusqu’en 1775 ; mais le plus remarquable avait paru depuis cent ans, dans la Biblioteca volante de Cinelli ; c’est celui oĂč le poĂšte se plaint de son fils et de ses juges. VoilĂ  quels sont ses ouvrages connus : le Vicentin Michel-Angelo Zorzi en dĂ©signe plusieurs autres, manuscrits ou imaginaires, qu’il intitule Orazioni (on n’a publiĂ© que la harangue Ă  Gritti ; le Trissin en a publiĂ© plusieurs autres) ; — Dialoghi diversi (Maffei ne donne qu’un seul dialogue, savoir le Castellan ; mais les portraits sont aussi en forme d’entretien) ; — la Retorica ; — la Correzione della tragedia Rosmunda (on sait qu’en effet Trissino avait Ă©tĂ© priĂ© de revoir cette tragĂ©die de son ami Rucellai) ; — la Base del cristiano ; — il Frontespicio ed il capitello della vita umana ; — la Colonna della republica ; — Commento delle cose d’Italia ; — Rerum vicentinarum compendium, avec cette note Ă  la fin : HĂŠc scripsi post depopulationem urbis RomĂŠ (1527) dum legatus eram apud Remp. Venetam pro Clemente VII. P. M. Zorzi a examinĂ© ce dernier opuscule et l’a trouvĂ© trop dĂ©plorable pour ĂȘtre attribuĂ© au Trissin. D’autres le font auteur d’un traitĂ© italien d’architecture, d’un traitĂ© latin du libre arbitre, etc. En gĂ©nĂ©ral, et si l’on excepte Trajano Boccalini, les auteurs italiens ont parlĂ© avec estime du caractĂšre, des talents et des ouvrages de Trissino. Cependant Baillet et Apostolo Zeno ont observĂ© que les acadĂ©miciens florentins ont eu contre lui quelques mouvements de jalousie ou d’animositĂ© : sa rĂ©putation, un peu exagĂ©rĂ©e peut-ĂȘtre par Rucellai, par Giraldi, par Varchi, les divers hommages qu’il recevait de toutes parts et le succĂšs Ă©clatant de sa Sofonisba pouvaient leur porter ombrage ; ils ne le voyaient pas sans dĂ©plaisir ouvrir des carriĂšres nouvelles, proposer des innovations grammaticales et s’efforcer d’îter Ă  la langue le nom de leur patrie, qui jusqu’alors avait eu le droit de se croire la mĂ©tropole de la littĂ©rature italienne. Mais cette rivalitĂ© mĂȘme lui Ă©tait honorable, et elle a pu, de son temps, accroĂźtre sa cĂ©lĂ©britĂ©, qui, Ă  vrai dire, s’est depuis soutenue par tradition plutĂŽt que par la lecture et l’admiration immĂ©diate de ses poĂšmes. Si on ne peut plus guĂšre le compter au nombre des hommes de gĂ©nie, du moins il conserva toujours un rang distinguĂ© parmi ceux qui ont donnĂ© une heureuse direction Ă  la littĂ©rature moderne.

Linguistique

Trente ans aprÚs Antonio de Nebrija, mais 30 ans avant Ramus, Trissino propose en 1524 une réforme de l'alphabet italien par laquelle certaines formes de lettres deviennent des lettres à part entiÚre :

  • les deux formes existantes de I deviennent les deux lettres i et j, avec comme majuscules correspondantes I et J ;
  • les deux formes existantes de V deviennent les deux lettres u et v, avec comme majuscules correspondantes U et V.

Trissino propose Ă©galement, avec moins de succĂšs cette fois, d'utiliser :

  • les deux formes du Z, z et êŁ (qui Ă©voluera en ç), avec comme majuscules Z et êą ;
  • les deux formes de E, e et ɛ (emprunt de l’epsilon grec Δ), avec les majuscules E et Ɛ ;
  • la lettre ꞷ (emprunt de l’omĂ©ga grec ω), avec la majuscule Ꞷ[9].

Le dramaturge

Il composa pour le pape LĂ©on X la tragĂ©die Sofonisba. Il y eut d'abord une lecture publique devant le pape, puis une publication (1524). Le sujet est puisĂ© chez Tite-Live. La piĂšce fut reprĂ©sentĂ©e Ă  Blois. Les rĂŽles Ă©taient tenus par Élisabeth de France, Claude de France et Marie Stuart. Une seconde reprĂ©sentation eut lieu Ă  la cour. Gilles Corrozet la publia en 1559 (imprimeur Philippe Danfrie).

ƒuvres

Les principaux ouvrages de Gian Giorgio Trissino sont :

  • l'Italie dĂ©livrĂ©e des Goths par BĂ©lisaire, poĂšme Ă©pique ;
  • la comĂ©die de MĂ©nechmes ;
  • la tragĂ©die de Sophonisbe (1515) ;
  • outre des sonnets et des canzones.
  • Epistola de la vita che deve tenere una donna vedova a Ă©tĂ© traduite par Marguerite de Cambis.

Ses ƒuvres complĂštes ont Ă©tĂ© publiĂ©es Ă  VĂ©rone, 1729, 2 volumes petit in-fol.

Le Trissin n'est bien connu que comme auteur de la premiÚre tragédie réguliÚre et comme ayant été des premiers à employer les versi sciolti ou vers non rimés. Sa Sophonisbe a été plusieurs fois traduite en français et imitée par Marot, Corneille, Voltaire et Alfieri.

Notes et références

  1. Trattato dell’origine e fatti illustri della famiglia Trissina, Padoue, 1624, in-4°. Mazzuchelli ne connaissait pas cette Ă©dition et croyait que ce livre Ă©tait restĂ© manuscrit.
  2. Quelques biographes disent neuf ans.
  3. Accessisti serus ad studia litterarum, ex indulgentia parentum qui filio timebant unico in spem successionis et maximarum opum clarissimĂŠ familiĂŠ suscepto.
  4. Dii boni ! Quam cito non modo latinam, sed etiam grĂŠcam vorasti linguam, verior helluo librorum quam M Cato ! ... PrĂŠdicantem Demetrium ... sĂŠpe audivi neminem ex ejus auditoribus adeo brevi tantum profecisse. Parrasio, dans la mĂȘme lettre.
  5. P. M. Demetrio ChalcondylĂŠ atheniensi, in studiis litterarum grĂŠcar. eminentissimo, qui vixit annos LXXVII, mens. V, et obiit anno MDXI J. Georg. Trissinus, Gasp. filius, PrĂŠceptori optimo et sanctissimo, posuit.
  6. Girolamo Molino, noble vĂ©nitien, naquit en 1500. Il Ă©tait fils de Pietro Molino et de Chiara Capello. DĂšs sa jeunesse, il cultiva l’amitiĂ© de plusieurs hommes cĂ©lĂšbres, tels que le Trissin et Bembo. Il employait une partie de sa fortune Ă  secourir d’estimables littĂ©rateurs, qu’il voyait lutter contre une extrĂȘme pĂ©nurie. Pour se mieux livrer lui-mĂȘme Ă  l’étude des lettres et des sciences, il fuyait les emplois publics qui seraient venus le chercher. Ses poĂ©sies italiennes lui avaient acquis, en 1540, quelque renommĂ©e ; il mourut Ă  Venise le 25 septembre 1569. Ses vers ont Ă©tĂ© recueillis en 1573, 1 vol. in-8°, imprimĂ© dans cette mĂȘme ville. J. M. Verdizotti a Ă©crit une notice sur sa vie.
  7. On lit sur l’architrave : Academié Trissineé lux et rus.
  8. P. Rucellai lui écrit : « Voi foste il primo che questo di scrivere in versi materni, liberi dalle rime, poneste in luce ; il qual modo fu poi da mio fratello... abracciato ed usato. » Palla Rucellai était frÚre de Giovanni, dont on a le poÚme des Abeilles, etc.
  9. Gian Giorgio Trissino, De le lettere nuꞷvamente aggiunte ne la lingua Italiana (littĂ©ralement : ÉpĂźtres Ă  propos des lettres nouvellement ajoutĂ©es Ă  la langue italienne), 1524.

Sources

Nous avons, dans le cours de cet article, nommĂ© les Ă©crivains qui, en des livres d’histoire littĂ©raire, ont publiĂ© des notices sur sa vie et sur ses ouvrages : Crescimbeni, Quadrio, Fontanini et Apostolo Zeno, Domenico Maria Manni, Tiraboschi, Niceron (t. 29, p. 104-119), Voltaire, GinguenĂ©, Sismondi, etc. Nous indiquerons de plus Tomasini (Illustr. viror. elogia, t. 2, p. 47) ; Ghilini (Teatro d’uomini letterati, t. 1er, p. 108) ; Mic.-Ang. Zorzi, p. 398-448 du tome 3 de la Raccolta d’opuscoli scientifici, etc.) ; Pier Filip. Castelli, auteur d’une vie du Trissin, imprimĂ©e en 1753, Ă  Venise ; Angiolgabriello di Sta Maria (p. 249-272 du tome 3 des Scrittori vicentini). Les notices placĂ©es, en 1729, Ă  la tĂȘte des Ɠuvres de ce poĂšte sont trop succinctes ; mais on y trouve son portrait, qui se rencontre aussi dans les Ă©loges de Tomasini, dans le tome 1er de la Galleria di Minerva, et qui a Ă©tĂ© gravĂ© d’aprĂšs l’original peint par Giovanni Bellini.

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