Fusillade du 11 novembre 1984 à Châteaubriant
La fusillade du à Châteaubriant est un crime raciste et xénophobe ayant eu lieu dans le département de la Loire-Atlantique.
Fusillade du 11 novembre 1984 à Châteaubriant | ||||
Cible | Travailleurs immigrés | |||
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Coordonnées | 47° 43′ 11″ nord, 1° 22′ 39″ ouest | |||
Date | ||||
Type | Fusillade de masse | |||
Armes | Fusil à pompe Remington | |||
Morts | 2 | |||
Blessés | 5 | |||
Auteurs | Frédéric Boulay | |||
Mouvance | Xénophobie | |||
Géolocalisation sur la carte : France
Géolocalisation sur la carte : Pays de la Loire
Géolocalisation sur la carte : Loire-Atlantique
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Un militant d'extrême droite[1], Frédéric Boulay, assassine à bout-portant deux ouvriers turcs et en blesse cinq autres dans un salon de thé du centre-ville.
Ce drame frappe durablement les esprits et est abondamment commenté dans les médias nationaux de l'époque.
Contexte historique
Avant la fusillade du à Châteaubriant, la France est déjà le théâtre de crimes contre des étudiants ou des travailleurs immigrés.
Dans le contexte politique, le Front national perce lors des élections municipales de 1983 (à Dreux notamment) et lors des élections européennes de 1984.
Du point de vue sociétal, l'affaire Habib Grimzi, mise à l'écran dans Train d'enfer, et la première marche pour l'égalité constituent deux évènements marquants de cette période. Le 15 octobre 1984, l'association SOS Racisme est fondée dans les rangs du Parti socialiste avec le slogan « Touche pas à mon pote ».
Politiquement parlant, le troisième et dernier gouvernement de Pierre Mauroy prend un virage à droite avec le tournant de la rigueur[2], qui se poursuit sous le gouvernement Fabius qui opère une restructuration de l'industrie sidérurgique et métallurgique[3].
Un petit groupe de Turcs habite à Châteaubriant depuis une dizaine d'années, constituant un groupe de 300 personnes[4]. Les Turcs sont employés pour les « tâches les moins nobles » à la fonderie Huard. Ils sont assez peu acceptés par la population[4] et seuls deux cafés acceptent de les accueillir : celui de la fonderie, et celui de la rue de Couéré tenu par leur compatriote Memduh Gürsoy[5] ouvert un an auparavant[4].
Déroulé
La fusillade
Le dimanche , au 17 rue de Couéré dans le centre-ville de Châteaubriant, dix à quinze ouvriers turcs qui travaillent à la fonderie Huard se réunissent dans un salon de thé ouvert par Memduh Gürsoy. Ils ont l'habitude d'y prendre le thé et jouer aux cartes[5] - [6].
À 18 h, alors que la nuit est tombée, Frédéric Boulay, 23 ans, domicilié à Martigné-Ferchaud, se tient au milieu de la rue de la Couéré en face du café. Armé d'un fusil à pompe Remington et de 20 cartouches à ailettes qui servent habituellement à la chasse au sanglier (en)[5] - [6], il tire à sept reprises à mi-hauteur des ouvriers, depuis le milieu de la rue[5]. Après que l'un d'eux se soit aperçu qu'on leur tirait dessus, ceux-ci utilisent une table comme protection[5].
Certains se sont couchés à plat ventre pour se glisser jusque dans les toilettes[5]. Frédéric Boulay ajuste son tir vers la partie basse du salon de thé afin d'atteindre ses victimes. Salih Kaynar, 40 ans, et Abdullah Yildiz, 38 ans, sont tués sur le coup. Parmi les autres convives du café, cinq personnes ont été grièvement blessés[7].
Au même moment, deux gendarmes patrouillent dans le centre-ville. Ils aperçoivent Frédéric Boulay qui recharge son fusil en prenant des balles qu'il a placées dans une sacoche de sa moto, garée rue de la Coquerie[6] et l'interpellent[8]. Arrêté, il est immédiatement inculpé d'assassinat et de tentative d'assassinat[9].
Réactions
Le lendemain, lundi , une foule immense se réunit devant le café pour rendre hommage aux victimes. Le député-maire de l'époque, Xavier Hunault, convoque un conseil municipal extraordinaire[6] qui assure la communauté turque de sa solidarité et son soutien[9]. Le maire exprime le souhait que cette « dramatique affaire » ne soit pas « récupérée par certains »[9].
Le , un millier de lycéens se réunissent dans le centre-ville de Châteaubriant, tandis que les salariés de la Société Huard débrayent en signe de solidarité, se joignant également à la manifestation[9].
Un millier de personnes se rassemblent également à Nantes en fin d'après-midi à l'appel du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP)[4].
Idéologie du meurtrier
Au moment des faits, Frédéric Boulay travaille à la beurrerie Bridel et est le beau-frère d'un Tunisien[6]. Il voue un culte au nazisme et à l'hitlérisme[10]. La veille du meurtre, le samedi , il déclare avoir entendu un discours de Jean-Marie Le Pen[5].
Motivations
À l'adresse du capitaine de gendarmerie Arnoult, il déclare : « je n'aime pas les étrangers non européens ». Devant la cour d'assises de Loire-Atlantique le 25 septembre 1985, il reconnaît les faits en donnant les détails[5] et déclare devant les juges : « en aucun cas, je ne regrette ce que j'ai fait. La France a beau être une terre d'asile, ce n'est pas un dépotoir. J'estime que j'ai servi mon pays... »[5]. Il ajoute : « je n'aime pas les étrangers. Je suis chômeur alors qu'ils ont du travail »[11].
La cour d'assises de Nantes le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité après une demi-heure de délibération[8]. Pendant le procès, un journaliste du Monde décrit l'attitude de Frédéric Boulay comme « indifférente et hautaine ». Le procureur de la République, Christian Janvier, voit « notre honte à tous » dans le personnage de Frédéric Boulay[12].
Devant le juge, il déclare : « aujourd'hui ce pays me met en prison, mais tout peut changer. D'ici cinq ou six ans, il y aura un régime d'extrême droite ou alors les étrangers feront la loi »[10]. Il est écroué à la maison d'arrêt de Nantes[9].
Double évasion
Transféré à la prison de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées, Frédéric Boulay participe à une première évasion le avec huit acolytes. En cavale durant trois mois, il est finalement intercepté par le SRPJ à Grabels dans l'Hérault alors qu'il s'apprêtait à commettre un braquage[13]. Le , à 17 h 15, il prend part à une seconde évasion en hélicoptère[14] avec quatre comparses. La course-poursuite prend fin le 6 novembre 1990[15] dans le centre-ville de Saragosse (Espagne) vers 6 h 45 du matin[16]. Frédéric Boulay est alors incarcéré en Espagne, il a 28 ans[17].
Mémoire
Une plaque commémorative est posée au 17, rue de Couéré[5]. Le , une cérémonie du souvenir est organisée[5].
Bibliographie
- José Féron Romano, Les Droits de l'Homme, Paris, Hachette, , 243 p. (ISBN 978-2-01-011657-5, lire en ligne)
Références
- Vilmauve, « Le terrorisme d'extrême droite. », Club de Mediapart, (lire en ligne, consulté le )
- Encyclopædia Universalis, « 9-28 juin 1982 - France. Dévaluation du franc, blocage des prix et des salaires - Événement - Encyclopædia Universalis », sur Encyclopædia Universalis (consulté le )
- « INA - Jalons - Les restructurations industrielles de l'année 1984 - Ina.fr », sur INA - Jalons (consulté le )
- JM Durand-Souffland, « Les silences de Frédéric Boulay », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « Deux turcs tués il y a trente ans, Châteaubriant se souvient », Chateaubriant Actualités, Le Site d'Informations de Châteaubriant, (lire en ligne, consulté le )
- Ouest France, « L'hommage aux deux turcs tués », Ouest France, (lire en ligne)
- José Féron Romano, Les Droits de l'homme, Hachette (réédition numérique FeniXX), , 221 p. (ISBN 978-2-01-461764-1, lire en ligne)
- Ouest France, « Châteaubriant honore la mémoire de deux turcs tués », Ouest France, (lire en ligne)
- « MANIFESTATIONS A CHÂTEAUBRIANT », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Jean Marc Théolleyre, « La logique vertigineuse de Frédéric Boulay tueur par racisme proclamé », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Collectif Turc d'Edition et de Diffusion, « L'immigration turque entre deux feux », Info Turk, , p. 1 et 2 (lire en ligne)
- Mogniss H. Abdallah, « 21 mars 1984, les mères de la place Vendôme contre les crimes racistes et sécuritaires », Paris-Luttes Info, (lire en ligne, consulté le )
- « La grande évasion en procès », Rebelles, , p. 15 (lire en ligne)
- « Les principales évasions en hélicoptère », L'Obs, (lire en ligne, consulté le )
- Bruno Huet, « Bernadette Garcia revient en France », ladepeche.fr, (lire en ligne, consulté le )
- La Dépêche du Midi, « L'hélicoptère au mitard », ladepeche.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « UN AUTRE EXEMPLE DE PROCES POUR EVASION, LANNEMEZAN 1989 », L'Envolée, (lire en ligne)