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Fordicidia

Dans la Rome antique, les Fordicidia sont une fĂȘte religieuse de la fertilitĂ© cĂ©lĂ©brĂ©e le 15 avril durant laquelle les Romains offrent en sacrifice des vaches pleines. À Terre pleine on offre une victime pleine. Une fois les vaches sacrifiĂ©es dans chacune des trente curies, les embryons de veaux sont brĂ»lĂ©s par les vestales et leurs cendres servent quelques jours plus tard pour purifier le peuple lors des Parilia, le 21 avril. Ovide rattache les Fordicidia Ă  un premier sacrifice durant le rĂšgne de Numa Pompilius.

Cette fĂȘte fait partie du cycle agraire cĂ©lĂ©brĂ© en avril, mois durant lequel ont lieu plusieurs autres fĂȘtes ayant trait Ă  la vie : les Cerealia le 19 (fĂȘtes de CĂ©rĂšs), les Parilia le 21 (fĂȘtes des bergers), les Vinalia le 23 (fĂȘtes du vin) et les Robigalia le 25 (pour protĂ©ger les cultures de la rouille ou de la nielle du blĂ©).

L'Ă©tymologie du nom Fordicidia pose plusieurs problĂšmes : les sources nous donnent quatre noms diffĂ©rents pour cette fĂȘte et la formation de ces noms ne suit pas les rĂšgles d'Ă©volution phonĂ©tique du latin. On ne peut alors pas suivre les anciens qui rattachaient Fordicidia au latin fero (« porter », et dans ce cas prĂ©cis « ĂȘtre enceinte »).

La fĂȘte des Fordicidia est considĂ©rĂ©e comme l'une des fĂȘtes les plus anciennes de la religion romaine et ce rite de fĂ©conditĂ© a en effet Ă©tĂ© rapprochĂ© d'autres rites ou mythes identiques prĂ©sents dans les autres civilisations indo-europĂ©ennes, particuliĂšrement celui du sacrifice indien de l’aáčŁtāpadÄ«.

Le rituel des Fordicidia

Le rituel

Dans la Rome antique, les Fordicidia sont célébrées le 15 avril[1] - [2] - [3], le troisiÚme jour aprÚs les ides de Vénus[A 1]. Le rituel du sacrifice nous est décrit par Ovide dans le quatriÚme livre des Fasti[A 2].

La déesse Tellus, sur un des panneaux de l'Ara Pacis, consacré in 9 av. J.-C.

Dans chacun des bùtiments des trente curies, sur le Capitole, et aussi parfois dans les champs, mais de maniÚre privée, on sacrifie une vache pleine (forda boue)[A 3] - [1] - [4]. On appelle forda une vache pleine car à la terre pleine, on offre une victime pleine nous dit Ovide[A 1]. On sait que chacune des curies sacrifie une vache pleine, mais le nombre de vaches sacrifiées sur le Capitole par les Pontifes, la part dédiée à Jupiter (pars cadit arce Iovis), ne nous est pas connue : Varron se borne à utiliser le mot complures (plusieurs)[A 4] - [5].

AprĂšs le sacrifice de la vache Ă  Tellus (la Terre), les embryons des veaux sont extraits et brĂ»lĂ©s par la vestale la plus ĂągĂ©e[A 5], la Vestalis maxima, sans doute sur le foyer de la Regia[6]. Le veau est un ĂȘtre ambigu, vivant pas encore nĂ©, sacrifiĂ©, mais incapable d’ĂȘtre une victime valide[7]. Leurs cendres sont conservĂ©es par les vestales dans le temple de Vesta[4] - [5], et utilisĂ©es, mĂ©langĂ©es avec le sang sĂ©chĂ© obtenu lors le sacrifice du cheval d'octobre et des tiges de fĂšves, pour servir Ă  un rite de purification en les rĂ©pandant sur les feux des Parilia[A 6] - [4], pour la purification des bergers et des troupeaux[7].

Ovide, qui nous dĂ©crit le rite, peut ĂȘtre tenu pour un tĂ©moin fiable, car il raconte avoir participĂ© plusieurs fois aux Parilia[A 7] - [8].

Une fĂȘte des curies

La curie (curia) dĂ©signe Ă  Rome une ancienne division politique et administrative du peuple romain datant probablement de la monarchie. Au nombre de trente, chacune dispose de son local et de son prĂȘtre, le curion[9]. Comme pour d'autres rituels dans lesquels le culte public va de pair avec le culte privĂ©, un seul sacrifice est rĂ©alisĂ© pour le compte de l'État, au Capitole, et d'autres sacrifices ont lieu en mĂȘme temps dans chacune des trente curies. Il s’agit de la premiĂšre des deux fĂȘtes impliquant les curies, l'autre Ă©tant le Fornacalia, le 17 fĂ©vrier, qui diffĂšre en ce qu'elle n'a pas de rituel d'Ă©tat correspondant aux cĂ©rĂ©monies locales[10] - [11]. Ainsi, les Fordicidia sont cĂ©lĂ©brĂ©es Ă  la fois dans les bĂątiments des trente curies[A 8], oĂč le curion prĂ©side au sacrifice[A 9] et immole une vache pleine, ainsi que sur le Capitole, oĂč les pontifes immolent de mĂȘme des vaches pleines pour le compte de l'État[1] - [4].

Numa et l'origine des Fordicida

Les anciens attribuent l'institution des Fordicida, comme de nombreux aspects de la religion et du droit romain[12], au pieux Numa, le second roi de Rome[4]. En effet, Ovide[A 10] ajoute Ă  l’explication des Fordicidia un Ă©pisode historique fondateur d’une premiĂšre fois dont toutes les autres fois seront des imitations commĂ©moratives[13]:

Une annĂ©e, pendant le rĂšgne de Numa, les champs ne donnent pas de rĂ©coltes et les animaux paraissent incapables de se reproduire. Numa se rend alors au bois de Faunus pour consulter le dieu. Celui-ci lui apparaĂźt en rĂȘve et lui parle par Ă©nigme : « Roi, tu dois apaiser Tellus en lui offrant deux vaches, mais n’en sacrifie qu’une, et qu’elle fournisse deux vies »[A 11]. La nymphe ÉgĂ©rie donne alors au roi la solution de l’énigme : ce que demande Tellus, c’est le sacrifice d’une vache pleine. Numa se conforme alors Ă  la rĂ©ponse de Faunus et accomplit le sacrifice d’une vache pleine, champs et animaux redeviennent alors fertiles, et une annĂ©e fĂ©conde arrive[1].

Disparition

Sans pouvoir prĂ©ciser exactement Ă  partir de quand elles ne sont plus cĂ©lĂ©brĂ©es, on observe que les Fordicidia, avec environ la moitiĂ© des fĂȘtes de la Rome rĂ©publicaine, ne figurent pas sur le calendrier de 354, au moment oĂč l'empire, devenant chrĂ©tien, abandonne les anciennes fĂȘtes religieuses romaines[14]

Étymologie

La fĂȘte des Fordicidia[A 4] est encore appelĂ©e Fordicalia[A 12], Hordicidia[A 13] ou Hordicalia[A 14]. Il existe donc deux graphies, soit avec un F, soit avec un H[15].

Se basant sur l’expression de la langue rustique, horda ou forda dĂ©signant une vache pleine, les anciens rapprochent Fordicidia de fero (« porter »)[A 15] - [A 4]. Ovide rapproche aussi fetus (« fƓtus ») de la mĂȘme Ă©tymologie[A 1], Ă  tort, car ce mot est construit sur une autre racine, qu'on retrouve dans le mot latin fecundus (« fĂ©cond »)[16]. Le composĂ© Fordi + cidia, « vaches pleines » + « mise Ă  mort », semble transparent et parfaitement appropriĂ© aux rites de la fĂȘte[15], et fordus est gĂ©nĂ©ralement vu comme Ă©tant composĂ© de la racine de fero ; c'est-Ă -dire que fordus (de * foridus) signifie « gestant, gravide, plein », comme le grec Ï†ÎżÏÏŒÏ‚, - ός, - όΜ dans les Ă©crits mĂ©dicaux[17].

Mais cette explication traditionnelle pose plusieurs problĂšmes. Tout d’abord, on trouve aussi bien horda que forda pour signifier vache pleine et Varron ainsi que Festus, deux garanties solides, indiquent que l’on utilisait aussi la graphie Hordicidia. Varron prĂ©cise mĂȘme que Hordicidia est la forme du nom gravĂ©e sur les calendriers (in fastis), ce qui amĂšne Ă  penser qu'il pouvait s'agir de la forme officielle. On doit donc accorder une attention particuliĂšre Ă  la forme Hordicidia[15].

Ce doublet linguistiquement Ă©trange s’explique mal : les rĂšgles d’évolution phonĂ©tique de l'indo-europĂ©en commun au latin impliquent qu’à l’initiale de mot, devant voyelle, * bÊ° Ă©volue en f[18], et l’on s’attend donc Ă  ce que la racine indo-europĂ©enne * bÊ°er- (« porter ») donne forda et non horda[A 14]. On retrouve cette difficultĂ© linguistique dans une autre langue italique, en falisque[19]. Une autre difficultĂ© est de relier fordus Ă  ferre, on s’attendrait effectivement Ă  * feridus > * ferdus et non Ă  fordus. On a proposĂ© pour le rĂ©soudre que le mot fordus ne serait pas une dĂ©rivation de la racine * bÊ°er, mais qu'il aurait une origine sabine, et un sens plus restreint, signifiant spĂ©cifiquement la vache gestante, et non n’importe quel animal. De plus, Servius[A 16] classe les sacrifices comme fordae ou taureae, et cette seconde classe est considĂ©rĂ©e comme d’origine sabine. Ainsi il est possible que hordus et hordicidia soient des formes purement latines, tandis que fordus et Fordicidia seraient des formes d'origine sabine[17].

De cette solution, il apparaĂźt que l’on ne devrait pas voir dans le nom Fordicidia, la fĂȘte du sacrifice des vaches pleines[17]. De plus, une autre appellation existe, qui concurrence l'appellation de Fordicidia ou Hordicidia : c’est le doublet Fordicalia/Hordicalia, dont on ne voit guĂšre quelle exigence a pu pousser Ă  sa crĂ©ation[15]. Il n’est plus question, avec Fordicalia, oĂč la racine * cid- n’est plus prĂ©sente, de mise Ă  mort[15].

Explication et interprétation

Une fĂȘte archaĂŻque

Depuis la fin du XIXe siĂšcle, les travaux de William Warde Fowler sur les fĂȘtes romaines ont montrĂ© que les Fordicidia, ainsi que les Robigalia (qui servent Ă  demander protection contre la rouille et la nielle du blĂ©[20]), sont l’une des fĂȘtes sacrificielles les plus anciennes de la religion romaine[21]. En effet, le symbolisme Ă©lĂ©mentaire et brutal du rite de fĂ©conditĂ© des Fordicidia invite Ă  la classer parmi les fĂȘtes trĂšs anciennes[4] - [5]. Weinstock considĂšre la fĂȘte comme archaĂŻque parce qu’elle appartient Ă  une liste de fĂȘtes qui doivent leurs noms, non pas Ă  la divinitĂ© en l'honneur de qui elles sont cĂ©lĂ©brĂ©es, mais au rituel qu'elles accomplissent[3]. Georges DumĂ©zil ajoute que si le temple de Tellus sur l'Esquilin date seulement de 268 av. J.-C., il y a des raisons de penser que l'emplacement, depuis plus de deux siĂšcles au moins, lui est consacrĂ© et que les Fordicidia sont d'une grande antiquitĂ©[22].

Un rituel magique

De ce que la fĂȘte n'est pas nommĂ©e d'aprĂšs la dĂ©esse, mais d'aprĂšs l'acte, Weinstock[3] et Jean Bayet[23], renouvelant le sacrifice au gĂ©nie de la vĂ©gĂ©tation que supposaient Herbert Jennings Rose[24] et Frazer[25], donnent Ă  ce rite une explication procĂ©dant de la magie de sympathie[26]. Pour Jean Bayet, il s'agit de magies de sympathie et d'anticipation de la fĂ©conditĂ©. Avant la formation des Ă©pis de fleurs (promesse des Ă©pis de grains) et avant la naissance des jeunes dans les troupeaux, l'arrachage des veaux aux entrailles de leurs mĂšres, fordae, est plus qu'un sacrifice : c'est une anticipation hĂątive de l'avenir et une violente prĂ©monition Ă  la Terre, grosse de possibilitĂ©s, d'avoir Ă  les extĂ©rioriser[23].

DumĂ©zil conteste cette interprĂ©tation naturaliste et magique de l'extraction de l'embryon, en refusant de concevoir que le sort de la vache tuĂ©e avec son veau puisse influer sur la terre en gestation[27]. Il note que l’on ne peut considĂ©rer que le rite ait d'abord relevĂ© de la magie pure, contraignant directement la nature sans l'intermĂ©diaire d'une personne, d'une volontĂ© divine, puisque dans les descriptions du rite, il est partout question de sacrifices, dont la bĂ©nĂ©ficiaire est Tellus[A 17] ou, en grec, DĂ©mĂ©ter[A 12] - [1].

Un rite de fécondité

Préparation d'un sacrifice de bovin

Cette fĂȘte fait partie d’un ensemble de cĂ©rĂ©monies qui au printemps doivent pourvoir Ă  la fertilitĂ© de la terre et Ă  la fĂ©conditĂ© des animaux[A 18]. Elle est destinĂ©e, selon Ovide, Ă  stimuler la fĂ©conditĂ© du bĂ©tail mais peut-ĂȘtre aussi la fĂ©conditĂ© humaine et la fertilitĂ© des champs, selon une association d'idĂ©es que l'on trouve frĂ©quemment[4] - [28]. « Nous sommes, dit Ovide[A 19], au moment oĂč tout est gravide, la terre avec la semence, comme les bĂȘtes ; c'est pourquoi, Ă  la terre pleine, on offre une victime pleine », en vertu de la rĂšgle symbolique qui veut qu'on offre Ă  une divinitĂ© des victimes qui lui soient homologues ; et aussi pour lui fournir ce qu'elle doit, sous une autre forme, produire, et assurer ainsi la fertilitĂ© de la terre[1] - [29].

Fordicidia et Cerealia

Pour comprendre la fĂȘte, il faut prendre en considĂ©ration sa date, et s'intĂ©resser Ă  son environnement cultuel[26]. Les Fordicidia du 15 avril sont une fĂȘte de la fertilitĂ© agricole et animale, Ă  proximitĂ© de la fĂȘte de CĂ©rĂšs (Cerealia) du 19 avril[30].

Henri Le Bonniec table sur la proximitĂ© dans le temps qui unit les Fordicidia et les Cerealia (15 et 19 avril) pour affecter aux deux cĂ©lĂ©brations une finalitĂ© analogue : si proches dans le temps, les Fordicidia et les Cerealia se situent au mĂȘme stade du dĂ©veloppement des frumenta et ne peuvent avoir que le mĂȘme objet : assurer le succĂšs de l'Ă©piaison[31]. La jonction rituelle des fĂȘtes est certifiĂ©e par l’intervalle rĂ©gulier de quatre jours qui les sĂ©parent[32]. Cet intervalle Ă©tablit la plus Ă©troite parentĂ© entre les deux fĂȘtes qu’il sĂ©pare[33] : et tel est le rapport entre Fordicidia et Cerealia, qui relie ici Tellus et CĂ©rĂšs, tout en respectant leur distinction[34] ; le groupement Tellus-CĂ©rĂšs Ă©tant par ailleurs surabondamment prouvĂ©[32].

Fordicidia et Parilia

Si les Fordicidia du 15 avril et les Cerealia du 19 se trouvent dans la liaison Ă©troite que fait attendre la solidaritĂ© des dĂ©esses destinataires et que prouve le rapprochement et l'intervalle des jours, l'action des Fordicidia se prolonge Ă  coup sĂ»r deux jours aprĂšs les Cerealia, dans une autre fĂȘte, par un autre genre de lien. Ce sont les Parilia du 21 avril : la cendre des veaux extraits des boues fordae, conservĂ©e pendant six jours par les vestales constitue l'un des trois ingrĂ©dients du suffimen[note 1], de la fumigation purificatoire pour la santĂ© des hommes, la prospĂ©ritĂ© et la fĂ©conditĂ© des troupeaux[A 20] - [A 21] qui caractĂ©rise la fĂȘte de PalĂšs, dĂ©esse des bergers et des troupeaux[35] - [36]. De plus les Fordicidia et les Parilia sont les deux seules fĂȘtes du cycle des fĂȘtes agraires relatives Ă  l’élevage[37].

Le rite et le premier sacrifice de Numa

La juxtaposition de cet Ă©pisode au rite semble indiquer qu'Ovide n'a pas conçu l'Ă©pisode de Numa comme la fondation ou l'archĂ©type du rite. L'aspect mis en relief est diffĂ©rent. Il s'agit du thĂšme commun dont le mythe et le rite traitent chacun Ă  sa maniĂšre. Le rite est dĂ©crit comme une pratique accomplie au temps d'Ovide pour la mĂȘme raison que celle qui avait poussĂ© autrefois Numa Ă  agir[38]. De plus, le mythe raconte que Numa doit tuer une vache pleine, mais le rapport entre cette donnĂ©e et le sacrifice de plusieurs vaches pleines, la crĂ©mation de leurs fƓtus et la collecte des cendres confiĂ©es aux vestales reste obscure[39].

Le rĂŽle des vestales

Virgo Vestalis Maxima, la grande prĂȘtresse de Vesta

Les vestales jouent un rĂŽle actif dans le sacrifice des Fordicidia et dans la prĂ©paration du suffimen[note 1] et ce sacrifice constitue la premiĂšre cĂ©rĂ©monie publique de l’annĂ©e oĂč elles jouent un rĂŽle actif[21].

Les veaux sont extraits de leur mĂšre brĂ»lĂ©e par la Virgo Vestalis Maxima, ou Vestale Maxime. Les cendres sont ensuite gardĂ©es par les vestales, et utilisĂ©es comme l’un des ingrĂ©dients du suffimen[note 1], une substance rituelle, avec le sang sĂ©chĂ© d'un prĂ©cĂ©dent sacrifice de cheval (il s'agit peut-ĂȘtre de celui du cheval d’octobre[7] mais DumĂ©zil rĂ©fute cette possibilitĂ©[40]) et des cosses de fĂšves[A 22]. Le mĂ©lange est ensuite jetĂ© sur les feux des Parilia, dans un rituel de purification.

Le rÎle des vestales met l'accent, à travers les éléments rituels de fertilité, sur le lien entre la santé et la sécurité des troupeaux, et la sécurité de la ville, y compris et surtout sa sécurité militaire contre l'invasion[7]. La sphÚre des vestales implique aussi la fécondité humaine. En effet, les mythes de divers fondateurs ou héros de villes de la région du Latium, autour de Rome, racontent qu'ils sont nés d'une vierge imprégnée soit par une étincelle du foyer ou par un phallus sorti de terre. Les vestales romaines sont non seulement responsables de la garde du foyer, la flamme éternelle, mais sont aussi connues pour garder un phallus dans leur temple. L'importance de la flamme sur leur foyer doit donc avoir, dans au moins un de ses aspects, un lien avec la fondation, la production et la continuité des générations[7].

Fordicidia et aáčŁtāpadÄ«

Le traitement spĂ©cial rĂ©servĂ© aux embryons de veaux diffĂ©rencie les Fordicidia de tout autre sacrifice de fĂ©conditĂ© : on les retire des vaches mortes, on les brĂ»le et on en conserve les cendres pour les Parilia. L'Ă©lĂ©ment important des Fordicidia, n'est pas le sacrifice d’une vache pleine puisqu'on retrouve en d'autres occasions ce type de victime (comme le sacrifice Ă  Tellus d’une truie lors des Sementivae en janvier[41] - [17]). En avril, la terre est dĂ©jĂ  fĂ©conde lors des Fordicidia, l'important est Ă  prĂ©sent son fruit. Un traitement spĂ©cial est donc rĂ©servĂ© Ă  l'embryon de veau, qui reprĂ©sente religieusement ce fruit[41].

Pareils sacrifices de vaches pleines sont rares dans le monde[1]. Bien que certains pensent qu’Ovide ait pu mettre au point cette Ă©nigme de la double vie en une[13], le rapprochement est gĂ©nĂ©ralement fait avec un mythe rĂ©pandu dans toutes les civilisations indo-europĂ©ennes, une devinette qui tourne autour de la « vache Ă  huit pattes », c'est-Ă -dire une vache pleine[13] - [42]. Le rapprochement fut Ă©tabli d’abord par Wilhelm Schulze[43], et Georges DumĂ©zil admet aprĂšs lui que le rituel dĂ©crit par Ovide doit emprunter Ă  un ancien substrat indo-europĂ©en[1].

DumĂ©zil, dans un essai consacrĂ© aux Fordicidia, a montrĂ© la remarquable correspondance des prescriptions essentielles du rituel romain de sacrifice d'une vache pleine Ă  Tellus avec les Ă©lĂ©ments caractĂ©ristiques du sacrifice brahmanique de l’aáčŁtāpadÄ« « (vache) Ă  huit pattes » : la confrontation des faits romains et indiens est particuliĂšrement Ă©loquente en ce qui concerne le traitement rĂ©servĂ© Ă  l'embryon extrait des entrailles de la vache immolĂ©e[44]. Comme dans l'Inde, les destinĂ©es liturgiques de la mĂšre et du petit sont diffĂ©rentes : la vache est tuĂ©e avec son embryon, mais, aussitĂŽt aprĂšs, celui-ci est extrait, et c'est seulement alors que les exta (foie, cƓur, poumons, vĂ©sicule biliaire) de la vache, victime pure, sont prĂ©levĂ©s et transmis aux dieux. L'embryon, lui, est rĂ©servĂ© pour un autre service, qui n'est pas un sacrifice. C'est le schĂ©ma mĂȘme du sacrifice de l’aáčŁtāpadÄ«[1].

Autres comparaisons

Mannhardt et Fowler rapprochent les Fordicidia d’une fĂȘte du printemps en Chine, dont a Ă©tĂ© tĂ©moin en 1804, l’ambassadeur anglais en Chine, John Barrow. Au temple de la terre, une grande vache de porcelaine est portĂ©e en procession puis brisĂ©e, et l’on retire alors de son ventre un grand nombre de petites vaches, qui sont ensuite distribuĂ©es parmi le peuple, comme autant de gages d’une bonne saison agricole. Fowler a Ă©mis l’hypothĂšse que le rite chinois aurait pu avoir Ă  l'origine un sacrifice animal semblable Ă  celui des Fordicidia[45].

Une autre interprĂ©tation mettant en lien les Fordicidia et l’orge a Ă©tĂ© proposĂ©e. Danielle Porte se base sur la fĂȘte des fours, en l'honneur de la dĂ©esse Fornax, du 17 fĂ©vrier[A 23] et sur un texte de Pline[A 24], pour rapprocher les Fordicidia et l’orge. L’orge se dit en latin hordeum. On sait moins qu’il existe aussi, selon Quintilien[A 25] un doublet fordeum, ce qui permettrait d’expliquer plus facilement les doublets Hordicidia/Fordicidia et Hordicalia/Fordicalia[15]. Dans le domaine agricole, s’il y a vraiment correspondance magique ou religieuse, entre le sort de l’embryon et le sort du grain, il faut que le grain soit, lui aussi, brĂ»lĂ©[46]. Une mĂȘme organisation, centrĂ©e autour de la curia unit, outre le commun usage du feu, agent de la torrĂ©faction, les Fordicidia et les Fornacalia. De plus, les deux fĂȘtes prĂ©sentent le mĂȘme caractĂšre archaĂŻque, voire primitif[46]. Les deux sont organisĂ©es dans le cadre des curies, l’une est celle de la torrĂ©faction du grain, l’autre voit torrĂ©fier des embryons de veaux. Les Fornacalia, en fĂ©vrier, avant et pendant le 17, sont la fĂȘte de l’usinage des cĂ©rĂ©ales[47]. Les Fordicidia s’inscrivent Ă  l’intĂ©rieur des fĂȘtes de CĂ©rĂšs, qui s’étendent du 12 au 19 avril[15].

Notes et références

Notes

  1. Le suffimen est une préparation que les Romains brûlaient lors de certaines cérémonies pour effectuer des fumigations purificatoires. Dans le cadre des Parilia, cette préparation était composée à partir des cendres des veaux brûlés lors des Fordicidia, de sang séché de cheval et de cosses de fÚves.

Références antiques

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  2. Ovide, Fasti, IV, 621-672
  3. Ovide, Fasti, IV, 635
  4. Varron, De Lingua Latina, VI, 15 : Bos forda quae fert in uentre. Quod eo die publice immolantur boues praegnantes in curiis complures, a fordis caedendis Fordicidia dicta
  5. Ovide, Fasti, IV, 641
  6. Ovide, Fasti, IV, 629-640
  7. Ovide, Fasti, IV, 725-728
  8. Ovide, Fasti, IV, 636
  9. Ovide, Fasti, II, 527
  10. Ovide, Fasti, IV, 641-672
  11. Ovide, Fasti, IV, 665-666 : Morte boum tibi, rex, Tellus placanda duarum / Det sacris animas una iuuenca duas
  12. Lydus, De Mensibus, IV, 72
  13. Festus, De verborum significatione, 91 L
  14. Varron, De Re Rustica, II, 5, 6
  15. Ovide, Fasti, IV, 631 : Forda ferens bos et fecundaque dicta ferendo
  16. Servius, In Vergilii carmina commentarii, II, 140
  17. Ovide, Fasti, IV, 634 : Telluri...uictima plena datur ; 665 : Tellus placanda
  18. Lydus, De Mensibus, IV, 49
  19. Ovide, Fasti, IV, 633-634 : Nunc gravidum pecus est, gravidae quoque semine terrae. / Telluri plenae victima plena datur
  20. Ovide, Fasti, IV, 641-648
  21. Festus, De verborum significatione, 69 L
  22. Ovide, Fasti, IV, 731–734
  23. Ovide, Fasti, II, 519-521
  24. Pline, Naturalis Historia, XVIII, 14
  25. Quintilien, De Institutione Oratoria, I, 14, 14

Références modernes

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  6. Charles Victor Daremberg et Edmond Saglio, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, t. 2, 1877-1919, p. 1241
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  43. (de) Wilhelm Schulze, Das RÀtsel vom trÀchtigen Tiere, , p. 640-646
  44. Dumézil 1954
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Bibliographie

Sources antiques

Ouvrages contemporains

  • Georges DumĂ©zil, Rituels indo-europĂ©ens Ă  Rome, Paris, Klincksieck, , chap. 1 (« Fordicidia »), p. 11-26
  • Georges DumĂ©zil, La Religion romaine archaĂŻque, Paris, Payot, (ISBN 978-2228892971)
  • Bernadette Liou-Gille, Lecture religieuse de Tite-Live I, Klincksieck, coll. « Études et commentaires », (ISBN 978-2252031728)
  • John Scheid, La religion des romains, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », (ISBN 978-2200254667)
  • (en) Mary Beard, John North et Simon Price, Religions of Rome, vol. I : A History, Cambridge University Press, (ISBN 0-521-30401-6)

Articles

  • Jean Bayet, « Les « Cerialia » altĂ©ration d'un culte latin par le mythe grec », Revue belge de philologie et d'histoire, t. 29, no 1,‎ , p. 5-32 (lire en ligne)
  • Danielle Porte, « La « boucherie sacrĂ©e » du 15 avril », Latomus, t. 62, no 4,‎ , p. 773-788
  • Francesca Prescendi, « Des Ă©tiologies pluridimensionnelles : observations sur les Fastes d'Ovide », Revue de l'histoire des religions, t. 219, no 2,‎ , p. 141-159 (lire en ligne)
  • (de) Stefan Weinstock, « Tellus », Glotta, vol. 22,‎ , p. 140-152
  • (en) Joshua Whatmough, « Fordus and Fordicidia », The Classical Quarterly, vol. 15, no 2,‎ , p. 108-109

Voir aussi

Articles connexes

Lien externe

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