Dynastie des HĂ©raclides
La dynastie des HĂ©raclides (610 â 711) a vu se succĂ©der cinq empereurs qui ont rĂ©gnĂ© pendant un siĂšcle, allant du fondateur de la dynastie, HĂ©raclius (610â641), jusquâau deuxiĂšme renversement de Justinien II en 711.
Les HĂ©raclides durent affronter une pĂ©riode de profonds bouleversements tant Ă lâintĂ©rieur quâĂ lâextĂ©rieur de lâempire. Lâempire des Justiniens[1] avant eux Ă©tait encore le digne successeur de Rome, dominant la MĂ©diterranĂ©e et hĂ©ritiĂšre de la civilisation urbaine qui caractĂ©risait lâAntiquitĂ© tardive. Ce monde fut Ă©branlĂ© par une vague dâinvasions qui devait se solder par la perte dâune bonne partie des possessions byzantines, un effondrement financier, des Ă©pidĂ©mies de peste qui dĂ©peuplĂšrent les villes pendant que diverses querelles religieuses et politiques affaiblissaient le pouvoir.
Ă la fin de la dynastie, lâempire prĂ©sentait un visage bien diffĂ©rent de celui que lui avait donnĂ© HĂ©raclius au dĂ©but du VIIe siĂšcle : les campagnes Ă©taient maintenant plus importantes que les villes et lâempire. AprĂšs avoir perdu ses possessions dâItalie et dâAfrique du Nord, l'empire Ă©tait engagĂ© dans un long combat avec le califat musulman Ă lâEst, avec les Bulgares et les Slaves au nord. Toutefois, il Ă©tait aussi devenu plus homogĂšne, la langue grecque, dominante sur tout son territoire, avait remplacĂ© le latin et la querelle monophysite sâapaisait. Lâagitation religieuse devait toutefois reprendre sous une autre forme, lâiconoclasme, qui marquera la dynastie suivante, celle des Isauriens.
Toile de fond
La pĂ©riode des Justiniens (518 â 602) avait commencĂ© avec un retour aux frontiĂšres traditionnelles de lâEmpire romain grĂące Ă la reconquĂȘte de lâItalie et de lâAfrique du Nord sous Justinien Ier. Cette glorieuse pĂ©riode ne devait pas survivre Ă Justinien et bientĂŽt lâempire se trouva attaquĂ©e de tous cĂŽtĂ©s : Lombards en Italie, Avars et Serbes dans les Balkans, Perses en Orient.
Cette extension territoriale avait coutĂ© trĂšs cher au trĂ©sor impĂ©rial et les deux derniers empereurs, TibĂšre II Constantin et Maurice par leurs largesses envers certains secteurs de la sociĂ©tĂ© achevĂšrent de le ruiner[2] - [3]. Dans les grandes villes de lâempire, les conflits religieux perduraient, alimentant les querelles sociales entre les Bleus et les Verts, les premiers gĂ©nĂ©ralement associĂ©s Ă lâaristocratie et aux grands propriĂ©taires terriens, les deuxiĂšmes aux commerçants, industriels et fonctionnaires[4]. Le dernier empereur, Maurice, devait du reste ĂȘtre renversĂ© aprĂšs quâĂ court dâargent pour payer la solde de ses soldats, il avait ordonnĂ© Ă ceux-ci dâhiverner en pays barbare oĂč ils devaient vivre aux frais de lâhabitant[5].
Lâinterlude de Phocas (602 â 610) devait sâavĂ©rer catastrophique. Sur le plan intĂ©rieur, aprĂšs lâassassinat de Maurice et des membres de sa famille, son rĂšgne ne sera quâune longue suite de complots rĂ©primĂ©s dans le sang[6]. Les Verts qui sâĂ©taient dĂ©clarĂ©s en sa faveur lors du renversement de Maurice ne tarderont pas Ă se retourner contre lui, le conspuant Ă lâHippodrome et brulant certains Ă©difices publics[7]. Sur le plan extĂ©rieur, les Perses sassanides en paix avec lâempire depuis 591, prirent prĂ©texte du renversement de Maurice pour envahir les provinces de lâest en 603 [8]. Il nâen fallait pas plus pour que les Avars et les Slaves ne reprennent leurs attaques dans les provinces balkaniques de lâempire. Si Phocas parvint Ă signer un traitĂ© avec les premiers pour garantir la paix[9], les Slaves poursuivirent leur avance jusquâĂ Thessalonique [10].
Mais câest de lâAfrique byzantine, seule province Ă ĂȘtre politiquement stable et Ă©conomiquement prospĂšre depuis la crĂ©ation de lâExarchat de Carthage que viendra le coup fatal. Lâexarque, HĂ©raclius lâAncien, se rĂ©volta et envoya d'abord son neveu NicĂ©tas conquĂ©rir l'Ăgypte, grenier Ă blĂ© de la capitale [11]. Puis son fils, aussi nommĂ© HĂ©raclius, prit la tĂȘte d'une flotte pour attaquer Constantinople.
HĂ©raclius (610 â 641)
NĂ© vers 575 en Cappadoce, HĂ©raclius avait passĂ© une bonne partie de sa jeunesse auprĂšs de son pĂšre, alors magister militum per Armeniam. Câest lĂ quâil acquit une bonne connaissance de la rĂ©gion et de ses habitants, connaissance trĂšs utile par la suite lors des campagnes armĂ©niennes qu'il mĂšnera contre les Perses au dĂ©but de son rĂšgne[12]. Vers 600, HĂ©raclius l'Ancien est nommĂ© exarque de Carthage, l'un des postes les plus Ă©levĂ©s de l'Empire[13]. Lorsque Maurice sera renversĂ© par Phocas, la plupart des hauts fonctionnaires civils et militaires, dont HĂ©raclius lâAncien, seront maintenus en poste mais manifesteront de plus en plus ouvertement leur hostilitĂ©.
En 608, la famille dâHĂ©raclius fomente une conspiration : le pĂšre et le fils sont nommĂ©s consuls, dĂ©fi au pouvoir de l'empereur qui seul dĂ©tenait ce titre depuis de longues dĂ©cennies[14]. BientĂŽt lâĂgypte leur est acquise. Phocas de son cĂŽtĂ© fait emprisonner Fabia Eudocia, promise d'HĂ©raclius le Jeune et fille d'un riche propriĂ©taire terrien[15]. Au printemps 610, Ă la tĂȘte dâune flotte, HĂ©raclius se dirige vers Constantinople oĂč les principaux soutiens de Phocas l'abandonnent l'un aprĂšs l'autre alors que le parti des Verts soutient de plus en plus ouvertement HĂ©raclius. Le 3 octobre, HĂ©raclius dĂ©barque, sâempare de Phocas quâil fait exĂ©cuter, et est couronnĂ© le 5 octobre[16].
Les premiĂšres annĂ©es de son rĂšgne seront tout entiĂšres consacrĂ©es Ă la guerre contre les Perses (610-633). Une premiĂšre pĂ©riode (610-622) sera marquĂ©e par une sĂ©rie de dĂ©faites. En 611 les Perses sâemparĂšrent dâAntioche et lâannĂ©e suivante de la Syrie [17]. Mais le coup le plus sĂ©rieux pour le prestige de Byzance est la perte de JĂ©rusalem prise en mai 615 aprĂšs un siĂšge de trois semaines : les Ă©glises sont brulĂ©es et des reliques vĂ©nĂ©rĂ©es comme la Sainte Croix et la Sainte Lance sont emportĂ©es dans la capitale perse, CtĂ©siphon[18]. Puis ce fut au tour de lâĂgypte (617-619) dont le blĂ© Ă©tait nĂ©cessaire Ă lâalimentation de la capitale. HĂ©raclius tenta, mais sans succĂšs de nĂ©gocier la paix; conscients de leurs succĂšs, les Perses sâavançaient jusquâĂ ChalcĂ©doine Ă quelques kilomĂštres de Constantinople[19].
HĂ©raclius dĂ©cide alors de faire la paix (619) avec les Avars, lesquels, aprĂšs sâĂȘtre rĂ©pandus dans les Balkans capturant Singidunum (Belgrade), Naissus (NiĆĄ) et Sardica (Sofia), Ă©taient apparus aux portes de Constantinople en 617[17] - [20]. Ceci lui permet de faire passer ses troupes dâEurope en Asie et de rĂ©organiser une armĂ©e profondĂ©ment perturbĂ©e par les dĂ©faites en sĂ©ries. En mĂȘme temps, sur le plan intĂ©rieur, il diminue la solde des fonctionnaires, crĂ©e une nouvelle monnaie, lâhexagramme, augmente les impĂŽts, prend des mesures contre la corruption pour assainir les finances impĂ©riales et arrive Ă contenir les factions des Bleus et des Verts. LâĂglise est aussi sollicitĂ©e et le patriarche met Ă sa disposition une large quantitĂ© dâobjets dâor et dâargent qui, une fois fondus, contribuent Ă remettre Ă flot le TrĂ©sor public[21] - [22].
En 622, HĂ©raclius est prĂȘt Ă prendre la contre-offensive. Quatre ans seront nĂ©cessaires pour atteindre le tournant dĂ©cisif[23]. Se mettant personnellement Ă la tĂȘte des troupes dâArmĂ©nie et dâOrient, il parvient en 624 Ă infliger trois dĂ©faites aux Perses et Ă capturer le camp du gĂ©nĂ©ral Schahrbaraz prĂšs du lac Van. En 626, pour faire diversion, KhosrĂŽ aprĂšs sâĂȘtre entendu avec les Avars, lance ses forces contre Constantinople. Sans se laisser dĂ©tourner de son but, lâempereur fait alors alliance avec les Khazars et envahit la Perse en suivant la vallĂ©e du Tigre. Alors quâil nâĂ©tait quâĂ quelques lieues de la capitale (juin 628), il apprend que KhosrĂŽ avait Ă©tĂ© dĂ©trĂŽnĂ© par lâun de ses fils, Kawadh, lequel se hĂątera de nĂ©gocier la paix (avril 628) rendant aux Byzantins tous les territoires leur ayant appartenu. AprĂšs sa rentrĂ©e triomphale Ă Constantinople (aout 629), HĂ©raclius put rapporter lui-mĂȘme la Vraie Croix Ă JĂ©rusalem (mars 630)[24] - [25].
HĂ©raclius est alors au sommet de sa gloire. Suivent quelques annĂ©es dâaccalmie (628 â 633) pendant lesquelles il procĂšde Ă diverses rĂ©formes. Entre autres, le latin jusque-lĂ langue de lâadministration, cĂšde la place au grec et HĂ©raclius adopte le titre de basileus qui remplace progressivement celui dâImperator Caesar[26] il confĂšrera le mĂȘme titre Ă ses deux fils, HĂ©raclius-Constantin et HĂ©raclonas, la dignitĂ© de coempereur remplaçant ainsi celle de cĂ©sar pour dĂ©signer le successeur de lâempereur[27]. Il en profite Ă©galement pour rembourser l'Ăglise des efforts qu'il lui a rĂ©clamĂ©s pour financer la guerre, laquelle prend une importance accrue dans lâĂtat. Il stabilise les finances publiques largement perturbĂ©es et dĂ©mobilise une partie de son armĂ©e pour diminuer les dĂ©penses militaires[28] - [29] - [30].
HĂ©raclius ne devait pas profiter trĂšs longtemps de cette accalmie. Ses derniĂšres annĂ©es seront marquĂ©es par un nouveau conflit, cette fois avec les Arabes musulmans (634-641). Alors mĂȘme quâavec lâaide du patriarche Serge, HĂ©raclius comme ses prĂ©dĂ©cesseurs tentait de rĂ©concilier monophysites et chalcĂ©doniens, commença lâinvasion arabe qui ne menaçait plus lâexistence de lâorthodoxie, mais cette fois, celle du christianisme dans son ensemble[31] - [32]. Quittant lâArabie, les forces arabes en 634 entrĂšrent en Syrie et sâemparĂšrent de Damas; JĂ©rusalem devait tomber en 637 [33].
Ce dĂ©sastre devait convaincre HĂ©raclius que Dieu lui-mĂȘme lâavait abandonnĂ© [34]. Ayant tout juste le temps de rĂ©cupĂ©rer la Vraie Croix durant le siĂšge, HĂ©raclius reprit le chemin de Constantinople, affaibli physiquement et mentalement. Ses derniers jours seront marquĂ©s par un retour de la peste Ă Constantinople, la cruautĂ© Ă lâendroit de son frĂšre ThĂ©odore et de son fils bĂątard, Athalaric, soupçonnĂ©s de tentative de coup dâĂtat, et, dernier coup, la condamnation par le pape Jean IV de lâEkthĂ©sis, par laquelle il avait tentĂ© avec le patriarche Serge de rĂ©concilier les chrĂ©tiens des deux parties de son empire[35] - [36].
Il devait sâĂ©teindre le 11 fĂ©vrier 641 et ĂȘtre enseveli dans lâĂ©glise des Saints-ApĂŽtres, nĂ©cropole des empereurs byzantins, Ă cĂŽtĂ© du fondateur de lâempire, Constantin le Grand[37].
Constantin III / HĂ©raclonas (641)
Quelque temps aprĂšs la mort de sa premiĂšre Ă©pouse Fabia Eudocia en aoĂ»t 612, HĂ©raclius Ă©pousa sa niĂšce Martine (entre 614 et 623 selon les historiens) au grand scandale de l'Ăglise et de l'opinion publique. Ce mariage incestueux passa aux yeux de beaucoup pour maudit : parmi leurs onze enfants, quatre moururent en bas Ăąge et deux Ă©taient handicapĂ©s, ce qui aggravera la certitude quâavait HĂ©raclius Ă la fin de sa vie que Dieu lâavait abandonnĂ© [38] - [39].
Pour Ă©viter des conflits entre les enfants des deux mariages, HĂ©raclius avait prĂ©vu quâĂ sa mort le trĂŽne serait occupĂ© conjointement par son fils ainĂ©, HĂ©raclius-Constantin alors ĂągĂ© de vingt-neuf ans et par le premier fils quâil avait eu de Martine, HĂ©raclonas, qui nâavait que quinze ans. HĂ©raclius-Constantin monta donc sur le trĂŽne sous le nom de Constantin III. Toutefois le nouvel empereur souffrait de tuberculose avancĂ©e et ne devait rĂ©gner que quelques mois. Dans les circonstances, HĂ©raclius avait prĂ©vu quâen cas de dĂ©cĂšs de Constantin III, le trĂŽne reviendrait non au fils de celui-ci, Constantin, mais Ă HĂ©raclonas le fils de Martine. Ceci Ă©tait trĂšs mal vu dans la population qui considĂ©rait les enfants de Martine comme bĂątards[40] - [38] - [41].
Au cours de ses trois mois de rĂšgne, Constantin nâeut que le temps de confisquer le fonds secret quâHĂ©raclius avait crĂ©Ă© en faveur de sa veuve et dâen distribuer le contenu aux soldats Ă titre de cadeau dâavĂšnement (donativum), ce qui lui valut les faveurs de lâarmĂ©e. Au cours des mĂȘmes mois, les Arabes rĂ©ussissaient Ă sâemparer de Babylone Ă©gyptienne et mirent le siĂšge devant Alexandrie[42].
Ă la mort de Constantin III, Martine devint rĂ©gente au nom de son fils HĂ©raclonas alors que se rĂ©pandait dans la population la rumeur que celle-ci avait fait empoisonner lâempereur. Nâayant plus de fonds Ă sa disposition pour marquer lâavĂšnement de son fils, elle perdit non seulement lâappui de lâarmĂ©e mais aussi de la population de Constantinople qui exigea lâavĂšnement du fils de Constantin III, le jeune HĂ©raclius. Sous la pression de lâarmĂ©e et de la population, HĂ©raclonas nâeut dâautre choix que de couronner Constant[N 1] comme coempereur Ă la fin du mois de septembre 641. Dans le but de rĂ©duire la portĂ©e de cet acte, HĂ©raclonas Ă©leva Ă©galement deux de ses jeunes frĂšres, David et Marinus, au rang de coempereurs. DĂ©posĂ©s sur ordre du SĂ©nat, puis arrĂȘtĂ©s en septembre, Martine eut la langue coupĂ©e et HĂ©raclonas le nez fendu, ce qui les rendaient indignes de rĂ©gner; les deux furent exilĂ©s Ă Rhodes[43] - [44] - [45].
Constant II (641 â 668)
Le SĂ©nat qui avait dĂ©crĂ©tĂ© la dĂ©position de lâimpĂ©ratrice et de son fils ainsi que lâavĂšnement de Constant II vit son importance confirmĂ©e lorsque les sĂ©nateurs firent dire Ă lâenfant de onze ans quâil ferait dâeux « ses conseillers et les avouĂ©s du bien communs des sujets[46]". RefoulĂ© Ă lâarriĂšre-plan par lâabsolutisme de Justinien, le SĂ©nat retrouva son lustre antique sous les HĂ©raclides en devenant le conseil de la couronne et la cour suprĂȘme de justice [47].
Rapidement toutefois, le jeune empereur devint son propre maitre et prit une sĂ©rie de dĂ©cisions devant avoir par la suite dâimportantes rĂ©percussions pour la gestion de lâempire. Entre 659 et 662, il procĂ©da Ă une rĂ©organisation de lâarmĂ©e qui devait perdurer durant les trois siĂšcles suivants. Les armĂ©es mobiles furent assignĂ©es Ă rĂ©sidence dans des endroits spĂ©cifiques qui reçurent comme les armĂ©es elles-mĂȘmes le nom de « thĂšmes » et leur appellation fut hellĂ©nisĂ©e. Ainsi la garde de lâempereur, appelĂ©e jusque-lĂ Obsequium, fut cantonnĂ©e dans le sud de la Thrace et le nord de la Cappadoce devenant le thĂšme de lâOpsikion (Opsikion), lâarmĂ©e de lâArmĂ©nie devint le thĂšme des ArmĂ©niaques (Armeniakon), lâarmĂ©e dâOrient celui des Anatoliques (Anatolikon), etc. [N 2].
Lâempereur devait cependant avoir moins de succĂšs sur le plan religieux. Dans le but dâunifier les chrĂ©tiens de lâempire face aux menaces perse, puis arabe, lâempereur HĂ©raclius, avec lâaide du patriarche Serge avait Ă©laborĂ© une doctrine Ă mi-chemin entre le monophysisme et la doctrine de ChalcĂ©doine : le monothĂ©lisme. Cette doctrine devait ĂȘtre Ă©dictĂ©e en 638 dans une profession de foi Ă©manant de lâempereur, l'EcthĂšse (en grec áŒÎșΞΔÏÎčÏ, exposition). Non seulement les monophysites ne sây ralliĂšrent pas, mais elle devait ĂȘtre le point de dĂ©part dâune controverse entre les patriarcats de Rome et de Constantinople. LâĂglise dâAfrique avait Ă©tĂ© au cours des luttes religieuses la championne de lâorthodoxie. Toutefois, nombre de monophysites chassĂ©s par les invasions arabes Ă©taient venus sây rĂ©fugier. Lâexarque Georges aidĂ© dâun moine, Maxime le Confesseur, tentĂšrent de convertir les nouveaux venus et bientĂŽt la querelle religieuse se doubla dâune querelle politique entre Constantinople et Rome. Des conciles provinciaux en Afrique condamnĂšrent le monothĂ©lisme, alors quâĂ Rome, les papes Jean VI (640-642) et ThĂ©odore Ier (642-649) manifestĂšrent leur rĂ©probation Ă lâendroit de lâEcthĂšse [48]. Pour apaiser les tensions Constant II publia en 648 le « Typos », solution de compromis qui tout en faisant enlever lâEcthĂšse du narthex de Hagia Sophia interdisait sous peine des plus graves sanctions toute discussion sur le sujet [49].
Le nouveau pape Martin Ier (649-655), montĂ© sur le trĂŽne sans avoir sollicitĂ© comme le voulait la coutume la ratification impĂ©riale, convoqua un concile qui condamna aussi bien lâEcthĂšse que le Typos, en rejetant la responsabilitĂ© sur les patriarches de Constantinople Serge (610-638), Pyrrhus (638-641; 654) et Paul (641-653) qui furent anathĂ©misĂ©s[49]. La rĂ©action de lâempereur fut immĂ©diate : il commanda Ă lâexarque de Ravenne de sâemparer du pape et de lâamener Ă Constantinople pour y ĂȘtre jugĂ©. Lâexarque Olympius sây refusa et dĂ©tacha lâItalie de lâempire pour la faire passer sous sa propre autoritĂ©. Olympius Ă©tant mort en 652, un nouvel exarque fut envoyĂ© lâannĂ©e suivante se saisir du pape pour lâamener Ă Constantinople oĂč il fut accusĂ© dâavoir conspirĂ© avec Olympius contre lâempereur. Dâabord condamnĂ© Ă mort, le pape fut graciĂ© grĂące Ă lâintercession du patriarche Paul et exilĂ© Ă Cherson oĂč il mourut quelques mois plus tard, de faim et de mauvais traitements[50] - [51] - [52].
Cette querelle religieuse qui mettait en cause lâappartenance de lâItalie et de lâAfrique du Nord Ă lâempire se dĂ©roulait avec comme toile de fond les invasions arabes qui le menaçaient de plus en plus sĂ©rieusement. AprĂšs la Palestine et la Syrie, ce fut au tour de lâĂgypte de tomber en 642. Peu aprĂšs, c'est une grande partie du littoral de l'Afrique du Nord correspondant Ă l'actuelle Libye qui tomba aux mains des Arabes[53].
Pendant ce temps, le gouverneur militaire de Syrie, le futur calife Mu'awiya Ier comprit que Constantinople ne pouvait ĂȘtre conquise sans une flotte puissante. Peuple du dĂ©sert nâayant jusque-lĂ aucune expĂ©rience dans ce domaine, les Arabes se lanceront dans un programme forcĂ© de construction navale qui prendra deux ans, temps quâils utiliseront pour lancer des offensives en ArmĂ©nie, puis en 647, en Cappadoce avançant jusquâĂ Caesarea (aujourdâhui Kaiseri). La flotte complĂ©tĂ©e et les marins entrainĂ©s, Muâawiya se dirigera dâabord vers Chypre, lâune des plus importantes bases navales byzantines. Ce sur quoi Constant parvint Ă nĂ©gocier une trĂȘve de deux ans dont profita Muâawiya pour consolider sa flotte et attaquer Rhodes en 654[54]. Il ne put toutefois poursuivre son avantage : en juin 656, le calife Othman fut assassinĂ©. Le beau-fils du ProphĂšte fut alors choisi pour lui succĂ©der avec lâappui des tribus de MĂ©dine, pendant que Muâawiya Ă©tait Ă©lu par ses partisans en Syrie. La dispute qui sâensuivit et qui devait se terminer par lâassassinat dâAli en 661 assura aux Byzantins un rĂ©pit de cinq ans [55] - [53] - [56].
Constant en profita pour se tourner vers les territoires europĂ©ens de lâempire et entreprit en 658 une campagne dans les Balkans occupĂ©s par les Slaves, la premiĂšre dans la rĂ©gion depuis lâempereur Maurice[57]. Puis il tourna son attention vers les rĂ©gions occidentales les plus Ă©loignĂ©es de lâempire : lâAfrique et lâItalie oĂč les disputes religieuses se transformĂšrent en rĂ©bellions politiques tel que mentionnĂ© plus haut.
La victoire de Muâawiya sur les partisans dâAli en 661 signifiait la reprise du conflit entre Byzance et les Arabes. Câest alors que Constant II prit la dĂ©cision de sâĂ©tablir en Sicile, laissant Constantinople entre les mains de son fils, Constantin. Son but Ă©tait probablement de supprimer les tendances autonomistes dans les exarchats [N 3] ainsi que de battre les Lombards (Italie) et Arabes (Afrique) qui les menaçaient[58].
Mais les campagnes contre les Lombards qui lui valurent quelques succĂšs au dĂ©but, lâentretien de la cour et de lâarmĂ©e Ă Syracuse, constituaient une charge trĂšs lourde pour la population des territoires occidentaux quâaggravait le caractĂšre despotique de lâempereur; celui-ci perdit progressivement tous ses appuis. En septembre 668, une conspiration fut ourdie au sein des grandes familles byzantines et armĂ©niennes, et lâempereur fut assassinĂ© par un de ses chambellans alors quâil Ă©tait dans son bain. Lâun des conspirateurs, le chef de la garde impĂ©riale, Mezezius fut alors proclamĂ© empereur par les troupes, mais la rĂ©bellion fut Ă©crasĂ©e au dĂ©but de 669 par les troupes de lâexarque de Ravenne avec lâappui du pape Vitalien, demeurĂ© fidĂšle Ă lâempereur[59] - [60] - [61].
Constantin IV (668 â 685)
SitĂŽt Ă©crasĂ©e, la rĂ©volte de Mezezius, Constantin, le fils ainĂ© de Constant qui avait administrĂ© ce qui restait des provinces de l'est durant l'absence de son pĂšre, prit le pouvoir, mĂȘme si ses deux frĂšres HĂ©raclius et TibĂšre, couronnĂ©s coempereurs en mĂȘme temps que lui, demeuraient associĂ©s au trĂŽne[60] - [62]. Les onze premiĂšres annĂ©es du rĂšgne de Constantin IV furent consacrĂ©es Ă la lutte contre les Arabes de Muâawiya et accessoirement contre les Slaves. Un court intermĂšde en 680 permit de rĂ©gler le conflit religieux avec Rome causĂ© par le monothĂ©lisme, alors que les quatre derniĂšres annĂ©es furent consacrĂ©es Ă la lutte contre un nouvel ennemi : les Bulgares.
En 670, les Arabes menĂšrent leurs attaques Ă la fois en Sicile, oĂč ils mirent Syracuse Ă sac, et en Afrique oĂč ils fondĂšrent la ville fortifiĂ©e de Kairouan qui leur servira de base contre lâexarchat de Carthage Ă 150 km du chef-lieu byzantin. En Asie mineure, aprĂšs sâĂȘtre emparĂ© de Chypre, Rhodes, Kos et Chio, un gĂ©nĂ©ral de Muâawaya sâempara de la presquâile de Cyzique sur la mer de Marmara, base idĂ©ale pour mener des attaques dans toute la rĂ©gion de Constantinople[63] - [64]. Ils sây installeront de façon permanente en 674, alors que commencera le « siĂšge de Constantinople de 674 Ă 678 », improprement nommĂ©, car il sâagira plutĂŽt dâune sĂ©rie dâattaques annuelles sur la ville et ses environs. Mais alors que les siĂšges prĂ©cĂ©dents avaient Ă©tĂ© des siĂšges terrestres constamment mis en Ă©chec par la puissance des remparts de la ville, il sâagissait cette fois dâattaques venant de la mer. Au printemps 674, une grande flotte arabe franchit l'Hellespont (les Dardanelles) et, pendant six mois, terrorisa toute la cĂŽte europĂ©enne de la mer de Marmara jusqu'aux murailles de Constantinople. Les Byzantins y rĂ©pondirent en utilisant pour la premiĂšre fois en 677 lâinvention dâun architecte et chimiste dâHĂ©liopolis (aujourdâhui Baalbek) rĂ©fugiĂ© Ă Constantinople du nom de Callinicus, le feu grĂ©geois[65] - [60].
Profitant du fait que les armĂ©es byzantines Ă©taient occupĂ©es Ă se dĂ©fendre contre les Arabes, les Slaves se prĂ©paraient Ă attaquer Thessalonique. Leur chef, Perbundus, fut arrĂȘtĂ© et exĂ©cutĂ©, provoquant la colĂšre des Slaves qui se jetĂšrent sur la ville. Pendant ce temps, en Italie, les Lombards sâemparaient de la plus grande partie de la Calabre byzantine [66].
Les attaques des deux premiĂšres annĂ©es nâayant produit aucun rĂ©sultat, Muâawaya envoya une nouvelle armĂ©e, cette fois sous le commandement de son fils, YazĂŻd, qui nâeut guĂšre plus de succĂšs[67]. Sur terre, Muâawaya Ă©tait toutefois lâobjet dâattaques des MardaĂŻtes, flibustiers chrĂ©tiens en rĂ©volte ouverte qui menaient une guerre de guĂ©rilla en Syrie, au Mont Liban et jusquâĂ JĂ©rusalem. DĂ©moralisĂ© et dĂ©couragĂ©, il se dĂ©cida en 678 Ă lever le siĂšge de Constantinople et Ă accepter une paix de trente ans offerte par Constantin : non seulement dut-il abandonner les iles grecques rĂ©cemment conquises, mais encore payer Ă lâempereur un tribut de 3 000 livres dâor en plus de cinquante esclaves et cinquante chevaux[68] - [69] - [70].
Ce succĂšs eut un effet extraordinaire dans la rĂ©gion; pour la premiĂšre fois lâavancĂ©e des Arabes Ă©tait arrĂȘtĂ©e. Le khagan des Avars et les chefs de tribus slaves envoyĂšrent des ambassades Ă Constantinople pour requĂ©rir lâamitiĂ© de lâempereur et reconnaitre les droits de lâempire[70].
Constantin profita de cette accalmie pour rĂ©gler le vieux conflit du monophysisme. Il Ă©tait devenu Ă©vident que lâĂgypte et la Syrie oĂč se concentrait la majoritĂ© des monophysites Ă©taient maintenant dĂ©finitivement perdues et que le Typos de Constant II nâavait plus dâutilitĂ©. DĂšs 678, lâempereur Ă©crivit au pape pour proposer la tenue du TroisiĂšme Concile de Constantinople (aussi appelĂ© SixiĂšme Concile ĆcumĂ©nique). Il fallut dix-huit sessions, dont onze prĂ©sidĂ©es par lâempereur, pour quâun consensus soit atteint. En septembre 681, le concile condamnait le monophysisme et ses anciens champions dont les patriarches Serge, Pyrrhus et Cyr, ainsi que le pape Honorius[71] - [72] - [73].
Lâempereur en profita Ă©galement pour rĂ©gler le conflit qui lâopposait Ă ses deux frĂšres et assurer lâaccession au trĂŽne de son propre fils, Justinien. Peu avant le concile, il avait prononcĂ© la dĂ©position de ceux-ci, dĂ©cision qui sâĂ©tait heurtĂ©e Ă lâhostilitĂ© dâune partie de lâarmĂ©e et quâil avait dĂ» rescinder. Une fois assurĂ© des rĂ©sultats du concile, il dĂ©posa effectivement ses frĂšres dont il fit couper le nez, les rendant ainsi impropres Ă gouverner. Ce nâĂ©tait guĂšre la premiĂšre fois que des disputes fraternelles mettaient le trĂŽne en danger. MalgrĂ© la brutalitĂ© du geste, Constantin consacrait ainsi le principe de succession monarchique en faveur du fils ainĂ© du souverain [71] - [74].
Mais dĂ©jĂ se profilait Ă lâhorizon un nouvel ennemi devant lequel Constantin devait avoir moins de succĂšs : les Bulgares.
Vers 642, ce peuple turc, Ă©tabli prĂšs de la mer dâAzov Ă©tait attaquĂ© par les Khazars. Une partie dâentre eux, commandĂ©e par Asparoukh parut dans les annĂ©es 770 sur les bouches du Danube. AussitĂŽt conclu le traitĂ© de paix avec les Arabes, Constantin prĂ©para une expĂ©dition maritime dont il prit lui-mĂȘme le commandement, traversa la mer Noire pour dĂ©barquer au nord des bouches du Danube pendant que la cavalerie byzantine le rejoignait par terre Ă travers la Thrace. La nature marĂ©cageuse du terrain rendait toutefois difficile la poursuite des opĂ©rations alors que lâempereur, souffrant de goutte, dut quitter momentanĂ©ment ses troupes pour se soigner Ă Messembria]. Il nâen fallait pas plus pour que la rumeur dâune dĂ©faite ne se rĂ©pande et que lâarmĂ©e fuit en dĂ©bandade. Les Bulgares rĂ©alisant leur chance franchirent le Danube et poursuivirent les troupes en dĂ©route dans lâancienne province de MĂ©sie. RĂ©alisant que cette rĂ©gion Ă©tait beaucoup plus riche que celle quâils venaient de quitter, ils se soumirent les sept peuples slaves qui sây trouvaient dĂ©jĂ et, adoptant leur langue, jetĂšrent les fondements de ce qui devait devenir le premier empire bulgare. Constantin nâeut dâautre choix que de reconnaitre le nouvel Ătat auquel il acceptait mĂȘme de payer un tribut annuel[75] - [76] - [77].
Constantin IV devait mourir subitement de dysenterie en septembre 685, ĂągĂ© de trente-cinq ans, mais non sans avoir profitĂ© des troubles intĂ©rieurs affaiblissant le califat pour reconquĂ©rir la Cilicie lors dâune derniĂšre campagne Ă la tĂȘte de son armĂ©e[78].
Justinien II (685 â 695; 705 â 711)
Premier rĂšgne (685 â 695)
Fils ainĂ© de Constantin IV, Justinien Ă©tait ĂągĂ© de seize ans lorsquâil devint empereur. Intelligent, douĂ© dâune Ă©norme Ă©nergie, il Ă©tait dĂ©terminĂ© Ă suivre l'exemple de son aĂŻeul, Justinien Ier et Ă laisser sa marque dans tous les domaines, quels que soient les moyens Ă prendre pour y arriver[79].
Justinien commença son rĂšgne en consolidant les succĂšs remportĂ©s par son pĂšre contre les Arabes. Une campagne en ArmĂ©nie, IbĂ©rie (GĂ©orgie dâaujourdâhui) et Syrie lui permit de signer un traitĂ© de paix plus avantageux que le prĂ©cĂ©dent avec le nouveau calife Abd Al-Malik, dont une clause prĂ©voyait que les MardaĂŻtes seraient Ă©vacuĂ©s du Mont Liban et installĂ©s, sans doute comme matelots Ă Antalya en Pamphylie[80] - [81]. La paix conclue en Asie, Justinien se tourna vers les Balkans oĂč il envoya une expĂ©dition contre les Slaves en 688 et 689, laquelle se solda par une entrĂ©e triomphale Ă Thessalonique, deuxiĂšme ville de lâEmpire, obligeant les tribus slaves Ă reconnaitre lâautoritĂ© de Byzance. Ă nouveau, Justinien dĂ©plaça quelque 250 000 Slaves pour repeupler le thĂšme dâOpsikion (Bithynie) ravagĂ© par les Arabes[82]. Les bĂ©nĂ©fices de cette opĂ©ration Ă©taient doubles. Dâune part il repeuplait des rĂ©gions et rouvrait celles-ci Ă lâagriculture, dâautre part il augmentait le bassin de population oĂč aller puiser de nouvelles troupes pour les thĂšmes. En mĂȘme temps, il modifiait la composition sociale de la sociĂ©tĂ© : la paysannerie libre sâaccrut de lâapport de cultivateurs Ă©trangers et prit une importance beaucoup plus considĂ©rable quâautrefois, dâautant plus que la communautĂ© villageoise Ă©tait maintenant considĂ©rĂ©e non seulement comme une unitĂ© administrative, mais quâelle Ă©tait solidairement responsable du paiement des impĂŽts[83] - [84].
Toutefois ces rĂ©cents immigrĂ©s nâĂ©prouvaient guĂšre de loyautĂ© Ă lâendroit de lâempire byzantin. La guerre reprise contre les Arabes en 691 coutait cher et Justinien augmenta les taxes pour financer le conflit. Au caractĂšre autoritaire et impĂ©tueux de lâempereur sâajouta la brutalitĂ© de ses deux ministres favoris, le sacellaire Ătienne et le logothĂšte du trĂ©sor ThĂ©odote[85] - [86]. Les prisons se remplirent et quelque 20 000 soldats slaves dĂ©sertĂšrent au profit des Arabes. En rage, Justinien ordonna lâextermination de tous les Slaves de Bithynie.
Prince profondĂ©ment croyant[N 4], Justinien dĂ©cida en 691 de convoquer un concile destinĂ© Ă rĂ©former le dĂ©sordre et lâindiscipline qui rĂ©gnaient tant dans la sociĂ©tĂ© laĂŻque quâecclĂ©siastique, Ă©lĂ©ments dont ne sâĂ©taient pas occupĂ©s les Ve et VIe conciles, dâoĂč son nom de « Quinisexte »[N 5] - [87]. Toutefois, composĂ© uniquement dâĂ©vĂȘques orientaux, le concile prĂ©tendit parler pour lâĂglise entiĂšre sans tenir compte des diffĂ©rences politiques, sociales et coutumiĂšres entre lâOrient et lâOccident, comme celles autorisant en Orient le mariage des prĂȘtres ou obligeant un jeĂ»ne le samedi en Occident. Lâunion dogmatique rĂ©alisĂ© Ă grand peine dix ans auparavant lors du VIe concile fut brisĂ©e lorsque le pape Serge refusa de souscrire Ă ses 102 canons. Furieux, lâempereur ordonna (comme lâavait fait Justinien Ier) que le pape soit amenĂ© Ă Constantinople. Mais contrairement Ă ce qui sâĂ©tait passĂ© alors, tant les milices de Rome que de Ravenne refusĂšrent dâobĂ©ir Ă lâexarque Zacharias qui ne dut quâĂ lâintervention du pape de pouvoir quitter Rome avec la vie sauve[88] - [89] - [90].
DĂ©jĂ dĂ©testĂ©, alors quâil nâavait que vingt-trois ans par la population rurale en raison du fardeau fiscal, de lâarmĂ©e du fait de ses cruautĂ©s Ă lâendroit des soldats slaves, lâempereur perdit Ă©galement l'appui de lâaristocratie qui se voyait dĂ©pouillĂ©e de ses privilĂšges en faveur des paysans[91].
Usurpateurs : LĂ©once (695 â 697);TibĂšre III (698 â 705)
Le ressentiment explosa lorsque le gĂ©nĂ©ral LĂ©once qui sâĂ©tait illustrĂ© dans les campagnes dâArmĂ©nie et du Caucase, mais qui croupissait en prison depuis trois ans, fut libĂ©rĂ© et nommĂ© gouverneur du nouveau thĂšme dâHellade. Le jour mĂȘme de sa libĂ©ration, avec lâaide des Bleus et la complicitĂ© du patriarche, il se rendit Ă Hagia Sophia oĂč il fut acclamĂ© basileus. ArrĂȘtĂ©s, les deux ministres de Justinien furent brulĂ©s vifs et lâempereur dĂ©posĂ© fut paradĂ© Ă lâhippodrome oĂč il eut le nez coupĂ© avant dâĂȘtre envoyĂ© en exil Ă Cherson, en CrimĂ©e[86] - [92] - [85].
Profitant de lâagitation rĂ©gnant Ă Constantinople, les Arabes reprirent leurs attaques contre lâexarchat de Carthage dont ils rĂ©ussirent Ă sâemparer en 697. Ă la suite de ce dĂ©sastre, la flotte byzantine se rĂ©volta et acclama comme empereur le drongaire (commandant dâune division) Apsimar. GrĂące Ă lâappui de la milice du parti des Verts, il put entrer dans Constantinople, dĂ©poser LĂ©once et ĂȘtre couronnĂ© sous le nom de TibĂšre III[85] - [93].
Se dĂ©sintĂ©ressant de Carthage Ă partir de laquelle les Arabes allaient progresser vers lâEspagne, TibĂšre III, grĂące Ă lâaide de son frĂšre HĂ©raclius, concentra ses Ă©nergies sur lâAnatolie; en 700, il entrait en Syrie et parvenait Ă reprendre une partie de lâArmĂ©nie. En 703 et 704, il rĂ©ussit Ă contenir les invasions arabes en Cilicie, mais dut prĂ©cipitamment rappeler son frĂšre : les Bulgares, ayant Ă leur tĂȘte le khan Tervel et dans leurs bagages lâancien empereur Justinien, sâapprochaient de Constantinople[94] - [92] - [95].
DeuxiĂšme rĂšgne (705 â 711)
Le siĂšge ne dura que trois jours : profitant dâune canalisation oubliĂ©e de lâaqueduc de Valens, Justinien pĂ©nĂ©tra dans la ville pendant que TibĂšre III sâenfuyait Ă Sozopolis en Thrace. ConfrontĂ©e Ă lâalternative ou bien de rĂ©tablir lâancien empereur en dĂ©pit de son nez coupĂ© ou dâĂȘtre livrĂ©e aux troupes bulgares et slaves, la population se hĂąta dâacclamer son ancien empereur. Tervel fut rĂ©compensĂ© de son aide en obtenant le titre de cĂ©sar, titre rĂ©servĂ© jusque-lĂ Ă quelques membres de la famille impĂ©riale[96] - [97] - [98].
Les annĂ©es qui suivirent furent occupĂ©es tant Ă lâintĂ©rieur quâĂ lâextĂ©rieur Ă assouvir sa vengeance. LĂ©once, et TibĂšre III furent immĂ©diatement exĂ©cutĂ©s Ă lâhippodrome. Puis ce fut le tour dâHĂ©raclius, le frĂšre de TibĂšre, probablement le meilleur gĂ©nĂ©ral de lâĂ©poque, ainsi que ses principaux officiers. Nombre de hauts fonctionnaires furent pendus aux murs de Constantinople et le patriarche Callinique qui avait couronnĂ© LĂ©once eut les yeux crevĂ©s[99] - [100].
Il nâen fallait pas plus pour que les voisins de Byzance, profitant de lâaffaiblissement de lâarmĂ©e et du climat de terreur Ă Constantinople, ne reprennent leurs attaques aussi bien en Europe quâen Asie mineure. Le fils dâAbd Al-Malik, WalÄ«d, envahit la Cappadoce et razzia la Cilicie[99] - [100]. Au lieu de faire face Ă ces dangereux voisins, Justinien prĂ©fĂ©ra rĂ©gler ses comptes avec ses ennemis. Pour une raison qui reste obscure, il envoya une expĂ©dition punitive contre Ravenne. SitĂŽt celle-ci sur place, le chef de lâexpĂ©dition convoqua tous les dignitaires locaux Ă un banquet pendant lequel il se saisit dâeux et les expĂ©dia Ă Constantinople pendant que ses troupes pillaient la ville. Quant aux malheureux dignitaires ils furent tous condamnĂ©s Ă mort sauf lâĂ©vĂȘque qui fut aveuglĂ©. Il en rĂ©sulta une rĂ©volte ouverte au sein de la population [101] - [102] - [103].
Puis, il envoya une expĂ©dition semblable contre son premier lieu dâexil, Cherson, dont les autoritĂ©s avaient dĂ©noncĂ© Ă TibĂšre III ses plans pour regagner son trĂŽne; câest Ă ce moment que Justinien avait quittĂ© Cherson pour se rĂ©fugier chez les Khazars. Nombre de citoyens furent simplement noyĂ©s et sept dâentre eux brĂ»lĂ©s vifs. Le gouverneur nommĂ© par le khagan fut envoyĂ© Ă Constantinople avec trente de ses fonctionnaires. Mais lorsque lâempereur ordonna Ă ses troupes de rentrer Ă Constantinople, une tempĂȘte frĂ©quente en mer Noire engloutit toute la flotte et, quoique ce chiffre soit sans doute exagĂ©rĂ©, ses 73 000 soldats. Justinien sâapprĂȘtait Ă envoyer une seconde expĂ©dition, lorsque la nouvelle arriva Ă lâeffet que les Khazars avaient envoyĂ© des troupes Ă Cherson oĂč le gouverneur et toute la garnison sâĂ©taient rangĂ©s du cĂŽtĂ© des ennemis et avaient acclamĂ© un gĂ©nĂ©ral dâorigine armĂ©nienne du nom de BardanĂšs, exilĂ© Ă Cherson, comme empereur. Cette deuxiĂšme expĂ©dition conduite par le patricien Maurus tenta en vain dâassiĂ©ger Cherson. Maurus fit alors allĂ©geance Ă BardanĂšs et le ramena Ă Constantinople. Justinien avait alors quittĂ© la capitale pour mettre un terme Ă une rĂ©volte en ArmĂ©nie; il se hĂąta de rebrousser chemin, mais il Ă©tait trop tard, la population de la capitale avait accueilli BardanĂšs Ă bras ouvert et celui-ci devint empereur sous le nom de Philippicos[104] - [105] - [106].
Apprenant que BardanĂšs revenait Ă Constantinople, Justinien se hĂąta de regagner la capitale. Il Ă©tait arrivĂ© Ă ChalcĂ©doine lorsque Philippicos entra dans la ville. Il promit lâimmunitĂ© aux soldats de Justinien si ceux-ci se ralliaient Ă lui; abandonnĂ©, Justinien fut arrĂȘtĂ© et dĂ©capitĂ©, sa tĂȘte Ă©tant envoyĂ©e au nouvel empereur et son corps jetĂ© Ă la mer. Le jeune fils de Justinien, TibĂšre, trouva refuge dans lâĂ©glise de la Vierge des Blachernes. Il sâĂ©tait agrippĂ© Ă lâautel et tenait un fragment de la Vraie Croix lorsquâun dĂ©tachement arriva. Lâun des gardes se saisit de lâenfant, lui enleva le fragment de la Vraie Croix quâil dĂ©posa respectueusement sur lâautel avant dâamener celui-ci Ă lâextĂ©rieur de lâĂ©glise, puis lâayant dĂ©pouillĂ© de ses vĂȘtements, lui trancha la gorge. La dynastie des HĂ©raclides qui avait rĂ©gnĂ© pendant un siĂšcle et cinq gĂ©nĂ©rations sâachevait ainsi sur le meurtre dâun enfant de six ans [107] - [106] - [105].
Arbre généalogique
Certains rapports de parentĂ© sont trĂšs incertains, en raison du nombre dâhomonymes et de sources contradictoires.
- HĂ©raclius l'Ancien (mort en 610) Ă©p. Epiphania
- HĂ©raclius (vers 575-641) Ă©p. 1) Fabia Eudocia 2) Martine
- 1) Eudocia / Epiphania (née en 611)
- 1) Constantin III (612-641) Ă©p. Gregoria Anastasia
- Constant II (630-668) Ă©p. Fausta
- Constantin IV (vers 650-685) Ă©p. Anastasia
- Justinien II (vers 668-711) ép. 1) Eudoxie 2) Théodora
- 1) Anastasia, fiancée à Tervel
- 2) TibĂšre (705-711), coempereur en 706
- HĂ©raclius
- Justinien II (vers 668-711) ép. 1) Eudoxie 2) Théodora
- HĂ©raclius, coempereur en 659
- TibĂšre, coempereur en 659
- Constantin IV (vers 650-685) Ă©p. Anastasia
- Théodose (mort en 659 ou 660)
- ? Manyanh Ă©p. Yazdgard III
- Constant II (630-668) Ă©p. Fausta
- 2) Constantin
- 2) Fabius
- 2) Théodosios, ép. une fille de Schahr-Barùz
- 2) HĂ©raclonas (626-641)
- 2) David / TibÚre (né en 630), coempereur en 641)
- 2) Martinos
- 2) Augustina
- 2) Martina
- 2) FĂ©bronia
- Jean Athalarichos (mort en 657)
- Théodore
- Théodore
- Grégoire
- Grégoire
- Maria
- Martine Ă©p. HĂ©raclius
- HĂ©raclius (vers 575-641) Ă©p. 1) Fabia Eudocia 2) Martine
Bibliographie
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Notes et références
Notes
- En fait lâempereur lors de son couronnement prit le nom de Constantin et rĂ©gnera sous ce nom; ce fut la foule qui lui donna celui de ÎÏÎœÏÏÎ±Ï ou « petit Constantin » qui lui restera attachĂ© ; HĂ©raclonas pour sa part Ă©tait le diminutif de HĂ©raclius (Ostrogorsky (1983) p. 144.
- Voir Ă ce sujet Treadgold (1997) « Constant II and the themes », pp. 314-322. Ostrogorsky pour sa part faisait plutĂŽt remonter lâorigine des thĂšmes Ă HĂ©raclius lui-mĂȘme (Ostrogorsky (1983) pp. 127-128. Il semble toutefois quâil se soit agi dâune lente Ă©volution transformant graduellement le systĂšme des petites provinces de Justinien en grands ensembles oĂč le gouverneur militaire (strategos) jouissait Ă la fois des pouvoirs civils et militaires sur le modĂšle des exarchats de Ravenne et de Carthage crĂ©Ă©s par HĂ©raclius (Kazhdan (1991) « Themes », vol. III, pp. 2034-2035.)
- En 646, l'exarque de Carthage GrĂ©goire le Patrice, cousin de Constant, sâĂ©tait proclamĂ© empereur.
- Sâintitulant Servus Christi, il sera le premier empereur Ă faire graver Ă lâavers de ses monnaies lâeffigie du Christ, nouvelle cause de friction dans le paiement du tribut par les Arabes.
- Son autre nom de « in Trullo », vient du fait quâil se rĂ©unit dans une salle du palais surmontĂ©e dâun dĂŽme (trullo).
Références
- Voir "PĂ©riode des Justiniens (518 â 602)"
- Norwich (1989) p. 272
- Cheynet (2013) p. 42
- Ostrogorsky (1983) pp. 95-96
- Treadgold (1997) pp. 275-276
- Treadgold (1997), pp. 236-237
- Sur les attitudes des factions à l'égard de Phocas, voir Yvonne Janssens, « Les Bleus et les Verts sous Maurice, Phocas et Héraclius », Byzantion, vol. 11, 1936, pp. 499-536
- Kleinhenz (2017), p. 890
- Pohl (2018) p. 281
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- Ostrogorsky (1983) p. 144
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- Théophane 342, 10-20, cité par Ostrogorsky (1983) p. 145 et Norwich (1997) p. 314
- Voir Charles Diehl, « Le Sénat et le peuple byzantin aux VIIe siÚcle et VIIIe siÚcle, Byzantion I, 1924, pp. 201 et sq.
- Bréhier (1969) p. 61
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- Norwich (1989) pp. 339-340
- Ostrogorsky (1983) pp. 172-173
- Bréhier (1969) p. 70
- Norwich (1989) pp. 343-344
- Treadgold (1995) p. 342
- Ostrogorsky (1983) p. 173
- Norwich (1989) p. 345