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Doctrine Germain

La doctrine Germain, du nom du banquier lyonnais Henri Germain (1824-1905), fondateur du Crédit Lyonnais, préconise la mise en place de différentes règlementations bancaires, dont la plus remarquée est la séparation des banques de dépôt des banques d'investissement et inspirera le mouvement des spécialisations des banques qui suivit le krach boursier de 1882, puis en 1933 aux États-Unis le Glass-Steagall Act sous la présidence Roosevelt.

L'origine

Henri Germain, qui avait pressenti dès le printemps 1881 qu'une bulle spéculative sur les marchés se créait, avait alors réduit l'activité de sa banque qui avait jusqu'alors connue une expansion nationale et internationale très rapide[1]. Il limite les crédits et les engagements, de manière à pouvoir faire face à d'éventuels retraits massifs de ces clients en cas de crise[1]. En janvier 1882, la bourse française s'effondre, le plus gros krach que la France ait connu, provoqué par l'effondrement de la banque Union générale[1].

Henri Germain élabora alors dès 1882[1], une doctrine bancaire qui va porter son nom et qui a fortement contribué à inspirer le mouvement de spécialisation du secteur bancaire intervenu entre les années 1880 et 1914 – donc avant les lois imposant cette spécialisation adoptées en 1941 et 1945.
Cette doctrine :

  1. édicte les règles de gestion adaptées aux différents types banques et notamment aux banques de dépôt.
  2. préconise de distinguer au sein du secteur bancaire les banques de dépôts des banques d'investissement ou d'affaires.
  3. met en cause le projet de « banques universelles » qui avait été caressé lors de la fondation de la Caisse générale du commerce et de l'industrie (1837, Jacques Laffitte) mais surtout appliqué avec la fondation du Crédit mobilier (1852, frères Pereire), du Crédit lyonnais (1863) et de la Société générale (1864).

La « doctrine Germain » met en garde contre la non-séparation des activités de banque de dépôt de celles de banque d'investissement ou banque d'affaires. La confusion des rôles pouvant créer les conditions pour l'établissement d'un risque majeur de liquidité résultant d'un écart trop important entre l'échéance courte de leur financement — dettes à court terme représentées principalement par les dépôts à vue des particuliers qui peuvent les retirer à tout moment — et l'échéance longue de leurs engagements — matérialisés sous la forme de prêts industriels remboursables à moyen - 2 à 5 ans - ou long terme, plus de 5 ans[2].

De la sorte, un établissement financier peut être confronté à une sérieuse crise de liquidité, qui débouche sur une perte de crédibilité dont il ne pourra s'extraire que par de nouveaux concours extérieurs ou par le soutien public.

Loin de s'opposer au placement de l'épargne dans des projets industriels et des prêts obligataires à long terme, la « doctrine Germain » préconise de faire des banques de dépôts de simples intermédiaires entre les industriels et les épargnants, chargés du placement des actions et des obligations émises.

À ce titre, le Crédit lyonnais et les autres grandes banques de dépôt deviennent, dès 1872, des rouages indispensables des grandes opérations de placement de rentes du Trésor, d'obligations des chemins de fer ou d'États étrangers, d'actions d'entreprises industrielles ou commerciales[3].

Critiques et bilan de la séparation des activités des banques de dépôt de celles des banques d'investissement ou d'affaires

Le débat concernant le bien-fondé de la spécialisation des fonctions bancaires est encore aujourd'hui largement ouvert.

Les adversaires

  • La SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale – qui avait acceptĂ© de se plier aux règles de prudence de la « doctrine Germain » – a cependant failli ĂŞtre emportĂ©e par une crise de liquiditĂ© au printemps 1914, donc avant le dĂ©clenchement de la guerre. Sa survie semble surtout avoir Ă©tĂ© assurĂ©e par un soutien apportĂ© par la Banque de France, dans le cadre d'un moratoire gĂ©nĂ©ral mis en place dès le mois d'aoĂ»t 1914. Il est vrai que cette banque avait particulièrement tardĂ© et fut parmi les grandes banques de dĂ©pĂ´ts une des dernières Ă  pratiquer la « doctrine Germain ».
  • Les « anti-Germain » avancent que la spĂ©cialisation bancaire a des effets ambivalents sinon nĂ©fastes sur la croissance Ă©conomique. Selon eux — voir la controverse dite de Lysis et Testis[Note 1]. Le rĂ´le des Ă©tablissements de crĂ©dit en France" : (les surnoms respectifs du journaliste Eugène Letailleur et du banquier Alexis Rostand[2]) entre 1906 et 1907 — elle contribue Ă  rationner le crĂ©dit Ă  destination des entreprises, ce qui pèse sur la croissance. La France de l'Ă©poque disposait d'un considĂ©rable excĂ©dent d'Ă©pargne, manifestĂ© tant par les achats continus d'emprunts Ă©trangers que par le gonflement des avoirs en mĂ©taux prĂ©cieux.
  • Pendant et après la Deuxième Guerre mondiale, l'État a encouragĂ© au contraire le financement des crĂ©dits Ă  long terme par les dĂ©pĂ´ts en permettant le « dĂ©coupage » de ces crĂ©dits en sĂ©ries (on parle de « chaĂ®nes ») d'effets Ă  court terme, donc susceptibles d'entrer parmi les placements des banques de dĂ©pĂ´t.
  • L'intention de dĂ©velopper ce mode de financement aboutira Ă  partir de 1963, puis surtout des rĂ©formes DebrĂ©-Haberer de 1966-1967 (Michel DebrĂ© est alors ministre de l'Économie et des Finances et Jean-Yves Haberer son conseiller technique), Ă  demander aux banques publiques de dĂ©pĂ´ts de « nourrir », c'est-Ă -dire de financer Ă  long terme une part croissante de ces crĂ©dits de financement de l'industrie.
  • Le rĂ©sultat de cette injonction fut de rapprocher, très modĂ©rĂ©ment, ces banques de dĂ©pĂ´ts du modèle de la banque universelle, ou d'attĂ©nuer la spĂ©cialisation imposĂ©e par les lois de 1941 et 1945 entre banques de dĂ©pĂ´ts et banques d'affaires.

Les partisans

  • En revanche, l'aspect très positif, cette « doctrine Germain » a contribuĂ© Ă  stabiliser le système bancaire français, en rĂ©duisant les variations de taux et en limitant les crises et paniques bancaires gĂ©nĂ©rales, après le choc de 1882 (faillite de l'Union gĂ©nĂ©rale et krach de la place de Lyon).
  • Ce mouvement de spĂ©cialisation bancaire entraĂ®nant les banques de dĂ©pĂ´ts vers des placements liquides se retrouve d'ailleurs en Angleterre Ă  la mĂŞme Ă©poque, avec l'Ă©mergence des Big Five et des effets tout aussi positifs sur la stabilitĂ© du système bancaire en gĂ©nĂ©ral.
  • Henri Germain rĂ©pondait aux critiques sur un frein Ă  l'investissement en indiquant que sa doctrine bĂ©nĂ©ficiait indirectement Ă  l'industrie et au commerce car la plus grande sĂ©curitĂ© des dĂ©pĂ´ts des particuliers entrainait une moindre rĂ©munĂ©ration de ceux-ci entrainant une baisse du taux d'ecompte des crĂ©ances commerciales des entreprises[2]. Celui-ci passa d'environ 5% de 1847 Ă  1866 Ă  2,34% de 1893 Ă  1912[2], entrainant, selon le CrĂ©dit lyonnais, des Ă©conomies pouvant ĂŞtre Ă©valuĂ©es alors Ă  125 millions de francs par an au cours des annĂ©es 1890-1900 par l'industrie et le commerce français[2].
  • Toutefois, la controverse entamĂ©e vers 1900 sur le rĂ´le supposĂ© nĂ©gatif de cette prudence dans le placement des dĂ©pĂ´ts Ă  court terme a lĂ©gitimĂ© l'intervention de l'État, d'abord sous la forme d'une commission parlementaire — la commission Caillaux en 1911 — puis par des interventions directes visant Ă  faciliter les prĂŞts Ă  long terme : loi de 1917 sur le CrĂ©dit populaire et les SociĂ©tĂ©s de caution mutuelle ; crĂ©ation du CrĂ©dit national en 1919, etc.

La dérégulation

La « doctrine Germain » et ses équivalents (le Glass-Steagall Act est adopté en 1933 aux États-Unis) se sont peu à peu effacés de la pratique des banques, sous la pression des partisans de la déréglementation ou dérégulation.
Ainsi en France :

  • en 1966, levĂ©e de la sĂ©paration entre banque de dĂ©pĂ´ts et banques d'affaires ;
  • la disparition du rĂ©escompte de la Banque de France comme instrument central de la rĂ©gulation du système bancaire et monĂ©taire ;
  • Ă  compter de 1971, au profit d'une politique dite d'open market.

Ainsi aux États-Unis :

On notera cependant qu'aux États-Unis, le financement des entreprises s'opère majoritairement par financement direct sur les marchés, alors que dans les pays européens les banques jouissent d'une position prépondérante dans ce type de financement.

Retour vers la régulation ?

Les effets dévastateurs de la crise financière mondiale de 2007-2010 remettent à l'ordre du jour cependant la question d'une séparation des fonctions bancaires :

  • en dĂ©cembre 2009, le sĂ©nateur rĂ©publicain John McCain (Arizona), la sĂ©natrice dĂ©mocrate Maria Cantwell (État de Washington) et l’ancien gouverneur de la RĂ©serve fĂ©dĂ©rale Paul Volcker avancent l’idĂ©e d’un retour au Glass-Steagall Act par le biais d’une remise en vigueur du texte de loi originel (Banking Act de 1933).
  • le Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act de juillet 2010 est partiellement inspirĂ© de cette proposition.
  • en Europe, un nombre grandissant d’experts appellent Ă©galement Ă  l’adoption de lĂ©gislations bancaires strictes inspirĂ©es du Glass-Steagall Act.

Amorces d'une nouvelle réglementation ?

Le souci et le principe de prudence chers à Henri Germain semblent inspirer la conception d'un nouveau cadre d'exercice de la profession bancaire et des activités financières en général :

La « doctrine Germain » demeure cependant aujourd'hui comme un rappel de ce qu'une banque, aussi puissante soit-elle, doit examiner en permanence l'équilibre existant entre d'une part l'origine et d'autre part l'emploi de ses fonds. Vérité élémentaire qu'ont sans doute oublié certains des promoteurs de la « banque à-tout-faire » dont on a vu la faillite retentissante en 2008 : les grandes faillites qui se produisent concernent des établissements qui se financent sur les marchés à court terme et dans le même temps engagent ces fonds dans des investissements à moyen et long terme.

Notes et références

Notes

  1. Dans un pamphlet intitulé "Contre l'oligarchie financière en France", publié en 1906 dans la Revue des revues, Eugène Letailleur (Lysis) attaque indistinctement le Crédit lyonnais, la Société générale, le Comptoir national d'escompte de Paris de Paris et le Crédit industriel et commercial (CIC). Alexis Rostand y répond durement en 1907 dans la Revue politique et parlementaire dans une série d'articles intitulée "La vérité sur les propos de Lysis" (source: Christine Lejoux, La Tribune).

Références

  1. Philippe Guillaume, cahiers explicatifs dans le tome 6 de la série La Banque, 2017, Dargaud.
  2. Christine Lejoux, « L’histoire des banques françaises, un éternel recommencement : Henri Germain, le chantre de la séparation bancaire (2/5) », La Tribune,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  3. Jean Bouvier, Un siècle de banque française, Paris, 1973
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