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Djamila Boupacha

Djamila Boupacha, nĂ©e le Ă  Bologhine (anciennement Saint-EugĂšne), est une militante du Front de libĂ©ration nationale algĂ©rien (FLN) arrĂȘtĂ©e en 1960 pour une tentative d'attentat Ă  Alger. Ses aveux – obtenus par le viol et la torture – donnĂšrent lieu Ă  un jugement transformĂ© – Ă  l’initiative de GisĂšle Halimi et de Simone de Beauvoir – en procĂšs mĂ©diatique des mĂ©thodes de l'armĂ©e française en AlgĂ©rie française. Djamila Boupacha fut amnistiĂ©e dans le cadre des accords d'Évian, et finalement libĂ©rĂ©e le (ordonnance de non-lieu le ).

Djamila Boupacha
Djamila Boupacha en 1963
Biographie
Naissance
Nom dans la langue maternelle
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Pseudonyme
Djamila
Nationalité
Activité

Biographie

Djamila Boupacha est nĂ©e le Ă  Saint-EugĂšne (aujourd'hui Bologhine), fille d’Abdelaziz Boupacha et de Zoubida Amarouche. Elle s’engage dĂšs 1953, Ă  15 ans, en politique en rejoignant l'Union dĂ©mocratique du manifeste algĂ©rien (UDMA) de Ferhat Abbas, puis le Front de libĂ©ration nationale (FLN) en 1955[1]. Pendant la guerre d'AlgĂ©rie, elle porte le nom de guerre Khelida[2].

Arrestation et incarcération en Algérie

ArrĂȘtĂ©e le en compagnie de son pĂšre, de son frĂšre, de sa sƓur Nafissa et de son beau-frĂšre Abdellih Ahmed, elle est accusĂ©e d'avoir posĂ© une bombe — dĂ©samorcĂ©e par les dĂ©mineurs de l'armĂ©e — Ă  la Brasserie des facultĂ©s le Ă  Alger[3] - [4].

Emprisonnée clandestinement (officiellement, elle n'a été, pendant un mois, incarcérée nulle part), violée, elle subit pendant plus d'un mois de nombreux sévices, infligés par des membres de l'armée française[3] :

« On lui fixa des électrodes au bout des seins avec du papier collant Scotch, puis on les appliqua aux jambes, à l'aine, au sexe, sur le visage. Des coups de poing et des brûlures de cigarettes alternaient avec la torture électrique. Ensuite on suspendit Djamila par un bùton au-dessus d'une baignoire et on l'immergea à plusieurs reprises[5]. »

Son frĂšre rĂ©ussit Ă  prĂ©venir l'avocate GisĂšle Halimi qui dĂ©cide de prendre son cas en charge en . Leur premiĂšre rencontre se tient Ă  la prison Barberousse le 17 mai 1960. Relatant les tortures auxquelles elle a Ă©tĂ© soumise, Djamila Boupacha finit par dĂ©crire comment les militaires l'ont violĂ©e en lui introduisant dans le vagin le manche d’une brosse Ă  dents puis le goulot d’une bouteille de biĂšre[6] :

« Djamila prĂ©cise : “On m'administra le supplice de la bouteille ; c'est la plus atroce des souffrances ; aprĂšs m'avoir attachĂ©e dans une position spĂ©ciale, on m'enfonça dans le ventre le goulot d'une bouteille. Je hurlai et perdis connaissance pendant, je crois, deux jours.” Un tĂ©moin dont on connaĂźt le nom et l'adresse l'a vue Ă  Hussein-Dey Ă©vanouie, sanglante, trainĂ©e par ses geĂŽliers. (Djamila Ă©tait vierge.)[5] »

D'aprÚs GisÚle Halimi, « elle n'avait pas commis d'attentat mais était sur le point d'en commettre un[7]. »

Campagne médiatique

Simone de Beauvoir signa la tribune qui révéla au monde le calvaire de Djamila Boupacha.

À la demande de l'avocate, qui souhaite utiliser l'affaire pour dĂ©noncer les mĂ©thodes de l'armĂ©e française en AlgĂ©rie, Simone de Beauvoir rĂ©dige une tribune dans les colonnes du journal Le Monde en date du intitulĂ©e « Pour Djamila Boupacha »[5] ; le premier ministre Michel DebrĂ© fait saisir le journal en AlgĂ©rie[4]. L'affaire Djamila Boupacha prend une ampleur mĂ©diatique et internationale importante lorsque, dans la foulĂ©e de la tribune est crĂ©Ă©, en , un ComitĂ© pour Djamila Boupacha prĂ©sidĂ© par Simone de Beauvoir, et qui comprend parmi ses membres Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Elsa Triolet, Gabriel Marcel, GeneviĂšve de Gaulle-Anthonioz, AimĂ© CĂ©saire et Germaine Tillion[3].

Transfert et jugement en France

À la suite des pressions du comitĂ© de soutien constituĂ© pour sa dĂ©fense et par l'entremise de Simone Veil, alors magistrate, le tribunal d'Alger est dessaisi du dossier au profit de Caen, et Djamila Boupacha est transfĂ©rĂ©e par avion militaire en France mĂ©tropolitaine pour y ĂȘtre jugĂ©e ; on craignait en effet qu'elle ne soit abattue dans sa cellule pour mieux Ă©touffer l'affaire. Elle est placĂ©e en dĂ©tention Ă  la prison de Fresnes le , puis Ă  celle de Pau[8]. Pour les faits de torture, GisĂšle Halimi poursuit le ministre de la DĂ©fense Pierre Messmer ainsi que le gĂ©nĂ©ral Charles Ailleret, qui commandait alors l'armĂ©e française en AlgĂ©rie, pour forfaiture[7].

L'ancien palais de justice de Caen oĂč fut jugĂ©e Djamila Boupacha.

Djamila Boupacha comparait Ă  Caen, fin , dans le cadre de l'instruction de la plainte qu'elle a portĂ©e contre ses tortionnaires, au cours de laquelle elle les identifia[9]. En 1962, elle est amnistiĂ©e en application des accords d'Évian mettant fin Ă  la guerre d'AlgĂ©rie et libĂ©rĂ©e le . RĂ©fugiĂ©e chez GisĂšle Halimi, elle est, d'aprĂšs Le Monde du , sĂ©questrĂ©e puis transfĂ©rĂ©e Ă  Alger par la FĂ©dĂ©ration de France du FLN, qui dĂ©nonce « l'opĂ©ration publicitaire tentĂ©e Ă  des fins personnelles » par l'avocate GisĂšle Halimi. Le FLN ne pouvait accepter de perdre la main sur l'arme symbolique de premier ordre que constituait la jeune militante.

Une icÎne de la lutte progressivement écartée

De fait, Djamila Boupacha devient, par son martyre, un enjeu de mĂ©moire pour les nationalistes algĂ©riens, une figure emblĂ©matique de la lutte, destinĂ©e Ă  ĂȘtre Ă©rigĂ©e en mythe fondateur de la nation algĂ©rienne Ă  construire. ÉlevĂ©e Ă  ce statut d'icĂŽne, elle ne devait pas cependant en sortir : du point de vue des dirigeants nationalistes algĂ©riens, la violence perpĂ©trĂ©e et/ou subie par les femmes ne pouvait « ĂȘtre utile que sur le mode de l’exceptionnalitĂ© »[3]. Comme le souligne Christelle Taraud, l'État algĂ©rien devenu indĂ©pendant utilisa dans l'immĂ©diat aprĂšs-guerre Djamila Boupacha comme un symbole « propre Ă  asseoir la lĂ©gitimitĂ© symbolique et politique du rĂ©gime de parti unique mis en place par le FLN ». Progressivement mise de cĂŽtĂ©, elle disparait de la scĂšne publique, Ă  l'instar de nombreuses militantes nationalistes ayant jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant dans la libĂ©ration de leur pays[8].

Le , le président Abdelmadjid Tebboune la nomme sénatrice, offre qu'elle décline, l'ancienne moudjahida entendant rester une simple « citoyenne »[10] - [11].

En , une rue de Stains est symboliquement renommĂ©e « rue Djamila Boupacha » dans le cadre d'un projet artistique soutenu par le conseil municipal de la ville[12]. Cette initiative scandalise une partie de l'extrĂȘme droite et, le , des militants de l'Action française recouvrent la plaque de la rue Djamila Boupacha par une feuille de papier A4 lĂ©gendĂ©e « rue Sainte-GeneviĂšve »[13].

ƒuvres inspirĂ©es de la vie de Djamila Boupacha

Le peintre Pablo Picasso a créé le portrait de Djamila Boupacha[14] qui illustre la couverture du livre que GisÚle Halimi et Simone de Beauvoir publient avec d'autres en 1962 sur la militante FLN.

La mĂȘme annĂ©e, le peintre Roberto Matta rĂ©alise son Supplice de Djamila[8]. Toujours en 1962, le musicien Luigi Nono (1924-1990) rend hommage Ă  la jeune femme en lui consacrant une piĂšce vocale de ses Canti di Vita et D'amore ; d'une durĂ©e d'environ dix minutes, elle est composĂ©e pour soprano solo et intitulĂ©e Djamila Boupacha[15].

En 2000, Francesca Solleville interprÚte Djamila composée par Bernard Joyet sur le disque Grand frÚre petit frÚre. En 2012, Bernard Joyet reprend la chanson dans son disque Autodidacte.

Notes et références

  1. Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel, Ne nous libérez pas, on s'en charge, La Découverte, (lire en ligne).
  2. (en) Philip Agee, « Torture as an Instrument of National Policy: France 1954-1962 », Social Justice/Global Options, vol. 17, no 4,‎ , p. 131-138 (lire en ligne).
  3. Taraud 2012, p. 64.
  4. Le Sueur 2001, p. 170.
  5. Simone de Beauvoir, « Pour Djamila Boupacha », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  6. Codaccioni 2010, p. 32.
  7. Interview de GisĂšle Halimi, non datĂ©e, mise en ligne sur le blog Cri du cƓur le .
  8. Taraud 2012, p. 65.
  9. « L'instruction de l'affaire Boupacha », Le Monde,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  10. « Conseil de la nation : le Président Tebboune désigne les membres du tiers présidentiel », sur algerie-eco.com, (consulté le )
  11. « Djamila Boupacha refuse le poste de sénatrice », Le Matin d'Algérie, (consulté le )
  12. Ali Aomar, « En France, une rue au nom de Khadidja, la femme du prophÚte, suscite la polémique », sur ObservAlgerie, (consulté le )
  13. « VIDÉO. Menaces de l’Action Française : le maire de Stains redoute «un passage Ă  l’acte» », Le Parisien, (consultĂ© le )
  14. « Algérie, Djamila Boupacha et Picasso | Histoire et société », (consulté le )
  15. [vidéo] Djamila Boupacha - Luigi Nono sur YouTube, .

Annexes

Ouvrages

Articles et contributions

  • Vanessa Codaccioni, « (DĂ©)Politisation du genre et des questions sexuelles dans un procĂšs politique en contexte colonial : le viol, le procĂšs et l’affaire Djamila Boupacha (1960-1962) », Nouvelles Questions fĂ©ministes, vol. 29, no 1,‎ , p. 32-45 (ISSN 0248-4951 et 2297-3850, DOI 10.3917/nqf.291.0032)
  • Alyssa Moncef, « Djamila Boupacha, l’une des icĂŽnes fĂ©minines de la RĂ©volution de Novembre », Memoria, (article en ligne)
  • Christelle Taraud, « Le supplice de Djamila Boupacha », L'Histoire, no 371,‎ , p. 64-65
  • (en) Philip Agee, « Torture as an Instrument of National Policy : France 1954—1962 » in Social Justice, vol. 17, no 4 (42), hiver 1990, p. 131-138 (extrait en ligne)
  • (en) James D. Le Sueur, « Torture and the decolonization of French Algeria: nationalism, 'race' and violence during colonial incarceration », dans Graeme Harper (dir.), Colonial and Post-Colonial Incarceration, Continuum International Publishing Group, (lire en ligne), p. 161-175

Filmographie

Téléfilm :

Émission de tĂ©lĂ©vision :

Articles connexes

Liens externes

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