Densité asymptotique
En mathĂ©matiques, et plus particuliĂšrement en thĂ©orie des nombres, la densitĂ© asymptotique (ou densitĂ© naturelle, ou densitĂ© arithmĂ©tique) est une façon de mesurer la « taille » de certains sous-ensembles d'entiers naturels. La densitĂ© d'un ensemble A peut ĂȘtre vue comme une approximation de la probabilitĂ© qu'un entier tirĂ© au hasard dans un intervalle arbitrairement grand appartienne Ă A ; son Ă©tude fait partie de la thĂ©orie analytique des nombres.
Contexte
Il n'existe pas de probabilitĂ© uniforme sur l'ensemble des entiers naturels, car si chaque singleton avait la mĂȘme probabilitĂ© p, d'aprĂšs l'axiome d'additivitĂ©, l'ensemble aurait une probabilitĂ© infinie si p > 0, et nulle si p = 0 [1].
On montre mĂȘme qu'il n'existe pas de probabilitĂ© sur vĂ©rifiant la propriĂ©tĂ© Ă©vidente intuitivement que la "probabilitĂ©" de l'ensemble des multiples d'un entier strictement positif a soit Ă©gale Ă 1/a (ou qu'il y ait une chance sur a qu'un entier soit multiple de a) [2].
Par contre, il existe une probabilité uniforme sur tous les ensembles , ce qui motive les définitions suivantes.
DĂ©finitions
Un ensemble A d'entiers naturels est de densitĂ© asymptotique (oĂč ) si la proportion des Ă©lĂ©ments de A parmi les entiers de 1 Ă n se rapproche asymptotiquement de quand n tend vers l'infini. Formellement, notant le nombre d'Ă©lĂ©ments de A entre 1 et n, la densitĂ© asymptotique de A, D(A), est dĂ©finie par[3]
- (si cette limite existe).
Condition nécessaire et suffisante
Si A est fini, A est de densité nulle.
Si A est infini, soit la suite strictement croissante de ses éléments non nuls.
Alors :
- si , A est de densité nulle.
- si , A est de densité si et seulement si .
Densités inférieure et supérieure
Avec les mĂȘmes notations, on dĂ©finit la densitĂ© supĂ©rieure asymptotique (ou simplement la densitĂ© supĂ©rieure) de A, D(A), par
- ,
oĂč lim sup est la limite supĂ©rieure.
De mĂȘme, la densitĂ© infĂ©rieure de A, D(A), est dĂ©finie par
- , oĂč lim inf est la limite infĂ©rieure.
A a une densité asymptotique si et seulement si les densités inférieure et supérieure coïncident, et alors .
Propriété d'additivité finie
La densitĂ© asymptotique ne vĂ©rifie pas la propriĂ©tĂ© d'additivitĂ© dĂ©nombrable, mais elle vĂ©rifie celle dâadditivitĂ© finie.
Soient A et B deux sous-ensembles de ;
S'ils sont disjoints et ont chacun une densité, alors a aussi une densité, et .
Plus généralement :
Si trois des quatre ensembles ont une densité, alors le quatriÚme aussi, et .
Ceci vient de ce que .
On en déduit que si la densité existe pour A, elle existe aussi pour le complémentaire cA de A dans , et que l'on a .
Exemples
- .
- Les sous-ensembles finis sont de densité nulle.
- L'ensemble des carrés parfaits est de densité nulle car (ou car ).
- Il en est de mĂȘme de l'ensemble des nombres premiers car (ou car ) ; dĂ©monstration utilisant le thĂ©orĂšme des nombres premiers, pour une dĂ©monstration Ă©lĂ©mentaire, voir ci-dessous.
- Les ensembles des nombres pairs et des nombres impairs ont pour densité 1/2.
- Plus généralement, l'ensemble des valeurs d'une suite arithmétique entiÚre , a pour densité l'inverse de sa raison, soit 1/a.
- Si a est un réel , l'ensemble des parties entiÚres a pour densité 1/a.
- L'ensemble des entiers sans facteur carré a pour densité (voir ThéorÚme de Cesà ro).
- L'ensemble des nombres abondants possÚde une densité[5], comprise entre 0,2474 et 0,2480[6].
- L'ensemble (intervalles d'entiers) des nombres dont l'écriture en base b contient un nombre impair de chiffres est un exemple d'ensemble sans densité asymptotique ; il est en effet de densité inférieure et de densité supérieure .
Cet ensemble possÚde cependant une densité logarithmique (voir ci-dessous) égale à 1/2 (en effet, , et il y a essentiellement n termes de cette forme à sommer).
- Les ensembles (différence symétrique de l'ensemble précédent avec ) et fournissent un exemple de deux ensembles ayant une densité dont ni l'intersection, ni la réunion, ni les deux différences n'ont de densité [7].
- Un autre exemple d'ensemble sans densité est l'ensemble des nombres dont l'écriture en base b commence par le chiffre c ().
Il est en effet de densité inférieure et de densité supérieure (1/9 et 5/9 par exemple pour le chiffre 1 en base 10).
Cet ensemble possÚde cependant une densité logarithmique (voir ci-dessous) égale à , autrement dit l'ensemble des entiers vérifie une loi de Benford logarithmique.
- Si est une suite équirépartie dans [0, 1] et si est la famille d'ensemblesalors, par définition, D(Ax) = x pour tout x.
Autres définitions
Densité de Banach
Une notion de densité un peu plus faible est celle de densité de Banach ; étant donné , elle est définie par
- .
Densité de Schnirelmann
La densité de Schnirelmann de est définie comme la borne inférieure de la suite ; bien qu'elle soit trÚs sensible aux petits entiers de A (elle est par exemple nulle si A ne contient pas 1 puisqu'alors ), elle possÚde des propriétés intéressantes qui la rendent plus utile que la densité asymptotique en théorie additive des nombres.
Densité logarithmique
Des ensembles plus irrĂ©guliers peuvent ĂȘtre mesurĂ©s par leur densitĂ© logarithmique, dĂ©finie par : on attribue le poids 1/k Ă l'entier k [1].
Cette densité se confond avec la densité asymptotique lorsque celle-ci existe[8], et on a vu ci-dessus des exemples d'ensembles sans densité asymptotique ayant cependant une densité logarithmique. On peut ainsi considérer qu'il s'agit d'un procédé analogue aux transformations permettant de calculer la somme d'une série divergente.
Exemple
Toute partie A telle que la série harmonique lacunaire converge a une densité logarithmique nulle. C'est le cas par exemple des ensembles de Kempner obtenus en ne conservant que les entiers ne comportant pas une séquence de chiffres donnée dans une certaine base.
La réciproque est fausse comme en témoigne l'ensemble des nombres premiers qui a une densité naturelle, donc logarithmique, nulle, et dont la série des inverses ne converge pas.
DensitĂ© zĂȘta
Pour tout réel , on définit , ce qu'il serait impossible d'écrire pour s = 1 à cause de la divergence de la série harmonique.
La densitĂ© zĂȘta (du nom de la fonction zĂȘta ) est alors dĂ©finie par . Elle coĂŻncide en fait avec la densitĂ© logarithmique[1] - [3].
Densité relative et densité analytique
ParticuliÚrement dans l'étude d'ensembles de nombres premiers[9], on est amené à définir la densité asymptotique relative de A (inclus dans ) comme la limite (quand n tend vers l'infini) du quotient (nombre d'éléments de A †n) / (nombre d'éléments de †n). Dans sa démonstration du théorÚme de la progression arithmétique, Dirichlet a défini une densité plus précise, la densité analytique de A, par la formule :
(laquelle se confond avec la densité asymptotique lorsque cette derniÚre existe).
Exemple numérique
Désignant par le nombre premier de rang k, on déduit du fait que la densité des multiples de a vaut 1/a, le tableau suivant :
Rang | Nombre premier | Densité des entiers divisibles par | Densité des entiers non divisibles par | Densité des entiers non divisibles par ,.., | Densité des entiers divisibles par au moins un premier entre et |
---|---|---|---|---|---|
k | |||||
1 | 2 | 50,0% | 50,0% | 50,0% | 50,0% |
2 | 3 | 33,3% | 66,7% | 33,3% | 66,7% |
3 | 5 | 20,0% | 80,0% | 26,7% | 73,3% |
4 | 7 | 14,3% | 85,7% | 22,9% | 77,1% |
5 | 11 | 9,1% | 90,9% | 20,8% | 79,2% |
6 | 13 | 7,7% | 92,3% | 19,2% | 80,8% |
7 | 17 | 5,9% | 94,1% | 18,1% | 81,9% |
8 | 19 | 5,3% | 94,7% | 17,1% | 82,9% |
9 | 23 | 4,3% | 95,7% | 16,4% | 83,6% |
10 | 29 | 3,4% | 96,6% | 15,8% | 84,2% |
11 | 31 | 3,2% | 96,8% | 15,3% | 84,7% |
12 | 37 | 2,7% | 97,3% | 14,9% | 85,1% |
13 | 41 | 2,4% | 97,6% | 14,5% | 85,5% |
14 | 43 | 2,3% | 97,7% | 14,2% | 85,8% |
15 | 47 | 2,1% | 97,9% | 13,9% | 86,1% |
16 | 53 | 1,9% | 98,1% | 13,6% | 86,4% |
17 | 59 | 1,7% | 98,3% | 13,4% | 86,6% |
18 | 61 | 1,6% | 98,4% | 13,2% | 86,8% |
19 | 67 | 1,5% | 98,5% | 13,0% | 87,0% |
20 | 71 | 1,4% | 98,6% | 12,8% | 87,2% |
21 | 73 | 1,4% | 98,6% | 12,6% | 87,4% |
22 | 79 | 1,3% | 98,7% | 12,4% | 87,6% |
23 | 83 | 1,2% | 98,8% | 12,3% | 87,7% |
24 | 89 | 1,1% | 98,9% | 12,2% | 87,8% |
25 | 97 | 1,0% | 99,0% | 12,0% | 88,0% |
Ce tableau se lit comme suit : la ligne pour k = 2 montre qu'en termes presque mathĂ©matiques (presque car une densitĂ© n'est pas une probabilitĂ©) on dirait qu'un entier a "une chance sur 3" de n'ĂȘtre divisible ni par 2 ni par 3, ou, ce qui revient au mĂȘme, "deux chances sur 3" d'ĂȘtre divisible par 2 ou par 3 (ou par les deux). En termes courants, on dirait que "deux entiers sur trois sont pairs ou multiples de 3".
Et de mĂȘme, en regardant le rĂ©sultat pour k = 25 (p = 97) on dirait que " 88% des entiers sont divisibles par un nombre premier infĂ©rieur Ă 100".
Voir aussi
- ThéorÚme de Szeremedi, énonçant que tout ensemble de densité supérieure strictement positive possÚde des progressions arithmétiques de tout ordre.
- Conjecture d'Erdös sur les progressions arithmétiques
Notes
- J.P. Delahaye, « Les entiers ne naissent pas Ă©gaux », Pour la Science - n° 421,â (lire en ligne)
- (en) Dr. Jörn Steuding, « Probabilistic Number Theory », p. 9
- Diaconis 1974, p. 8
- (en) W. Narkiewicz, Number Theory, Pologne, World Scientific, (ISBN 9971-950-13-8, lire en ligne), p 80 et 81
- (de) H. Davenport, « Ăber numeri abundantes », Preuss. Akad. Wiss. Sitzungsber., vol. 27,â , p. 830-837.
- (en) Marc DelĂ©glise, « Bounds for the density of abundant integers », Experimental Mathematics, vol. 7, no 2,â , p. 137-143 (lire en ligne).
- Diaconis 1974, p. 2
- A. Fuchs et G. Letta, « Le problĂšme du premier chiffre dĂ©cimal pour les nombres premiers », The Foata Festschrift. Electron, J. Combin. 3, n°2,â (lire en ligne)
- Voir (en) Andrew Granville et Greg Martin, « Prime number races », American Mathematical Monthly, vol. 113,â , p. 1â33 (JSTOR 27641834, lire en ligne)
Références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Natural density » (voir la liste des auteurs).
- (en) Persi Diaconis, Weak and Strong averages in Probability and Theory of Numbers, Université Harvard, coll. « ThÚse », (lire en ligne)
- (en) Melvyn Nathanson, Elementary Methods in Number Theory, Springer-Verlag, coll. « GTM », (ISBN 0387989129, zbMATH 0953.11002, lire en ligne)
- (de) H. H. Ostmann, Additive Zahlentheorie I, Berlin-Göttingen-Heidelberg, Springer-Verlag, coll. « Ergebnisse der Mathematik und ihrer Grenzgebiete (en) » (no 7), (zbMATH 0072.03101)
- (en) Jörn Steuding, « Probabilistic number theory »
- Gérald Tenenbaum, Introduction à la théorie analytique et probabiliste des nombres, Paris, Belin,