Coup d'État de 2002 au Venezuela
Le coup d'État du au Venezuela désigne une tentative avortée de destitution forcée du président du Venezuela, Hugo Chávez, qui fut détenu et empêché d’exercer son pouvoir pendant 47 heures. Durant cette période, le pouvoir fut exercé par Pedro Carmona. Une combinaison de force militaire et de manifestations populaires fit avorter le coup d’État et permit de remettre en place Hugo Chávez. Des secteurs importants des forces armées[1] et certains secteurs de l'opposition anti-Chávez ont refusé de soutenir le coup de Carmona[2] - [3], qui fut par ailleurs condamné par les gouvernements latino-américains lors du XVIe sommet du Groupe de Rio, réuni au Costa Rica, et par différentes organisations internationales. Les États-Unis et l'Espagne ont rapidement reconnu le gouvernement de facto de Carmona, mais ont également fini par condamner le coup une fois que celui-ci eut échoué[4].
Date | - |
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Lieu | Venezuela |
Le coup avait été planifié durant six à neuf mois, et a été exécuté après l'entrée en vigueur d'une série de lois controversées en et après que le gouvernement eut tenté de renforcer son contrôle sur la compagnie pétrolière de l'État vénézuélien, PDVSA. Une grève générale a eu lieu en , et, pendant les premiers mois de 2002, plusieurs officiers supérieurs ont publiquement appelé Chávez à démissionner. Au début du mois d'avril, le bras de fer entre le gouvernement et l'opposition a débouché sur une grève à PDVSA, qui s'est transformée en grève générale le , soutenue par le syndicat (Confédération des travailleurs du Venezuela, CTV) et par la principale fédération patronale Fedecámaras. La grève a été prolongée pendant plusieurs jours, et le , une manifestation de l'opposition a été déviée vers le palais présidentiel, où avait lieu un rassemblement pro-Chávez. Lorsqu'elle a atteint le centre-ville, des affrontements violents ont eu lieu, laissant un bilan de plusieurs morts et de dizaines de blessés par balles. Les médias privés vénézuéliens ont joué un rôle important en fournissant une couverture médiatique en continu de la grève générale et en soutenant et en diffusant l'appel à rediriger la manifestation vers le palais présidentiel. Le siège de Venevisión, propriété de Gustavo Cisneros, a notamment été l'endroit choisi par les principaux chefs de l'opposition pour se réunir après la manifestation du 11 avril et, de là , appeler les militaires à intervenir. Les médias privés ont par ailleurs refusé d'interroger des membres du gouvernement après la manifestation, et n'ont pas couvert les manifestations pro-Chávez qui ont suivi sa détention par les militaires. Des tentatives des partisans de Chávez pour déclarer qu'il n'avait pas démissionné ont été ignorées. La tentative d'une division de l'armée de rendre public son rejet du coup a été ignorée et diffusée uniquement par CNN. Lorsque les partisans de Chávez ont repris le palais présidentiel, les principaux médias privés vénézuéliens ont interrompu la couverture des événements, et deux des trois principaux journaux du pays ont annulé leurs éditions du dimanche.
Après coup, l'Organisation des États américains (OEA) a établi un espace de dialogue ou mesa de dialogue (littéralement « table de dialogue »), comme elle avait fait au Pérou après l'éviction d'Alberto Fujimori en 2000. À la demande de Chávez, la fondation de l'ex-président Jimmy Carter (le Centre Carter) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en ont également fait partie. Pour faciliter sa participation au dialogue, l'opposition a créé la Coordinadora Democrática (CD, littéralement« coordinatrice démocratique »).
Prémices
Le , Hugo Chávez fait voter un ensemble de 49 lois en utilisant un « pouvoir habilitant » dont la période de validité était sur le point de se terminer. Deux décisions en particulier suscitent une controverse : une renforçant le contrôle du gouvernement sur PDVSA (entreprise pétrolière), que Chávez accusait d'être devenue un « État dans l'État », et une loi portant sur la réforme agraire, qui comportait l'expropriation de latifundiums (grandes exploitations) avec indemnisation au prix du marché[5].
L'opposition aux lois débute par une action en justice du parti Action démocratique auprès la Cour suprême, pour se prononcer sur une éventuelle incapacité mentale du président, ce qui aurait permis sa destitution selon l'article 233 de la Constitution de 1999 ; Newsweek a tiré de cet épisode un reportage intitulé « Hugo Chávez est-il fou ? » (en anglais Is Hugo Chávez Insane?)[6] - [7]. Le 2021, l'opposition a organisé une fermeture générale de vingt-quatre heures. (Les boutiques des quartiers pauvres sont restées ouvertes. Avec les journaux, les bureaux, les écoles et la Bourse fermés, « l'opposition jubilait, persuadée que le soutien à Chávez s'était érodé[8]. » La grève a été organisée conjointement par le syndicat CTV, proche du patronnat, et l'organisation patronale Fedecámaras.
En , quatre officiers gĂ©nĂ©raux et supĂ©rieurs, dont un gĂ©nĂ©ral et un contre-amiral, ont appelĂ© publiquement Chávez Ă dĂ©missionner. Le , le colonel de l'armĂ©e de l'air Pedro Vicente Soto et le capitaine de rĂ©serve Pedro Flores Rivero ont dirigĂ© un rassemblement Ă Caracas, accusant le prĂ©sident Chávez de pratiques antidĂ©mocratiques et autoritaires. Le contre-amiral Carlos Molina Tamayo (es) dĂ©clare Ă la tĂ©lĂ©vision que si Chávez ne dĂ©missionne pas, il devrait ĂŞtre destituĂ©. En plus des accusations contre Chávez portant sur des entraves Ă la libertĂ© d'expression, les officiers dĂ©nonçaient aussi le plan BolĂvar 2000 et l'utilisation qu'il en faisait des ressources des forces armĂ©es Ă des fins sociales, plutĂ´t qu'Ă assurer la dĂ©fense du territoire. Ils dĂ©claraient Ă©galement que Chávez Ă©tait en train de s'aliĂ©ner les États-Unis en se rapprochant de la guĂ©rilla colombienne et des pays de l'OPEP considĂ©rĂ©s comme hostiles par les États-Unis, y compris l'Irak de Saddam Hussein[9]. Le , l'ambassade des États-Unis signale dans un câble Ă Washington que Fedecámaras, le syndicat CTV et l'Église catholique sont parvenus Ă un accord sur les « fondements d'une action dĂ©mocratique », que le câble dĂ©crit comme « dix principes guidant un gouvernement de transition[10]. » Un employĂ© de l'ambassade, commente le câble en notant que « […] cet accord… pourrait bien ĂŞtre le cadre de rĂ©fĂ©rence et le code de conduite d'un gouvernement de transition[11]. »
Le , Hugo Chávez annonce à la télévision le licenciement des cadres dirigeants de PDVSA. S'ensuit une intensification des manifestations de l'opposition. Le 9 avril, le syndicat CTV (Confédération des travailleurs du Venezuela) et Fedecámaras (syndicat patronal) déclenchent une grève générale de 24 heures pour soutenir les dirigeants de PDVSA.
DĂ©roulements
Préparations
Le soir du , un des auteurs du coup d'État dĂ©clare Ă la tĂ©lĂ©vision qu'« il y a neuf mois un mouvement a commencĂ© Ă s'organiser plus fermement, un mouvement sĂ©rieux qui heureusement a portĂ© ses fruits aujourd'hui »[12]. Un groupe de militaires soutenant le coup, dont le gĂ©nĂ©ral Enrique Medina Gomez, l'attachĂ© militaire de l'ambassade du Venezuela Ă Washington qui s'Ă©tait rendu Ă Caracas au dĂ©but de la journĂ©e, dĂ©clarent au gĂ©nĂ©ral Jorge GarcĂa Carneiro, alors Ă la base de Fuerte Tiuna (es), que le coup avait Ă©tĂ© planifiĂ© pendant des mois. Ils lui disent Ă©galement qu'un plan pour provoquer quelques dĂ©cès avec des snipers — comme une manière de limiter le nombre de morts dans l'Ă©ventualitĂ© d'un coup — Ă©tait envisagĂ© depuis des annĂ©es. Le gĂ©nĂ©ral Lucas RincĂłn Romero (es), qui s'Ă©tait rendu Ă Fuerte Tiuna Ă ce moment-lĂ , tĂ©moignera plus tard Ă l'AssemblĂ©e nationale avoir entendu des choses similaires, et que le vice-amiral HĂ©ctor RamĂrez lui avait avouĂ© ĂŞtre impliquĂ© dans la prĂ©paration depuis six mois[13]. Le correspondant de CNN au Venezuela, Otto Neustald, enregistre un message d'un groupe d'officiers supĂ©rieurs conduits par le vice-amiral HĂ©ctor RamĂrez, qui sera diffusĂ© plus tard dans la journĂ©e. Le message, enregistrĂ© au moins deux heures avant l'annonce du premier mort, accuse Chávez de massacrer des innocents en utilisant des snipers, faisant allusion Ă au moins six morts et des douzaines de blessĂ©s[14] - [15].
Le , le brigadier gĂ©nĂ©ral Nestor Gonzalez (es) apparaĂ®t Ă la tĂ©lĂ©vision et exige la dĂ©mission de Chávez en lui adressant un ultimatum. L'objet de la dĂ©claration Ă©tait d'inciter Chávez Ă annuler son dĂ©placement au Costa Rica car les plans d'opĂ©ration du coup nĂ©cessitaient sa prĂ©sence au Venezuela. Le message est enregistrĂ© au domicile du journaliste JosĂ© Ovidio Rodriguez (Napoleon Bravo), de l'Ă©mission 24 Horas, ce qu'il reconnaĂ®t lui-mĂŞme lors de l'Ă©mission du , dans une discussion avec le contre-amiral Molina Tamayo[16]. Ă€ la mĂŞme Ă©mission participe Victor Manuel Garcia (prĂ©sident de l'institut de sondage CECA), qui Ă©voque sa direction d'un poste de commandement civil depuis la base de Fuerte Tiuna, qui Ă©tait, d'après lui, en communication constante avec les postes de commandement militaires des gĂ©nĂ©raux Nestor Gonzalez Gonzalez et Efrain Vazquez Velasco. Garcia dĂ©clare avoir eu une coordination dĂ©taillĂ©e avec le contre-amiral Molina Tamayo pendant la manifestation de l'opposition[17]. Le 10 avril Ă©galement, un brouillon de ce qui deviendra l'acte constitutif du gouvernement de Carmona est montrĂ© Ă l'intellectuel Jorge OlavarrĂa (es) pour qu'il y apporte ses commentaires. OlavarrĂa avertit que cet acte violerait les normes dĂ©mocratiques et provoquerait une rĂ©action internationale[13].
Manifestations et heurts Ă Caracas
Le , plus de 200 000 personnes[18] marchent vers le siège de PDVSA en soutien aux dirigeants récemment licenciés. Otto Neustald, alors correspondant de CNN sur place, déclarera, plusieurs mois plus tard, que le soir du 10 avril, dans l'appel qui lui demande d'enregistrer une vidéo le lendemain, il est informé qu'une manifestation se dirigera vers le palais présidentiel et qu'il y aura des morts[11]. En fin de matinée, des orateurs au rassemblement devant le siège de PDVSA appellent à « marcher sur Miraflores (es) » (situé à 8 km de là ). La foule approuve et entame le parcours qui la conduira vers le centre-ville et le palais[19]. La manifestation est déviée sans l'autorisation de la police, qui était demandée par la loi[20]. Voyant les événements à la télévision, le gouvernement appelle à arrêter la manifestation afin d'éviter une confrontation avec les manifestants pro-Chávez rassemblés autour du palais.
Avec peu d'effectifs de la Garde nationale et de la police mĂ©tropolitaine de Caracas autour de Miraflores, Chávez ordonne l'activation du Plan Avila (plan d'opĂ©rations de l'armĂ©e pour contenir des troubles Ă l’ordre public) autour de midi[21] - [22]. L'ordre n'est pas exĂ©cutĂ© car le gĂ©nĂ©ral Manuel Antonio Rosendo, chef du CUFAN (Commandement unifiĂ© de l'ArmĂ©e nationale, dĂ©nomination de l'Ă©tat-major avant la loi LOFAN de 2005) soutient les officiers qui demandent la dĂ©mission du gouvernement. Lorsqu'il s'avère impossible de joindre le gĂ©nĂ©ral Rosendo, le gĂ©nĂ©ral Jorge GarcĂa Carneiro, commandant de l'unitĂ© militaire la plus grande de Caracas, propose d'intervenir. Cependant, son intervention est bloquĂ©e par l'action d'une autre unitĂ© qui tient un barrage sur une autoroute et redirige la circulation civile vers la base de Fuerte Tiuna, ce qui empĂŞche les troupes de sortir[21]. Lorsqu'il communique avec Fuerte Tiuna, le gĂ©nĂ©ral GarcĂa Carneiro est averti de l'intention des putschistes d'arrĂŞter le prĂ©sident[22].
Heurts Ă Miraflores
Près de Miraflores, le maintien de l'ordre est assuré selon les secteurs, par la police métropolitaine ou la garde nationale. Ils parviennent à arrêter temporairement la progression de la manifestation de l'opposition, menée par Guaicaipuro Lameda (es) et le contre-amiral Molina Tamayo[23]. La garde nationale lance des gaz lacrymogènes ; Molina Tamayo, connaissant les techniques de maintien de l'ordre, encourage la foule à traverser le nuage (l'effet des gaz étant moins fort de l'autre côté)[23]. À 14 h 30 environ, les manifestants pro- et anti-Chávez, séparés de quelques dizaines de mètres, s'échangent des insultes et des jets d'objets et le premier coup de feu est entendu[23]. Lameda, Molina Tamayo, Carmona et le syndicaliste de CTV Carlos Ortega (es) ont déjà quitté les lieux[15]. En fin d'après-midi, on compte 19 morts[24], et environ 60 blessés par balles[25] ; la plupart ayant été tués entre 15 h 20 et 15 h 55[24]. Certains des manifestants décédés appartiennent au camp pro-Chávez, dont deux devant le palais de Miraflores, et trois dans le secteur du pont Llaguno[26].
Le pont Llaguno (en espagnol Puente Llaguno) est situĂ© Ă environ 200 mètres du palais de Miraflores, au carrefour de l'avenue Urdaneta et l'avenue Baralt, en centre-ville de Caracas. Il permet Ă l'avenue Urdaneta de traverser, en la surplombant, l'avenue Baralt. La responsabilitĂ© des morts du demeure l'un des sujets les plus controversĂ©s de la politique vĂ©nĂ©zuĂ©lienne aujourd'hui. Une camĂ©ra de VenevisiĂłn situĂ©e sur la terrasse d'un immeuble filme des manifestants tirant au pistolet depuis un rassemblement pro-Chávez sur le pont Llaguno[27]. Leur cible n'est pas visible, mais l'opposition dĂ©clare qu'ils tiraient sur la manifestation anti-Chávez[15], ce qui est repris par la voix off de l'Ă©mission de VenevisiĂłn qui diffuse les images. Les tireurs, arrĂŞtĂ©s plus tard, dĂ©clareront qu'ils ripostaient au feu de la police mĂ©tropolitaine et de snipers non identifiĂ©s postĂ©s sur les immeubles adjacents (dans tous les cas les pistolets qu'ils utilisent ne sont effectifs que dans un rayon de 10 Ă 15 mètres). Le documentaire The Revolution Will Not Be Televised montre un enregistrement[28] pris par une Ă©quipe de la chaĂ®ne privĂ©e GlobovisiĂłn qui montre l'avenue sous le pont Llaguno vide ; un autre documentaire, RadiografĂa de una mentira, dĂ©fend que cet enregistrement dissimule un vĂ©hicule blindĂ© de la police mĂ©tropolitaine sur l'avenue en question. Le documentaire de 2004 Puente Llaguno: Claves de una Masacre, montre que des pro-Chávez n'ont commencĂ© Ă tirer qu'Ă 16 h 38, Ă un moment oĂą la plupart des victimes de l'opposition avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© tuĂ©es[24]. De plus, la plupart des dĂ©cès par balle de manifestants anti-Chávez sont relevĂ©s Ă au moins 250 mètres du pont Llaguno, avec des tirs de prĂ©cision portĂ©s sur le visage ou le cou, dĂ©passant de loin la distance d'engagement des armes de poing[24]. L'enregistrement de la communication de l'Ă©quipe sur place avec le studio de GlobovisiĂłn n'a Ă©tĂ© diffusĂ© qu'en 2007. La journaliste sur place signale notamment la prĂ©sence de snipers, habillĂ©s en noir, sur les toits du ministère des Affaires Ă©trangères (4 tireurs), de la Banque centrale (quatre tireurs) et du ministère de l'Enseignement (deux tireurs).
Un témoin oculaire avec entraînement militaire, ayant été lui-même blessé, signala que la plupart des victimes étaient atteintes à la tête et alerta la foule sur le danger imminent de snipers[29]. Certaines des victimes (qui comptent à la fois des pro- et des anti-chávistes) ont été abattues à des endroits inatteignables depuis le pont, dans des rues adjacentes[24]. Le journal El Nacional signale que la Garde présidentielle a arrêté trois snipers[30] alors que d'autres rapports font état de l'arrestation de sept individus à l'hôtel Ausonia, qui ont été libérés plus tard dans la confusion du coup, et des douilles vides retrouvées à l'hôtel Edén[26]. Des enregistrements vidéo et audio présentés lors du procès des commissaires de la police métropolitaine suggèrent que des policiers habillés en civil ont pénétré dans l'immeuble El Nacional et de là ils ont tiré au fusil de précision sur la manifestation de l'opposition et sur des fonctionnaires de la police métropolitaine situés sur l'avenue Baralt[25]. À 15 h 45, Chávez apparaît de nouveau à la télévision. Émettant depuis un sous-sol du palais de Miraflores, il semble ne pas être au courant des affrontements et parle pendant 90 minutes des succès de son gouvernement, en appelle au calme. Au bout des 30 premières minutes, les chaînes divisent les écrans à nouveau, montrant sur une moitié Chávez et sur l'autre les violences autour du palais, puis perturbent l'audio du discours de Chávez. En réponse, Chávez ordonne l'interruption du signal des chaînes. Il n'apprend l'étendue des troubles qu'après la fin de son intervention[31].
Coup d'État
Cinq minutes après l'intervention de Chávez, Lameda et le contre-amiral Molina Tamayo apparaissent sur Venevisión, où beaucoup des chefs de l'opposition s'étaient rassemblés, rendent Chávez responsable des violences et appellent les forces armées à intervenir[15]. Une heure plus tard, Carmona et, entre autres, l'ex-ministre de Chávez Luis Miquilena (es), font des déclarations similaires et le message des officiers supérieurs enregistré dans la matinée par Otto Neustald est diffusé[15]. À environ 19 h 30, Venevisión commence à diffuser sa version des événements, montrant les tireurs du pont Llaguno, juxtaposés avec des images de manifestants morts ou blessés, accusant les pro-Chávez de tirer sur des manifestants désarmés et de préparer une embuscade[32] (cette version est largement reprise par les médias internationaux les jours suivants). Peu après, le commandant de l'armée de terre, le général Efrain Vasquez Velasco, accompagné d'autres hauts gradés, déclare que Chávez a perdu leur soutien[33].
Chávez tente de diffuser la version des faits du gouvernement, mais se heurte à une forte opposition. La télévision vénézuélienne refuse d'interroger des membres du gouvernement, et celui-ci doit se contenter d'émissions depuis le palais de Miraflores via la chaîne publique Canal 8 Venezolana de Televisión (VTV). À environ 22 heures, ce signal est aussi perdu lorsque la police de l'État de Miranda occupe les installations de VTV, les employés lançant la diffusion d'un vieux documentaire sur la vie animale avant de quitter les lieux[33]. Peu avant l'occupation par la police, le gouverneur de l'État de Miranda Enrique Mendoza déclare que « cette chaîne de […] doit arrêter[34]. » À 22 h 20, le général Alberto Camacho Kairuz, de la Garde nationale, déclare à la télévision que Chávez a « abandonné » ses fonctions. Chávez se trouve pourtant à Miraflores, en communication avec des ambassadeurs de plusieurs pays pour les tenir informés des évènements et demander leur aide en tant que médiateurs[35]. Autour de minuit Fidel Castro appelle et l'incite à ne pas partir et à suivre l'exemple de Salvador Allende dans le coup d'État de 1973 (qui est mort dans le palais présidentiel, bombardé par l'aviation et une unité de blindés). José Vicente Rangel déclarera plus tard que Castro avait insisté sur le fait qu'il n'y ait pas de suicide. « C'était le facteur déterminant. Son conseil nous a permis de mieux voir[35]. »
Détention de Chávez
Dans les premières heures du , les auteurs du coup demandent la démission de Chávez. Chávez déclare qu'il va y réfléchir pour éviter un bain de sang s'il y avait des troubles impliquant la foule à l'extérieur du palais[36]. Cependant, il pose quatre conditions, dont celle de démissionner devant l'Assemblée nationale, avec une passation de pouvoirs vers le vice-président avant la convocation de nouvelles élections ; et de s'adresser à la nation en direct à la télévision[37] - [36]. À 3 h, avec la menace d'un bombardement du palais de Miraflores par l'aviation, Chávez dit au général Lucas Rincón Romero qu'il est prêt à démissionner. Dans les vingt minutes Rincón Romero annonce à la télévision que « [à Chávez] lui a été demandée sa démission, ce qu'il a accepté (sic) »[38]. Quelques minutes plus tard Chávez est informé que ses conditions sont irrecevables et il répond qu'il se rend en tant que « président prisonnier »[38].
Après que la dĂ©mission a Ă©tĂ© annoncĂ©e, Chávez est transportĂ© Ă la base de Fuerte Tiuna, oĂą il rencontre des reprĂ©sentants de l'Église catholique. Il rencontre Ă©galement des hauts gradĂ©s, qui ont dĂ©cidĂ© alors de ne pas le transporter Ă Cuba. Il va ĂŞtre transfĂ©rĂ© Ă la base de La Orchila, jusqu'Ă ce que les leaders du coup dĂ©cident de son sort. Pendant sa dĂ©tention Ă Fuerte Tiuna, Chávez a eu accès Ă la tĂ©lĂ©vision et a pu voir les annonces de sa dĂ©mission diffusĂ©es en boucle. Il s'inquiète de ce qu'il puisse ĂŞtre assassinĂ© et sa mort prĂ©sentĂ©e comme un suicide, afin de prĂ©server la cohĂ©rence de cette version des faits[39]. Il rĂ©ussit Ă communiquer Ă l'extĂ©rieur qu'il n'a pas dĂ©missionnĂ© dans un appel tĂ©lĂ©phonique Ă MarĂa Gabriela Chávez, sa fille qui, grâce Ă des opĂ©rateurs du palais de Miraflores restĂ©s loyaux Ă Chávez, rĂ©ussit Ă parler d'abord Ă Fidel Castro puis Ă la tĂ©lĂ©vision cubaine[40]. Dans un entretien avec deux femmes de la division lĂ©gale des forces armĂ©es, Chávez rĂ©itère qu'il n'a pas dĂ©missionnĂ© et cette dĂ©claration est faxĂ©e au procureur gĂ©nĂ©ral Isaias Rodriguez. Pour la rendre publique, Rodriguez convoque une confĂ©rence de presse Ă 14 heures, prĂ©tendument pour annoncer sa dĂ©mission. Mais, contrairement Ă ce qui Ă©tait attendu, il annonce en direct Ă la tĂ©lĂ©vision que Chávez n'a pas dĂ©missionnĂ© et qu'il est dĂ©tenu illĂ©galement. La suite de sa dĂ©claration est coupĂ©e et n'est pas diffusĂ©e[41]. Dans la soirĂ©e, Chávez est transfĂ©rĂ© Ă la base navale de Turiamo, près de Puerto Cabello et il s'inquiète du risque d'assassinat. Selon lui, Ă un moment donnĂ© un officier de la base met en garde un autre officier : « Si vous tuez le prĂ©sident, ici on va tous s'entre-tuer[42]. »
Gouvernement Carmona
Pendant l'après-midi du , Pedro Carmona, prĂ©sident du syndicat patronal Fedecamaras, est proclamĂ© prĂ©sident par intĂ©rim avec « l'Acte de constitution du Gouvernement de transition dĂ©mocratique et d'unitĂ© nationale », signĂ© par environ 400 personnes prĂ©sentes au palais de Miraflores Ă ce moment-lĂ . Dans la foulĂ©e, le pouvoir lĂ©gislatif est dissous et tous les dĂ©putĂ©s de l'AssemblĂ©e nationale (et leurs supplĂ©ants) sont destituĂ©s, de mĂŞme que les maires Ă©lus depuis l'Ă©lection de Chávez, les membres du Tribunal suprĂŞme de justice, des institutions du ministère public et de la Cour des comptes (la Fiscal General de la RepĂşblica et la ContralorĂa General de la RepĂşblica), du DĂ©fenseur du peuple et du Conseil national Ă©lectoral[43] - [44] - [45] - [46] - [47].
L'Acte déclare que des nouvelles élections auront lieu au plus tard en décembre 2002[48]. Carmona remplace Guaicaipuro Lameda à la tête de PDVSA. La direction de PDVSA annonce alors l'arrêt des exportations de pétrole vers Cuba et l'augmentation de la production, impliquant la fin de la coopération avec l'OPEP[49]. Bien que Carmona ait promis des nouvelles élections dans l'année, avec un retour au système bicaméral d'avant 1999 et qu'il ait annulé les 49 lois « habilitantes » votées six mois plus tôt, la dissolution du cadre institutionnel a fragmenté la coalition anti-Chávez qui avait soutenu le coup[43]. Par ailleurs, des syndicalistes comme Carlos Ortega n'ont pas été inclus dans le gouvernement, et le général Efrain Vasquez a été écarté du ministère de la Défense, au profit du vice-amiral Héctor Ramirez.
Manifestations pro-Chávez et échec du coup
Le 13 avril, dans la matinée, des manifestations de soutien à Chávez s'organisent dans plusieurs secteurs de Caracas. Contrastées avec les manifestations de l'opposition, les manifestations pro-Chávez sont majoritairement composées d'habitants des quartiers populaires de la périphérie de Caracas[50]. Ils bloquent les autoroutes qui vont vers l'est et vers la Guaira (où se trouvent le principal port du pays et l'aéroport de Caracas). Les émissions de certaines chaînes privées vénézuéliennes ne comportent alors que des dessins animés et des films. Cependant, la chaîne d'information par câble CNN et la chaîne privée colombienne Caracol (radio et télévision) continuent à diffuser des informations sur les événements. Avec le palais entouré par des milliers de manifestants et des centaines de parachutistes, le commandant des parachutistes José Baduel appelle Carmona et lui dit que « tout comme Chávez, lui aussi (Carmona) est un otage. » Il lui adresse un ultimatum pour libérer Chávez vivant dans les vingt-quatre heures[51]. Entre-temps, le général Raúl Baduel, qui commande l'ancienne division de parachutistes de Chávez à Maracay, essaye sans succès de rendre publique son opposition à Carmona ; les médias vénézueliens refusent de l'interroger[52]. Raúl Baduel communique avec le commandant de la Garde présidentielle, qui était resté loyal à Chávez, et lui dit « c'est maintenant ou jamais. » Plus tard dans la matinée du 13 avril, la Garde présidentielle investit le palais de Miraflores via un système de tunnels le reliant à leurs casernes. Beaucoup des putschistes ont réussi à échapper. Étant donné que le lieu de détention de Chávez était tenu secret, la présidence est assurée pendant plusieurs heures par le vice-président Diosdado Cabello.
Avec Miraflores repris, et au courant du soutien du gĂ©nĂ©ral Raul Isaias Baduel, Chávez rĂ©dige une note manuscrite oĂą il marque qu'il n'a pas dĂ©missionnĂ©[53] - [54] - [55]. Après la perte de Miraflores, les auteurs du coup tiennent une rĂ©union Ă la base de Fuerte Tiuna et rĂ©digent le brouillon d'une dĂ©claration qui reconnaĂ®t Carmona comme prĂ©sident, mais demande la restauration des institutions dĂ©mocratiques du pays. Dans la confusion de la rĂ©union, l'alliĂ© de Chávez Jorge GarcĂa Carneiro barre la partie reconnaissant Carmona ; et c'est ainsi que la dĂ©claration est lue aux studios de CNN (puisque aucune chaĂ®ne vĂ©nĂ©zuĂ©lienne n'a acceptĂ© de le diffuser)[56]. Après le coup, Carmona sera placĂ© en dĂ©tention domiciliaire, mais rĂ©ussira Ă obtenir l'asile politique Ă l'ambassade colombienne après qu'une manifestation anti-Chávez aura perturbĂ© la surveillance de sa maison[51]. Au petit matin du , une unitĂ© hĂ©liportĂ©e libère Chávez Ă La Orchila et le ramène Ă Caracas. Diosdado Cabello fait la passation des pouvoirs. Chávez s'adresse Ă la Nation en montrant un crucifix, et appelle au calme. Pendant l'absence temporaire de Chávez, la Bourse de Caracas a atteint des sommets record, avec l'index poussant une progression de presque 1 000 points en une seule journĂ©e. Lorsqu'il est apparu clairement que le coup avait Ă©chouĂ©, l'index est retombĂ©[57].
Couverture médiatique
D'importants groupes mĂ©diatiques vĂ©nĂ©zuĂ©liens comme El Universal, El Nacional, El Nuevo PaĂs, GlobovisiĂłn, Televen, CMT et RCTV ont soutenu le coup d'État[58]. En mĂŞme temps, le point de vue de l'opposition anti-Chávez a Ă©tĂ© relayĂ© dans les dĂ©pĂŞches de nombreuses agences de presse et mĂ©dia internationaux[59] - [60]. La une du du quotidien El Nacional titrait « La bataille finale sera Ă Miraflores »[61]. Pendant le mois de mars, RCTV a donnĂ© une couverture mĂ©diatique extensive des manifestations anti-Chávez, tout en Ă©vitant de couvrir les manifestations pro-Chávez[62]. Le , la manifestation anti-Chávez, le message « Chávez dehors » et l'appel Ă diriger la manifestation vers le palais prĂ©sidentiel Ă Miraflores ont Ă©tĂ© « largement diffusĂ©s, promus et couverts par les chaĂ®nes de tĂ©lĂ©vision privĂ©es, dont le soutien explicite Ă l'opposition est devenu Ă©vident. » Un flot continu d'annonces Ă la tĂ©lĂ©, diffusĂ©es gratuitement, appelait les VĂ©nĂ©zuĂ©liens Ă participer Ă la manifestation[63]. AndrĂ©s Izarra, alors directeur de production de l'Ă©mission El observador de RCTV, dĂ©clarera plus tard Ă l'AssemblĂ©e nationale qu'il a reçu des instructions prĂ©cises du propriĂ©taire Marcel Granier pour que le 11 avril et les jours suivants, il ne diffuse « aucune information sur Chávez, ses partisans, ses ministres et aucune autre qui pourrait avoir un quelconque rapport avec lui. »[64] Les auteurs du putsch, en incluant Carmona, se sont rĂ©unis au siège de VenevisiĂłn[58]. Après la dĂ©tention de Chávez, des protestations pro-Chávez, incluant des Ă©meutes soldĂ©es par 19 morts, ont Ă©clatĂ© Ă divers endroits de Caracas[62]. RCTV les ignora et envoya ses Ă©quipes dans des secteurs calmes de la ville pour « Ă©missions de tranquillitĂ© en direct »[62]. En direct sur VenevisiĂłn, le vice-amiral Victor RamĂrez PĂ©rez se rĂ©jouit du putsch et dĂ©clare : « On a eu une arme capitale : les mĂ©dias. Et, puisque l’occasion se prĂ©sente, je tiens Ă vous en fĂ©liciter[65]. »
La télévision vénézuélienne n'a pas informé de la reprise du palais de Miraflores par les partisans de Chávez ; les quatre principales chaînes ont tout simplement arrêté de diffuser des informations sur les événements[62]. Le St. Petersburg Times signala que RCTV diffusait des dessins animés. Venevisión diffusa un marathon de films hollywoodiens : Lorenzo's Oil, Nell et Pretty Woman. Une autre chaîne, Televen, conseilla à ses téléspectateurs de « rester à la maison », et diffusa des matchs de baseball et des feuilletons. Globovisión, la plus importante chaîne d'information en continu du pays et associée de CNN, rediffusa en boucle des enregistrements de la sortie de Chávez. Une voix off prévenait les téléspectateurs : « Nous vivons des temps de changement politique »[66]. Les directeurs de Venevisión, RCTV et Globovisión, tout comme l'éditeur d'El Nacional, se sont réunis avec Carmona à Miraflores[66]. Le directeur de Globovisión semble avoir appelé CNN à Atlanta (le siège de CNN en espagnol) « pour demander au réseau américain de se joindre au blackout[66]. » Deux des trois principaux journaux, El Universal et El Nacional ont annulé leurs éditions du dimanche, « pour des raisons de sécurité. » Le troisième journal, Ultimas Noticias, a imprimé à tirage limité son édition, rendant compte des faits objectivement. D'autres quotidiens et des médias régionaux ont également couvert les événements[62]. Lorsque CNN a annoncé l'opposition au coup d'une division stratégique des Forces armées à Maracay, « CNN exprima sa surprise sur le fait que la presse n'en disait rien. »[58]. Le communiqué des officiers demandant la restauration de la démocratie depuis Fuerte Tiuna a dû être diffusé par CNN, parce qu'aucune chaîne vénézuélienne n'a accepté de le faire[56].
Suites judiciaires
Les manifestants filmés en train de tirer depuis le pont Llaguno étaient considérés comme étant quatre militants pro-Chávez : Rafael Cabrices, Richard Peñalver, Henry Atencio et Nicolas Rivera. Ils ont été arrêtés par la police et sont restés en prison pendant un an, en attendant leur procès, mais les chefs d'accusation ont été abandonnées avant qu'il ne commence. Rafael Cabrices est mort d'un infarctus trois ans plus tard, en août 2005[67].
Sous la Constitution de 1999, les officiers des forces armées ont droit à une audience préliminaire devant la salle plénière du Tribunal suprême de justice pour décider de leur inculpation. Dans le cadre de cette audience, le tribunal a décidé, par 11 voix contre 9 (et deux abstentions), que quatre officiers supérieurs accusés de rébellion ne seraient pas inculpés, expliquant que ce n'était pas un coup d'État, mais un « vide de pouvoir » qui avait été produit par l'annonce de démission de Chávez faite par le général Lucas Rincon Romero[68]. Le , la Salle constitutionnelle du Tribunal suprême de justice décida que les abstentions étaient inconstitutionnelles, que l'audience était frappée de nullité et que les officiers en question (alors à la retraite) pouvaient être inculpés[69]. Le , le procureur en chef Danilo Anderson est assassiné, peu après avoir programmé la mise en examen de 400 personnes présumées avoir participé au coup. Entre-temps, Carmona et autres protagonistes des événements se sont exilés. En décembre 2007, Chávez délivra une grâce présidentielle à plus de 60 personnes ayant signé le « décret Carmona » (l'Acte de constitution du gouvernement de facto)[70].
En , après un procès commencé en qui a vu « 265 expertises, 5 700 photos, 20 vidéos et 198 témoignages », dix agents de police ont été condamnés[71] - [72] pour leur implication dans la mort de trois manifestants le . Six d'entre eux ont été condamnés pour homicide à 30 ans de réclusion et un a été acquitté. Un avocat des victimes décrit alors la police métropolitaine de Caracas du 11 avril 2002 comme « le bras armé de l'opposition »[73].
Notes et références
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- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « 2002 Venezuelan coup d'état attempt » (voir la liste des auteurs).
Bibliographie
- (en) Bart Jones, Hugo! : The Hugo Chávez Story : From Mud Hut to Perpetual Revolution, Londres, Bodley Head, (réimpr. 2008), 570 p. (ISBN 978-1-58642-135-9).
Filmographie
- John Pilger, The War on Democracy, 2007.
Liens externes
- Puente Llaguno : Claves de una masacre (Pont Llaguno : les clés d'un massacre) reprend la chronologie et la localisation des évènements (lien en espagnol).
- Maurice Lemoine, « Hugo Chávez sauvé par le peuple », Le Monde diplomatique, mai 2002.
- [vidéo] Coup d'État contre Chávez sur YouTube.