Combattants volontaires internationaux
Les combattants volontaires internationaux sont des individus qui « quittent leur pays dâorigine ou de rĂ©sidence pour prendre part Ă un conflit (armĂ©) Ă lâĂ©tranger en vertu dâune dĂ©cision personnelle, sans y ĂȘtre envoyĂ©s par leur gouvernement et sans avoir pour motivation principale lâespoir dâun gain matĂ©riel »[1]. Ces engagĂ©s volontaires doivent donc ĂȘtre distinguĂ©s Ă la fois des mercenaires, qui sont des combattants de mĂ©tier entrant au service dâun Ătat Ă©tranger principalement en vue dâen retirer un avantage personnel, des combattants prenant part volontairement Ă un conflit Ă©tranger au sein dâun corps rĂ©gulier expĂ©diĂ© par leur gouvernement (Ă l'instar de la lĂ©gion française et de la lĂ©gion britannique dans lâEspagne de la premiĂšre guerre carliste, ou du Corpo Truppe Volontarie envoyĂ© en Espagne par le gouvernement de Mussolini pour soutenir le gĂ©nĂ©ral Franco pendant la guerre civile de 1936-1939), ou encore des employĂ©s dâune sociĂ©tĂ© militaire privĂ©e fournissant ses services Ă un gouvernement Ă©tranger.
Depuis le marquis de La Fayette, le plus connu des officiers français partis combattre aux cĂŽtĂ©s des insurgĂ©s amĂ©ricains lors de la guerre dâindĂ©pendance de 1777-1783, jusquâaux combattants Ă©trangers ayant rejoint le thĂ©Ăątre des guerres civiles syrienne et irakienne, nombreuses ont Ă©tĂ© les incarnations de ce type de combattants volontaires qui ont laissĂ© une empreinte dans lâhistoire des conflits Ă lâĂ©poque contemporaine, tels que lord Byron, Giuseppe Garibaldi, George Orwell, Che Guevara ou encore Oussama Ben Laden. La typologie des conflits susceptibles dâattirer des combattants volontaires Ă©trangers montre une grande variĂ©tĂ© de situations: guerres de libĂ©ration ou dâindĂ©pendance, guerres civiles, rĂ©volutions et insurrections, rĂ©sistances Ă une occupation, ou encore guerres mondiales. DâaprĂšs une estimation de D. Malet, la participation de combattants volontaires Ă©trangers peut ĂȘtre documentĂ©e dans plus dâun conflit armĂ© civil sur cinq au cours de lâĂ©poque contemporaine (70 sur un total de 331 conflits armĂ©s civils identifiables pour la pĂ©riode allant de 1816 Ă 2005)[2].
En dĂ©pit de la rĂ©currence du phĂ©nomĂšne au cours de lâĂ©poque contemporaine, cette catĂ©gorie de combattants nâa fait lâobjet dâaucune dĂ©finition ni rĂ©gulation juridiques particuliĂšres, ce qui la renvoie aux âzones grisesâ des conflits armĂ©s et du droit international humanitaire. Ce nâest que dans les annĂ©es 2010, en rĂ©action Ă lâafflux de combattants Ă©trangers pendant les guerres civiles syrienne et irakienne et en lien avec les prĂ©occupations face au terrorisme international, que la question a attirĂ© lâattention croissante des experts en droit international[3] - [4]. Les combattants volontaires internationaux sont rĂ©guliĂšrement au centre de dĂ©bats et de polĂ©miques touchant Ă diverses dimensions de leur engagement: lâinterprĂ©tation de leurs motivations, la lĂ©gitimitĂ© de leur implication dans un conflit Ă©tranger, leur part dans les violences armĂ©es, leur impact sur les Ă©quilibres internationaux ou encore lâattitude que leur Ătat dâorigine doit adopter envers eux.
Histoire du volontariat armé international
Ăpoques mĂ©diĂ©vale et moderne
Il est possible de voir une forme de volontariat armĂ© international, dans les temps anciens, avec le âpĂšlerinage armĂ©â des CroisĂ©s partis rĂ©tablir lâaccĂšs des pĂšlerins Ă la Terre sainte, puis avec les ordres de moines-soldats crĂ©Ă©s pour leur protection comme les Templiers ou les Hospitaliers. Par ailleurs, certaines expĂ©riences dâengagement mercenaire montrent les limites poreuses entre mercenariat et motivations politiques ou religieuses. LâitinĂ©raire biographique de lâAnglais Guy Fawkes (1570-1606) en est lâillustration: avant de se mettre au service du roi dâEspagne pour se battre contre les protestants des Provinces-Unies, il sâĂ©tait converti au catholicisme et avait quittĂ© lâAngleterre Ă©lisabĂ©thaine oĂč les catholiques Ă©taient persĂ©cutĂ©s; il se rendit ensuite en Espagne pour plaider en faveur dâune aide Ă la rĂ©bellion des catholiques anglais et, aprĂšs son retour en Angleterre, participa Ă une tentative infructueuse dâattentat contre la famille royale qui lui coĂ»ta la vie. Les rĂ©giments irlandais catholiques qui ont servi dans lâarmĂ©e espagnole des Flandres pendant la guerre de Quatre-Vingts Ans Ă©taient Ă©galement motivĂ©s en partie par des motivations religieuses et par lâespoir dâobtenir lâappui de lâEspagne catholique contre la domination anglaise protestante en Irlande; aprĂšs la rĂ©volte irlandaise de 1641, beaucoup de ces mercenaires rentrĂšrent sur lâĂźle, Ă lâexemple de Eoghan Ruadh Ă NĂ©ill et Hugh Dubh O'Neill, pour y combattre en faveur de lâindĂ©pendance.
Ămergence de la figure moderne du combattant volontaire international Ă la fin du XVIIIe s.
La notion de combattant volontaire international ne prend cependant tout son sens quâĂ partir de la fin du XVIIIe s., sous lâeffet des mutations militaires, politiques et idĂ©ologiques propres Ă la transition entre Ă©poques moderne et contemporaine. La montĂ©e idĂ©ologique du nationalisme et lâaffirmation du monopole de lâĂtat sur le service militaire ont paradoxalement crĂ©Ă© les conditions pour lâĂ©mergence de la figure du combattant volontaire Ă©tranger. Lâaffirmation du modĂšle de milice citoyenne, avec lâarmĂ©e continentale formĂ©e en 1775 par les colonies amĂ©ricaines insurgĂ©es puis lâarmĂ©e nationale rĂ©organisĂ©e par la RĂ©volution française en 1791, en induisant une nationalisation du service militaire, plaidait contre le recours au recrutement de soldats Ă©trangers. DĂšs la seconde moitiĂ© du siĂšcle, des Ătats avaient cherchĂ© Ă limiter lâemploi de troupes mercenaires qui avait caractĂ©risĂ© les armĂ©es de lâancien rĂ©gime et qui sâĂ©tait mĂȘme renforcĂ© sous lâeffet de lâaugmentation rĂ©guliĂšres des effectifs militaires depuis le dĂ©but du siĂšcle[5]. ParallĂšlement sâest affirmĂ©e avec les rĂ©volutions une nouvelle vision du service militaire, assimilĂ© Ă la citoyennetĂ© et Ă la dĂ©fense de la collectivitĂ© ou Ă une cause abstraite (la libertĂ©), encouragĂ©e par la propagande des Ătats rĂ©volutionnaires. En retraçant lâhistoire des engagĂ©s volontaires de la Grande Guerre, George L. Mosse met ainsi en avant lâĂ©mergence, au cours de lâĂ©poque rĂ©volutionnaire, dâun nouveau âmythe de lâexpĂ©rience de la guerreâ qui construit la guerre comme un Ă©vĂ©nement chargĂ© de sens, en confiant au soldat âla tĂąche sacrĂ©eâ de dĂ©fendre la nation ou la libertĂ©, jusquâĂ produire une vĂ©ritable religion civile de la guerre[6].
Ce nouveau contexte culturel a modifiĂ© la perception des combattants Ă©trangers et de la lĂ©gitimitĂ© de lâimplication dâĂ©trangers dans un conflit armĂ©. A la diffĂ©rence du mercenaire, le volontaire Ă©tranger ne se met pas Ă la solde dâun prince par appĂąt du gain mais sâengage par adhĂ©sion idĂ©aliste Ă une cause quâil estime juste et universelle: il constitue donc une entorse tolĂ©rable, voire louable, au principe dâarmĂ©e nationale et citoyenne. Le mythe qui sâest formĂ© sur le marquis de La Fayette aprĂšs sa participation Ă lâinsurrection amĂ©ricaine, en Europe comme aux Ătats-Unis, constitue une des premiĂšres incarnations de cette figure idĂ©ale de combattant volontaire international: celui dont les services nâavaient Ă©tĂ© initialement acceptĂ©s par le CongrĂšs quâavec rĂ©serve fut cĂ©lĂ©brĂ©, aprĂšs sa participation Ă la guerre dâindĂ©pendance amĂ©ricaine, comme le champion hĂ©roĂŻque et dĂ©sintĂ©ressĂ© de la lutte pour la libertĂ©; son sĂ©jour aux Ătats-Unis en 1824-1825, en tant qu'âhĂŽte de la Nationâ, fut dĂ©crit par les observateurs contemporains comme un vĂ©ritable âjubilĂ© de la libertĂ©â[7].
Trois vagues de volontariat armĂ© international au fil de lâĂ©poque contemporaine
Au fil de lâĂ©poque contemporaine, lâaffirmation de grandes idĂ©ologies au centre des affrontements socio-politiques et lâinternationalisation croissante des conflits ont crĂ©Ă© les conditions favorables Ă lâessor du volontariat armĂ© international. Nir Arielli propose de distinguer trois grandes vagues de conflits susceptibles dâattirer des combattants volontaires internationaux, suivant des critĂšres essentiellement idĂ©ologiques[8]:
- La premiĂšre vague est celle du combat pour la libertĂ© et contre la âtyrannieâ inaugurĂ© par les rĂ©volutions atlantiques de la fin du XVIIIe s., et qui se prolonge dans la lutte des mouvements nationaux ou libĂ©raux âen rĂ©volte contre les monarchies et les puissances impĂ©riales accusĂ©s de vouloir Ă©touffer les aspirations Ă la libertĂ©â. Cette vague inclut notamment les guerres dâindĂ©pendance de lâAmĂ©rique espagnole, la guerre d'indĂ©pendance grecque et la lutte des autres peuples balkaniques contre lâEmpire ottoman, et les guerres du Risorgimento italien. George Mosse met lâaccent sur lâexpĂ©rience de Lord Byron et des combattants philhellĂšnes engagĂ©s aux cĂŽtĂ©s des Grecs insurgĂ©s dans les annĂ©es 1820, qui a constituĂ© selon lui une Ă©tape importante dans la construction du mythe de lâengagĂ© volontaire, par la publicitĂ© quâelle reçut et son intĂ©gration dans lâimaginaire romantique[6]. On peut complĂ©ter ce tableau par dâautres conflits inspirĂ©s par les mots dâordre de libertĂ© des peuples et ayant vu la participation de combattants Ă©trangers: la rĂ©volution texane de 1835-1836; la guerre civile portugaise de 1828-1834; les guerres civiles espagnoles de 1833-1840 et 1872-1876; la guerre franco-prussienne de 1870 (avec la lĂ©gion des volontaires garibaldiens); la guerre russo-turque de 1877-1878; la guerre hispano-amĂ©ricaine de 1898; la guerre anglo-boer de 1899-1902; enfin la PremiĂšre Guerre mondiale, qui a vu la formation dans lâarmĂ©e française dâunitĂ©s de volontaires Ă©trangers au nom de la dĂ©fense de la France, hĂ©ritiĂšre de la RĂ©volution française, contre lâAllemagne impĂ©riale (dont lâEscadrille La Fayette formĂ©e par les volontaires amĂ©ricains, en souvenir du marquis de La Fayette, ou la LĂ©gion Garibaldienne des volontaires italiens).
- La seconde vague est dominĂ©e par la polarisation idĂ©ologique entre gauche et droite, prĂ©cipitĂ©e par la rĂ©volution russe de 1917, dans laquelle âdes volontaires Ă©trangers appartenant Ă chaque camp du spectre politique combattent pour aider ou pour empĂȘcher un changement de rĂ©gime dans un autre pays ou une autre rĂ©gionâ. Les conflits relevant de cette vague incluent la guerre civile russe, la guerre russo-polonaise, la guerre civile espagnole, la Seconde Guerre mondiale et les rĂ©sistances Ă lâoccupation nazie, ainsi que les projections de la Guerre froide dans les conflits civils en Afrique, en Asie et dans lâAmĂ©rique latine.
- La troisiĂšme vague est placĂ©e par Nir Arielli sous le signe du âchoc des civilisationsâ, un concept empruntĂ© Ă lâanalyse trĂšs controversĂ©e de Samuel Huntington, selon laquelle les relations internationales obĂ©issent depuis la chute du bloc soviĂ©tique Ă la fin des annĂ©es 1980 non plus Ă des clivages idĂ©ologiques politiques mais Ă des oppositions culturelles ou âcivilisationnellesâ, accordant une place centrale aux appartenances religieuses. Cette vague commence avec la guerre afghano-soviĂ©tique et comprend les guerres de Yougoslavie, la guerre de TchĂ©tchĂ©nie, la guerre dâAfghanistan depuis 2001, la guerre dâIrak depuis 2003 et la guerre civile syrienne depuis 2011. Cette vague est donc fortement associĂ©e au phĂ©nomĂšne du volontariat âdjihadisteâ international.
Cette catĂ©gorisation ne fournit quâun cadre schĂ©matique pour rĂ©partir les diffĂ©rentes expĂ©riences de volontariat armĂ© international en insistant sur leur dimension idĂ©ologique replacĂ©e dans un contexte culturel et politique plus gĂ©nĂ©ral. Certaines expĂ©riences historiques dĂ©bordent les limites chronologiques ou analytiques de cette classification. On trouve ainsi des dimensions religieuses et civilisationnelles dans les conflits du XIXe s. LâĂ©lan de solidaritĂ© europĂ©en envers les Grecs insurgĂ©s contre lâEmpire ottoman dans les annĂ©es 1820 impliquait chez de nombreux volontaires une dimension religieuse (lâĂ©mancipation dâun peuple chrĂ©tien vis-Ă -vis dâune puissance musulmane) ou civilisationnelle (le retour en Europe de la GrĂšce, berceau de la civilisation classique, contre un Orient jugĂ© despotique et barbare), voire une rĂ©miniscence des croisades du Moyen Ăge[9]. Un âmythe de la croisade slaveâ se retrouve Ă©galement dans la mobilisation patriotiques des Russes en faveur des Slaves des Balkans contre lâEmpire ottoman, en 1877[10]. Dans les annĂ©es 1860, le pape Pie IX fit appel Ă la dĂ©votion religieuse envers lâĂglise de Rome pour inciter les catholiques Ă se porter volontaires dans son armĂ©e et dĂ©fendre lâĂtat pontifical contre le mouvement nationaliste italien, notamment parmi les Zouaves pontificaux. Dans dâautres conflits, les grandes divisions idĂ©ologiques du moment ont moins comptĂ© que les enjeux locaux, territoriaux ou ethniques. Ainsi lors de la guerre israĂ©lo-arabe de 1948-1949, lâengagement de soldats Ă©trangers dans les deux camps - au sein du Mahal et de lâArmĂ©e de libĂ©ration arabe - sâinscrivait dans un affrontement culturel et religieux liĂ© au conflit local entre IsraĂ«l et ses voisins arabes, autour du projet sioniste dâĂtat juif en Palestine, bien plus que dans les enjeux politiques et stratĂ©giques propres au contexte des dĂ©buts de la Guerre Froide. Lâafflux de volontaires pro-russes ou pro-ukrainiens dans la guerre du Donbass de 2014 dĂ©montre enfin que ni les solidaritĂ©s nationalistes ni les enjeux gĂ©opolitiques dâune confrontation globale entre lâOccident et la Russie nâont disparu dans cette rĂ©gion Ă la suite de lâeffondrement du bloc soviĂ©tique[11].
Comprendre lâengagement armĂ© volontaire: les motivations au dĂ©part
Motivations idéalistes
La dĂ©finition du combattant volontaire international met en avant une dĂ©cision personnelle dâengagement fondĂ©e sur des motivations non-exclusivement matĂ©rielles. Parmi les valeurs ou idĂ©aux auxquels les volontaires armĂ©s internationaux peuvent se rĂ©fĂ©rer figurent les solidaritĂ©s politiques, idĂ©ologiques ou religieuses envers lâun des camps en lutte, ou encore lâappartenance ethnique ou culturelle commune avec un groupe belligĂ©rant (notamment au sein dâune diaspora). On trouve des engagements armĂ©s volontaires en lien avec la plupart des grandes idĂ©ologies politiques contemporaines (libĂ©ralisme, nationalisme, monarchisme contre-rĂ©volutionnaire, anarchisme, socialisme, communisme, fascisme, traditionalisme (franquisme)) et avec les trois grandes religions monothĂ©istes (christianisme, islam, judaĂŻsme).
Un conflit est ainsi plus susceptible de susciter lâimplication de volontaires Ă©trangers lorsquâil ne porte pas uniquement sur la prise du pouvoir par lâune ou lâautre des factions en lutte, mais sur des enjeux gĂ©nĂ©raux tels que la structure sociale, lâidĂ©ologie ou la religion, dans lesquels des acteurs extĂ©rieurs peuvent se reconnaĂźtre[12]. Une des sources du volontariat armĂ© international rĂ©side dans lâinternationalisme et ses diverses incarnations historiques. La mĂ©moire historique dâune aide reçue dans le passĂ© peut inspirer un volontariat fondĂ© sur lâidĂ©e dâune dette de gratitude, comme dans le cas des volontaires amĂ©ricains au service de la France pendant la Grande Guerre. Pour certains volontaires français partis en Afrique du Sud, la rĂ©sistance des Boers nâĂ©tait pas sans rappeler les guerres de VendĂ©e[13]. Le sentiment de proximitĂ©, quâil soit idĂ©ologique ou gĂ©ographique, joue donc un rĂŽle fondamental dans lâengagement armĂ© volontaire Ă lâĂ©tranger.
Des engagĂ©s volontaires peuvent alors voir dans la participation Ă un conflit civil Ă©tranger lâoccasion de faire avancer leur propre cause dans leur pays dâorigine ou au niveau international, voire le substitut ou la prolongation dâun combat menĂ© dans le pays dâorigine. En cherchant Ă recruter des officiers lĂ©gitimistes français au service du roi Michel Ier du Portugal, le marĂ©chal de Bourmont affirmait ainsi quâil fallait soutenir un monarque qui Ă©tait dans son pays le champion des principes « d'ordre » et « d'autoritĂ© » en face du libĂ©ralisme envahissant, menaçant lâEspagne voisine (âAllons dĂ©truire les brandons rĂ©volutionnaires jetĂ©s Ă Porto !â), mais aussi parce quâen âaffermissant sur son trĂŽne un prince tout dĂ©vouĂ© Ă la cause de Henri Vâ (le prĂ©tendant français) ils serviraient âles intĂ©rĂȘts de la lĂ©gitimitĂ© en Franceâ en assurant Ă ce dernier âl'appui moral d'une tĂȘte couronnĂ©e et l'appui de forces militaires lorsque les circonstances le permettr[aie]ntâ[14].
Soif d'aventures, opportunisme ou facteurs psychologiques
Toutefois, lâidĂ©alisme ou la poursuite dâobjectifs idĂ©ologiques ne sont pas les seuls dĂ©terminants identifiables dans lâengagement volontaire international. Gilles PĂ©cout, en Ă©voquant le volontariat armĂ© international dans la MĂ©diterranĂ©e du XIXe s., rappelle que lâengagement dans un conflit Ă©tranger pouvait ĂȘtre âvu comme une aventure dans laquelle lâexotisme et la fiĂšvre de lâaventure Ă©taient importants, et avec ça, lâinfluence dâune passion virile pour la chose martialeâ[15].
Lâengagement en faveur dâune cause nâexclut pas non plus des motivations personnelles et matĂ©rielles: espoir dâamĂ©liorer son statut, son image publique et ses conditions personnelles en prenant part Ă un conflit au sein dâune armĂ©e organisĂ©e; volontĂ© dâĂ©chapper Ă la misĂšre, au chĂŽmage ou Ă des persĂ©cutions; nĂ©cessitĂ© de quitter le pays dâorigine ou de rĂ©sidence. En 1835, lâĂ©lan de mobilisation en faveur de la rĂ©volution texane dans de nombreux Ătats amĂ©ricains sâexpliquait non seulement par la solidaritĂ© envers une cause dâindĂ©pendance et les colons âamĂ©ricainsâ ainsi que par la crainte des rĂ©percussions de la lutte menĂ©e au Mexique par le prĂ©sident Santa Anna contre lâesclavagisme, mais aussi par la crise Ă©conomique qui frappait alors les Ătats-Unis, notamment dans le secteur agricole, et par la crainte de voir se fermer un dĂ©bouchĂ© essentiel pour la poursuite de lâexpansion vers lâOuest; le gouvernement rĂ©volutionnaire texan encouragea dâailleurs le recrutement volontaire en promettant la distribution de vastes surfaces de terres arables aux combattants[16]. Nombreux sont parmi les engagĂ©s volontaires les anciens militaires motivĂ©s Ă la fois par des raisons politiques et par le dĂ©sir de retourner dans la carriĂšre des armes, Ă lâexemple des vĂ©tĂ©rans des guerres napolĂ©oniennes et de la guerre anglo-amĂ©ricaine de 1812 dans les guerres dâindĂ©pendance hispano-amĂ©ricaines, puis lâEspagne, la GrĂšce, la pĂ©ninsule italienne, la Belgique et la Pologne[17]. En sâadressant aux officiers lĂ©gitimistes qui s'Ă©taient retirĂ©s du service, de grĂ© ou de force, Ă la suite de la rĂ©volution de 1830, le marĂ©chal de Bourmont prĂ©sentait lâengagement au service du roi du Portugal comme âle moyen de procurer Ă nos amis politiques que le malheur des temps a obligĂ©s de briser leur Ă©pĂ©e, de quitter leur pays, un azyle (sic), des secours, et mĂȘme une carriĂšre militaireâ[14].
Des explications dâordre psychologique peuvent Ă©galement ĂȘtre avancĂ©es pour expliquer des dĂ©cisions dâengagement: attrait pour la violence et la mort, volontĂ© dâĂ©chapper Ă un malaise ou Ă la dĂ©pression, frustration, rupture avec lâenvironnement familial ou social et âradicalisationâ. DâaprĂšs un groupe de chercheurs mandatĂ©s par le Belspo sur la âformation de l'extrĂ©misme violentâ, âles raisons (impĂ©rieuses) (...) pour rejoindre des groupes extrĂ©mistes sont souvent de nature sociale et reposent sur des sentiments dâindignation et de perte de repĂšresâ. Ainsi, âau lieu de se concentrer sur les motivations et lâidĂ©ologieâ, ces chercheurs estiment que âlâattention devrait se porter sur les questions structurelles, les processus de groupe et les tensions individuelles ressentiesâ, qui constituent selon eux âle terreau de la radicalisation violenteâ. âLes personnes en quĂȘte dâinclusion sociale, dâidentitĂ©/de sens et qui connaissent lâinjusticeâ seraient ainsi âparticuliĂšrement sensibles Ă lâextrĂ©misme violent.â Des enquĂȘtes sur les motivations des volontaires Ă©trangers en Irak et en Syrie, notamment Ă partir dâentretiens, aboutissent cependant Ă des conclusions contrastĂ©es sur lâimportance respective Ă accorder aux conditions Ă©conomiques et sociales, aux prĂ©occupations existentielles ou psychologiques, et aux dimensions idĂ©ologiques ou religieuses[18].
Le discours des recruteurs
Face Ă la difficultĂ© Ă saisir les motivations personnelles des combattants, David Malet propose de se concentrer sur le discours par lequel les recruteurs sâefforcent de recruter des combattants Ă©trangers[2]. Dans un conflit, chaque camp belligĂ©rant cherche en effet Ă contrĂŽler les ressources essentielles pour pouvoir sâimposer. Parmi elles figure la communication autour de sa lutte afin de convaincre un maximum de personnes de la justesse de sa cause, dans le pays comme Ă lâĂ©tranger. Cette nĂ©cessitĂ© est surtout ressentie par les groupes en rĂ©bellion contre un Ătat ou en situation dâinfĂ©rioritĂ©. En voulant attirer lâattention internationale sur leur combat et leurs conditions, la stratĂ©gie de communication de ces groupes repose frĂ©quemment sur le recrutement de volontaires Ă©trangers, opĂ©rĂ© dans des pays plus ou moins Ă©loignĂ©s de la zone de conflit, directement ou indirectement par lâintermĂ©diaire dâagents ou de cellules de recrutement. On peut alors observer deux stratĂ©gies de communication visant Ă susciter des recrutements:
- En visant directement des personnes susceptibles de rejoindre la cause en vertu de liens plus ou moins Ă©loignĂ©s avec le groupe engagĂ© dans le conflit, que ce soit en terme dâethnicitĂ©, de religion ou dâidĂ©ologie. Dans ce cadre, âle recrutement sâopĂšre au travers des rĂ©seaux sociaux des communautĂ©s transnationales [...] afin dâactiver un sentiment dâobligation ou de devoir envers la communautĂ©â[2]. En plus dâinvoquer les valeurs ou idĂ©aux partagĂ©s, les recruteurs appuient alors sur lâidĂ©e que leur communautĂ© est sous le joug dâune menace existentielle et quâils ont besoin dâaide pour survivre, en insistant le plus souvent sur un message dâauto-dĂ©fense. En sâappuyant sur une rhĂ©torique de justice et de solidaritĂ©, les recruteurs cherchent Ă soulever les Ă©motions dâempathie, dâindignation ou de colĂšre du public visĂ©.
- En se rapprochant de gouvernements ou de personnalités publiques trÚs actives au sein de leurs communautés, pour les transformer en porte-parole influents susceptibles de légitimer et populariser la cause des recruteurs.
Les combattants volontaires internationaux dans les conflits armés
Effectif et rĂŽle militaire
Lâimpact de lâimplication de combattants volontaires Ă©trangers dans le dĂ©roulement et lâissue des conflits armĂ©s est relativement limitĂ© sur le plan strictement militaire. Avec des effectifs trĂšs variable - Ă peine un millier sans doute dans la GrĂšce en lutte pour son indĂ©pendance dans les annĂ©es 1820[19], contre 7.000 dans les Zouaves pontificaux dans les annĂ©es 1860[20] ou 32.000 Ă 35.000 dans les Brigades internationales pendant les trois annĂ©es de la guerre civile espagnole[21] - les bataillons de volontaires Ă©trangers ne reprĂ©sentent dans tous les cas quâune faible proportion de lâensemble des effectifs combattants. Rares sont les batailles dans lesquelles les troupes volontaires Ă©trangĂšres ont vĂ©ritablement pesĂ© dans la balance. Le rĂŽle substantiel jouĂ© par les brigades internationales dans la dĂ©fense de Madrid ou la bataille de Guadalajara sont plutĂŽt des exceptions, liĂ©es aux effectifs importants de cette force et Ă lâexpĂ©rience militaire acquise par une partie des brigadistes lors de la PremiĂšre Guerre mondiale. Les combattants volontaires sont frĂ©quemment cantonnĂ©s dans des positions marginales et symboliques.
Mythe et réalités du terrain
LâintĂ©gration des volontaires Ă©trangers dans les troupes combattantes est souvent pavĂ©e dâobstacles. Les autoritĂ©s militaires et civiles se montrent parfois rĂ©ticences face Ă des individus dĂ©pourvus dâexpĂ©rience militaire ou soupçonnĂ©s dâopportunisme. Ainsi, le CongrĂšs amĂ©ricain ne montra initialement pas grand enthousiasme face Ă lâarrivĂ©e de volontaires europĂ©ens, parfois de haut-rang social, montrant de grandes exigences et ne parlant pas lâanglais. La Fayette alla jusquâĂ proposer de servir Ă ses frais comme simple soldat pour faire se faire accepter dans les rangs de lâarmĂ©e amĂ©ricaine[22]. Les volontaires italiens qui voulaient se battre au service de la France sous la banniĂšre de Garibaldi rencontrĂšrent de grandes difficultĂ©s de la part du gouvernement français qui, aprĂšs les combats meurtriers de lâArgonne, sâempressa de dissoudre leur rĂ©giment en prĂ©textant leur indiscipline, au nom dâun discours conservateur et italophobe[23]. Les combattants Ă©trangers sont parfois Ă©galement en butte Ă la mĂ©fiance ou Ă lâhostilitĂ© des combattants locaux. Robert de Kersauson, jeune Breton engagĂ© en juin dans les corps Ă©trangers en Afrique du Sud pendant la guerre anglo-boers (1899-1900), se rappelle que « lâattitude des Boers Ă lâĂ©gard des volontaires venus de lâĂ©tranger Ă©tait incomprĂ©hensible et parfois blessante »: les volontaires Ă©taient un peu mĂ©prisĂ©s en raison de leur ignorance du veld et celle de la langue afrikaaner qui les obligeait Ă employer lâanglais, la langue de lâennemi[24]. Au sein du Mahal israĂ©lien, les diffĂ©rences de rĂ©munĂ©ration et de condition de vie entre volontaires Ă©trangers et soldats locaux ont engendrĂ© de nombreuses tensions, en particulier dans lâarmĂ©e de lâair oĂč la prĂ©dominance dâofficiers Ă©trangers entraĂźna le choix de lâanglais comme langue opĂ©rationnelle au dĂ©triment de lâhĂ©breu.
Les combattants Ă©trangers trouvent souvent sur le terrain une rĂ©alitĂ© diffĂ©rente de celle quâils attendaient et en retirent des dĂ©ceptions. HervĂ© Mazurel rappelle que, « sur le thĂ©Ăątre des opĂ©rations », les volontaires philhellĂšnes ont trouvĂ© en GrĂšce un « art de la guerre » menĂ© par des bandes armĂ©es dont les chefs - souvent dâanciens bandits ou klephtes - poursuivaient des objectifs personnels -, trĂšs Ă©loignĂ© de leur expĂ©rience (pour beaucoup formĂ©e durant les guerres napolĂ©oniennes) et de leurs attentes, et que beaucoup condamnaient[25]. Quelques volontaires versĂšrent dans le mishellĂ©nisme, Ă lâinstar de Louis de Bollmann qui, de retour en France, publie un pamphlet dans le but de âde dĂ©sabuser la jeunesse qui serait disposĂ©e Ă faire la mĂȘme sottise que moi, sur le sort qui lâattend en GrĂšceâ (Remarques sur lâĂ©tat moral, politique et militaire de la GrĂšce, Ă©crites sur les lieux, Marseille, 1822)[26].
Pour David Thomson, 90 % des retours de âFrançais jihadistesâ revenus dâIrak ou de Syrie âsont justifiĂ©s par la dĂ©ception ou la fatigueâ[27]. Plusieurs enquĂȘtes rĂ©alisĂ©es Ă partir des tĂ©moignages de volontaires revenus au Canada mettent en avant âcinq grands motifs au retour qui illustrent typiquement les dĂ©ceptions exprimĂ©es par les dĂ©partants occidentauxâ: le constat de dĂ©sillusion face aux discours et aux actions des groupes jihadistes en Syrie ou en Irak et le contraste frappant entre le discours officiel projetĂ© par les groupes jihadistes et la rĂ©alitĂ© de leurs actions; les tensions culturelles et sentiment de rejet par les populations locales; le mĂ©contentement face au rĂŽle attribuĂ© au sein des groupes armĂ©s; les conditions de vie rudes et spartiates; lâĂ©chec militaire de lâEtat islamique, la peur de mourir et la volontĂ© de fuir les combats[28]. Le mĂȘme constat peut ĂȘtre dressĂ© au sujet des volontaires partis dâEurope dâaprĂšs une analyse du Soufan Center[29]. Ă la dĂ©ception vis-Ă -vis de lâorganisation et du projet de lâEtat islamique peut sâajouter chez certains volontaires, dans la motivation au dĂ©part, âle poids de la honte gĂ©nĂ©rĂ©e par une confrontation, directe ou non, avec leurs propres actes. Ceci est particuliĂšrement vrai concernant les combattants qui furent tĂ©moins dâexĂ©cutions, dâatrocitĂ©s, et prĂ©sentent parfois tous les symptĂŽmes du stress post-traumatiqueâ[30].
Impact symbolique sur la scĂšne internationale
Si le rĂŽle militaire des combattants Ă©trangers est limitĂ©, la prĂ©sence et la mort des volontaires Ă©trangers ont en revanche un fort Ă©cho symbolique, notamment auprĂšs de lâopinion publique Ă©trangĂšre, contribuant Ă attirer lâattention internationale sur le conflit et ses combattants. LâarrivĂ©e et la mort en 1824 de Lord Byron durant le siĂšge de Missolonghi (non pas dans les combats mais Ă cause dâune fiĂšvre contractĂ©e lors de ses courses Ă cheval quotidiennes dans les marais entourant la ville) eurent un Ă©norme retentissement en Europe et contribuĂšrent grandement Ă la diffusion du philhellĂ©nisme dans les opinions publiques[31], qui poussa trois ans plus tard les puissances française, britannique et russe Ă intervenir dans le conflit par le traitĂ© de Londres (1827). La prĂ©sence de volontaires parmi les dĂ©fenseurs du fort Alamo (environ la moitiĂ©) qui trouvĂšrent la mort lors du siĂšge par les troupes mexicaines entraĂźna un nouvel afflux de volontaires et reprĂ©senta un tournant dans le cours de la rĂ©volution texane. Les survivants du rĂ©giment garibaldien, dĂ©cimĂ© dans la bataille de lâArgonne, une fois rapatriĂ©s en Italie, se firent les propagandistes de lâintervention italienne dans la Grande Guerre aux cĂŽtĂ©s de la France, oĂč lâengagement meurtrier des volontaires avait fait lâobjet dâun matraquage mĂ©diatique par le camp interventionniste[23].
Opinions et Ătats face aux volontaires internationaux
Les interdictions lĂ©gales Ă lâengagement armĂ© Ă lâĂ©tranger
Lâengagement armĂ© de ressortissants dans un conflit Ă©tranger, quâil sâagisse de mercenariat ou de volontariat, est gĂ©nĂ©ralement vu par les Etats contemporains comme une activitĂ© dangereuse soit pour lâĂ©tat de droit, soit pour la stabilitĂ© internationale, et de ce fait rĂ©prouvĂ©e ou rĂ©primĂ©e par la loi[32]. Il existe cependant une grande variĂ©tĂ© de situations et de cadres lĂ©gislatifs. Le mercenariat ne figure pas parmi les infractions Ă©numĂ©rĂ©es par l'article 85 du protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux conventions de GenĂšve du 12 aoĂ»t 1949 qui offre la premiĂšre dĂ©finition en droit international du mercenaire. La convention internationale du 4 dĂ©cembre 1989 contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, adoptĂ©e par consensus par l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies, n'est entrĂ©e en vigueur que fin 2001 et nâa Ă©tĂ© ratifiĂ©e que par vingt-quatre Ătats (dont deux seulement de lâUnion europĂ©enne)[33].
Certains pays interdisent les engagements ou les recrutements effectuĂ©s sur leur territoire et non le simple fait d'ĂȘtre un mercenaire, Ă lâinstar des Etats-Unis Ă travers l'U.S. Neutrality Act de 1937. La plupart des Ătats cherchent cependant Ă Ă©tablir des limites Ă lâengagement armĂ© de leurs ressortissants Ă lâĂ©tranger, en le soumettant Ă une autorisation ou Ă des exclusions diverses. En France, le Code civil Ă©tablit dans son article 23.8 que âperd la nationalitĂ© française le Français qui, occupant un emploi dans une armĂ©e ou un service public Ă©tranger ou dans une organisation internationale dont la France ne fait pas partie ou plus gĂ©nĂ©ralement leur apportant son concours, n'a pas rĂ©signĂ© son emploi ou cessĂ© son concours nonobstant l'injonction qui lui en aura Ă©tĂ© faite par le Gouvernementâ[34]. Lâorigine de cette interdiction remonte au Code civil de 1804 qui Ă©tablissait dans son article 21 que âle Français qui, sans autorisation du Gouvernement, prendrait du service militaire chez lâĂ©tranger, ou sâaffilierait Ă une corporation militaire Ă©trangĂšre, perdra sa qualitĂ© de Françaisâ, et cette mesure Ă©tait assortie de sanctions prĂ©vues par les articles 84 et 85 du Code pĂ©nal (peines de bannissement ou de dĂ©portation)[35]. Dans la pratique cependant, les gouvernements français se sont gardĂ© une certaine latitude dans lâapplication de cette interdiction. Ainsi les volontaires philhellĂšnes de retour en France âdoivent attendre, quelquefois plusieurs mois, les rĂ©sultats de l'enquĂȘte de policeâ, mais âtous finissent par ĂȘtre autorisĂ©s, dĂšs qu'un parent apporte sa caution, Ă retourner dans leur dĂ©partement d'origine, avec interdiction pour les provinciaux de se rendre Ă Parisâ[19]. DâaprĂšs Alexandre Dupont, le refus dâappliquer la dĂ©chĂ©ance de nationalitĂ© aux volontaires partis se battre en Espagne pendant la seconde guerre carliste de 1872-1876 peut sâexpliquer par âla volontĂ© de ne pas donner au volontariat plus dâimportance quâil nâen aâ, ainsi que par âla sĂ©dimentation dâune pratique judiciaire concernant les volontaires engagĂ©s dans des armĂ©es non reconnuesâ (notamment au moment du prĂ©cĂ©dent de la premiĂšre guerre carliste (1833-1840)). La menace de la dĂ©chĂ©ance de nationalitĂ© serait donc âun outil rhĂ©torique Ă usage interne et diplomatiqueâ, destinĂ© Ă dĂ©courager de nouveaux dĂ©parts et Ă donner des gages de bonne volontĂ© Ă lâattention du gouvernement belligĂ©rant et des autres puissances Ă©trangĂšres[36].
Dâautres pays prĂ©sentent une attitude similaire. Au Royaume-Uni, le Foreign Enlistment Act de 1819 et le Foreign enlistment Act de 1870 interdisent aux citoyens britannique toute activitĂ© de recrutement ou service militaire pour un Ătat Ă©tranger, mais cette disposition nâa jamais Ă©tĂ© appliquĂ©e et apparaĂźt aujourdâhui largement dĂ©suĂšte[37]. En Belgique, la loi du 1er aoĂ»t 1979 âconcernant les services dans une armĂ©e ou une troupe Ă©trangĂšre se trouvant sur le territoire d'un Ătat Ă©trangerâ, interdit le recrutement en Belgique ainsi que l'engagement de ressortissants belges en vue de servir dans une armĂ©e ou une troupe Ă©trangĂšre se trouvant sur le territoire d'un Etat Ă©tranger, âen dehors de l'assistance technique militaire accordĂ©e Ă un Ătat Ă©tranger par le Gouvernement belgeâ, mais prĂ©voit une sĂ©rie dâexceptions[38], mais nâa jamais reçu de dĂ©cret dâapplication. Une exception est la Suisse, oĂč la lĂ©gislation fĂ©dĂ©rale suisse interdit depuis 1859 aux ressortissants suisses de prendre du service militaire Ă l'Ă©tranger sans lâautorisation du Conseil fĂ©dĂ©ral, et exclusivement âen vue de lâinstruction militaireâ (sans prendre part aux combats), la seule exception prĂ©vue concernant la Garde suisse du Vatican, et oĂč lâapplication de la loi a effectivement conduit Ă 17 condamnations entre 1994 et 2000[32].
Dans les annĂ©es 2000, dans le contexte de lâafflux de volontaires occidentaux en Irak et en Syrie et de crainte de collusion avec le terrorisme international, certains Ătats ont manifestĂ© la volontĂ© de durcir leurs dispositions face Ă la participation de leurs ressortissants Ă des actions violentes Ă lâĂ©tranger. En France, la loi du 14 mars 2003 relative Ă la rĂ©pression de l'activitĂ© de mercenaire sâappuie sur une dĂ©finition Ă©troite du mercenariat en condamnant toute personne prenant part Ă un conflit Ă©tranger pour prendre une part directe aux hostilitĂ©s âen vue d'obtenir un avantage personnel ou une rĂ©munĂ©ration importantsâ[39]. En 2014, la Chambre des lords britanniques a examinĂ© un amendement au Foreign Enlistment Act de 1870 proposant de crĂ©er un dĂ©lit pour punir tout citoyen britannique ayant participĂ© en tant que combattant Ă un conflit armĂ©, ou ayant incitĂ© tout autre sujet britannique Ă participer comme combattant Ă un conflit armĂ© contre un Ătat Ă©tranger en paix avec le Royaume-Uni, et dâĂ©dicter une sĂ©rie de peines (amende et dĂ©tention, ou l'une de ces peines; confiscation de tout passeport britannique dĂ©tenu par la personne; privation de citoyennetĂ©)[40]. Lord Marlesford, son rapporteur, justifiait au nom de la lutte contre âlâexpansion des groupes djihadistes islamistesâ et leur âdĂ©termination Ă amener le terrorisme en Occidentâ, qui faisaient Ă ses yeux porter âune menace croissante pour la stabilitĂ© et l'avenir des citoyens [britanniques]â. NĂ©anmoins, lâamendement a Ă©tĂ© retirĂ© Ă la demande du gouvernement qui pointait plusieurs difficultĂ©s (celle de faire la distinction entre Ă©tat de paix et de guerre, et celle de prouver quâun individu a pris part aux hostilitĂ©s Ă lâĂ©tranger) et son inutilitĂ© pratique[40].
Le sort des volontaires prisonniers
Lorsquâils ne sont pas intĂ©grĂ©s dans une armĂ©e rĂ©guliĂšre, les volontaires en armes nâont, pas plus que les mercenaires, pas droit au statut de combattants ni de prisonniers de guerre. En cas de capture par les troupes du camp adverse, le sort des volontaires est donc souvent problĂ©matique, et beaucoup de volontaires ont Ă©tĂ© exposĂ©s Ă un sort tragique. En dĂ©cembre 1861, lâEspagnol JosĂ© Borges, qui sâĂ©tait engagĂ© au service du roi François II des Deux-Siciles en exil pour prendre la tĂȘte de la rĂ©bellion contre lâunitĂ© italienne dans lâancien Royaume de Naples, fut ainsi capturĂ© par des bersagliers italiens et fusillĂ© sur le champ, et son exĂ©cution suscita de vives critiques Ă lâĂ©tranger et en Italie[41]. Pendant la guerre dâEspagne, les brigadistes capturĂ©s par les troupes de Franco pouvaient frĂ©quemment sâattendre Ă ĂȘtre exĂ©cutĂ©s sur le champ; dâautres furent jugĂ©s par des tribunaux militaires pour âappui Ă une rĂ©bellion armĂ©eâ et condamnĂ©s Ă mort ou Ă la dĂ©tention[42]. Environ mille Brigadistes faits prisonniers furent internĂ©s dans le camp de concentration de San Pedro de Cardeña, prĂšs de Burgos, entre 1938 et 1940, oĂč les conditions de dĂ©tention Ă©taient extrĂȘmement dures[43].
Selon un reportage du journaliste Ron Hubbard, les Forces dĂ©mocratiques syriennes (FDS) dĂ©tenaient dans leurs prisons, en mars 2019, un millier de combattants Ă©trangers, auxquels s'ajouteraient 4 000 femmes et 8 000 enfants de âdjihadistesâ[44]. D'autres rapports suggĂšrent un nombre de combattants Ă©trangers prĂ©sumĂ©s plus Ă©levĂ©, de 2.000 ou plus. En plus des combattants Ă©trangers, les camps syriens accueilleraient. La question du devenir de ces individus est au centre de dĂ©bats publics dans les pays occidentaux et a suscitĂ© des rĂ©ponses trĂšs diverses. En mai 2019, en visite au Royaume-Uni, le secrĂ©taire d'Ătat amĂ©ricain Mike Pompeo que le gouvernement amĂ©ricain sâattendait âĂ ce que chaque pays s'efforce de rapatrier ses combattants Ă©trangers et sâoccupe de prolonger leur dĂ©tentionâ[45], et a rĂ©pĂ©tĂ© ce vĆu Ă Ottawa auprĂšs du gouvernement canadien en aoĂ»t 2019[46]. Les rĂ©ponses apportĂ©es par les diffĂ©rents Etats Ă la question du retour de leurs ressortissants partis se battre en Irak ou en Syrie ont cependant souvent tentĂ© dâexplorer dâautres solutions: dĂ©chĂ©ance ou non-reconnaissance de la nationalitĂ©; remise aux autoritĂ©s syriennes ou irakiennes dĂ©sireuses de juger les combattants accusĂ©s de crime de guerre sur leur sol; incitations aux Forces dĂ©mocratiques syriennes (FDS) pour prolonger indĂ©finiment la dĂ©tention de ces prisonniers[47]. La question du sort des femmes et des enfants des combattants Ă©trangers pose un problĂšme particuliĂšrement Ă©pineux, car Ă la question de leur identification sâajoute celle de leur participation Ă©ventuelle aux violences, leur reprĂ©sentation oscillant entre le statut de victimes et celui de menaces[48]. Au sein de lâUnion EuropĂ©enne, un rapport Ă©met ainsi le constat suivant lequel âpeu d'Ătats membres ont exposĂ© des positions claires sur cette question litigieuseâ dans la mesure oĂč âles Ătats membres sont confrontĂ©s Ă un problĂšme complexe mĂȘlant aspects juridiques (juridiction et droits fondamentaux), Ă©thiques (traitement des dĂ©tenus) et questions pratiques (la complexitĂ© de la coopĂ©ration judiciaire avec l'Irak et la Syrie) concernant leurs obligations et leurs moyens dâactionâ[49].
Les volontaires internationaux face Ă l'opinion
Lâimage quâont les opinions des volontaires Ă©trangers internationaux est gĂ©nĂ©ralement ambivalente: cĂ©lĂ©brĂ©s par les uns comme des champions idĂ©alistes et dĂ©sintĂ©ressĂ©s dâune juste cause, voire comme de vĂ©ritables hĂ©ros, ces derniers sont dĂ©criĂ©s par dâautres comme de simples mercenaires en quĂȘte de profit matĂ©riel ou dâaventure, ou comme des dĂ©sĂ©quilibrĂ©s. Giuseppe Garibaldi, de son vivant, a ainsi Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ© comme le âhĂ©ros des deux Mondesâ et le champion de la libertĂ© des peuples par ses admirateurs, et comme un aventurier sans foi ni loi ou bien comme un va-t-en-guerre dĂ©pourvu de toute rĂ©elle conscience politique par ses adversaires[50]. Certains volontaires ont inspirĂ© de vĂ©ritables mythes de leur vivant et surtout aprĂšs leur mort. Che Guevara, au XIXe s., reprĂ©sente le cas dâun combattant engagĂ© volontairement dans les guerres de libĂ©ration devenu une vĂ©ritable icĂŽne internationale et un symbole pour les mouvements rĂ©volutionnaires: aprĂšs la capture et lâexĂ©cution du âCheâ en 1968, Jean-Paul Sartre le qualifia ainsi dââĂȘtre humain le plus complet de notre Ă©poqueâ et Time le dĂ©clara âicĂŽne du 20e siĂšcleâ. Sa figure est cependant, jusquâĂ aujourdâhui au centre de controverses qui opposent son image hĂ©roĂŻque de combattant de la rĂ©volution, voire de martyr, avec lâĂ©chec pratique de son action dans lâancien Congo belge et en Bolivie, son adhĂ©sion au stalinisme ou les violences dont se serait accompagnĂ© son combat rĂ©volutionnaire.
Femmes combattantes parmi les volontaires internationaux
Le phĂ©nomĂšne du volontariat armĂ© international n'est pas quâune affaire exclusivement masculine, mĂȘme si la participation de femmes est souvent trĂšs minoritaire en effectif. Parmi les Ă©trangers qui se sont engagĂ©s en Espagne du cĂŽtĂ© du gouvernement rĂ©publicain, on trouve des centaines de femmes - 500 Ă 600 selon lâhistorienne RenĂ©e Lugschitz[51] - dont quelques dizaines sans doute ont pris les armes dans les milices, la plupart Ćuvrant dans les services mĂ©dicaux. MalgrĂ© leur exclusion de tous les services par le rĂšglement de lâArmĂ©e espagnole, la prĂ©sence de femmes dans les Brigades internationales est documentĂ©e et, en 1937, un commandant de la Base dâAlbacete appelait les âcamarades femmesâ Ă se distinguer des âvolontairesâ par sâabstenant de porter des vĂȘtements âpseudo-militairesâ[52]. Parmi les EuropĂ©ens partis volontairement en Syrie, on estime Ă 17% la part des femmes[49]. Les femmes volontaires sont souvent perçues comme de simples âaccompagnatricesâ ou cantonnĂ©es Ă des fonctions traditionnellement fĂ©minines (comme le traitement des blessĂ©s), alors que les volontaires masculins sont associĂ©s Ă des fonctions combattantes; des Ă©tudes sur les volontaires Ă©trangers en Syrie montrent cependant que beaucoup dâhommes acceptent un rĂŽle de soutien sans implication directe dans les combats, tandis que certaines femmes sâimpliquent dans les combats ou lâexercice de violences[53].
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