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Chimie supramoléculaire

La chimie supramoléculaire est une des branches de la chimie qui repose sur les interactions non-covalentes ou faibles entre atomes au sein d'une molécule ou entre molécules, au sein d'un ensemble moléculaire. Son objectif est de comprendre ou de construire des édifices de taille nanométrique. Le principe est d'utiliser des briques moléculaires qui, une fois mélangées en solution, dans des conditions contrôlées, s'autoassemblent pour donner des édifices plus complexes. L'étude des interactions non-covalentes et des relations entre fonction et structure sont à la base de la compréhension des systèmes biologiques. Le monde biologique est souvent une source d'inspiration dans la modélisation d'assemblages supramoléculaires.

Assemblage supramoléculaire établi par Jean-Marie Lehn et coll. dans Angew. Chem., Int. Ed. Engl. 1996, 35, 1838-1840.
Architecture supramoléculaire mécaniquement entrelacée, ici un rotaxane établi par Stoddart et coll. dans the Eur. J. Org. Chem. 1998, 2565-2571.
Autoassemblage intramoléculaire d'un foldamère établi par Lehn et coll. dans Helv. Chim. Acta., 2003, 86, 1598-1624.

Origine

La chimie supramolĂ©culaire Ă©tudie les interactions dites « non covalentes Â» c'est-Ă -dire n'impliquant pas la crĂ©ation de nouvelles orbitales molĂ©culaires. Ce concept s'oppose Ă  la chimie dite « molĂ©culaire Â», qui s'occupe des liaisons covalentes au sein d'une molĂ©cule et reliant entre eux ses atomes. MĂŞme si un ensemble supramolĂ©culaire peut acquĂ©rir des propriĂ©tĂ©s qu'il ne possĂ©dait pas avant l'Ă©tablissement desdites liaisons non covalentes, chacune des molĂ©cules constituant la nouvelle « supermolĂ©cule Â» n'est en rien modifiĂ©e dans son intĂ©gritĂ© chimique.

Cependant, l'architecture de l'assemblage supramoléculaire peut faire en sorte que certaines molécules soient rendues plus réactives par perturbation de leur nuage électronique ou déformation de leurs angles de liaison. Le rapprochement, au sein de l'entité supramoléculaire, de deux molécules naturellement portées à réagir ensemble peut aussi les pousser à réagir plus facilement que si elles avaient été libres dans un solvant. On parle alors de catalyse supramoléculaire (les enzymes sont l'exemple le plus connu de catalyseur supramoléculaire biologique).

Comparaison entre chimie moléculaire et chimie supramoléculaire

Le tableau suivant compare la chimie moléculaire à la chimie supramoléculaire[1].

ChimieMoléculaireSupramoléculaire
InteractionIntramoléculaire (entre atomes)Intermoléculaire (entre molécules)
Liaison chimiqueCovalenteNon covalente
Produit de préparationMoléculeSupermolécule (complexe)
Processus de préparationSynthèseComplexation

Voie fondamentale et voie appliquée

Deux types d'approches sont envisagĂ©s dans cette branche de la chimie. L'une, plutĂ´t observatrice, tente d'expliquer, de comprendre, et de contrĂ´ler en partie des autoassemblages existants ; l'autre, plutĂ´t orientĂ©e vers la synthèse, tente de concevoir des briques molĂ©culaires donnĂ©es pour obtenir un Ă©difice donnĂ©. Certaines synthèses, en particulier celles de ligands spĂ©cifiques d'un mĂ©tal, sont obtenues en assemblant au prĂ©alable les synthons et le mĂ©tal, puis en ajoutant les rĂ©actifs permettant la synthèse du ligand proprement dit (effet dit « template Â» utilisĂ© dans la synthèse des cryptands ou des Ă©thers couronnes par exemple).
L'effet « template Â» (ou de matrice) facilite en fin de compte la rĂ©action tant sur le point de vue thermodynamique (le système rĂ©cepteur/mĂ©tal qui en rĂ©sulte en fin de synthèse dĂ©place l'Ă©quilibre de la rĂ©action par sa grande stabilitĂ©) que sur le point de vue cinĂ©tique (la prĂ©sence du mĂ©tal rigidifie et contraint le système au niveau molĂ©culaire de manière Ă  rapprocher les extrĂ©mitĂ©s qui sont censĂ©es rĂ©agir entre elles).

Les différents modes d'interaction

Les interactions à la base de la chimie supramoléculaire peuvent être des interactions :

  • de van der Waals. De 0,1 Ă  1 kcal/mol, elles sont non directionnelles et augmentent avec la surface de contact ;
  • de type liaison hydrogène. De 1 Ă  10 kcal/mol, cette liaison est directionnelle et sa force dĂ©pend de la distance entre les sites donneur et accepteur ;
  • aromatiques (recouvrement Ď€-Ď€, Ď€-cation, Ď€-liaison H). Ce sont des interactions non covalentes dues au recouvrement des orbitales p de cycles aromatiques avec d'autres cycles aromatiques, des orbitales p ou f de cations mĂ©talliques ou avec l'orbitale molĂ©culaire d'un Ă©lectron portĂ© par un hĂ©tĂ©roatome plus Ă©lectronĂ©gatif (O, N, S, etc.) ;
  • coulombiennes (ion/ion, ion/dipĂ´le), dipolaire (dipĂ´le/dipĂ´le), par polarisation (ion/molĂ©cule polarisĂ©e). De 15 Ă  50 kcal/mol, ces interactions Ă©lectrostatiques sont non directionnelles et dĂ©pendent de la distance entre les deux entitĂ©s ;
  • de coordination mĂ©tal/ligand. De 50 Ă  80 kcal/mol, la directionnalitĂ© de la liaison dĂ©pend de la nature du mĂ©tal et des autres constituants de sa sphère de coordination ;
  • ou encore le rĂ©sultat d'un effet hydrophobe.

Formalisation

Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie 1987) a permis de formaliser les concepts de la chimie supramoléculaire. Au cours de sa leçon inaugurale [2] au Collège de France, Jean-Marie Lehn introduit la chimie supramoléculaire comme suit : Au-delà de la chimie moléculaire, fondée sur la liaison covalente, s'étend ainsi un domaine qu'on peut nommer supramoléculaire: la chimie des interactions moléculaires, des associations de deux ou plusieurs espèces chimiques, les complexes, et de la liaison intermoléculaire.

La chimie supramoléculaire a été récompensée du Prix Nobel de Chimie 2016 avec James Fraser Stoddart (Royaume-Uni), Bernard Lucas Feringa (Pays-Bas) et Jean-Pierre Sauvage (France)

Applications

Science des matériaux

La chimie supramoléculaire et les processus d'auto-assemblage moléculaires en particulier sont appliqués au développement de nouveaux matériaux, tels que les polymères supramoléculaires. De nombreuses structures peuvent être obtenues facilement par synthèse ascendante (ou bottom-up) en composant à partir de petites molécules qui nécessitent peu d'énergie et d'étapes à synthétiser. Ainsi, la plupart des approches ascendantes en nanotechnologie sont basées sur la chimie supramoléculaire. La chimie supramoléculaire participe aussi de la topochimie.

Catalyse

Une des applications majeures de la chimie supramoléculaire est la conception et la compréhension de catalyseurs et de la catalyse. Les interactions non covalentes sont importantes en catalyse, elles permettent aux réactifs de se lier dans des conformations appropriées à la réaction et abaissent l'énergie de l'état de transition de la réaction. Ainsi, la catalyse supramoléculaire influe sur le rendement et la sélectivité stéréochimique. En conséquence, un champ d´application est le développement d´enzymes artificielles et de réactifs moléculaires.

MĂ©decine

La chimie supramoléculaire est aussi importante dans le développement de nouvelles thérapies médicales grâce à sa compréhension des interactions entre le principe actif et le système biologique. Le mode d'administration a aussi réalisé des progrès notables en raison des recherches en chimie supramoléculaire sur l'encapsulation et les mécanismes de libération ciblée. En outre, des systèmes supramoléculaires ont été conçus pour perturber les interactions protéine-protéine, qui sont importantes pour la fonction cellulaire.

Stockage d'information et calcul

La chimie supramoléculaire a été employée pour démontrer les possibilités de calcul numérique à l'échelle moléculaire. Dans de nombreux cas, des signaux photoniques ou chimiques ont été utilisés dans ces composants, mais l'interface électrique de ces unités a été également réalisée par des dispositifs supramoléculaires de transduction de signaux. Le stockage d'information a été rendu possible par l'utilisation de commutateurs moléculaires avec des unités photochromiques et photoisomérisables, par des unités électrochromiques et des interrupteurs rédox, et même par mouvement moléculaire. Des fonctions logiques moléculaires synthétiques ont été démontrées à un niveau conceptuel. Même des calculs complets ont été réalisés par des ordinateurs à ADN semi-synthétiques.

Chimie verte

La recherche en chimie supramoléculaire a aussi des applications en chimie verte, où des processus à l'état solide dirigés par liaisons non-covalentes ont été développés. De telles procédures sont fortement souhaitables puisqu'elles réduisent le besoin de solvants pendant la production des produits chimiques.

Autres applications

La chimie supramoléculaire permet aussi de préparer des senseurs, des transporteurs et des réactifs supramoléculaires.

Notes et références

Une partie de cet article est une traduction libre de certaines sections de l'article anglophone correspondant.

  1. Jean-Marie LEHN, « SUPRAMOLÉCULAIRE (CHIMIE) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 26 juillet 2015. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/supramoleculaire-chimie/
  2. Jean-Marie Lehn, Leçon inaugurale au Collège de France, 7 mars 1980. Pages des leçons inaugurales

Voir aussi

Articles connexes

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