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Chauffage ohmique

Le chauffage ohmique est une technologie de chauffage principalement appliquée au secteur agroalimentaire pour le traitement thermique des denrées alimentaires. Elle se base sur le principe de l'effet Joule ; les propriétés de résistance électrique de l'aliment permettent de générer de la chaleur lors du passage d'un courant électrique au-travers de celui-ci[1].

Appareil de chauffage ohmique pour la pasteurisation de jus de fruit. Constitué de gauche à droite d'un tableau électrique, d'une colonne de chauffe (contenant les électrodes), d'une section de maintien de la température (chambrage), d'un échangeur tubulaire (refroidissement), et d'une cuve d'alimentation.

Histoire

En 1827, Georg Ohm publiait son traitĂ© Die galvanische Kette, mathematisch bearbeite, oĂč il dĂ©crivait ce qui est aujourd'hui connu comme la loi d'Ohm. En 1841, James Prescott Joule dĂ©montra qu'un courant Ă©lectrique traversant un conducteur gĂ©nĂ©rait de la chaleur. Leurs rĂ©sultats rĂ©unis ont menĂ© Ă  ce que l'on appelle aujourd'hui le chauffage ohmique[2]. Cette technologie est l'une des premiĂšres applications de l'Ă©lectricitĂ© Ă  la pasteurisation des aliments ; elle est connue depuis le XIXe siĂšcle, pĂ©riode pendant laquelle elle a fait l'objet de plusieurs brevets pour le chauffage de produits liquides, tel que le lait en 1919[3]. Aujourd'hui, cette technologie commence Ă  se dĂ©velopper dans l'industrie alimentaire, principalement pour la stĂ©rilisation de produits liquides ou Ă  interface solide-liquide, facilement pompable pour un traitement en continu[4].

Principe

Dans un matĂ©riau de type mĂ©tal, le courant est vĂ©hiculĂ© par les Ă©lectrons. Cependant, dans un aliment, les charges sont gĂ©nĂ©ralement les Ă©lectrolytes (ions ou autres molĂ©cules chargĂ©es telles que les protĂ©ines). En fonction de la conductivitĂ© Ă©lectrique de cet aliment, le courant sera plus ou moins bien transmis. Un matĂ©riau ayant une conductivitĂ© faible verra ses charges difficilement mobiles, augmentant les impacts avec les autres, ce qui gĂ©nĂ©rera de la chaleur. Une conductivitĂ© Ă©lectrique idĂ©ale pour l'utilisation du chauffage ohmique devrait se situer entre 0,01 et 10 S/m : au-delĂ , la conductivitĂ© est trop Ă©levĂ©e pour gĂ©nĂ©rer de la chaleur (le matĂ©riau est conducteur, sa rĂ©sistance Ă©lectrique est faible), et en deçà, la conductivitĂ© est trop faible et ne laissera pas passer le courant.

Évolution de la conductivitĂ© Ă©lectrique

La conductivité électrique d'un produit augmente, de maniÚre générale, linéairement avec la température. Cela s'explique par l'augmentation de la mobilité des ions en solution, et s'observe toujours pour des solutions salines. Il est donc important de toujours prendre en compte la température d'une solution lors de la mesure de sa conductivité électrique. Un facteur de correction est à appliquer si la température de mesure diffÚre de la température de référence (généralement 25 °C), comme par exemple dans le cas du chlorure de sodium (KCl) dont les valeurs du coefficient de correction sont données par la norme AFNOR NF EN 2788[5].

Pour tout produit ne subissant pas de changement d'état ou de changement de texture, la relation linéaire de la conductivité électrique avec la température peut s'écrire sous la forme [6], avec

  • la conductivitĂ© Ă©lectrique du produit Ă  une tempĂ©rature de rĂ©fĂ©rence,
  • une constante (°C-1) dĂ©pendante de la tempĂ©rature et pouvant s'Ă©crire sous la forme ,
  • et la tempĂ©rature de rĂ©fĂ©rence (°C).

Il est possible de modifier la conductivitĂ© Ă©lectrique d'un produit alimentaire par sa formulation, dans le but d'obtenir une montĂ©e en tempĂ©rature prĂ©cise. Par exemple, l'ajout de composĂ©s ioniques (sels tels que NaCl ou acides par exemple) permettront d'augmenter la conductivitĂ© Ă©lectrique d'un produit, et donc la vitesse de montĂ©e en tempĂ©rature. À l'inverse, l'ajout de lipides ou de sucre diminueront sa conductivitĂ© Ă©lectrique et rĂ©duiront sa vitesse de montĂ©e en tempĂ©rature.

Évolution de la tempĂ©rature

La montée en température en chauffage ohmique est dépendante de la conductivité électrique du produit, et en l'absence de transferts de chaleur vers l'extérieur et sous une tension constante, elle peut s'écrire sous la forme , avec

  • la dĂ©rivĂ©e de la tempĂ©rature par rapport au temps,
  • l'intensitĂ© du champ Ă©lectrique (V/m),
  • la masse volumique (kg/m3),
  • et la capacitĂ© thermique (J⋅kg−1⋅K−1).

Par intégration, on se rend alors compte que la température au cours du temps augmente de façon exponentielle pour une tension constante.

Configuration des installations

Deux principales configurations des Ă©lectrodes d'un systĂšme de chauffage ohmique.

La colonne de chauffe contient au minimum deux Ă©lectrodes. Le matĂ©riau Ă  employer idĂ©alement est le platine du fait de sa rĂ©sistance Ă  l'Ă©lectrolyse et la corrosion, auquel est gĂ©nĂ©ralement prĂ©fĂ©rĂ© le titane platinĂ© pour des raisons Ă©conomiques. Au-delĂ  de 25-30 kHz[7], le systĂšme ne se comporte plus comme un condensateur (absence de double couche Ă©lectrochimique), et de l'acier inoxydable peut alors ĂȘtre utilisĂ© tout en limitant les phĂ©nomĂšnes d'Ă©lectrolyse indĂ©sirables. Pour des raisons Ă©conomiques, les industries alimentaires ont donc gĂ©nĂ©ralement recours aux hautes frĂ©quences en chauffage ohmique.

Le paramÚtre principal lors de la mise en place d'un systÚme de chauffage ohmique est la configuration des électrodes. La distance entre les électrodes détermine le champ électrique qui est appliqué au produit ; à tension égale, plus la distance entre les électrodes sera importante, plus le champ électrique sera faible, et donc plus la vitesse de montée en température sera réduite. Il existe deux configurations principales[8] pour la mise en place des électrodes dans appareil de chauffage ohmique continu (produits pompables) :

  • transversale, qui convient particuliĂšrement aux produits Ă  faible conductivitĂ© Ă©lectrique (< 5 S/m). L'homogĂ©nĂ©itĂ© du champ Ă©lectrique est optimisĂ©e dans cette configuration, et permet une uniformitĂ© de la tempĂ©rature dans le produit. Cette configuration peut fonctionner sous des tensions standards (240 - 415 V) ;
  • colinĂ©aire, qui est la meilleure option pour les produits Ă  haute conductivitĂ© Ă©lectrique puisqu'elle permet d'avoir un espace consĂ©quent entre les Ă©lectrodes. Cependant, la tension requise est gĂ©nĂ©ralement plus importante que pour la configuration transversale. De mĂȘme, la distribution de l'intensitĂ© est plus hĂ©tĂ©rogĂšne et certaines zones de plus fortes intensitĂ©s peuvent provoquer des Ă©bullitions localisĂ©es ou des arcs Ă©lectriques.

Avantages et inconvénients

Avantages

Les avantages du chauffage ohmique sont nombreux.

Tout d'abord, c'est une technologie de chauffage volumique, Ă  l'image du chauffage par micro-onde ou radiofrĂ©quences, ce qui signifie que la gĂ©nĂ©ration de chaleur se fait au sein du produit lui-mĂȘme et n'est pas apportĂ©e par un mĂ©dia extĂ©rieur, limitant les gradients de tempĂ©rature. L'homogĂ©nĂ©itĂ© de la tempĂ©rature au sein du produit ne dĂ©pend donc que de l'homogĂ©nĂ©itĂ© de sa conductivitĂ© Ă©lectrique, et de la qualitĂ© de l'isolation thermique.

En raison de ce chauffage volumique, les phĂ©nomĂšnes d’encrassement dus Ă  une surchauffe ponctuelle sont limitĂ©s. Ces encrassements se rencontrent souvent en traitement thermique, Ă  proximitĂ© des parois lors d'utilisation d'Ă©changeurs, et sont gĂ©nĂ©ralement le rĂ©sultat des rĂ©actions de Maillard.

L’installation fonctionne dans le silence, l'Ă©nergie Ă©tant apportĂ©e par le courant Ă©lectrique au-travers d'Ă©lectrodes.

La puissance de chauffage est entiĂšrement contrĂŽlable, en rĂ©gulant la tension utilisĂ©e. De mĂȘme, l’inertie thermique est nulle : sitĂŽt l'alimentation Ă©lectrique coupĂ©e, la gĂ©nĂ©ration de chaleur stoppe[9]. Ainsi, il est possible d'atteindre des vitesses de montĂ©e en tempĂ©rature importantes, en thĂ©orie non limitĂ©es, mais gĂ©nĂ©ralement de l'ordre de 1 Ă  10 °C/s.

L’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique est plus Ă©levĂ©e que la plupart des autres procĂ©dĂ©s : on considĂšre gĂ©nĂ©ralement que le rendement de conversion de l'Ă©lectricitĂ© en Ă©nergie thermique est supĂ©rieur Ă  90 %, et une bonne isolation thermique pour limiter les pertes de chaleur permet donc d'obtenir des rendements Ă©levĂ©s[10].

Enfin, il existerait des effets non thermiques encore peu Ă©tudiĂ©s dus au champ Ă©lectrique, qui favoriseraient l’élimination de bactĂ©ries/spores ou la dĂ©sactivation d’enzymes. Ces effets ne seraient pas seulement dus Ă  la chaleur engendrĂ©e mais Ă©galement au phĂ©nomĂšne d’électropermĂ©abilisation, qui correspond Ă  une permĂ©abilisation temporaire de la membrane plasmique de cellules vivantes.

Inconvénients

Les inconvĂ©nients principaux sont la grande variabilitĂ© au sein des propriĂ©tĂ©s Ă©lectriques de diffĂ©rents aliments, voire au sein du mĂȘme produit. Ces diffĂ©rences de conductivitĂ© Ă©lectrique peuvent alors mener Ă  un chauffage hĂ©tĂ©rogĂšne (au sein d'un mĂȘme produit), ou Ă  une difficultĂ© Ă  standardiser un protocole de chauffage pour diffĂ©rents produits. Au sein d'un mĂȘme produit, une hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de la conductivitĂ© Ă©lectrique (un produit poreux par exemple) soumis Ă  un champ Ă©lectrique important peut mener Ă  une dĂ©formation des champs Ă©lectriques autour des zones de moindre conductivitĂ© et Ă  l'apparition de gradients de tempĂ©rature importants. A trĂšs haute tension, des arcs Ă©lectriques peuvent se former.

Le suivi du chauffage nécessite également un monitoring complexe, en raison des paramÚtres à contrÎler (tension, intensité, conductivité électrique, distance entre les électrodes, épaisseur des électrodes et surface des électrodes, matériau utilisé, électrolyse/réactions faradiques...).

Les applications

Le chauffage ohmique est employĂ© depuis les annĂ©es 1920 pour la pasteurisation du lait, le procĂ©dĂ© ayant connu ses dĂ©buts sous le nom d'Electropure[11]. Par la suite, quelques innovations industrielles et brevets ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©s, comme l’application Ă  la cuisson de saucisses Ă  hot-dog[12]. Cependant, l’augmentation du prix de l’électricitĂ©, le dĂ©veloppement de nouveaux procĂ©dĂ©s de traitement thermique (tels que le traitement UHT) et les problĂšmes de corrosion des Ă©lectrodes en contact avec les produits alimentaires ont rĂ©duit significativement l’intĂ©rĂȘt de cette technologie. Jusqu’aux annĂ©es 1980, les applications du chauffage ohmique s’étaient principalement rĂ©duites Ă  la dĂ©congĂ©lation de viandes et poissons surgelĂ©s[13].

À partir des annĂ©es 1980, l’utilisation du chauffage ohmique connaĂźt un renouveau et est adaptĂ©e Ă  diverses opĂ©rations en industrie alimentaire : le blanchiment de lĂ©gumes, le prĂ©chauffage, la prĂ©paration de produits carnĂ©s transformĂ©s, ou encore la pasteurisation et la stĂ©rilisation de produits liquides ou solides/liquides. Ce regain d’intĂ©rĂȘt vient principalement de l’innovation des matĂ©riaux (inertes, tels que le titane et titane platinĂ©) et des configurations d’électrodes adoptĂ©s, ainsi que du dĂ©veloppement des trĂšs hautes frĂ©quences - de l’ordre du kHz - limitant les phĂ©nomĂšnes de corrosion[14].

Le chauffage ohmique a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© Ă  plusieurs reprises en fermentation alcoolique et a montrĂ© des intĂ©rĂȘts en panification, qui permettrait l'obtention d'une pĂąte fermentĂ©e plus rapidement par la rĂ©duction de la phase de latence des levures[15]. Cependant, ses applications industrielles dans ce domaine restent limitĂ©es ; il semblerait que la seule utilisation du chauffage ohmique dans le domaine de la panification soit pour la production de Panko (panure japonaise).

Références

  1. (en) Ruan, R, Thermal technologies in food processing, Université du Minnesota, Philip Richardson, (ISBN 0-8493-1216-7), Chapitre 13 : Ohmic Heating
  2. (en) Hosahalli S. Ramaswamy, Michele Marcotte, Sudhir Sastry et Khalid Abdelrahim, Ohmic Heating in Food Processing, Boca Raton (Fla.), CRC Press, , 507 p. (ISBN 978-1-4200-7108-5, lire en ligne), chap. 1 (« Overview of Ohmic Heating »), p. 3
  3. (en) Da-Wen Sun, Handbook of Food Safety Engineering, John Wiley & Sons, , 840 p. (ISBN 978-1-4443-5530-7, lire en ligne), chap. 27 (« Ohmic Heating Treatment »)
  4. L'Usine Nouvelle, « Conservation - Le chauffage ohmique pour stĂ©riliser - GĂ©nĂ©rant les calories au cƓur mĂȘme du produit, le chauffage ohmique traite d'une maniĂšre homogĂšne les mĂ©langes de solides et de liquides. Une possibilitĂ© qui intĂ©resse l'agroalimentaire. », sur usinenouvelle.com, (consultĂ© le )
  5. Paul Le Pimpec, Guide pratique de l'agent prĂ©leveur chargĂ© de la police des milieux aquatiques, Éditions Quae, , 159 p. (ISBN 978-2-85362-554-8, lire en ligne)
  6. (en) Sevugan Palaniappan et Sudhir K. Sastry, « ELECTRICAL CONDUCTIVITIES of SELECTED SOLID FOODS DURING OHMIC HEATING1 », Journal of Food Process Engineering, vol. 14,‎ , p. 221-236 (ISSN 1745-4530, DOI 10.1111/j.1745-4530.1991.tb00093.x, lire en ligne, consultĂ© le )
  7. Cuiren Chen, Khalid Abdelrahim et Isabelle Beckerich, « Sensitivity analysis of continuous ohmic heating process for multiphase foods », Journal of Food Engineering, vol. 98,‎ , p. 257-265 (DOI 10.1016/j.jfoodeng.2010.01.005, lire en ligne, consultĂ© le )
  8. Mohamed Sakr et Shuli Liu, « A comprehensive review on applications of ohmic heating (OH) », Renewable and Sustainable Energy Reviews, vol. 39,‎ , p. 262-269 (DOI 10.1016/j.rser.2014.07.061, lire en ligne, consultĂ© le )
  9. Mohamed Sakr et Shuli Liu, « A comprehensive review on applications of ohmic heating (OH) », Renewable and Sustainable Energy Reviews, vol. 39,‎ , p. 262-269 (DOI 10.1016/j.rser.2014.07.061, lire en ligne, consultĂ© le )
  10. (en) de Halleux, D, « Ohmic cooking of processed meats: Energy evaluation and food safety considerations », CANADIAN BIOSYSTEMS ENGINEERING, no 47,‎ , p. 3.41-3.47 (lire en ligne)
  11. (en) Floyd W. Robison, « Studies on the "Electropure" Process of Treating Milk. », Industrial & Engineering Chemistry, vol. 15, no 5,‎ , p. 514–518 (DOI 10.1021/ie50161a037, lire en ligne, consultĂ© le )
  12. Kohn Samuel, Frankfurter cooker, (lire en ligne)
  13. (en) D. Naveh, I. J. Kopelman et S. Mizrahi, « Electroconductive thawing by liquid contact », International Journal of Food Science & Technology, vol. 18, no 2,‎ , p. 171–176 (ISSN 1365-2621, DOI 10.1111/j.1365-2621.1983.tb00257.x, lire en ligne, consultĂ© le )
  14. Mohamed Sakr et Shuli Liu, « A comprehensive review on applications of ohmic heating (OH) », Renewable and Sustainable Energy Reviews, vol. 39,‎ , p. 262–269 (ISSN 1364-0321, DOI 10.1016/j.rser.2014.07.061, lire en ligne, consultĂ© le )
  15. TimothĂ©e Gally, Olivier Rouaud, Vanessa Jury et Michel Havet, « Proofing of bread dough assisted by ohmic heating », Innovative Food Science & Emerging Technologies, vol. 39,‎ , p. 55–62 (DOI 10.1016/j.ifset.2016.11.008, lire en ligne, consultĂ© le )
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