Charles Bedaux
Charles Eugène Bedaux, né le 10 octobre 1886 Charenton-le-Pont et décédé le 18 février 1944 à Miami, est un homme d'affaires franco-américain.
Très tôt émigré aux États-Unis, il y met au point l'organisation scientifique du travail. La large diffusion de ses méthodes de management lui vaut richesse et célébrité. Il revient alors en France et s'installe au château de Candé. C'est cependant un aventurier qui va parcourir le monde avec Fern, sa seconde épouse. Ses fortes sympathies affichées pour le Troisième Reich lui vaudront d'être arrêté en 1944 en Algérie par les Américains. Transféré dans une prison de Miami, il y mourra, sans doute par suicide, avant que son procès n'ait commencé.
Biographie
Jeunesse
Charles-Eugène Bedaux naît le à Charenton-le-Pont d'un père employé aux chemins de fer et d'une mère couturière à domicile. Troisième enfant d'une fratrie qui en compte cinq, il a peu de goût pour l'étude et se fait renvoyer du lycée en 1905 pour absentéisme et mauvaise conduite, avec comme seul diplôme le certificat d'études primaires[1]. L'année suivante, alors qu'il fréquente des voyous de Montmartre, un chef de bande est tué dans une guerre des gangs[2]. Se sentant peut-être menacé, Bedaux s'embarque pour les États-Unis, où il exerce, principalement à New York, plusieurs petits métiers. En 1907, il acquiert la nationalité américaine et se fait embaucher chez Mallinckrodt Chemical Works (une fabrique de produits chimiques) à Saint-Louis (Missouri). Là , il jette les bases de l'organisation scientifique du travail[3].
L’ascension professionnelle
Marié en 1908 à Blanche de Kressier Allen, il devient en 1909 le père de Charles-Émile. Il effectue, par nécessité professionnelle, plusieurs séjours en France, où il met notamment ses qualités d'organisateur du travail au service de De Dietrich en 1913. Au début de la Première Guerre mondiale, il met en place le groupe des Volontaires américains qui combat aux côtés de la Légion étrangère[4]. Il est réformé pour raison de santé dès la fin 1914 ; en outre, il est soupçonné d'espionnage au service des Allemands[5]. Il rentre un peu plus tard aux États-Unis, où il crée la première société Bedaux. Le succès de ses méthodes d'organisation du travail lui permet de créer plusieurs autres sociétés à New York, Chicago et San Francisco. Ses voyages répétés sont à l'origine de multiples aventures extraconjugales et, en 1917, Blanche demande et obtient le divorce[6].
L'apogée
En 1917, il rencontre Fern Lombard à l'occasion d'une conférence à l'Église de la science chrétienne, dont la jeune femme est une adepte ; il l'épouse le [6]. L'année suivante, Charles Bedaux publie The Bedaux efficiency course for industrial application[7]. Charles Bedaux devient célèbre et reconnu dans les milieux industriels américains, puis, à partir de 1920, il intervient de plus en plus souvent en Europe — Fiat adopte le « système Bedaux » en 1927[8].
En 1927, Charles Bedaux achète le château de Candé (Monts) à Jean Drake del Castillo, ruiné. Après qu'il a vainement prospecté la Savoie et le Midi de la France, une agence immobilière lui indique cette opportunité en Touraine[9]. Il procède alors au réaménagement complet du château (il y installe notamment un orgue de résidence fabriqué aux États-Unis) et de son parc[10]. Dans les années 1930, Bedaux crée des sociétés en Suède, aux Indes et en Afrique du Sud, tandis que ses principes sont appliqués dans les bassins miniers africains[11]. Son nom est même donné, en France, à une unité non officielle de mesure de l'effort humain (« unité bedaux » ou « bedaux »)[12].
À la même époque, Charles et Fern Bedaux organisent de nombreuses expéditions géographiques auxquelles ils participent presque toujours : traversée de l'Afrique de à , raid en Alaska à bord d'autochenilles Citroën-Kégresse en 1934 — cette Croisière blanche est un semi-échec en raison de conditions climatiques extrêmes, pluie, coulées de boue, tempêtes de neige ; les voyageurs rentrent à cheval et en train, laissant sur place certains des véhicules[13]. D'autres expéditions ont lieu, Chine, Tibet, Japon, Madagascar et Tahiti, de 1929 à 1935. Un documentaire réalisé par George Ungar et paru en 1995, The Champagne Safari (en), retrace la vie de Charles Bedaux ; il est principalement basé sur des images de la Croisière blanche[11] - [14].
L'avant-guerre
En 1934, les bureaux de Charles Bedaux en Allemagne sont saisis par les Nazis, ces derniers considérant le système Bedaux comme contradictoire avec leur attitude à l’égard des ouvriers[15]. Il développe alors des relations avec les dignitaires du Reich afin de les convaincre de la nécessité de sa méthode. En 1937, sa société peut reprendre ses activités, mais il doit se retirer de la direction[16].
En 1936, il participe en tant que médiateur aux négociations aboutissant aux accords Matignon[17].
En 1937, il accueille pour leur mariage, célébré le , le duc de Windsor et Wallis Simpson au château de Candé. C'est une amie commune de Fern Bedaux et Wallis Simpson qui en a suggéré l'idée[18]. Dans sa correspondance privée, Wallis Simpson soupçonne d’ailleurs son hôte d'avoir voulu tirer un profit médiatique de l'événement, arrière-pensées qui, selon elle, étaient totalement absentes chez Fern Bedaux[19]. Il organise pour eux un voyage en Allemagne au cours duquel le duc, par son intermédiaire, rencontre Robert Ley, Rudolf Hess, Hermann Göring et Adolf Hitler. Le voyage aux États-Unis qui devait suivre est annulé à la suite du scandale soulevé par le premier, ce qui contraint d'ailleurs Charles Bedaux à céder, sous la pression, sa société américaine à son associé[20].
La Seconde Guerre mondiale
Du fait de ses relations, et surtout de son expérience des affaires, il est chargé par le gouvernement de quelques missions au début de 1939, notamment par le ministre de l'Armement Raoul Dautry[16]. Il nourrit très tôt des sympathies pour le nazisme et semble avoir utilisé les liens entre les Windsor et certains dignitaires nazis[21]. Proche d'Otto Abetz, ambassadeur du Reich en France, il cherchait à faire des affaires, faisant preuve de beaucoup d'opportunisme. Il était suffisamment proche du régime nazi pour posséder une maison voisine du Berghof, la résidence d'Hitler à Berchtesgaden dans les Alpes bavaroises[22].
En septembre 1939, il loue une partie du château de Candé, pour une somme symbolique, à l'ambassade américaine afin qu'elle s'y replie[23]. Il supervise les travaux de reconstruction de Tours, qui avait été bombardée en 1940. En 1942, le château est mis sous séquestre par les Allemands[24]. Sous l’Occupation, il développe des relations d'affaires avec les autorités allemandes et devient conseiller technique du gouvernement de Vichy[25].
Il est chargé en d'une mission par le gouvernement pour étudier l'amélioration de la fabrication d'huile d'arachide en Afrique occidentale et son transport vers la métropole. Il conçoit pour cela la construction d'un oléoduc transsaharien de 3 200 km à travers le Sahara, de Dakar à Oran[26]. En septembre 1942, il est arrêté, puis interné au camp de Compiègne comme citoyen américain, mais il est rapidement relâché sur intervention allemande.
En décembre 1942, il se trouve en Algérie pour mettre au point son projet d'oléoduc en compagnie de son fils et de Pierre Jérôme Ullmann, fils de Lisette de Brinon, alors que Fern est restée en France[Note 1]. Il est en relation avec Robert Murphy, chargé d'affaires à l'ambassade américaine à Vichy, qui sur place organise le débarquement allié en Afrique du Nord (opération Torch). Le , il est arrêté par les autorités françaises puis remis aux forces américaines[15].
Il est relâché sur intervention de Robert Murphy. Puis, soupçonné d'espionnage au profit des nazis[15], il est à nouveau arrêté avec son fils à la demande des autorités américaines le et remis à la police militaire américaine. Son fils est rapidement libéré et s'engage dans l'armée américaine, mais Charles est transféré aux États-Unis à la prison militaire de Miami sous l'inculpation de trahison[28].
Le , Bedaux est retrouvé dans sa cellule, plongé dans un profond coma. Une lettre, à ses côtés, accrédite la thèse d'un suicide par absorption massive de phénobarbital[29]. Il meurt le sans avoir repris connaissance. Bedaux aurait ainsi souhaité protéger des conséquences d'un procès son épouse et sa famille toujours en France mais dont il était sans nouvelles depuis plusieurs mois[28]. Toutefois, aucune enquête n'étant engagée après sa mort, les raisons pour lesquelles il se serait suicidé demeurent inconnues, comme peut subsister un doute sur les causes réelles de sa mort[30].
Il est inhumé au cimetière de Mount Auburn à Cambridge (Massachusetts). Un sommet des Rocheuses, le mont Bedaux, ainsi qu'un passage sur la rivière Muskwa (en), au nord de la province canadienne de Colombie-Britannique, rappellent la Croisière blanche, qu'il avait organisée[31].
Archives
Il y a un fonds d'archives Charles Eugène Bedaux à Bibliothèque et Archives Canada[32]. Numéro de référence archivistique R7591.
Notes et références
Notes
- Les autorités allemandes ont refusé que les deux époux quittent conjointement la zone occupée[27].
Références
- Sassier 2005, p. 111-112.
- (en) Sol Bloomenkranz, Charles Bedaux : Deciphering an Enigma, iUniverse, , 180 p. (ISBN 978-1-4759-2636-1, lire en ligne), p. 1-2.
- Sassier 2005, p. 112.
- Sassier 2012, p. 112-113.
- Bertrand Meyer-Stabley, La véritable histoire de la duchesse de Windsor, Pygmalion, , 365 p. (ISBN 978-2-85704-735-3), p. 214.
- Sassier 2005, p. 113.
- Sassier 2012, p. 113 et 123-124.
- Sassier 2005, p. 114.
- Gaston Bedaux, « Le milliardaire Charles Bedaux à Candé », Le Val de l'Indre, no 16,‎ , p. 70.
- Sassier 2005, p. 93-109.
- Sassier 2005, p. 115.
- Informations lexicographiques et étymologiques de « bedaux » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
- Étienne Christian et Marie Christian, La Croisière blanche : à l'assaut des montagnes Rocheuses, Grenoble/Paris, Glénat, , 160 p. (ISBN 978-2-7234-6574-8).
- Emmanuel Poncet, « Arte, 22h25. The Champagne Safari, portrait d'un aventurier montmartrois. Un nabab à la découverte du grand Ouest. », Libération,‎ (lire en ligne).
- Yves Levant et Marc Nikitin, « Charles Eugène Bedaux fut-il réellement un socialiste utopique ? » [PDF], sur Site des archives nationales françaises, (consulté le ).
- Sassier 2005, p. 116.
- Yves Levant et Olivier de La Villarmois, Charles Eugène Bedaux, EMS, coll. « Grands auteurs », (ISBN 978-2-84769-623-3, lire en ligne).
- Sassier 2005, p. 127.
- Sassier 2005, p. 128.
- Franck Ferrand, « Édouard VIII, roi nazi ? », émission L'Ombre d'un doute sur France 3, 6 février 2013.
- (en) Peter Allen, The Windsor secret : new revelations of the Nazi connection, Stein and Day, , 304 p. (ISBN 978-0-8128-2975-4), p. 142.
- Raphaël Chambriard, « Tours : l'avenue au nom d’un collabo débaptisée », La Nouvelle République du Centre-Ouest,‎ (lire en ligne).
- Sassier 2005, p. 149-151.
- Sassier 2005, p. 152.
- Henry du Moulin de Labarthète, Le temps des illusions. Souvenirs (juillet 1940-avril 1942), À l'enseigne du cheval ailé, , 414 p., p. 252.
- Sassier 2005, p. 117-118.
- Sassier 2005, p. 119.
- Sassier 2005, p. 120-121.
- Christy 1984, p. 295.
- Sassier 2005, p. 121-122.
- George Philip Vernon Akrigg et Helen B. Akrigg, British Columbia place names, UBC Press, , 304 p. (ISBN 978-0-7748-0637-4, lire en ligne), p. 17.
- « Instrument de recherche du fonds Charles Eugène Bedaux, Bibliothèque et Archives Canada »
Voir aussi
Bibliographie
- Gaston Bedaux, La vie ardente de Charles Bedaux, Paris, chez l'auteur, , 126 p.
- Jean des Cars, La saga des Windsor : de l'Empire britannique au Commonwealth, Paris, Perrin, , 400 p. (ISBN 978-2-262-03714-7).
- (en) Jim Christy, The price of power : a biography of Charles Eugène Bedaux, New York, Doubleday, , 342 p. (ISBN 978-0-385-18909-5).
- Charles Glass (trad. de l'anglais, traduit de l'américain par Johan-Frédérik Hel Guedj), Les Américains à Paris : vie et mort sous l'Occupation nazies : 1940-1944, Paris, Saint-Simon, , 391 p. (ISBN 978-2-915134-39-1).
- Marie-Françoise Sassier, Candé entre rêve et réalité, Tours, Service des monuments et musées départementaux, , 175 p. (ISBN 978-2-916434-06-3).