Entrepreneur
Le terme « entrepreneur » recouvre des acceptions connexes mais distinctes :
- l'usage courant l'assimile à un chef d'entreprise, tantÎt porteur d'un projet d'entreprise en phase de démarrage, tantÎt dirigeant d'une entreprise davantage établie, à laquelle le plus souvent il s'identifie étroitement et personnellement ;
- « entrepreneur » est également l'appellation donnée aux chefs d'entreprise de différents secteurs du bùtiment ou des travaux publics ;
- en droit, l'entrepreneur (ou maĂźtre d'Ćuvre) est « la personne qui â dans un contrat d'entreprise â s'engage Ă effectuer un travail en rĂ©ponse Ă la demande d'un maĂźtre d'ouvrage ».
Le présent article traite de la premiÚre acception.
Personnalité de l'entrepreneur
L'identification de l'entrepreneur à son projet d'entreprise ou à une entreprise établie explique le degré fort de son implication.
à la différence de l'homme d'affaires, l'entrepreneur est fortement investi matériellement ou moralement dans le développement et le déploiement de son projet. Sa mission est la réunion et la mobilisation de ressources pertinentes, ainsi que la volonté de pérennisation de celles-ci dans le cadre durable d'une organisation voire d'une institution.
Pourtant, les exemples abondent (voir le destin d'André Citroën en particulier) qui montrent que les qualités indéniables chez un « entrepreneur » ne coïncident pas toujours avec celles du « gestionnaire » :
- le premier est doté en principe du leadership et la vision adaptés aux enjeux et aux risques ;
- le second dispose normalement des vertus hautement nécessaires pour assurer la gestion au quotidien des revenus et des charges.
La forte personnalitĂ© de l'entrepreneur, souvent insĂ©parable de l'entreprise qu'il a fondĂ©e ou relancĂ©e et pratiquant un leadership souvent sans partage, fait que sa disparition - lorsque la prise de relais n'est pas suffisamment prĂ©parĂ©e - entraĂźne frĂ©quemment une crise de succession dont les effets Ă terme peuvent ĂȘtre dĂ©vastateurs, surtout au moment oĂč l'entreprise se sent « orpheline ». Il est donc utile de prendre en compte l'influence que la personnalitĂ© de l'entrepreneur exerce sur son entreprise[1] - [2] - [3].
Selon une Ă©tude d'Ernst & Young, « on ne naĂźt pas entrepreneur, on le devient »[4]. Mais d'autres Ă©tudes soulignent que « les 3/4 des entrepreneurs sont issus d'une famille d'entrepreneurs ». Pour Saras Sarasvathy tout le monde peut devenir entrepreneur, pour cela elle propose la thĂ©orie de lâeffectuation[5] qui qualifie la posture entrepreneuriale des individus. L'approche effectuelle[6] est opposĂ©e Ă l'approche causale[7] mais dans la pratique ces deux phĂ©nomĂšnes se complĂštent dans la vision entrepreneuriale.
En France, lâĂąge moyen de lâentrepreneur est de 41 ans. Parmi ce groupe, 2 % ont moins de 25 ans[8]. Une faible proportion dâindividus estime avoir les compĂ©tences nĂ©cessaires au dĂ©marrage dâune activitĂ© entrepreneuriale : 38 % contre 43 % au Royaume-Uni et 56 % aux Ătats-Unis[9]. Pour la figure de l'entrepreneur propre Ă l'entreprise voir l'article : Entreprise.
Ăvolution de la vision de l'entrepreneur
Les caractéristiques dominantes de la personnalité entrepreneuriale ont évolué.
Les précurseurs : pour Richard Cantillon (1723), l'entrepreneur achÚte des produits et services à un prix certain pour le revendre à un prix incertain sur le marché, aprÚs défraiement des frais de transport[10]. Ce fut le premier qui a attribué à l'entrepreneur un rÎle clé dans le processus économique. Dans son « Essai sur la nature du commerce en général »[10], l'auteur a reconnu le rÎle de l'entrepreneur comme étant un agent économique. L'entrepreneur pour Cantillon « is someone who engages in exchanges for profit, specifically, he is someone who exercises business judgment in the face of uncertainty »[11]. Jean-Baptiste Say (1767-1832) fonde véritablement le concept et lui confÚre une consistance significative. Il définit l'entrepreneur comme l'intermédiaire entre le savant (connaissance) et l'ouvrier (industrie)[12]. Marcel Proust utilise l'image glorifiée de l'entrepreneur pour décrire avec emphase un des personnages du roman La PrisonniÚre (1923) : « C'était un homme, un vrai, un entrepreneur » ;
Joseph Schumpeter redonne à l'entrepreneur[13] une place importante en le désignant comme étant « l'homme de l'innovation »[14] : Parce qu'il incarne et porte le pari de l'innovation, son dynamisme assure la réussite de celle-ci :
« Lâentrepreneur est un homme dont les horizons Ă©conomiques sont vastes et dont lâĂ©nergie est suffisante pour bousculer la propension Ă la routine et rĂ©aliser des innovations ». C'est un vĂ©ritable aventurier qui n'hĂ©site pas Ă sortir des sentiers battus pour innover et entraĂźner les autres hommes Ă faire autre chose que ce que la raison, la crainte ou l'habitude leur dictent de faire. Il doit vaincre les rĂ©sistances qui s'opposent Ă toute nouveautĂ© risquant de remettre en cause le conformisme ambiant. L'entrepreneur est beaucoup plus qu'un chef d'entreprise, simple administrateur gestionnaire. Beaucoup plus qu'un rentier-capitaliste, simple propriĂ©taire des moyens de production.
Ainsi, on pourrait soutenir qu'Henry Ford lorsqu'il s'Ă©tablit en 1906 comme chef d'entreprise n'est pas un entrepreneur. Mais qu'il le devient en 1909, lorsque ses usines commencent Ă fabriquer la fameuse Ford T et font Ă©voluer l'automobile vers le statut d'objet de consommation courante et qu'il met en Ćuvre le systĂšme de la chaĂźne de montage qui permet Ă la fois de baisser les coĂ»ts de production et d'accroĂźtre le dĂ©bit de la production, ce qui ouvre la porte Ă la production de masse.
- Autre exemple de véritable entrepreneur avec Alfred Krupp qui concentre verticalement ses entreprises et met en pratique le nouveau procédé de fabrication de l'acier imaginé par l'anglais Henry Bessemer (voir son histoire).
Pour Schumpeter, l'entrepreneur est certes motivé par la réalisation de bénéfices générés par les risques pris et la réussite. Mais, la conception du profit défendue est originale. L'entrepreneur crée de la valeur à l'aide d'un Business Model, comme le salarié et comme lui il est aussi motivé par un ensemble de mobiles irrationnels dont les principaux sont sans doute la volonté de puissance, le goût sportif de la victoire et de l'aventure, ou la joie simple de créer et de donner vie à des conceptions et des idées originales. Pour Schumpeter, le profit est la rémunération de l'initiative créatrice des risques pris par l'entrepreneur. Cette conception est contraire aux économistes classiques qui font du profit la contrepartie des efforts productifs (capital et travail) de l'entrepreneur, ce qui est plutÎt celle du chef d'entreprise. Elle est également contraire à la conception marxiste, qui place l'origine du profit dans la confiscation de la plus-value, c'est-à -dire l'appropriation d'une partie du fruit du travail des salariés, là on trouve plutÎt le rentier-capitaliste.
Dans une pĂ©riode plus rĂ©cente, divers auteurs enrichissent le concept de diverses maniĂšres. Pour W. Sombart (1922), l'entrepreneur est celui qui rĂ©unit les facteurs de production, capital et travail, conduit la production et Ă©tablit les relations entre la production et l'utilisation finale des produits rĂ©alisĂ©s[15]. Sans l'entrepreneur, la crĂ©ation et l'innovation sont impossibles dans le mode de production capitaliste[15]. Il donne aux facteurs de production un rĂŽle vital qu'aucune autre personne ne peut rĂ©aliser Ă sa place[15]. Mais tous les entrepreneurs n'ont pas la mĂȘme importance : quelques grands entrepreneurs qui dĂ©cident et se responsabilisent sont des leaders dans l'Ă©conomie capitaliste qui tracent le chemin aux autres qui les imitent, les suiveurs[15]. Bien que l'entrepreneur puisse poursuivre plusieurs objectifs (croissance interne, externe et notoriĂ©tĂ© de l'entreprise, augmentation du montant des ventesâŠ), la recherche des bĂ©nĂ©fices reste son but principal[16]. David McClelland (1961) : lâentrepreneur est avant tout motivĂ© par un besoin dĂ©bordant de rĂ©alisations, par « la nĂ©cessitĂ© de construire ». Collins and Moore (1970) (Ă©tude du cas de 150 entrepreneurs) concluent quâils sont durs, pragmatiques et conduits par le besoin dâindĂ©pendance et de rĂ©alisation, et peu enclins Ă se plier Ă lâautoritĂ©. Peter Drucker dans son ouvrage Les Entrepreneurs (1985), insiste sur l'innovation et l'esprit d'entreprise (entrepreneuriat). Bird (1992) voit les entrepreneurs comme Ă©tant Mercuriels et imprĂ©visibles, sujets Ă des intuitions, des activitĂ©s cĂ©rĂ©brales intenses, et des dĂ©ceptions. Ce pourquoi ils sont ingĂ©nieux, plein de ressources, malins, opportunistes, crĂ©atifs, et sentimentaux. Busenitz et Barney (1997) dĂ©fendent le fait que les entrepreneurs sont susceptibles dâĂȘtre trop confiants ou de gĂ©nĂ©raliser trop facilement. Cole (1959), dĂ©finit quatre types dâentrepreneurs : lâinnovateur, lâinventeur qui calcule, le promoteur trop optimiste et le constructeur dâorganisations. Burton W. Folsom Jr. distingue quant Ă lui ce quâil appelle « lâentrepreneur politique » qui cherche le profit pour son affaire en usant de son influence politique afin dâobtenir des faveurs et des accords avec le gouvernement, de « lâentrepreneur de marchĂ© » qui recherche le profit sans mettre en jeu son influence.
Accompagnement des entrepreneurs
L'accompagnement entrepreneurial comme l'a prĂ©sentĂ© Pluchart (2012, p. 220)[17] « recouvre un ensemble de relations ou de mĂ©diations visant Ă apporter les ressources financiĂšres, matĂ©rielles et immatĂ©rielles nĂ©cessaires au crĂ©ateur ou au repreneur d'entreprise ». Batavia Industrial Center fut la premiĂšre structure d'accompagnement Ă©tabli en 1959 Ă New York, Etats-Unis[18]. Il prĂ©sente le premier incubateur Ă©tabli. Ces structures n'ont pu se dĂ©velopper qu'Ă partir des annĂ©es 80, notamment avec la crĂ©ation de la National Business Incubation Association en 1985[18]. Ce dĂ©veloppement s'accĂ©lĂšre dans les annĂ©es qui suivent en rĂ©ponse Ă la montĂ©e de l'Ă©conomie entrepreneuriale[19]. L'explosion de la bulle internet Ă la fin des annĂ©es 90 n'a qu'augmentĂ© l'intĂ©rĂȘt accordĂ© Ă ces structures en favorisant la crĂ©ation d'entreprises innovantes.
L'accompagnement entrepreneurial est prĂ©sentĂ©, par Pluchart (2012), comme un rĂ©seau social. L'auteur, et d'aprĂšs les travaux de Degenne et Forse (1994), dĂ©finit un rĂ©seau social par un ensemble de nĆuds qui combinent des acteurs, groupes d'acteurs ou organisations liĂ©s par des relations formelles ou informelles et par des transferts de ressources. La structure de ce rĂ©seau est caractĂ©risĂ©e par plusieurs Ă©lĂ©ments[20] :
- structures d'accompagnement : institutions locales (Chambres de commerce et d'industrie, chambre de métiers, agence régionale de développement, municipalités ou communautés urbaines, associations spécialisées dans l'accompagnement, boutique de gestion, etc.), institutions nationales, écoles ou établissements professionnels ou supérieurs de formation ou de recherche, associations professionnelles ou clubs de dirigeants, sociétés de conseil (consultants, banquiers), laboratoires privés, etc. ;
- natures de l'accompagnement : techniques (innovations process et innovations produits), stratégiques et commerciales (diversifications et internationalisation), organisationnelles (introduction de nouvelles fonctions et de nouveaux modes relationnels internes et externes) et financiÚres ;
- pratiques d'accompagnement : stage d'étudiants encadrés par des spécialistes (chargé de missions institutionnels, universitaires, consultants), interventions individualisées de consultants ou de chargés de mission institutionnels, action de sensibilisation et d'information, actions de formation et séminaires d'échanges d'expériences ;
- intensité de l'accompagnement : dimension temporelle (durée) et multiplicité des acteurs: de l'utilisation d'un réseau de compétences multiples (institutions locales et nationales, établissements d'enseignement supérieurs ou professionnels, structures privées ou professionnelles) à l'appui d'une ou de deux structures d'accompagnement.
Aide au financement des entrepreneurs
Le financement des PME est toujours une question cruciale. Le besoin de financement se heurte constamment, d'une part, Ă la capacitĂ© de l'entreprise Ă financer son propre dĂ©veloppement, et d'autre part, au souci d'indĂ©pendance de l'entreprise. La capacitĂ© de financement de l'entreprise limite sa vitesse de croissance. Le souci d'indĂ©pendance de l'entreprise peut ĂȘtre un facteur bloquant Ă son dĂ©veloppement. Des solutions de financement public[21] peuvent permettre de concilier vitesse de croissance et volontĂ© d'indĂ©pendance.
Manifestations dédiées à l'entrepreneuriat
Plusieurs salons dédiés aux entrepreneurs sont organisés pour les PME[22] - [23] et les TPE[24].
Par ailleurs, plusieurs centaines d'organisateurs se mobilisent annuellement en novembre pour la semaine Global entrepreneurship week : en France, 623 événements ont mobilisé 100 000 participants dans 81 villes en 2010 ; à travers le monde, 40 000 événements ont réuni 10 millions de participants dans 102 pays[25].
Les jeunes entrepreneurs des 20 pays les plus puissants se regroupent en Australie pendant 4 jours dans le cadre du G20 YEA (Young Entrepreneursâ Alliance). Depuis la crise de 2008, 400 entrepreneurs sont sĂ©lectionnĂ©s pour Ă©mettre une liste de recommandations aux chefs dâĂtat avec pour objectif de relancer la croissance et lâemploi.
Notes et références
- Marchesnay M. (2008), Valeurs et responsabilitĂ©s â lâentrepreneur français, entre compĂ©titivitĂ© et lĂ©gitimitĂ©, Sciences de Gestion, no 64, p. 173-186.
- Saint-Pierre, J., Cadieux, L. (2011), La conception de la performance : Quels liens avec le profil entrepreneurial des propriĂ©taires dirigeants de PME ?, Revue de lâEntrepreneuriat, vol.11, no 1, pp.7-26.
- Bousquet F., (2014), "L'Influence du lien personnel entre l'entrepreneur et le territoire sur l'ancrage territorial des PME", thÚse de doctorat en sciences de gestion, université de Bordeaux, p.20, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01232234/document [archive]
- « On ne naßt pas entrepreneur, on le devient » (version du 28 juillet 2013 sur Internet Archive)
- « LA TRANSFORMATION DIGITALE », sur EMS ĂDITIONS (consultĂ© le )
- Saras D. Sarasvathy, « Causation and Effectuation: Toward a Theoretical Shift from Economic Inevitability to Entrepreneurial Contingency », The Academy of Management Review, vol. 26, no 2,â , p. 243 (ISSN 0363-7425, DOI 10.2307/259121, lire en ligne, consultĂ© le )
- David J. Rapp et Michael Olbrich, « From Knightian uncertainty to realâstructuredness: Further opening the judgment black box », Strategic Entrepreneurship Journal,â (ISSN 1932-4391 et 1932-443X, DOI 10.1002/sej.1443, lire en ligne, consultĂ© le )
- « La Conférence Annuelle des Entrepreneurs » (version du 22 décembre 2013 sur Internet Archive).
- Invitation - L'entrepreneuriat en France
- Essai sur la nature du commerce en général/Partie I/Chapitre 13
- K.V. Nagarajan, « Review of: A history of entrepreneuriship By Robert F. Hebert and Albert N. Link London: Routledge, 2009 », International Journal of Business and Social Science,â , p. 241-242
- Catherine LĂ©ger-Jarniou, Le Grand Livre de L'Entrepreneuriat, Paris, Dunod, , 448 p., p. 25
- Volker Kunz, « Joseph A. Schumpeter, Capitalism, Socialism, Democracy, New York 1942 », dans SchlĂŒsselwerke der Politikwissenschaft, VS Verlag fĂŒr Sozialwissenschaften (ISBN 978-3-531-14005-6, lire en ligne), p. 441â446
- Joseph Alois Schumpeter, Business cycle, 1939
- W. Sombart, L'apogée du capitalisme, 1922. Traduction française Payot - Paris - 1934. Tome 1 - p. 30-34. Cité par Jacques Wolff, Capitalisme et croissance, textes et bibliographie, éditions cujas, p. 11-12.
- W. Sombart, L'apogée du capitalisme, op. cit. p. 55-56. Cité par Jacques Wolff, ... p. 13.
- Jean-Jacques Pluchart, « L'accompagnement entrepreneurial », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, vol. XVIII, no 45,â , p. 217 (ISSN 2262-8401)
- Sean M. Hackett, David M. Dilts, « A Systematic Review of Business Incubation Research », The Journal of Technology Transfer,â , pp 55â82 (ISSN 1573-7047)
- Karim Messeghem, Sylvie Sammut, Didier Chabaud, Camille Carrier et Roy Thurik, « Lâaccompagnement entrepreneurial, une industrie en quĂȘte de leviers de performance ? », Management international,â , p. 65â71.
- Dokou, G. k., Gasse, Y., Abiassi, A., & Camion, C., « Influences des pratiques d'accompagnement et de recherche d'information sur la stratĂ©gie des entrepreneurs de PME: L'exemple de la rĂ©gion Nord-Pas-De-Calais », FacultĂ© des sciences de lâadministration. UniversitĂ© Laval.,â .
- Principales aides financiĂšres, APCE
- Site officiel du salon des entrepreneurs du MEDEF
- Salon PlanĂšte PME de la CGPME
- Salon des micro-entreprises des indépendants
- Les journées de l'entrepreneur : bilan de l'édition 2010, page 12.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :