Chaleur de récupération
La chaleur de récupération, ou chaleur fatale, est la « chaleur générée par un procédé qui n’en constitue pas la finalité première, et qui n’est pas récupérée » (définition retenue en France par la Programmation pluriannuelle de l'énergie[1]).
La chaleur fatale peut être réutilisée directement, ou après concentration ou stockage, pour améliorer un processus (préchauffage de gaz par exemple), pour chauffer un lieu ou des objets, pour refroidir (au moyen d'un évaporateur ou d'un autre système) ou pour produire de l'électricité (par exemple au moyen d'une machine à cycle organique de Rankine[2]).
Il s'agit généralement d'améliorer à la fois l'efficacité énergétique et l'efficacité environnementale d'un système impliquant une production de chaleur.
Enjeux
La récupération de chaleur s'inscrit dans une logique d’économie circulaire : d'un « déchet » (chaleur nuisible au bon déroulement d'un processus industriel, devant être évacuée), on fait une ressource, qui sert à chauffer un bâtiment par exemple.
Récupérer la chaleur fatale pour un autre usage, outre une opportunité industrielle de création d'emplois[3], est l'un des moyens de diminuer l'entropie d'un système et donc de réduire le gaspillage d'énergie en améliorant son efficience énergétique[4].
Cette énergie, par exemple extraite par un échangeur thermique ou une pompe à chaleur, peut alimenter un réseau de chaleur[5] - [6], parfois en y associant une cogénération[7]. À titre d'exemple, en 1983, les communes de Dunkerque et de Saint-Pol-sur-Mer se sont dotées d'un réseau de chaleur principalement alimenté par la récupération de chaleur fatale d'une aciérie proche (Usinor)[8] ; en 2013, à Val d'Europe, la chaleur du centre de données d'une grande banque a permis de chauffer sans émission supplémentaire de CO2 un réseau de chauffage urbain desservant 600 000 m2 de locaux (bureaux, hôtels et logements)[9].
La récupération de la chaleur fatale est aussi un moyen de réduire la dépendance aux énergies fossiles et les émissions de gaz à effet de serre, à service égal. Le mix énergétique tend progressivement à intégrer cette ressource, notamment dans les pays qui ont adopté l'objectif du facteur 4 à l’horizon 2050, avec des enjeux et contextes très variables d'une région du monde à l'autre. De plus, les tours de refroidissement des centrales thermiques sont consommatrices d'eau, qui après refroidissement des processus est source de pollution thermique et souvent de pollution chlorée (quand le chlore est utilisé pour désinfecter l'eau ou empêcher le fouling dans les tuyaux et échangeurs thermiques). La récupération de chaleur de fumées peut aussi être utilisée pour retirer des polluants par un lavage à l'eau, ce qui permet des économies non négligeables[10].
Les enjeux de recherche et développement portent aussi sur les moyens efficaces, propres et sûrs de concentrer les calories à partir de rejets à basse température, ou de les stocker (par exemple dans un matériau à changement de phase[11]).
Histoire
Autrefois, les chambres installées au-dessus de l'étable étaient chauffées passivement par les animaux. Les restes de braises du feu de cuisine étaient souvent récupérées pour réchauffer un lit ou un fer à repasser, etc.
Exemples de chaleur fatale
Parmi les nombreux exemples de systèmes dont la chaleur fatale est récupérée ou pourrait l'être, on peut citer :
- les moteurs fixes ou de véhicules (ex. : chaleur perdue par le radiateur d'une voiture ou par le pot d'échappement) ;
- les systèmes d'éclairage ;
- les rejets d'eaux de refroidissement et les fumées d'usines et de centrales thermiques (nucléaire, gaz, biomasse...)
- la plupart des procédés de climatisation et de réfrigération, qui extraient la chaleur d'un milieu pour l'évacuer dans l'environnement ;
- les procédés d'incinération des déchets ;
- les serveurs de données ;
- les réseaux d'évacuation des eaux usées (eaux chaudes de bains, douches, vaisselles, lessives évacuées dans l'égout).
Valorisation de chaleur fatale en France
En France, les gisements de chaleur fatale proviennent principalement de l’industrie (agro-alimentaire, chimie plastique, papier carton, métaux, etc.), des usines d’incinération des ordures ménagères, des stations d’épuration des eaux usées et des centres de données[12].
Selon l'Ademe, le gisement de chaleur fatale facilement valorisable dans l'industrie en France serait de 12 TWh/an, de quoi chauffer un million de logements, mais à peine 0,4 TWh est exploité en 2020. L'Ademe a ouvert la voie en 2009 en créant un fonds chaleur doté de 350 millions € afin de financer des projets jusqu'à 50 % de l'assiette éligible pour les petites entreprises, 40 % pour les moyennes et 30 % pour les grandes. La subvention a déjà facilité l'émergence de 5 000 opérations. Le plan de relance lancé par le gouvernement en prévoit des appels à projets utilisant la chaleur à faible émission de carbone. L'objectif en est d'arriver à 0,8 TWh en 2023 et à cinq fois plus en 2028[13].
Exemples en France
Dans la ville de Saint-Ouen-sur-Seine (93), l’usine d’incinération des déchets valorise sa chaleur fatale en produisant de l'électricité. Elle alimente le réseau d’eau chaude nécessaire à son propre fonctionnement et à celui de l'écoquartier voisin[14].
La chaleur fatale du centre de données de Valbonne (06) a permis de remplacer la chaudière à gaz de quatre bâtiments[15].
Une papeterie (37) récupère la chaleur fatale pour chauffer son usine[16].
Une entreprise française sise à Montrouge (92) utilise la chaleur fatale dégagée par les microprocesseurs de serveurs informatiques. Ces microprocesseurs sont intégrés dans des modules et placés à l'endroit où la chaleur est nécessaire. Ils chauffent par effet joule et sont refroidis par l'air (« radiateur-numérique ») ou l'eau (« chaudière numérique »)[17].
Droit et chaleur fatale
Introduire localement de grandes quantités de chaleur dans l'environnement peut avoir des conséquences graves sur les écosystèmes. Certaines installations industrielles sont donc soumises à des seuils de température de rejets à ne pas dépasser (seuils qui peuvent varier, par exemple selon la saison) et à des contrôles.
En Europe, la directive européenne 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique encourage la récupération de la chaleur fatale. En France, la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 et la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui en découle s'appliquent.
Références
- Ministère de l'environnement, 2016, volet 1 : Synthèse de la PPE [PDF], 25 pages ; volet 2 : Volet relatif à l'offre d'énergie [PDF], 83 pages ; et volet 3 : Stratégie de développement de la mobilité propre [PDF], 125 pages.
- S. Marchandise et V. Lemort, Institut de Conseil et d’Études en Développement Durable (ICEDD), pour le Service public de Wallonie, « Organic Rankine Cycle : Récupération de chaleur fatale pour la production d’électricité dans l’industrie et applications en Énergie Renouvelable » [PDF], .
- B. Léchevin, Biomasse, géothermie, solaire thermique, récupération de chaleur fatale : autant d’opportunités pour l’industrie française, annales des Mines-Responsabilité et environnement, no. 2, 2015, p. 62-66, FFE (résumé).
- L. Levacher, D. Clodic, F. Marechal, Efficacité énergétique pour l’industrie : des technologies existantes aux solutions innovantes, 2009.
- S. Lang, Dimensionnement du principe énergétique d'une ÉcoCité. Optimisation chaufferie Diomasse [PDF], projet de fin d’études, INSA de Strasbourg, 2011.
- Z. Hampikian, « Récupérer la chaleur des entreprises pour chauffer le territoire urbain : une conception non-linéaire de la fourniture d'énergie à l'épreuve des dynamiques locales », Journées internationales de sociologie de l'énergie, juillet 2015, p. 18-21.
- E. Denis, « Valorisation énergétique des déchets industriels spéciaux : 18 ans d'expérience d'un réseau de chaleur multi-industriel en cogénération sur chaleur fatale », L'Eau, l'industrie, les nuisances, 192, 1996, p. 51-53.
- C. Beaurain et D. Varlet, « Quelques pistes de réflexion pour une approche pragmatiste de l’écologie industrielle : l’exemple de l’agglomération dunkerquoise », Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie, 5(1), 2014.
- Frérot A (2013) « Le rôle des services à l’environnement dans la transition écologique en Europe » [PDF], Question d'Europe, n°288, 16 septembre 2013.
- Cécile Clicquot de Mentque, « La récupération d'énergie se conjugue avec l'abattement de polluants », sur actu-environnement.com, (consulté le ).
- K. Merlin, D. Delaunay, J. Soto, & L. Traonvouez (2014) « Étude expérimentale de l’intensification du transfert de chaleur dans un matériau à changement de phase » [PDF].
- Chaleur fatale, Ademe, , pdf (présentation en ligne)
- Les industriels de moins en moins frileux à l'idée de valoriser leur chaleur fatale, Les Échos, 5 octobre 2020.
- « Retour d'expérience d'une autorité publique européenne majeure de gestion des déchets » [PDF], Syctom, (consulté le )
- Ademe, « Récupération et valorisation de chaleur fatale chez Air France exploitation d'un data center ».
- Association technique énergie environnement, « La valorisation de chaleur fatale sur un site industriel », .
- « La chaleur fatale informatique au service du système de chauffage ou de production d’eau chaude », Le Moniteur, , p. 20-31.
Voir aussi
Article connexe
- Énergie de récupération
- Procédé industriel
- Processus thermodynamique
- Calorie
- Efficacité énergétique (thermodynamique)
- Efficacité énergétique (économie)
- Économie d'énergie
- Économie circulaire
- Écologie industrielle
- Performance environnementale
- Bâtiment à énergie positive
- Bilan carbone
- Effet rebond (économie)
- Énergie renouvelable
- Étiquette-énergie
- Enjeux du réchauffement climatique
- Facteur 4
- Facteur 9
- Négawatt
- Récupération de chaleur sur groupes frigorifiques
Liens externes
- Stéphane Signoret, Chaleur fatale : toujours plus à récupérer dans l’industrie, Techniques de l'ingénieur, 18 octobre 2022
Bibliographie
- M. F. Ayachi, Intégration des cycles de Rankine organiques dans la valorisation de la chaleur fatale industrielle à basses et moyennes températures, thèse de doctorat, 2013 (résumé).
- G. David, Valoriser la chaleur fatale dans les procédés industriels grâce à la technologie du Cycle Orgonique de Rankine. Environnement & technique, no 324, 2013, p. 62-63.
- S. Marchandise, et V. Lemort, Organic Rankine : Cycle-Récupération de chaleur fatale pour la production d’électricité dans l’industrie et applications en énergie renouvelable [PDF], Cahier technique, no 16, 2014, 34 p.
- ICEDD, Étude du potentiel de récupération de chaleur fatale pour la production d’électricité dans l’industrie wallonne, 2013.
- Van long Le, Étude de la faisabilité des cycles sous-critiques et supercritiques de Rankine pour la valorisation de rejets thermiques, thèse de doctorat, université de Lorraine, 2014.
- M. Piton, Récupération de la chaleur fatale: application aux fours rotatifs, thèse de Doctorat, École des Mines de Nantes, 2015.
- Zoughaib, A., Feidt, M., Pelloux-Prayer, S., Thibault, F., & Le, V. L., « Chemins énergétiques pour la récupération d’énergies (CERES) », Proceedings of SFT conference, juin 2014.