Belanda Hitam
Belanda Hitam ou Hollandais noirs est la désignation des esclaves originaires d'Elmina (maintenant située au Ghana, en Afrique de l'Ouest), qui sont recrutés par les Néerlandais pour former l'armée royale néerlandaise des Indes orientales (Koninklijk Nederlands Indisch Leger, ou en abrégé KNIL) et sont affectés aux Indes orientales néerlandaises (aujourd'hui indonésie).
Entre 1831 et 1872, plus de trois mille Africains sont recrutés sur la Côte-de-l'Or néerlandaise pour servir dans l'armée coloniale des Indes orientales néerlandaises. Ce recrutement est en fait une mesure d'urgence car les Néerlandais eux-mêmes perdent des milliers de soldats européens et des dizaines de milliers de soldats indigènes dans la guerre de Java menée contre Diponegoro. Les Pays-Bas suivent l'exemple d'autres puissances coloniales comme le Royaume-Uni et la France, en recrutant des soldats en Afrique afin de combattre dans d'autres colonies. En général, les membres des armées étrangères sont peu enclins à sympathiser avec la population indigène dans sa résistance à la domination coloniale. Dans le cas des soldats recrutés en Afrique et de la KNIL, presque toutes les recrues sont d'anciens esclaves. Le recrutement prend fin en 1872 après la cession d'Elmina au Royaume-Uni lors du traité de Sumatra de 1871.
Certains Africains retournent dans leur pays d'origine en Afrique de l'Ouest après la guerre, mais la plupart s'installent dans les Indes orientales néerlandaises après avoir épousé des femmes locales. Leurs descendants sont considérés comme indo. Après la Seconde Guerre mondiale et la proclamation de l'indépendance de l'Indonésie, la plupart d'entre eux déménagent aux Pays-Bas.
Histoire
Politique de recrutement proposée dès 1802
L'idée d'un recrutement d'hommes en Afrique de l'Ouest par le gouvernement néerlandais n'est pas neuve puisque les gouverneurs employaient fréquemment des mercenaires locaux et les intégraient à leurs garnisons. En 1802, une première proposition de recrutement au sein de l'armée néerlandaise est avancé à la suite de la paix d'Amiens. Il est question de renforcer les garnisons du cap de Bonne-Espérance. L'objectif est de retirer les hommes de leur région afin d'améliorer leur propension à la fidélité et à l'obéissance dans des missions orientées contre des indigènes. La piste du rang européen est évoquée afin de fournir à ces soldats un statut particulier. En effet, il est question d'élever des esclaves affranchis aux mêmes droits que les soldats européens[1].
Cependant, les guerres napoléoniennes mettent un terme au projet puisque le conflit reprend dès 1803 et les britanniques prennent possession du cap dès 1811 ainsi que des possessions néerlandaises dans les Indes orientales. Le projet de recrutement n'est reproposé qu'après 1825 avec trois propositions d'initiatives privées adressées au Ministère de la Guerre et des Colonies des Pays-Bas[1].
Situation dans dans les Indes orientales
Les Britanniques reprennent temporairement le contrôle de l'administration de plusieurs possessions néerlandaises des Indes orientales, y compris Java, entre 1806 à 1816 durant les guerres napoléoniennes. En 1824, le traité anglo-néerlandais stipule que les Néerlandais cèdent Malacca, dans la péninsule Malaise, contre les possessions anglaises de Bengkulu à Sumatra. Les frontières territoriales entre les colonies de la Malaisie britannique et des Indes orientales néerlandaises restent à ce jour les frontières entre la Malaisie et la République d'Indonésie. La capitale des Indes orientales néerlandaises à cette époque est Batavia (aujourd'hui Jakarta)[2].
Tout au long de l'histoire de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (Verenigde Oostindische Compagnie, ou en abrégé VOC) et des Indes orientales néerlandaises, le contrôle néerlandais sur les territoires de l'archipel reste sous-développé. Ce n'est qu'au début du XXe siècle que les Néerlandais parviennent à maîtriser l'intérieur des territoires. De plus, bien que l'île de Java soit gouvernée depuis 350 ans par les européens, de nombreuses régions, dont Aceh, Lombok et Kalimantan, restent indépendantes au XIXe siècle[3].
La politique expansionniste des néerlandais soumet les îles à différents conflits et troubles. Les forces néerlandaises se confrontent à une importante résistance des indigènes indonésiens qui affaiblissent la domination et la présence de l'armée néerlandaise[4]. Au XVIIIe siècle, la VOC utilise des armes à feu et obtient le soutien des tribus Bugis (de Sulawesi) et Amboinaises (des Moluques) pour étendre et protéger ses intérêts commerciaux dans tout l'archipel. Certains conflits notables sont à retenir durant cette période : la guerre des Padri à Sumatra (1821-38), la guerre de Java (1825-30) lancée par le prince Diponegoro et la guerre d'Aceh qui dure environ 30 ans.
Effectif insuffisant
Dans la guerre de Java, menée par Diponegoro, les Néerlandais subissent de lourdes pertes, pouvant atteindre un taux de mortalité de 45% par an chez les européens juste pour les années 1827 et 1828[5] - [6]. Sur toute la période de la guerre, plus de 15 000 hommes meurent, dont 8 000 européens et 7 000 indigènes[5].
En 1830, l'indépendance de la Belgique vis-à-vis des Pays-Bas entraine une réduction de la population néerlandaise recrutable[note 1], rendant plus difficile pour les Néerlandais de compenser les pertes en vies humaines. De plus, bien que la conscription soit introduite, la Constitution du royaume des Pays-Bas interdit l'envoi de ceux-ci en territoires coloniaux, seuls les volontaires peuvent dès lors rejoindre l'armée coloniale[7].
En 1814, un rapport sur la réforme des armées indique que le taux de mortalité dans les Indes orientales est particulièrement élevé. Les volontaires doivent également suivre une formation spécifique afin d'augmenter leurs chances de survie. Après deux ans de service, près de la moitié des volontaires envoyés meurent, se trouvent en incapacité par maladie ou désertent[7].
Le rapport précise également que pour maintenir le contrôle dans les Indes Orientales, une force de 10 475 hommes est mobilisée, dont la moitié est constituée d'indigènes[7]. Pour s'assurer de la loyauté des soldats indigènes recrutés, ceux-ci ne peuvent excéder ce quota[6].
Face à ces difficultés, les Néerlandais s'inspirent de la politique britannique qui recrute des troupes en Afrique pour les envoyer dans les Antilles britanniques afin de contrôler les soulèvements des esclaves travaillant dans les Caraïbes[8]. Ils espèrent également que les troupes africaines résistent mieux que les Européens au climat et aux maladies tropicales dans les Indes orientales néerlandaises[6]. Des officiers néerlandais au Suriname et aux Antilles néerlandaises témoignent de l'action d'un régiment de troupes antillaises britanniques. La chercheuse néerlandaise Ineke van Kessel (nl) écrit que les Néerlandais sont influencés par un rapport positif du major Charles Hamilton Smith, un fonctionnaire britannique né à Vroenhoven sous le nom de Karel de Smet, qui est également une connaissance personnelle de membres de la famille royale néerlandaise[9]. En 1831, le gouverneur Frederich Last à Elmina reçoit l'ordre de recruter une compagnie militaire de 150 Africains et de partir combattre dans les Indes néerlandaises.
Recrutement
Entre 1831 et 1872, 3 085 Africains de l'Ouest provenant principalement de la Côte-de-l'Or néerlandaise et de l'Empire ashanti[10] sont amenés à Java pour combattre avec le KNIL. Le recrutement dans l'armée coloniale néerlandaise s'est déroulé en trois phases : la phase initiale (1831-1836), la phase de recrutement intensif (1837-1841) et la phase de recrutement sélectif à la fin des années 1850.
Accord avec les Ashantis
En 1831, le gouvernement néerlandais décide de recruter des soldats dans les colonies néerlandaises d'Afrique de l'Ouest. Sur les 150 soldats prévus par l'ordre de mission, le gouverneur d'Elmina ne parvient qu'à recruter 44 hommes. Certains ont déjà servi dans la garnison, cependant la majorités sont des euro-africains endettés. Ce premier détachement est envoyé et ne satisfait pas le gouvernement à La Haye qui souhaite un recrutement d'africains, et non de mulâtres[11].
Et en 1836, 88 hommes africains arrivent dans les Indes néerlandaises. Afin d'améliorer le recrutement, ils envisagent de nouer un partenariat avec le roi ashanti[12]. À cette fin, à l'automne 1836, le major général Jan Verveer se voit confier la mission de persuader le roi d'Ashanti[13]. Après son arrivée à Elmina le , il en part avec un groupe d'environ 900 hommes (principalement des porteurs transportant des marchandises et des souvenirs) pour Kumasi, la capitale de l'Empire ashanti[12].
La plan initial d'employer des recrues ashantis est rejeté et les négociations portent alors sur l'achat d'esclaves originaires de l'intérieur des terres, nommés Donko. Cependant, dans le contexte des accords anti-esclavagistes signés avec les britanniques, cette piste est risquée et ne peut s'envisager qu'avec des conditions particulières[14].
Après de longues négociations, Verveer conclut un accord pour le recrutement d'Africains avec le roi Kwaku Dua le . Les conditions de traitement des recrues sont clairement définies. L'Asantehene s'engage à fournir 1000 recrues en échange de 6000 armes à feu[11]. L'accord prévoit également que Kwaku Dua puisse envoyer deux fils de la famille royale, nommés Kwasi Boachi et Kwame Poku, pour partir étudier aux Pays-Bas. Le romancier Arthur Japin écrit à leur sujet en 1997 dans son roman De zwarte met het Witte hart (« Noir au cœur blanc »)[15].
Dans son rapport, Jan Verveer rapporte à Batavia qu'après deux ans d'entrainement, les premiers hommes recrutés seront prêts car ils sont « naturellement loyaux, volontaires, obéissants et, bien guidés, inébranlables envers l'ennemi »[16]. Il promet que 2 000 hommes seront recrutés et envoyés à Java, courant 1837 et un centre d'enrôlement est mis en place à Elmina pour faciliter le recrutement qui est coordonné par J. Huydecoper, un fonctionnaire euro-africain descendant de Jan Huydecoper[17]. Cependant, au terme de l'année 1837, seuls 595 africains sont effectivement envoyés à Java[18].
En 1842, le recrutement cesse provisoirement face aux campagnes de répression anti-esclavagistes des britanniques. Mais en 1855, le recrutement reprend en raison des résultats positifs des premiers soldats africains postés dans les Indes orientales néerlandaises, cependant le recrutement devient strictement volontaire. Ce n'est qu'en 1860 que le premier détachement est envoyé avec succès à Java, et après cela, des centaines d'autres recrues suivent le premier détachement[6].
Conditions proposées aux recrues
Suite à l'abolition britannique de l'esclavage, le recrutement ne doit pas être annoncé comme un achat d'esclave. Jan Verveer suggère de mettre l'accent sur une action à portée humanitaire puisque ces esclaves craignaient quotidiennement pour leur vie et risquaient d'être utilisés comme sacrifices humains[14] :
Leur passage dans notre service militaire est considéré, par eux, comme la plus grande bonne fortune qu'il puisse leur arriver !
Les conditions proposées aux recrues sont d'accéder au même rang social et aux mêmes droits que les soldats européens. Ils perçoivent un salaire et traitement en nature égal en tout aspect. Cependant, à l'exception des européens, le service militaire n'est pas de six ans, mais de 15 ans. De plus, dans le cas des esclaves rachetés, une retenue sur le salaire est prévue. Enfin, la recrue doit explicitement se déclarer volontaire[11].
En effet, le recrutement auprès du roi Ashanti consiste à acheter la liberté des esclaves qui sont intégrés à la KNIL en tant que membres volontaires, ce qui les soumet à un endettement envers la KNIL[6]. Cette retenue sur le salaire permet d'écouler la dette en deux ans[11].
Au terme de leur contrat, les soldats ont plusieurs choix : continuer leur carrière militaire, retourner à Elmina ou s'installer dans les Indes néerlandaises[11].
Dénomination et origines
En malais, on les appelle belanda hitam (Hollandais Noirs) parce qu'ils utilisent des noms hollandais (Johannes, Mozes et autres) et aussi parce qu'ils se considèrent supérieurs aux membres de l'armée indigène venus des îles de Java et d'Ambon[19]. Cela est dû au fait qu'ils sont recrutés dans l'armée coloniale en tant qu'Européens[6] - [note 2]. La raison de cette déclaration est peut être d'éviter tout lien avec l'origine de leur esclavage. Ils sont recrutés à Elmina en Côte-de-l'Or néerlandaise (maintenant situé au Ghana) par un représentant de l'armée royale néerlandaise des Indes orientales, mais certains sont achetés au marché aux esclaves de Kumasi[6]. Une petite proportion provient également d'endroits encore plus éloignés comme le Burkina Faso, le Mali, le Niger, la Côte d'Ivoire et le Bénin[20]. Après la cession de la colonie aux Britanniques le par le traité de Sumatra, la zone de dépôt est fermée et l'implication des Africains de l'Ouest dans l'armée néerlandaise des Indes orientales cesse progressivement[6].
Premiers combats
Les recrues de la première vague participent, en 1836, à l'assaut du fort de Bondjol durant le conflit avec les Padri. Ils sont placés en première ligne et Toewankoe Imam, le chef Padri, se plaint notamment du traitement qu'ils offrent à ses femmes lors de sa capture. Certaines sont blessées, l'une d'elles meurt. Selon le lieutenant-colonel H. M. Lange, l'usage des soldats africains, encore inexpérimentés, représentait une erreur[11].
Les recrues de la seconde vague participent à la guerre ahanto-néerlandaise face à Badu Bonsu II et intègrent l'expédition punitive coordonnée par Jan Verveer en 1838. Il s'agit de la première action militaire à laquelle les recrues, destinées pour Java, participent. Cependant, elles manquent d'entrainement et le rapport fait état de désorganisation et de mauvaise compréhension des ordres[21].
En , le rapport général sur les Africains qui s'appuie sur les rapports de commandants de bataillon, se montre critique, mais relativement positif. « Les nègres sont très bien habitués à la vie militaire, [mais ils] ont peu de compréhension de la subordination et montrent peu de respect envers les sous-officiers et le caporaux ». Sachant que les hommes proviennent de cultures différentes, le principal problème est celui de la communication. Sur le plan comportement, le rapport souligne qu'ils sont « paresseux mais infatigables et intrépides au combat »[21].
Expédition à Aceh
Au début du XIXe siècle, le pouvoir du gouvernement néerlandais est limité à l'île de Java et à la côte sud de Sumatra, dans les Moluques et d'autres îles. La nouvelle administration néerlandaise établit son pouvoir dans les îles néerlandaises des Indes orientales en 1900, et les membres de l'armée africaine jouent un rôle dans le développement de ce pouvoir. Les troupes de la compagnie africaine combattent aux côtés des troupes européennes du KNIL lors des campagnes néerlandaises à Sumatra, Kalimantan, Sulawesi, Bali, Timor et Aceh[8].
Parmi les contingents non-européens de la seconde expédition d'Aceh (en) en 1873 se trouvent deux groupes de troupes de compagnie composées de membres ouest-africains, les 3e et 4e Rechter Halve du second bataillon d'infanterie sous les ordres du lieutenant-colonel Karel van der Heijden (nl). En termes d'effectifs, il s'agit d'environ 230 hommes sur une force totale de 13 000 hommes. Cependant, ces membres rejoignent les autres troupes de la KNIL avec une excellente réputation ; de plus, ils peuvent supporter les conditions locales. Ils reçoivent des salaires plus élevés que les autochtones et partagent les dortoirs des soldats européens. Les deux compagnies africaines sont placées sous le commandement du major M.A.E. Phaff[22].
Au même moment, les troupes d'Aceh entament une série d'attaques contre les villages qui ont collaboré avec les Néerlandais. Des soldats africains sont déployés pour protéger les régions de Meuraksa et Lampaseh à Aceh, et le également à Surian - ce qui permet aux réfugiés de se déplacer à travers la rivière Aceh et de traverser la route de la côte à Kuta Raja en toute sécurité[23]. Depuis la conquête de Surian le , les soldats africains sont également chargés de délivrer des laisser-passer à tous les Acehnais qui souhaitent s'y rendre. Au cours de cette campagne, un artilleur africain, T. Tak, reçoit la médaille de chevalier de 4e classe de l'ordre militaire de Guillaume, le sergent africain J. Noudjedij et les soldats africains J. Hat, W. Muil et W. Bamberg reçoivent respectivement la médaille de bronze de la bravoure et de la loyauté, tandis que W. Zwol et T. Zaal reçoivent des mentions spéciales[24]. Leur nombre passe alors de 230 à 116 en raison de la rotation des troupes et du manque de nouvelles recrues. Cette situation perdure jusqu'à ce que les effectifs des 3e et 4e compagnies du 2e bataillon d'infanterie soient rétablis grâce à l'arrivée de soldats néerlandais supplémentaires en provenance d'Europe.
Le , le colonel J.L.J.H. Pel (nl) retourne à Aceh en tant que major général et commandant en chef. Le , il prend la relève du colonel Wiggers van Kerchem, qui quitte Aceh le [25]. Pendant la guerre d'Aceh, sous la direction du major-général Pel, le nombre de soldats africains se réduit à environ 176 hommes[26]. Avec la permission du gouvernement néerlandais des Indes orientales, Pel nomme deux officiers du Raj britannique, à savoir le capitaine A. P. Palmer et le capitaine W. S. A. Lockhart, comme observateurs militaires dans la plupart des opérations de guerre[27]. Palmer écrit plus tard dans son rapport que les soldats africains sont de loin les meilleurs de l'armée de la KNIL. Palmer n'apprécie pas les artilleurs européens et javanais mal formés, mais note que les Acehnais ont une grande estime pour les Africains de l'Ouest. Des efforts sont déployés pour combler la pénurie de soldats africains, mais échouent en raison des protestations britanniques qui estiment qu'il s'agit d'esclavagisme déguisé.
État de service
Les états de service des soldats africains recrutés pour servir dans les Indes orientales néerlandaises sont mitigés. Tout au long de leur service dans les Indes néerlandaises, ils sont à la fois honorés pour leur obéissance et leur bravoure, et blâmés pour avoir défié les ordres et s'être rebellés. En fait, leur rébellion amène les autorités militaires néerlandaises à repenser leur politique de recrutement et est finalement l'une des principales raisons pour lesquelles les Néerlandais cessent de recruter des Africains[28].
Conformité et courage
Les Néerlandais essaient de s'assurer de l'obéissance de leurs soldats africains en leur accordant un traitement spécial par rapport aux soldats indigènes de la KNIL. Les membres africains bénéficient du même statut et des mêmes conditions de service (salaire, promotions, nourriture, vêtements, etc.) que les membres européens. En conséquence, les membres africains de l'armée se sentent au-dessus des membres indigènes, qu'ils méprisent même. Il convient de noter que la structure de l'armée coloniale est organisée selon des strates strictes fondées sur l'ethnie et le statut social. Au sommet de la hiérarchie se trouvent les Européens. Les Ambonais, qui sont chrétiens, sont au milieu tandis que les autres soldats indigènes (les Javanais, les Bugis, etc.), qui sont musulmans, sont en bas. Les uns et les autres honorent cependant l'Européen à la tête de leur armée[29] - [note 3].
Les Néerlandais sont généralement satisfaits de la qualité des soldats africains. Ineke van Kessel cite un des premiers rapports néerlandais qui indique, entre autres, que « ce sont des gens honnêtes ; aucun signe de vol n'a été signalé. Ils sont forts, bien bâtis, infatigables et se sont adaptés au climat tropical. Lors des expéditions militaires, ils font preuve de courage, plus que les Européens »[30] - [note 4]. De nombreux membres africains reçoivent des décorations pour leur bravoure, en particulier après l'expédition contre Aceh.
Rébellion
Bien que les membres africains fassent preuve de courage, ils mènent également une série de rébellions sur les îles de Java et de Sumatra. La plupart des membres de l'armée africaine, sinon tous, sont d'anciens esclaves. Il s'agit de prisonniers de guerre des Ashanti ou des États tributaires des Ashanti, ou de serviteurs sous contrat d'autres tribus. Ils achètent leur liberté par endettement envers la KNIL, mais sont pleinement conscients du rôle qui leur est assigné[31].
Les recrues africaines rejoignent la KNIL avec la promesse d'un statut similaire aux soldats européens. Les Néerlandais honorent généralement cette promesse envers les soldats africains. Et même si ces soldats africains viennent d'horizons très différents (groupes ethniques, langues, cultures), ils sont unis pour réclamer les droits et l'égalité avec les soldats européens qui leur sont promis[32].
Entre 1838 et 1841, plusieurs soulèvements se produisent. En , les membres africains de Purworejo se révoltent à cause des salaires. Cette révolte est précédée de quelques griefs car les promesses d'égalité en matière de vêtements, de literie sont bafouées. En , certains soldats africains du camp de Van der Capellen à Sumatra refusent d'obéir aux ordres parce qu'ils sont moins bien payés que les Européens. Un incident s'ensuit entre les soldats européens et africains qui se conclue par la perte de deux vies africaines[28]. L'incident de Sumatra conduit le gouvernement colonial à revoir le système de recrutement et la participation des Africains à la KNIL.
Les récits néerlandais de l'époque révèlent plusieurs causes de rébellion parmi les soldats africains. Ces raisons sont liées à la structure ethnique de la KNIL, à la perception du statut et à la promesse d'égalité avec les Européens. Du point de vue des responsables militaires européens, les Africains ne sont pas si différents des Amboniens ou d'autres membres indigènes. Ils se demandent notamment pourquoi les soldats africains bénéficient d'un traitement spécial par rapport aux membres d'Ambon, qu'ils considèrent comme plus compétents et de même religion. Du point de vue des Africains, ils jouissent du statut européen et méprisent les autochtones, y compris les Ambonais, qui bénéficient également de services spéciaux en tant que chrétiens. Ils s'offusquent par exemple lorsqu'on leur donne des matelas de couchage similaires à ceux des soldats d'Ambon au lieu de matelas prévus pour les Européens. Ce problème de literie, mêlé à d'autres manquements, est à l'origine de l'incident de 1841[33].
Population indo-africaine
Le recrutement des Africains prend fin en 1872 après la cession d'Elmina aux Britanniques. Cependant, de nombreux membres de l'armée africaine qui ont épousé des femmes indigènes choisissent de rester dans les Indes néerlandaises après la fin de leur fonction[34] - [note 5]. À Java, la communauté indo-africaine est restée intacte et prospère jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. La majorité des Indo-Africains vivent à Semarang et Purworejo dans le Java central, où le roi Guillaume III alloue une parcelle de terrain aux Africains en 1859[34]. Purworejo conserve même les registres des baptêmes de ces familles indo-africaines catholiques[19]. En outre, des familles indo-africaines vivent également dans d'autres grandes villes telles que Batavia, Salatiga, Surabaya et Yogyakarta[34]. Traditionnellement, cette communauté sert de père en fils dans l'armée de la KNIL. Cela explique la présence continue d'Africains de l'Ouest dans l'armée néerlandaise à Aceh ainsi que dans la campagne de recrutement qui s'achève en 1872[35].
Leur commémoration est également mentionné dans certains registres. Par exemple, les registres de 1896 mentionnent ces deux décès : le tirailleur africain W. Denk, matricule 35700, mort des suites de ses blessures le lors d'une visite à Lepong et Lubang, et le sergent africain J. Boon, matricule 18401, mort des suites de ses blessures le lors d'une visite à Mukim[36]. Les premières mentions sont celles de Pieter Hermans devenant sous-lieutenant à la fin de 1837, recevant deux décorations spéciales et recevant également la médaille de bronze du courage et de la loyauté[37] - [note 6].
Une petite partie de l'armée africaine retourne à Elmina après la fin de son service et s'installe sur une colline derrière le fort Saint George[38]. La colline est renommée Java Hill en mémoire de leurs contributions militaires[34]. Des Indes orientales néerlandaises, ils apportent des techniques de batik, qui sont devenus si populaires au Ghana et dans d'autres parties de l'Afrique de l'Ouest, qu'un marché du batik fait à la main émerge, qui est lancé en 1876 par la société néerlandaise Vlisco[39] - [40].
Après la proclamation de l'indépendance de l'Indonésie, la plupart des descendants de ces soldats africains s'installent aux Pays-Bas. Certaines de ces communautés restent mutuellement en contact et se rencontrent aux Pays-Bas, par l'intermédiaire de la Indo-Afrika Kontakt Foundation[20]. Ces dernières années, ce groupe fait l'objet d'une attention accrue. L'exposition Zwart in Dienst van Oranje (Noirs au service de l'Orange) est inaugurée le au Tropenmuseum d'Amsterdam[41]. En juillet de la même année, le livre Zwarte Hollanders: Afrikaanse soldaten in Nederlands-Indië (Hollandais noirs : soldats africains dans les indes néerlandaises orientales) d'Ineke van Kessel est publié[24], suivi de Zwarte huid, Oranje hart : Afrikaanse KNIL-nazaten in de diaspora (Peau noire, cœurs oranges : descendants de la diaspora africaine KNIL) en 2010, par Griselda Molemans et le photographe Armando Ello[42].
Jan Kooi, le Néerlandais Noir le plus célèbre
Jan Kooi (en) est un caporal africain qui s'est rendu célèbre aux Pays-Bas pour ses actes de bravoure admirables pendant la guerre d'Aceh, la guerre la plus longue de l'histoire coloniale néerlandaise. Kooi est né à St George d'Elmina, sur la côte ouest de l'Afrique[43].
Jan Kooi est un soldat courageux[43]. Le , il sauve la vie du capitaine Bloom en tuant deux combattants acehnais, alors qu'il est lui-même blessé par une attaque ennemie[44]. Il réussit également à capturer dix canons ennemis. Peu après, le , il sauve la vie du lieutenant van Bijlevelt en tuant à un moment critique un combattant acehnais armé d'une lance. Pour ses services, il reçoit 100 florins hollandais. En outre, le , Kooi et deux autres soldats africains (Bilk et Jaap) repoussent l'attaque d'un convoi[45]. En vertu du règlement gouvernemental n°29 du , Kooi s'est vu décerner la médaille de chevalier de 4e classe de l'ordre militaire de Guillaume pour « Atjeh 1877 ». Il est le premier soldat ouest-africain à recevoir la plus haute distinction de l'armée des Indes néerlandaises[46]. Au cours de sa carrière, Kooi reçoit des décorations spéciales, la médaille Kraton (en), ainsi que la Expedition Cross (en)[47].
À la fin de son service, Kooi retourne dans sa ville natale d'Elmina, désormais cédée aux Britanniques, en passant par le Colonel Dockyard Depot à Harderwijk, aux Pays-Bas. Lors de son passage à Harderwijk, deux de ses portraits sont peints : un portrait officiel par JC Leich, et un portrait impressionniste par Isaac Israels[47] - [24]. A cette époque, Kooi a déjà 33 ans[46]. Selon un article de l'hebdomadaire Overveluwsche Weekblad, Kooi parle parfaitement le néerlandais et témoigne de son amour pour sa patrie[45]. Le portrait à l'huile de Jan Kooi, réalisé en par JC Leich, est conservé au Bronbeek (nl), musée situé dans l'ancien palais royal d'Arnhem, aux Pays-Bas[46].
Notes et références
- (id) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en indonésien intitulé « Belanda Hitam » (voir la liste des auteurs).
Notes
- La population du Royaume des Pays-Bas passe de six millions à deux millions et demi.
- L'égalité de statut et de conditions de service avec les Européens a été promise et mise en œuvre par les Néerlandais, mais cette promesse d'égalité a également alimenté une série de rébellions de la part des soldats africains. La mutinerie qui a débuté avec l'échange de matelas contre des nattes en est un exemple. Les soldats africains estimaient qu'ils n'étaient pas traités de la même manière que les soldats européens, qui utilisaient encore des matelas comme literie.
- Les Néerlandais, comme d'autres puissances coloniales, ont délibérément créé cette stratification afin que les Africains se sentent étrangers aux indigènes et ne sympathisent pas avec eux si ces derniers s'opposent aux Européens.
- anglais : "they were honest men; no traces of thievery had been reported. They were mostly strong, muscled, indefatigable and very adapted to the tropical climate. During military expeditions they demonstrated bravery and fearlessness, even more so than the Europeans."
- Selon Ineke van Kessel, tout comme les autres membres de l'armée de la KNIL, les soldats africains ont noué des relations avec des femmes locales. Leurs descendants parlaient le néerlandais, étaient chrétiens et ont été éduqués dans les écoles néerlandaises. Au fil du temps, ils se sont intégrés à la société indo.
- Hermans est le premier à arriver dans les Indes néerlandaises, en 1832. Il gravit les échelons et est promu sergent deux ans plus tard. Son salaire est le même que celui d'un sergent européen, mais il reçoit la moitié du salaire d'un lieutenant européen - le même que celui d'un lieutenant d'Ambon - lorsqu'il est promu. Hermans n'était pas satisfait et s'en est plaint à plusieurs reprises. Ses supérieurs n'en démordent pas et il est finalement renvoyé du service en raison de sa revendication incessante de l'égalité des droits.
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Bibliographie
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- (en) Akua Sarr, The Histories, Languages, and Cultures of West Africa: Interdisciplinary Essays, Edwin Mellen Press, (ISBN 978-0-7734-5908-3, lire en ligne).
Voir aussi
Articles connexes
- Kwasi Boachi - ingénieur et fils du roi Ashanti, envoyé via l'accord de recrutement, et ayant exercé pendant 50 ans à Batavia.
- Jan Verveer, général de division ayant négocié l'accord de recrutement.