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Baby, You're a Rich Man

Baby, You're a Rich Man est une chanson des Beatles. PrĂ©parĂ©e dans la foulĂ©e immĂ©diate des sessions de l'album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, elle est issue d'un collage de deux Ă©bauches : les couplets composĂ©s par John Lennon (commençant par la phrase « How does it feel to be one of the Beautiful People? », qu'il adresse au mouvement hippie), jumelĂ©s Ă  un refrain signĂ© Paul McCartney (« Baby, you're a rich man… »). EnregistrĂ©e le 11 mai 1967 aux studios Olympic de Londres, elle est la toute première chanson complètement rĂ©alisĂ©e par le groupe hors des studios EMI d'Abbey Road.

La chanson paraît en juillet 1967 en face B du single All You Need Is Love, qui se classe en tête des hit-parades des deux côtés de l'Atlantique. Elle apparaît ensuite sur la version américaine de l'album Magical Mystery Tour, qui devient finalement la version officielle du disque. Elle fait enfin partie de la bande-son du dessin animé Yellow Submarine, ce qui lui vaut de figurer en 1999 sur l'album Yellow Submarine Songtrack. La chanson a fait l'objet de quelques reprises mineures. Elle a surtout été réutilisée dans le générique de fin du film The Social Network, consacré à l'ascension de Mark Zuckerberg et de son réseau social Facebook.

Historique

Contexte

Attitude typique des Beautiful People lors d'une grande marche pour la paix en 1967 : une manifestante offre une fleur Ă  un militaire.

En ce printemps de l'annĂ©e 1967, annĂ©e « dorĂ©e » selon Paul McCartney[1], et dont le cĹ“ur sera connu comme le Summer of Love (« l'Ă©tĂ© de l'amour »), le mouvement hippie bouillonne du cĂ´tĂ© de la cĂ´te ouest amĂ©ricaine, l'Ă©picentre se situant dans la ville de San Francisco. Vers la fin des sessions de l'album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, le bassiste des Beatles y fait d'ailleurs un saut, le 4 avril 1967, trouvant l'occasion de faire un bĹ“uf avec le Jefferson Airplane, un des groupes porte-parole de la communautĂ© hippie, dont les membres se prĂ©sentent comme les beautiful people (« les belles gens »)[2].

Les Beatles ne prennent aucun repos une fois achevĂ© l'enregistrement de leur huitième album. Sgt. Pepper's est dans sa phase finale de fabrication pour une parution le 1er juin 1967, tandis qu'ils enchaĂ®nent sur deux projets distincts. D'une part, le dessin animĂ© Yellow Submarine, pour lequel ils n'ont qu'un intĂ©rĂŞt limitĂ© et pas franchement le dĂ©sir de crĂ©er des chansons spĂ©cifiques, et d'autre part, le film Magical Mystery Tour, une nĂ©buleuse idĂ©e de Paul McCartney, qui a notamment trouvĂ© son inspiration dans son voyage Ă  San Francisco[3]. L'enregistrement de la chanson-titre ouvre d'ailleurs les sessions consacrĂ©es Ă  ce projet, dès le 25 avril 1967[4].

Vient s'ajouter en mai une commande de la BBC pour son Ă©mission en mondovision Our World, pour laquelle John Lennon compose All You Need Is Love. L'ingĂ©nieur du son Geoff Emerick tĂ©moigne de l'ambiance prĂ©cipitĂ©e autour des projets des Beatles : « Pour quelqu'un qui a vĂ©cu les choses de l'intĂ©rieur, il est Ă©vident que le groupe est retournĂ© en studio bien trop tĂ´t. Paul Ă©tait le seul Ă  avoir conservĂ© son Ă©nergie crĂ©ative, et il Ă©tait dĂ©terminĂ© Ă  faire encore mieux que Pepper's. Les autres n'avaient pas l'air de s'en soucier autant. Compte tenu des excès de John dans la prise de drogues, et du voyage spirituel de George tournĂ© vers l'Inde, Paul avait pris le contrĂ´le de la direction du groupe si fermement que ses camarades n'ont mĂŞme pas posĂ© de questions sur la sagesse d'un retour si rapide au travail[5] ». Ă€ l'appui de ces propos, une très longue session nocturne de sept heures, le 9 mai 1967, sans queue ni tĂŞte, improductive, avec les instruments dĂ©saccordĂ©s et les esprits embrumĂ©s sous l'effet des psychotropes, est dĂ©sertĂ©e par George Martin et le personnel technique, laissant le groupe livrĂ© Ă  lui-mĂŞme dans le studio no 2 d'Abbey Road[6] - [7].

C'est dans ce contexte général, et seulement deux jours après cette « jam » erratique, qu'est créée et enregistrée Baby You're a Rich Man. À l'origine, c'est la première et une des rares chansons spécialement mises en boîte pour le dessin animé Yellow Submarine[7], mais son destin sera finalement anticipé.

Composition

John Lennon se lance sur une composition qu'il titre One of the Beautiful People. Complètement dans l'air du temps, il s'adresse aux hippies : « How does it feel to be one of the beautiful people? Now that you know who you are, what do you want to be? And have you travelled very far? Far as the eye can see. » (« Que ressent-on à faire partie des « belles gens » ? Maintenant que tu sais qui tu es, que veux-tu être ? As-tu voyagé très loin ? Aussi loin que les yeux peuvent voir. ») Le critique musical Richie Unterberger livre pour AllMusic son analyse de cette section de la chanson : « Bien que John Lennon paraisse délivrer des paroles amicales, il semble qu'il se montre au contraire mordant, voire accusateur envers le sujet de sa chanson. « Vous avez tout », semble-t-il dire, mais il demande en même temps, « êtes-vous vraiment heureux, avez-vous accompli ce que vous vouliez faire ? » C'est probablement ironique, considérant que parmi les beautiful people de 1967, les Beatles devaient résider au sommet de la liste[8]. »

Paul McCartney concocte pour sa part un de ces refrains entêtants dont il a le secret, constitué essentiellement de la phrase Baby, you're a rich man. L'« homme riche » en question, qui « conserve son argent dans un grand « sac brun » (ce terme désigne les sacs en papier kraft dans lequel les épiciers anglais mettent les achats de leurs clients) à l'intérieur d'un zoo », est très probablement le manager du groupe, Brian Epstein. Sur une des prises de la chanson, John Lennon change d'ailleurs « Baby you're a rich man too » en « Baby you're a rich fag Jew » (« tu es un riche pédé juif », (« fag », abréviation de « faggot », a une notion nettement péjorative, même si c'était de la part de Lennon un signe de familiarité, non une insulte (Epstein était homosexuel[2], un fait que les Beatles avaient accepté depuis qu'il le connaissaient). Le biographe Steve Turner donne d'ailleurs les explications de Lennon au sujet de cette sarcastique plaisanterie : « Ce que je voulais dire, c'est « arrête de te plaindre, tu es riche, nous sommes tous riches »[2]. »

Les deux sections sont ensuite rassemblées par Lennon et McCartney. Cette technique consistant à attacher ensemble deux de leurs chansons a déjà été expérimentée pour A Day in the Life quelques mois plus tôt[9], et le duo y aura à nouveau recours en 1969 avec I've Got a Feeling[10].

Enregistrement

Mick Jagger en concert en 1972
Le Rolling Stone Mick Jagger a participé à l'enregistrement de la chanson.

Les studios EMI d'Abbey Road ne sont pas libres au moment où les Beatles veulent enregistrer leur chanson. De plus, ceux-ci sont plutôt enclins à s'extirper de ces quatre murs où ils ont passé la majorité de leur temps ces derniers mois, sans compter le fait que le matériel et les conditions de travail dans les studios sont de moins en moins satisfaisantes. Ceux-ci sont peu confortables pour les artistes, et utilisent toujours des magnétophones à quatre pistes tandis que la majorité des autres studios londoniens possèdent des machines à huit pistes[11]. Les Beatles prennent donc la direction des studios Olympic, sur Church Road, dans le quartier de Barnes ; c'est la première fois qu'ils bouclent intégralement une chanson hors des studios d'Abbey Road[7].

En une seule session, le 11 mai 1967, de 21 h Ă  3 h le lendemain matin, la chanson est enregistrĂ©e et mixĂ©e. Le groupe rĂ©alise douze prises de base avant de choisir la meilleure (la douzième et dernière), pour y ajouter tous les overdubs[7]. Trouvaille de John Lennon, il utilise ici un clavier Ă©lectronique appelĂ© le clavioline, un appareil dotĂ© de son propre amplificateur, et de conception monophonique (c'est-Ă -dire qu'on ne peut en jouer qu'une seule note Ă  la fois). AncĂŞtre du synthĂ©tiseur, il permet de reproduire le son de nombreux instruments, et c'est ainsi que cette sonoritĂ©, rappelant un instrument Ă  vent oriental, est entendue tout au long du morceau. Paul McCartney est Ă  la basse et au piano, George Harrison Ă  la guitare, Ringo Starr Ă  la batterie et au tambourin, l'ingĂ©nieur du son des studios Olympic Eddie Kramer prĂŞte son concours au vibraphone, et tout le monde participe aux refrains et aux claquements de mains. Le chanteur des Rolling Stones, Mick Jagger, est prĂ©sent lors de cette session et très probablement sur les chĹ“urs du refrain de McCartney[7]. A ce moment-lĂ  dans ce studio, les Stones Ă©taient en train d'enregistrer leur album Their Satanic Majesties Request et en profitent pour proposer Ă  Lennon/McCartney pour faire les chĹ“urs de We Love You (en rĂ©ponse aux soucis judiciaires que connaĂ®t le groupe Ă  ce moment-lĂ , surtout avec l'incarcĂ©ration de leur guitariste Brian Jones).

John Lennon assure pour sa part l'ensemble des parties vocales. Il chante avec une voix de fausset qui émerveille le personnel des studios Olympic. Keith Grant et Eddie Kramer, les ingénieurs du son à la manœuvre aux côtés de George Martin cette nuit-là, « [étaient] tous les deux abasourdis par la voix de John. Ils s'étaient longtemps demandé ce que ce serait d'enregistrer les Beatles, et là, ils me disaient à quel point c'était pour eux un grand moment. Ils ne pouvaient pas croire que quelqu'un pouvait chanter aussi bien », rapporte George Chkiantz, un autre employé des studios Olympic également présent pour cette session[7]. Le travail réalisé chez Olympic est de qualité suffisante pour que l'ingénieur du son « attitré » des Beatles, Geoff Emerick, n'ait pas à retoucher le mixage final. À une époque où le groupe passe de plus en plus de temps sur chacune de ses chansons, le fait que celle-ci ait été bouclée si rapidement est jugé remarquable[12].

Parution et réception

John Lennon en 1969
Le single All You Need Is Love/Baby, You're a Rich Man est le dernier single des Beatles mettant en avant John Lennon pour près de deux ans.

Baby, You're a Rich Man est publiĂ©e une première fois en face B du single All You Need Is Love, le 7 juillet 1967 au Royaume-Uni, tout juste cinq semaines après l'arrivĂ©e de l'album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band dans les bacs des disquaires. Sa simple prĂ©sence, aux cĂ´tĂ©s de ce colossal succès planĂ©taire, lui assure une très large diffusion. Le single se maintient en première place des hit-parades britanniques durant trois semaines[13]. Aux États-Unis, Capitol Records Ă©dite le mĂŞme single le 17 juillet. Il atteint Ă©galement la première place des classements, cette fois-ci pour une semaine seulement[14]. Si cette chanson Ă©tait au dĂ©part la première, et une des rares Ă  avoir Ă©tĂ© spĂ©cialement enregistrĂ©e dans la perspective du dessin animĂ© Yellow Submarine, l'opportunitĂ© de la commercialiser sur ce 45 tours vient sans aucun doute du fait qu'il s'agissait d'une chanson prĂŞte pour une publication dĂ©cidĂ©e dans l'urgence[15]. Qui plus est, comme le note le critique musical Richie Unterberger, le refrain Ă  reprendre en chĹ“ur de cette chanson s'accorde parfaitement avec celui d'All You Need Is Love[8]. Ce single marque Ă©galement un point de rupture dans la mesure oĂą il est le dernier oĂą John Lennon occupe une place prĂ©pondĂ©rante, jusqu'Ă  la mi-1969[16].

Par la suite, Baby, You're a Rich Man trouve sa place sur l'Ă©dition amĂ©ricaine de l'album Magical Mystery Tour publiĂ©e le 27 novembre 1967. Cet album est finalement intĂ©grĂ© au catalogue « canonique » des Beatles et publiĂ© internationalement sur CD en 1987, ce qui explique que les singles de 1967 n'apparaissent pas sur les compilations Past Masters, celles-ci ne reprenant que les chansons absentes des albums officiels du groupe[17]. La chanson est par ailleurs absente de la première Ă©dition de la bande-son de Yellow Submarine en janvier 1969, bien qu'elle donne lieu Ă  une sĂ©quence du dessin animĂ©, mais elle fait partie de la rĂ©Ă©dition de 1999, Yellow Submarine Songtrack[18].

Brian Epstein, évoqué dans cette chanson, meurt d'une overdose de barbituriques le mois suivant sa publication. John Lennon, qui l'avait brocardé à travers cette chanson et avait une relation forte mais tendue avec le manager, tire de cet événement une grande culpabilité, notamment parce qu'il l'avait initié aux pilules et autres drogues[19]. Cette mort déstabilise par ailleurs le groupe qui perd ici un fil directeur : le remplacement d'Epstein devient un des motifs de discorde prépondérants au sein des Beatles[20].

Structure musicale

La chanson, dans la tonalité de sol, n'est basée que sur deux accords : sol et do majeur (mode mixolydien majeur) avec une liaison en fa, selon une structure « AABAB » (deux couplets, refrain, un couplet, refrain ad lib avec fin en fondu). Il s'agit, pour cette époque du groupe, d'une composition assez simple du point de vue de la construction musicale, selon le musicologue Allan Pollack[21].

Sur les couplets chantés par John Lennon dans les aigus, la basse et la guitare jouent ces deux notes en triple croches, tandis que la batterie multiplie les roulements de caisse claire et de toms. Le piano, sur lequel sont appliqués des effets de réverbération et d'écho, est également très présent, notamment pour lancer chaque refrain. On remarque aussi que la mesure est battue par des claquements de mains accompagnés par un tambourin. Du début à la fin de la chanson, John Lennon multiplie les arabesques au clavioline. L'ambiance générale du titre est dans l'air du temps, c'est-à-dire psychédélique[21].

Postérité

Interprétée dans des genres différents[22], Baby, You're a Rich Man a été reprise une dizaine de fois par des groupes et artistes peu connus[23]. La version des Beatles accompagne le final du film The Social Network sorti en 2010 : la chanson démarre dans les dernières secondes, au moment où est écrit, en incrustation sur l'image de l'acteur Jesse Eisenberg, « Mark Zuckerberg est le plus jeune milliardaire du monde », et elle continue durant le générique de fin[24].

Fiche de production

The Beatles

Musiciens additionnels

Équipe technique

Références

  1. The Beatles 2000, p. 254
  2. Steve Turner 2006, p. 160–161
  3. Geoff Emerick 2009, p. 251
  4. Mark Lewisohn 1988, p. 110
  5. Geoff Emerick 2009, p. 252
  6. Geoff Emerick 2009, p. 256–257
  7. Mark Lewisohn 1988, p. 111
  8. (en) Richie Unterberger, « Baby You're a Rich Man Â», AllMusic. ConsultĂ© le 22 septembre 2011.
  9. Steve Turner 2006, p. 154
  10. Steve Turner 2006, p. 217
  11. Geoff Emerick 2009, p. 259
  12. Geoff Emerick 2009, p. 258
  13. (en) Graham Calkin, « All You Need Is Love b/w Baby, You're A Rich Man Â», Graham Calkin's Beatles Pages. ConsultĂ© le 22 septembre 2011.
  14. (en) « The Beatles U.S. Singles Â», The Beatles Discography. ConsultĂ© le 22 septembre 2011.
  15. Mark Lewisohn 1988, p. 117
  16. Philip Norman 2010, p. 611
  17. (en) Graham Calkin, « Magical Mystery Tour Â», Graham Calkin's Beatles Pages. ConsultĂ© le 22 septembre 2011.
  18. (en) « Yellow Submarine Songtrack Â», AllMusic. ConsultĂ© le 22 septembre 2011.
  19. Philip Norman 2010, p. 512
  20. Philip Norman 2010, p. 515–516
  21. (en) Allan W. Pollack, « Notes on Baby You're a Rich Man », Soundscapes. Consulté le 21 septembre 2011.
  22. (fr) « Baby You're A Rich Man Â», Beatles Covers. ConsultĂ© le 22 septembre 2011.
  23. (en) « Baby You're a Rich Man Â», Second Hand Songs. ConsultĂ© le 22 septembre 2011.
  24. (en) Damn. The Social Network Ended to One of My Favorite Beatles Songs, “Baby, You’re A Rich Man.”, Nat Finn. Consulté le 22 septembre 2011.

Bibliographie

Sont listés ici les ouvrages ayant servi à la rédaction de l'article. Pour une bibliographie plus complète sur les Beatles, vous pouvez consulter la section « Bibliographie » de l’article The Beatles.

  • (fr) The Beatles (trad. Philippe Paringaux), The Beatles Anthology, Paris, Seuil, , 367 p. (ISBN 2-02-041880-0)
  • (fr) Geoff Emerick (trad. Philippe Paringaux, prĂ©f. Elvis Costello), En studio avec les Beatles : les mĂ©moires de leur ingĂ©nieur du son, Le Mot et le Reste, , 486 p. (ISBN 978-2-915378-99-3)
  • (fr) Philip Norman (trad. Philippe Paringaux), John Lennon : une vie, Paris, Robert Laffont, (1re Ă©d. 2008), 862 p. (ISBN 978-2-221-11516-9)
  • (fr) Steve Turner (trad. Jacques Collin), L'intĂ©grale Beatles : les secrets de toutes leurs chansons, Hors Collection, (1re Ă©d. 1994, 1999), 288 p. (ISBN 2-258-06585-2)
  • (en) Mark Lewisohn (prĂ©f. Ken Townsend), The Beatles : Recording Sessions, New York, Harmony Books, , 204 p. (ISBN 0-517-57066-1)

Liens externes

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