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Affaire Philippe Daudet

L'affaire Philippe Daudet, du nom de Philippe Daudet (1909-1923), fils de l'Ă©crivain, journaliste et importante figure politique du mouvement nationaliste et royaliste Action française LĂ©on Daudet, eut lieu en . Après avoir fait une fugue, Philippe Daudet se suicide Ă  l'âge de 14 ans[alpha 1] - [1]. Sa mort a suscitĂ© de vives polĂ©miques lancĂ©es par l'Action française et la famille Daudet contre les anarchistes, la police et le gouvernement rĂ©publicain (Troisième RĂ©publique), rĂ©futant les conclusions de l'enquĂŞte. Certains points de l'affaire restent flous[2].

Affaire Philippe Daudet
LĂ©on et Philippe Daudet dans DĂ©tective du 4 juin 1931.
LĂ©on et Philippe Daudet dans DĂ©tective du 4 juin 1931.

Type Affaire criminelle
Pays Drapeau de la France France
Localisation 126 Boulevard de Magenta
Date

Historique

Anarchisme

Fils de LĂ©on Daudet et de sa seconde Ă©pouse, Marthe Allard, habituĂ© des fugues, Philippe Daudet, âgĂ© de 14 ans, fuit le domicile parental le , et prend le train pour Le Havre. Il a volĂ© de l'argent Ă  ses parents pour s'acheter une traversĂ©e en bateau vers le Canada[3]. Cette somme Ă©tant insuffisante, il rentre Ă  Paris le . Il se prĂ©sente sous un faux nom Ă  Georges Vidal, l’administrateur du journal anarchiste Le Libertaire. Il lui aurait confiĂ© sa sympathie pour l'anarchisme et lui aurait fait part de son intention de commettre un attentat contre Raymond PoincarĂ© (prĂ©sident du Conseil), ou Alexandre Millerand (alors prĂ©sident de la RĂ©publique), ou mĂŞme contre son père : Vidal l'en aurait dissuadĂ©, le prenant pour un fou ou un agent provocateur. Un autre militant l'hĂ©berge pour la nuit, et Philippe Daudet lui aurait confiĂ© des histoires « typiques de l'exagĂ©ration de l'adolescence[4] Â», notamment « que son père le battait, le punissait trop sĂ©vèrement, le haĂŻssait, qu'il le haĂŻssait lui et toute la bourgeoisie qu'il avait fuie, Ă  prĂ©sent qu'il voulait se venger de tout ce monde en commettant un crime Ă©clatant », mais ici encore, il n'aurait pas obtenu l'aide escomptĂ©e[5]. Pendant ses cinq journĂ©es de fugue, Philippe Daudet rencontre Ă©galement l'explorateur Louis-FrĂ©dĂ©ric Rouquette, et se serait procurĂ© un revolver[6]. Il laisse une première lettre Ă  sa mère, oĂą il lui Ă©crit : « Depuis longtemps j'Ă©tais anarchiste, sans oser le dire ». Il Ă©crit Ă©galement deux lettres Ă  ses parents leur annonçant son suicide, sans les envoyer[7].

Le , il aurait reformulé ses désirs d’assassinat politique à Le Flaouter, libraire anarchiste, amant de Germaine Berton[8], agent provocateur et indicateur de police (ce que l'anarchiste André Colomer révèlera plus tard)[alpha 2], à qui l'adolescent aurait demandé des munitions[6]. Le Flaouter aurait tenté de l'en dissuader, lui aurait demandé de revenir dans l'après-midi pour prendre un livre de Baudelaire, et il prévient le contrôleur général Lannes de la Sûreté Générale de ses intentions : celui-ci dépêche alors huit inspecteurs et commissaires, ainsi que quatre policiers, à la librairie.

La mort de Philippe Daudet

Le samedi , vers 16 heures, le taxi dans lequel se trouve Philippe Daudet s’arrĂŞte Ă  hauteur du 126 boulevard de Magenta[9], le chauffeur ayant vu dans un premier temps que son passager Ă©tait affaissĂ©, puis constatĂ© qu'il avait Ă©tĂ© atteint d'une balle Ă  la tĂŞte[10]. Philippe Daudet dĂ©cède deux heures plus tard Ă  l'hĂ´pital Lariboisière, anonymement. Le dimanche matin, en lisant dans Le Petit Parisien un entrefilet relatant ce suicide, Mme LĂ©on Daudet se demande s'il ne s'agit pas de son fils. Elle prie un ami de la famille, le docteur Bernard, de se rendre Ă  l'hĂ´pital : le docteur reconnaĂ®t le jeune homme, qui est ensuite reconnu par son père. Le suicide semble alors ne faire aucun doute[alpha 3]. LĂ©on Daudet demande au Parquet d'autoriser l'inhumation sans autopsie. Lors de l'enterrement, pour permettre les funĂ©railles religieuses Ă  Saint-Thomas-d'Aquin, avant l'inhumation au Père-Lachaise dans le caveau familial, le docteur Bernard certifie que le suicide s'est produit alors que l'enfant avait l'esprit dĂ©rangĂ©[10]. Ă€ ses proches, Daudet confie que son enfant est mort d'une mĂ©ningite foudroyante.

L'Affaire

L'Action française du .

Elle commence le , lorsque la manchette d'un numĂ©ro hors-sĂ©rie[alpha 4] du Libertaire fait l'effet d'une bombe : « La mort tragique de Philippe Daudet, anarchiste ! LĂ©on Daudet Ă©touffe la vĂ©ritĂ© Â». Georges Vidal donne un rĂ©cit dĂ©taillĂ© des circonstances dans lesquelles a disparu le jeune homme dont il fait un hĂ©ros de l'anarchie et s'en prend violemment Ă  LĂ©on Daudet accusĂ© d'avoir Ă©touffĂ© la voix de son fils et d'ĂŞtre responsable de sa mort[11]. La dernière page reproduit des poèmes de Philippe Daudet. Le , dans un autre article, il revient sur le geste de l'adolescent qui se serait suicidĂ© en passant devant la prison oĂą Germaine Berton, sa maĂ®tresse[12], attend son jugement et souligne « son admiration, je dirai plus son amour[13] Â» pour la jeune anarchiste. Le journal publie une lettre signĂ©e de onze surrĂ©alistes, dont Aragon : « Nous sommes de tout cĹ“ur avec Germaine Berton et Philippe Daudet ; nous apprĂ©cions Ă  sa valeur tout vĂ©ritable acte de rĂ©volte[14] Â». LĂ©on Daudet rĂ©agit violemment. Dès le , L'Action française titre sur six colonnes : « L'assassinat de Philippe Daudet Â». Abandonnant la thèse du suicide, LĂ©on Daudet adhère Ă  celle du meurtre avec prĂ©mĂ©ditation. « La conviction de tous nos amis et la mienne, Ă©crit-il dans son Ă©ditorial, c'est qu'après avoir Ă©tĂ© attirĂ© — Ă  la faveur de sa fugue — dans un guet-apens, chambrĂ©, suggĂ©rĂ© ou contraint, et dĂ©muni de tous ses papiers, Philippe a Ă©tĂ© jetĂ© Ă  la mort. » La mort de son fils est une vengeance politique. PrĂ©senter Philippe comme gagnĂ© Ă  l'anarchie est « odieux et imbĂ©cile ». Il dĂ©cide de mener sa propre enquĂŞte (« vont arriver une foule de renseignements terribles et concordants que je tais ici ») et porte plainte contre X pour homicide volontaire et dĂ©tournement de mineur.

Pendant plus d'un an, le juge d'instruction poursuit ses investigations tandis que L'Action française mène aussi son enquĂŞte. Au dĂ©but de 1925, apprenant que le juge d'instruction va rendre une ordonnance de non-lieu, LĂ©on Daudet dĂ©pose le une nouvelle plainte qui cette fois vise nommĂ©ment le commissaire Colombo qui aurait Ă©tĂ© l'exĂ©cuteur, trois hauts fonctionnaires de la SĂ»retĂ© GĂ©nĂ©rale (dont le ContrĂ´leur gĂ©nĂ©ral Lannes beau-frère de PoincarĂ©) et Le Flaouter. Le juge d'instruction est dessaisi et une nouvelle instruction confiĂ©e Ă  un magistrat de la cour d'appel. Les rĂ©sultats de cette nouvelle enquĂŞte sont tout aussi nĂ©gatifs et, le , la cour, après avoir examinĂ© les arguments de LĂ©on Daudet (au nombre de six[alpha 5] : invraisemblance du suicide, contradictions du chauffeur de taxi, absence de balle dans le canon du pistolet, dĂ©couverte suspecte de la douille de la cartouche dans le taxi dix jours après le drame, absence de trace de balle dans le taxi, invraisemblances contenues dans le rĂ©cit de la surveillance du devant la librairie Le Flaouter oĂą dix policiers expĂ©rimentĂ©s laissent Philippe Daudet sortir de la librairie) retient la thèse du suicide et rend une ordonnance de non-lieu. Le Procureur gĂ©nĂ©ral a conclu son rĂ©quisitoire en estimant que les anarchistes connaissaient l'identitĂ© de Philippe et avaient rĂ©solu d'exploiter sa prĂ©sence parmi eux « en le faisant arrĂŞter comme anarchiste pour provoquer ainsi un scandale retentissant Â». Philippe Daudet, ayant fini par Ă©venter la machination, se serait tuĂ© de dĂ©sespoir « parce que le suicide lui apparaissait comme la seule solution possible[15] Â».

Bande dessinée sur l'affaire Philippe Daudet, Les Documents nationaux, avril 1929.

L'opinion publique est divisée : ainsi, alors que L'Humanité qualifie cette affaire d'« énigme historique[16] », la thèse de l'assassinat semble être retenue par Édouard Herriot, André Lefèvre, ainsi que par les anarchistes Vidal[17] et André Colomer qui, à la suite de cela, quitte Le Libertaire et fonde L'Insurgé. Dans le no 28 du de cet hebdomadaire, relatant le procès, Colomer rejoint Léon Daudet dans son accusation de l'État, et rapporte que Edmond Du Mesnil, directeur du Rappel, Pierre Bertrand, rédacteur en chef du Quotidien accusent Le Flaouter d'être, « par ses machinations avant, et par son silence après », « comptable du sang versé de Philippe Daudet ».

Condamnation de LĂ©on Daudet

LĂ©on Daudet continue Ă  ĂŞtre persuadĂ© que son fils a Ă©tĂ© assassinĂ© et placĂ©, mortellement blessĂ©, dans le taxi. Il se mĂ©fie de la justice en raison de l'acquittement de Germaine Berton[18], qui avait revendiquĂ© le meurtre du royaliste Marius Plateau. La Cour de cassation rejette son pourvoi. Il Ă©crit alors de nombreux articles dans L'Action française oĂą il dĂ©nonce violemment la SĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale, le chauffeur de taxi Bajot, le libraire Le Flaouter et mĂŞme le gouvernement rĂ©publicain. Ces attaques confuses et violentes lui causent des ennuis judiciaires. LĂ©on Daudet fait l'objet d'une plainte en diffamation de la part du chauffeur de taxi Bajot[alpha 6] qu'il a accusĂ© sans preuve d'ĂŞtre un agent de la police[17], ce qui lui vaut d'ĂŞtre condamnĂ© Ă  1 500 francs d’amende et cinq mois de prison. Après une reddition spectaculaire, il est incarcĂ©rĂ© Ă  la prison de la SantĂ© le , tandis que Le Figaro, Le Soir, et Le Temps en appellent Ă  la clĂ©mence pour le père, suivis d'une pĂ©tition rassemblant Anna de Noailles, Paul ValĂ©ry, Henri Bernstein, et Paul Bourget[19]. Grâce Ă  l'intervention de Charlotte Montard, il parvient Ă  s'Ă©vader Ă  la suite d'un faux coup de tĂ©lĂ©phone et s’enfuit en Belgique. Ă€ la suite de cette Ă©vasion rocambolesque, la presse française ridiculise le ministère de l’IntĂ©rieur et la SĂ»retĂ© gĂ©nĂ©rale. Daudet est graciĂ© par Daladier le , et il rentre en France.

Les anarchistes se sont très tôt dissociés de l'affaire, rappelant n'avoir jamais été en contact avec Philippe Daudet avant le .

Notes et références

Notes

  1. Si Eugen Weber écrit dans un premier temps que certains points de l'affaire restent troubles (Weber 1985, p. 196), il retient finalement le fait que Philippe Daudet s'est bel et bien suicidé : « le désespoir qui, auparavant déjà lui suggérait le suicide, put maintenant lui sembler plus décisif, et Philippe leva son pistolet. » (Weber 1985, p. 199).
  2. Sa boutique se trouvait 46 bd Beaumarchais à l’angle de la rue du Chemin-Vert
  3. Le procureur gĂ©nĂ©ral Scherdlin dit dans son rĂ©quisitoire de 1925 : « Il convient surtout de retenir que, jusqu'Ă  la publication du numĂ©ro spĂ©cial du Libertaire, M. LĂ©on Daudet avait acceptĂ© l'idĂ©e que son fils s'Ă©tait suicidĂ©. Â» Larpent 1925, p. 64.
  4. Numéro 253 bis. Le journal, qui va devenir quotidien, est encore hebdomadaire à cette date.
  5. Les arguments de Léon Daudet sont discutés dans cet ordre par le procureur général Scherdlin dans son réquisitoire. Larpent 1925, p. 59.
  6. Eugen Weber estime que la déposition du chauffeur de taxi comporte « quelques incohérences », tout en estimant « incroyable » la thèse de Léon Daudet.

Références

  1. « le suicide, le , du fils de Léon Daudet, Philippe Daudet, adolescent perturbé. » Jacques Prévotat, L'Action française, Paris, PUF, collection « Que sais-je ? », 2004, p. 35.
  2. Weber 1985, p. 196.
  3. Weber 1985, p. 191.
  4. Weber 1985, p. 198.
  5. Weber 1985, p. 192-193.
  6. Weber 1985, p. 193.
  7. Weber 1985, p. 198. La première de ces lettres sera publiée par Le Libertaire quelques jours après sa mort.
  8. Stéphane Giocanti, Maurras. L'Ordre et le Désordre éd. Flammarion, 2006, p. 299.
  9. « philippepoisson-hotmail.com.ov… »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?).
  10. Weber 1985, p. 194.
  11. S. Giocanti, op. cit., p. 299.
  12. Le grand secret de Germaine Berton.
  13. Georges Vidal, Devant la calomnie, Le Libertaire, no 254, .
  14. Cette lettre est reprise dans Tracts surréalistes et déclarations collectives, éd. José Pierre, Éric Losfeld, 1980.
  15. Réquisitoire du procureur général Scherdlin Larpent 1925, p. 229.
  16. L'Humanité, , cité par E. Weber, op. cit., p. 196.
  17. Weber 1985, p. 197
  18. Weber 1985, p. 195.
  19. S. Giocanti, op. cit., p. 321.

Voir aussi

Bibliographie

  • Eugen Weber, L'Action française, Fayard,
  • Laurent Bourdelas, Le Paris de Nestor Burma - L'Occupation et les Trente Glorieuses de LĂ©o Malet, L'Harmattan, 2007, revient sur la vision de Malet sur cette affaire.
  • Henry Bordeaux, Procès politiques : Germaine Berton, Philippe Daudet, dans Écrits de Paris, no 199, 1961, p. 56-64.
  • RenĂ© Breval, Philippe Daudet a bel et bien Ă©tĂ© assassinĂ©, Paris, Éditions du Scorpion, 1959.
  • Marthe Daudet, La Vie et la Mort de Philippe, Paris, Arthème Fayard et Cie, 1926.
  • Marcel Guitton et AndrĂ© Seguin, Du scandale au meurtre. La mort de Philippe Daudet, Paris, Les Cahiers de la Quinzaine, 1925.
  • Georges Larpent, L'affaire Philippe Daudet d'après le rĂ©quisitoire Scherdlin. Le procureur gĂ©nĂ©ral au secours des assassins, Librairie de L'Action française,
  • Louis Noguères, Le suicide de Philippe Daudet, plaidoirie prononcĂ©e les 12 et devant la cour d'assises de la Seine, Paris, Librairie du travail, 1926.
  • Gabriel Oberson, Une cause cĂ©lèbre : la mort de Philippe Daudet. État de la question Ă  l'issue du procès Bajot, Fribourg, Imprimerie de L. Delaspre, 1926.
  • Maurice Privat, L'Ă©nigme Philippe Daudet, Paris-Neuilly, « Les Documents secrets », 1931.
  • Georges-Michel Thomas, Le Flaouter et l'affaire Daudet, dans Cahiers de l'Iroise, nouvelle sĂ©rie, 33e annĂ©e, no 1, 1986, p. 56-57.
  • LĂ©on Daudet, La police politique : Ses moyens et ses crimes, (chapitre VI), Denoel et Steele, Paris, 1934
  • Stefan Zweig, L'odyssĂ©e et la fin de Pierre Bonchamps, la tragĂ©die de Philippe Daudet, (Irrfahrt und Ende Pierre Bonchamps. Die Tragödie Philippe Daudets), Neue Freie Presse, Vienne, 1926.

Liens externes

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