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Accord du lac Meech

L'accord du lac Meech est un projet avorté de réforme constitutionnelle négocié en 1987 entre le premier ministre du Canada Brian Mulroney et les premiers ministres des dix provinces canadiennes. Son objectif est de faire adhérer le Québec à la Loi constitutionnelle de 1982. Son échec en 1990 est une des raisons de la hausse du soutien au souverainisme au Québec dans les années 1990.

Le lac Meech, qui donne son nom à l'Accord, est le lieu de réunion de ces négociations constitutionnelles.

Contexte

Le gouvernement péquiste du premier ministre René Lévesque organise en 1980 un premier référendum portant sur la souveraineté-association du Québec : le « non » l'emporte avec 59,56 % des voix.

À la suite de ce référendum, le premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau présente le un plan visant à rapatrier la Constitution du Canada, jusque-là modifiable par le Parlement britannique. À la suite d'un recours du gouvernement québécois, la Cour suprême juge que le Québec ne dispose, pas plus que les autres provinces, d'un veto sur de telles modifications constitutionnelles[1]. Ainsi, après des négociations avec les provinces, un accord est trouvé sans la participation du Québec entre le gouvernement fédéral et ceux de neuf provinces afin de permettre la promulgation de la loi constitutionnelle de 1982 le mais René Lévesque et l'Assemblée nationale du Québec refusent de la ratifier à la suite de la Nuit des Longs Couteaux.

En 1984, le progressiste-conservateur Brian Mulroney devient premier ministre du Canada, promettant de faire adhérer le Québec à la Constitution « dans l'honneur et l'enthousiasme »[2] alors que le libéral Robert Bourassa devient premier ministre du Québec en 1985.

NĂ©gociations de l'accord

Brian Mulroney, premier ministre du Canada Ă  l'origine de l'accord du lac Meech.

L'accord est négocié en 1987 entre Brian Mulroney et les premiers ministres provinciaux à la résidence secondaire officielle du premier ministre, au lac Meech dans les collines de la Gatineau[3].

L'accord comprend cinq points principaux :

  • la reconnaissance du QuĂ©bec comme « sociĂ©tĂ© distincte » au sein du Canada ;
  • l'Ă©largissement du droit de veto des provinces sur les modifications constitutionnelles ;
  • l'Ă©largissement des compĂ©tences des provinces en matière d'immigration ;
  • le droit pour une province qui choisit de ne pas participer Ă  un programme du gouvernement fĂ©dĂ©ral d’obtenir une compensation financière ;
  • l'obligation pour le gouvernement fĂ©dĂ©ral de consulter les provinces sur les nominations au SĂ©nat et Ă  la Cour suprĂŞme.

Brian Mulroney promet par ailleurs d'autres réformes après l'approbation de l'accord.

Processus de ratification et oppositions

Le texte de l'accord prévoit le changement de la formule de modification de la Constitution et tombe ainsi dans le ressort de l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui oblige à l'unanimité du Parlement fédéral et des législatures des provinces dans un délai de trois ans.

L'accord du lac Meech est soutenu par Ed Broadbent[4], le chef du NPD, et le libéral John Turner, chef de l'opposition officielle. Ce dernier est toutefois dans une position délicate[3] en raison de la position de Pierre Eliott Trudeau. La reine Élisabeth II soutient publiquement l'accord en , une prise de position pour laquelle elle est critiquée[5].

L'une des oppositions les plus fortes à l'accord du lac Meech vient de l'ancien premier ministre libéral Pierre Eliott Trudeau. Pour lui, Mulroney a cédé face aux provinces et le Québec, bien que distinct, n'est pas plus distinct que d'autres régions du Canada[6]. Cette position de Trudeau est soutenue par certains députés libéraux, fragilisant le leadership de Turner sur le parti.

Le fait que l'accord ait été élaboré par les premiers ministres en réunion close est également l'objet de critiques de la part de mouvements autochtones, de minorités linguistiques dans et hors du Québec, des groupes féministes, etc. Alors qu'à sa signature les sondages indiquaient un large soutien en faveur de l'accord[7], sa popularité diminue notamment dans le Canada anglophone où le statut « spécial » accordé au Québec est mal vu[3] alors que, dans le même temps, l'utilisation par le premier ministre du Québec Robert Bourassa de la clause nonobstant pour appliquer la Charte de la langue française en dépit de l'opposition de la Cour suprême est en outre perçue comme une mesure discriminante envers la minorité anglophone de la province.

Ainsi, alors que la date limite d'approbation fixée à 1990 approche, l'impopularité de l'accord du lac Meech en fait un sujet de débats lors d'élections fédérales : le nouveau premier ministre du Nouveau-Brunswick Frank McKenna, élu en , revient sur la ratification accordée par le précédent gouvernement. Le premier ministre de Terre-Neuve Clyde Wells fait la même chose quelque temps après. Les tergiversations de certains ministres progressistes-conservateurs du gouvernement de Brian Mulroney, notamment Jean Charest qui propose que des modifications de l'accord aient lieu, provoquent le départ du gouvernement de Lucien Bouchard, le ministre de l'environnement qui fondera ensuite le Bloc québécois.

Finalement, 20 jours avant la date limite de ratification, le , une conférence des premiers ministres réussit à convaincre toutes les provinces de ratifier l'accord en échange de la promesse de nouvelles négociations, notamment une réforme du Sénat avant le , un garanti de l'égalité femmes-hommes, plus de pouvoirs aux territoires, de nouveaux droits pour les Autochtones et les langues minoritaires.

Toutefois, au Manitoba, l'accord est combattu par des représentants des Premières Nations. Le député Elijah Harper s'oppose à l'examen immédiat de l'accord par l'Assemblée législative, considérant que les Premières Nations n'ont pas été suffisamment impliquées. Un accord est trouvé afin de retarder de trois mois la date limite de ratification, mais l'incident au Manitoba pousse Clyde Wells et le leader de l'opposition de Terre-Neuve Thomas Rideout à s'entendre pour annuler le vote de ratification de la législature de la province. L'accord du lac Meech échoue alors définitivement.

Perspective du Fédéral et des Provinces

Malgré l'absence du Québec aux discussions constitutionnelles de 1982[8], Ottawa et le Premier ministre ont fait une réforme du système politique canadien dans l'objectif d'inclure le Québec dans la Constitution et pour chuchoter les discussions de se séparer du Canada. L’accord du Lac Meech créa un compromis entre le Québec, le gouvernement fédéral et le reste des provinces canadiennes. Ottawa est venu en accord avec le Québec et a créé cinq compromis qui ont mené à l'accord de la province avec l’entente.

Cependant, l'envie d’indépendance et le séparatiste augmentaient au Québec. Le Québec avait des demandes spécifiques qui leur permettraient de garder et de préserver leur héritage français. L'une de ces demandes était de reconnaître le Québec comme une société distincte[9]. Le pouvoir du statut était à revoir une fois les négociations terminées. De plus, si Québec se joignait à la Constitution, il voulait garder le pouvoir de mettre en place des conditions et d’obtenir des résultats à travers le gouvernement canadien si nécessaire. Le statut permettrait aussi au Québec de recevoir plus de pouvoirs pour qu’il puisse renforcer sa différence et promouvoir le patriotisme québécois[10]. Cela affaiblit aussi la présence du Fédéral sur le territoire du Québec, ce qui réduisit la présence de l’anglais et promouvrit la langue française. Originellement, le Québec avait demandé un droit de veto pour les provinces de Québec et de l’Ontario, mais cela a été négligé.

Les autres provinces étaient plus ou moins en accord avec les propositions du Québec durant les négociations du Lac Meech. Ils avaient notamment une certaine réserve par rapport au statut de société distincte. Pour pacifier cette inquiétude, il a été décidé que le statut n’affecterait pas le pouvoir des autres provinces face au gouvernement fédéral. Il y avait d’autres oppositions, comme les francophones de l’Atlantic Canadien, qui n’étaient pas en accord avec la clause française. Alors le gouvernement fédéral a reconnu les Acadiens dans l’accord. Ensuite, il y avait le territoire du Yukon qui affirmait que les nouvelles contraintes[11] pour devenir une province n’étaient pas en leur faveur. Pour conclure, à part quelque enjeux que le gouvernement fédéral a réglé, toutes les provinces étaient en accord avec l’accord du Lac Meech.

L'influence de la médiatisation

Le rôle de la télévision

La diffusion des avancements de l’enjeu politique de la crise constitutionnelle ainsi que l'information se reliant à celui-ci, était acheminée à travers diverses médias. La presse écrite figurait entre autres parmi la liste, mais la télévision était le moyen de communication privilégié pour la couverture médiatique des négociations de l’Accord du Lac Meech durant les mois précédents la date limite de ratification, en juin 1990[12].

En effet, la télévision a su jouer un rôle crucial dans le déroulement du débat constitutionnel canadien. La théorie de l’approche communicationnelle de Joshua Meyrowitz décrit parfaitement la couverture télévisée du débat ainsi que son impact. Ainsi, la théorie affirme que la couverture télévisée des événements politiques a permis l’émergence d’un espace commun[13]. Cet espace commun par l’entremise des télévisions à travers le pays, donnait un accès aux Canadiens à des événements politiques auxquels ils n’avaient jamais été exposés auparavant. La nation était maintenant aux aguets des acteurs politiques. Les journalistes et leurs entrevues télévisées sont devenus en quelque sorte un prolongement des négociations entre les premiers ministres. Ceux-ci étaient fréquemment appelés à réagir aux positions ou déclarations de leurs homologues suivant ou précédant une rencontre ou une négociation. Ayant leur opinion diffusée à travers le Canada, il était difficile pour les acteurs politiques de revenir sur ce qu’ils avaient déclaré aux médias. Ces entrevues à l'improviste avec les premiers ministres ont su influencer activement le cours du processus.

Les acteurs politiques utilisaient stratégiquement la télévision comme canal de communication dû à sa large audience et surtout, sa large influence dans le débat. Les politiciens révélaient souvent de l’information pour la première fois ou utilisaient ces entretiens avec les journalistes afin de faire acheminer certaines remarques à leurs homologues, à appliquer de la pression ou pour se positionner ouvertement à l’égard de certains aspects. La télévision a assurément ajouté un brin de difficulté à la négociation et à la tentative d’obtenir un consentement lors de la crise constitutionnelle. Les journalistes et la télévision prenaient activement une place au sein du débat en bombardant de la nouvelle information qui elle, venait influencer la tournure d’évènements[13].

Le format des nouvelles

Le second rôle important que l’on accordait à la télévision lors de cet enjeu politique était celui de contrôler le message en décidant quel évènement ou quel élément d’information serait inclus dans les reportages, lequel serait partagé et constituerait ainsi la prochaine primeur. Ce sont les journalistes et la direction des médias qui décidaient de ce qui serait diffusé. En sélectionnant les nouvelles de cette manière, certaines informations étaient de facto mises de côté et l’auditoire n’y avait pas accès. De plus, le format des nouvelles sous forme de «clips» rendait l’information concise et abrégée, et par conséquent plus fragmentaire. Le peu de temps dédié à une nouvelle devait être utilisé pour rendre l’information intéressante et divertissante plutôt qu’éduquer et enrichir l'auditoire. Pour un enjeu aussi complexe et d'aussi grande ampleur que celui de la crise constitutionnelle, lequel était crucial pour l’avenir du pays et des dix provinces, un tel format de nouvelle ne favorisait pas le principe de rapporter les faits et d’instruire[14]. L’attention du public était davantage retenue par le sensationnalisme autour du mécontentement des acteurs politiques, leurs conflits interpersonnels, les moments d’émotion au Parlement et ainsi de suite. La population étant de fait très mal informée au sujet de l’accord et de la crise de la constitution. Par exemple, les journalistes ont énormément parlé de l’un des objectifs vitaux des négociations, qui consistait à obtenir la signature de la province du Québec. Ceux s’opposant à l’accord étaient perçus comme étant insensibles, ingrats et sans cœur envers le Québec et les besoins des Québécois[15]. Les journalistes dévoilaient très peu aux Canadiens en quoi consistait l’accord proprement dit ainsi que ses clauses, qu’est-ce que l’accord signifierait pour chacune des provinces et quelles conséquences l’accord engendrerait[15]. D’ailleurs, des sondages menés par The Globe & Mail et CBC, ont montré que la majorité des répondants ne connaissaient « rien du tout » voire « très peu » à propos de l’Accord du Lac Meech[14].

La couverture médiatique controversée de la CBC

Durant les derniers mois de négociation de la crise constitutionnelle, une question d’intégrité et de partialité fut soulevée à propos de la CBC, le réseau anglais de Radio-Canada, laquelle détenait à l'époque les plus fortes cotes d’écoute et était considérée la source de nouvelles par excellence[16]. La CBC déployait en effet beaucoup d’efforts afin d’offrir une couverture complète des événements en ayant des équipes de journalistes voyageant à travers le pays, ce qui constituait un net avantage lorsqu'il s'agissait de poser des questions et accéder à de l’information. Ainsi durant la fameuse semaine de crise du 4-10 juin 1990, la CBC a notamment produit 882 minutes de contenu comparé à CTV qui avait produit 528 minutes. Toutefois, les couvertures médiatiques de la CBC pouvaient sembler convergentes avec la vision du gouvernement Mulroney. Ainsi dans un document publié par la CBC en septembre 1991 au sujet de ses lignes directrices et de ses obligations pour la production de contenus, l’une des directives ayant rendu les journalistes québécois perplexes exigeait de « refléter le Canada en tant que nation et d'évoquer ses avantages sociaux, économiques, culturels et politiques »[16]. Alors que ce même document stipulait également que le pluralisme de points de vue faisait partie des obligations de la société d'État. Malgré les doutes soulevés, selon un sondage Angus Reid de l'époque, 63% des répondants considéraient la CBC comme impartiale alors que seulement 17% des répondants affirmaient le contraire[16].

Conséquences

Robert Bourassa, premier ministre libéral du Québec.

L'échec de l'accord du lac Meech est durement ressenti au Québec, où il était perçu comme une réponse minimale aux revendications nationalistes de la province. Le premier ministre Robert Bourassa déclare à l'Assemblée nationale du Québec le :

« Le Canada anglais doit comprendre de façon très claire que, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, le Québec est, aujourd'hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d'assumer son destin et son développement. »

À la suite de l'épisode, le Parti libéral du Québec adopte le rapport Allaire et durcit sa position face au reste du Canada.

La popularité de Brian Mulroney est affectée par l'échec. Dans le cycle de négociations suivant, le gouvernement tâche de solliciter l'avis de la société civile notamment par l'établissement d'un Forum citoyen sur l'unité nationale. Ces efforts aboutissent plus tard à l'accord de Charlottetown qui, contrairement à celui du lac Meech, est soumis à un référendum en 1992 mais est rejeté dans la plupart des provinces.

Notes et références

  1. « Renvoi sur l’opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution », sur Cour suprême du Canada,
  2. Eddie Goldenberg, Comment ça marche à Ottawa, Les Editions Fides, (lire en ligne), p.183
  3. John Geddes, "Meech Lake Ten Years After," Maclean's 19 juin 2000. Retrieved 2006-12-20.
  4. Gordon Donaldson, The Prime Ministers of Canada, (Toronto: Doubleday Canada Limited, 1997), p. 340.
  5. John Geddes, « The day she descended into the fray », Maclean's, Rogers Communications,‎ , p. 72
    Special Commemorative Edition: The Diamond Jubilee: Celebrating 60 Remarkable years
  6. Pierre Trudeau, “Say Goodbye to the Dream of One Canada”
  7. « Reid, Angus, Canada at the Crossroads: Public Opinion and the National Unity Debate », Empireclubfoundation.com (consulté le )
  8. (en-CA) « Meech Lake Accord - Centre for Constitutional Studies », sur https://www.constitutionalstudies.ca/ (consulté le )
  9. Cdn Annual Review 1987, University of Toronto Press, (ISBN 978-0-8020-5851-5, DOI 10.3138/j.ctt2ttk08.7, lire en ligne)
  10. François Rocher et Gérard Boismenu, « L’Accord du lac Meech et le système politique canadien », Politique, no 16,‎ , p. 59–86 (ISSN 0711-608X et 1918-6584, DOI 10.7202/040635ar, lire en ligne, consulté le )
  11. PATRICK J. MONAHAN, Meech Lake: The Inside Story, University of Toronto Press, (ISBN 978-0-8020-6896-5, DOI 10.3138/j.ctvcj2sqc.14, lire en ligne)
  12. (en) Taras, David, « How Television transformed the Lake Meech Negociations », The Electronic Journal of Communication 1, no 2, (1991)
  13. (en) Taras, David, « How television transformed the Lake Meech Negociations », The Electronic Journal of Communication 1, no 2, (1991)
  14. (en) Taras, David, « The Mass Media and Political Crisis: Reporting Canada's Constitutional Struggles », Canadian Journal Of Communication 18 (2), (1993)
  15. (en) Taras, David, « Television and Public Policy: The CBC's Coverage of the Meech Lake Accord », Canadian Public Policy,
  16. (en) Taras, David, « Television and Public Policy: The CBC's Coverage of the Meech Lake Accord », Canadian Public Policy,

Voir aussi

Articles connexes

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